eJournals Vox Romanica 58/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
1999
581 Kristol De Stefani

Rebecca Posner, The Romance languages, Cambridge/New York/Melbourne (Cambridge University Press) 1996, 376 p. (Cambridge Language Surveys)

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1999
R.  de Dardel
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Rebecca Posner, The Romance languages, Cambridge/ New York/ Melbourne (Cambridge University Press) 1996, 376 p. (Cambridge Language Surveys) 1. Encore un ouvrage sur les langues romanes! Certes. Mais il ne s’agit pas d’une redite. Contrairement à ceux de ses devanciers qui présentent séparément la linguistique externe et la linguistique interne, la phonétique ou phonologie, la morphologie et la syntaxe, le latin et les différentes langues romanes, Rebecca Posner, selon une conception originale, mais qui va en partie dans le sens des recherches récentes, intègre toutes ces catégories dans un seul ensemble homogene. Le présent ouvrage ne fait pas double emploi non plus avec l’excellent petit manuel au titre identique 1 , que Rebecca Posner destinait à un public plus large et où elle abolit déjà le traitement séparé des langues romanes. Toute la matière du livre s’organise autour de deux perspectives: «The similarities» (ch. 1 [35ss.] et 2 [71ss.] «What is a Romance language? », ch. 3 [97ss.] «Latin and Romance», ch. 4 [155ss.] «Convergence, interinfluence and parallel development») et «The differences» (ch. 5 [189ss.] «How many Romance languages? », ch. 6 [227ss.] «When did the Romance languages differentiate? », ch. 7 [282ss.] «How did the Romance languages differentiate? », ch. 8 [329ss.] «Sociolinguistic factors»). Dans l’introduction (1ss.), l’auteur expose son credo scientifique. Chaque chapitre se termine par quelques indications bibliographiques («Further reading»). L’ouvrage comporte des cartes, les références bibliographiques, les index des noms, des langues et des sujets traités. Il est impossible de résumer et critiquer cet ouvrage de A à Z dans le cadre d’un compte rendu; je me contente donc d’une caractérisation sommaire, assortie de quelques jugements de valeur représentatifs. 2.1. J’insiste d’abord sur l’introduction, parce qu’elle donne le ton qui domine tout l’ouvrage: des vues amples, équilibrées, sur les nombreuses et diverses méthodes anciennes et modernes appliquées aux parlers romans, en synchronie et en diachronie; mais aussi des remarques bienvenues sur les défauts de cette spécialisation, à savoir le cloisonnement des recherches, l’ignorance où chacun est des avances de l’autre, la réinvention de la roue. Rebecca Posner s’y fait aussi l’avocate des parlers romans face a la linguistique générale, en illustrant par quelques analyses détaillées, à l’intention de chercheurs essentiellement tournés vers les parlers anglo-saxons et exotiques, l’apport des parlers romans à la formation de théories linguistiques. 2.2. Il faut une bonne dose de courage pour renoncer à la confortable présentation compartimentée et aborder, par thèmes, toute la Romania, à travers l’espace et à travers le temps. Le livre est donc une suite de thèmes, exposés chacun d’abord sous l’angle théorique et terminologique, puis illustrés et développés sous l’angle de l’état de la question. Chaque chapitre ou sous-chapitre devient ainsi une petite monographie panromane, non pas forcément comparative dans le sens technique du terme, mais présentant les principales facettes du thème. Réunir les données les plus récentes relatives, mettons, à la diphtongaison ou à la négation, aux créoles ou à la standardisation, est un travail de longue haleine, pour lequel, mis à part le fabuleux LRL, encore en cours de publication, il ne suffit pas de s’appuyer sur les ouvrages similaires existants; les grammaires des langues romanes de Diez, Meyer-Lübke, Bourciez, Maurer, Lausberg ou Hall vont moins loin dans les détails, sans compter que les deux premières ne répondent plus en tous points aux besoins méthodologiques actuels et que les deux dernières ne comportent pas de syntaxe. Dans ces conditions, force est de dé- 231 Besprechungen - Comptes rendus 1 Rebecca Posner, The Romance Languages. A linguistic introduction, Garden City/ New York 1966. pouiller une vaste littérature spécialisée récente, ce dont l’auteur s’acquitte consciencieusement, bien que non sans quelques lacunes, auxquelles je reviendrai. L’entreprise est d’autant plus méritoire que Rebecca Posner n’écarte d’emblée aucune perspective. Elle s’appuie fortement sur les acquis de la linguistique générale et se montre ouverte, fût-ce dans un esprit critique, aux méthodes d’investigation et de description linguistique les plus diverses. Elle accueille aussi tous les parlers romans, favorise peut-être même les «parents pauvres», tels le sarde, le rhéto-roman et le roumain, se penche, avec raison, sur les dialectes, comme étant des témoins aussi précieux pour la recherche que les langues standard, et fait une large place aux créoles. En diachronie également, elle laboure profond, remontant aux sources antiques du roman. 2.3. Les thèmes qu’elle choisit de traiter ne sont pas quelconques et surtout ne sont pas forcément ceux qu’on traite traditionnellement; je vais en donner trois exemples. (1) Rebecca Posner s’efforce de traiter séparément les traits qui sont directement hérités du latin que nous connaissons par les textes, tel le gros du vocabulaire de base (87ss.), et ceux qui n’en sont hérités qu’indirectement, à travers des développements panromans aux schémas typologiques propres, tels les marques de la personne (39ss.) et les genres du nom (55ss.). (2) Rompant avec l’habitude des grammaires de traiter à part les pronoms et les articles, l’auteur se penche (126ss.) sur leur rapport historique. (3) Un des chapitres les plus intéressants, parce que rarement traité d’une manière aussi approfondie, est celui sur les convergences, influences réciproques et développements parallèles (ch. 4); après un exposé sur les notions et les termes, l’auteur illustre ces thèmes par la diphtongaison, l’infinitif, l’objet clitique, les périphrases aspectuelles, le futur, le passif et le lexique; quelques vues peu courantes y attendent d’ailleurs le lecteur à propos de l’influence possible du français sur l’évolution romane de l’objet clitique (167ss., 172 en particulier) et du futur (177ss., 179 en particulier). 2.4. Si l’introduction théorique à chacun des thèmes est en général d’un bon niveau, c’est plutôt parmi les illustrations qu’on trouve une qualité variable, meilleure pour les sujets relativement actuels (créoles, langues minoritaires) ou traditionnels et bien rodés (phonologie/ phonétique, lexique, morphologie), moins pour certains de ceux auxquels la recherche, surtout comparative, s’est attaquée tard et avec difficulté (syntaxe). Un exemple d’illustration fort bien traitée est la diphtongaison (157ss.); ce passage comporte de solides informations sur les aspects phonétique, phonologique, diatopique et diachronique, et une évaluation des diverses explications, avec notamment un jugement nuancé sur la phonologie diachronique. 2.5. Le principal inconvénient du plan adopté par Rebecca Posner est bien sûr l’éparpillement d’éléments qu’une grammaire traditionnelle réunirait dans un seul chapitre; le sort du vocabulaire latin, par exemple, est traité à des endroits différents selon qu’il s’agit du vocabulaire hérité du latin (87ss.), du vocabulaire latin qui n’est pas représenté en roman (138) ou de différenciation lexicale (319ss.). Cet inconvénient est heureusement neutralisé par des renvois internes et par d’excellents index; ainsi, dans une certaine mesure, l’ouvrage peut être utilisé comme consultatif, à vrai dire un consultatif qui a son système propre, ou l’on ne trouve peut-être pas ce qu’on cherche, mais ou l’on trouve souvent, avec bonheur, ce qu’on ne cherchait pas. 2.6. Dans tout l’ouvrage règne une précision de bon aloi, jusque dans les détails. Les exemples, empruntés à des études ou éditions de texte récentes, sont assortis d’une traduction. Il est juste de signaler - parce que c’est plutôt rare - que, cette matière ardue étant coulée dans un style souple et relaxe, selon la meilleure tradition anglaise, l’ouvrage se lit aisément. 3.1. La terminologie, qui est à la description ce que sont la vis et l’écrou à la charpente, c’est-à-dire qui permet de comprendre où et comment les éléments de la description s’articulent les uns aux autres, pèche par quelques imprécisions. Témoins les termes relatifs à l’origine des langues romanes. 232 Besprechungen - Comptes rendus Dans un paragraphe sur la contribution des études romanes à la linguistique synchronique et diachronique, l’auteur écrit, à propos de la reconstruction lexicale: «The greatest contribution of Romance studies must surely be to comparative philology reconstructionist techniques, as Romance is the only extended ‹family› with a well-attested ‹mother› (Ursprache or proto-language), so that reconstructed forms can be matched with attested equivalents» (11); le lecteur en conclut que le terme «protolangue» englobe tout élément lexical de l’antiquité ayant des prolongements en roman. Quelques pages plus loin, cependant, dans un bref paragraphe intitulé «Proto-Romance lexicon» (14s.), Rebecca Posner traite quelques cas où la reconstruction aboutit à un lexème que les textes latins n’attestent pas ou qu’incidemment: focus (pour ignis), campus (pour ager) et vetulus (pour vetus); ici, à cause du titre, le lecteur conclut que le terme «protoroman» ne désigne que les reconstructions non attestées, et il constate, avec une surprise justifiée, que ce terme n’est pas synonyme du terme «protolangue», appliqué aux langues romanes dans le passage précédent. La même interprétation de «protoroman» est suggérée dans un autre passage (97s.). Cette terminologie est doublement fâcheuse. Non seulement elle prête à confusion, mais aussi, en suggérant que le protoroman est un sous-ensemble de la protolangue, elle fausse la réalité: dans le sens courant du terme, c’est-à-dire par analogie avec n’importe quelle autre protolangue reconstruite, est protoroman tout trait du latin antique, écrit ou non, qui a son prolongement, par tradition orale, en roman. Peut-être faut-il voir, dans cette imprécision terminologique, moins une maladresse que la survivance du point de vue, en voie d’extinction, selon lequel l’origine des parlers romans réside en premier lieu dans le latin des textes, les traits non attestés étant considérés comme marginaux ou accidentels, voire tardifs, et seuls du ressort du comparatiste. 3.2. Les exemples qui illustrent chacun des thèmes sont certes intéressants et utiles; mais ils sont aussi frustrants, dans la mesure ou l’analyse n’aboutit pas à une conclusion tant soit peu nette ou à une hypothese argumentée. Cela tient, en partie au moins, à un excès de prudence de la part de l’auteur, qui a une propension à se retrancher derriere les avis, parfois contradictoires, des chercheurs, sans prendre position, et recourt à des formules («in general», «usually», «it may be», «it is difficult to say», et j’en passe) qui restreignent la portée de ce qu’elle affirme. La prudence est certes une vertu majeure en sciences, surtout dans les sciences spéculatives et théoriques comme la linguistique; il est bon de laisser mûrir, de multiplier les contrôles et de consulter des spécialistes avant de publier. Il est souhaitable également d’être prudent dans la formulation rédactionnelle des résultats: être catégorique pour les résultats évidents, issus par exemple d’observations sur le terrain ou de données chiffrées, mais réservé dans leur interprétation, soit parce que l’objet n’est pas encore bien connu, soit parce qu’il est imprécis par nature. Rebecca Posner s’ouvre du reste de ce problème dans la préface (xiv), pour expliquer qu’elle est trop consciente du caractere provisoire de toute observation linguistique et des limites de son propre savoir pour se permettre d’être catégorique. Il s’agit, dans ce domaine, de trouver le juste milieu. Le problème est cependant que sa prudence s’étend parfois a des sujets qui sont connus, pour lesquels il existe une littérature abondante, permettant d’être plus précis et de mieux évaluer les diverses thèses les unes par rapport aux autres. De ce fait, le lecteur - c’est du moins mon expérience - a le sentiment de n’y pas trouver son compte. Cette façon de présenter les choses me paraît peu stimulante pour l’étudiant et propre à entraver la progression de la science. J’ai relevé ce défaut entre autres dans les pages sur l’accusatif prépositionnel (121ss.); l’explication de cette construction par la disparition des cas et la nécessité de distinguer le patient de l’agent s’y trouve côte a côte avec l’explication par l’importance accrue de l’individu dans le christianisme naissant, sans qu’une préférence quelconque soit énoncée par 233 Besprechungen - Comptes rendus l’auteur; or, en l’état actuel des recherches, la première explication se fonde sur la structure du protoroman le plus ancien et peut se réclamer de tendances universelles, alors que la seconde est beaucoup plus spéculative, sans compter qu’elle est appliquée à un processus probablement antérieur au christianisme. 3.3. L’analyse diachronique de langues parentes est inachevée, tant qu’elle n’est pas complétée par une hypothèse sur la protolangue, qui permette de savoir s’il y a héritage commun, évolution parallele ou convergence tardive; c’est là une exigence scientifique, indispensable au progrès de la recherche; et, même si, par la suite, l’hypothèse se révèle fausse, elle fait progresser la recherche par le simple fait de montrer la voie vers une hypothèse meilleure. Plusieurs des exemples donnés par Rebecca Posner souffrent sur ce point d’une lacune. Je me permets ici une image, pour concrétiser ma pensée. Si l’on compare les relations génétiques dans une famille de langues à un arbre, on peut dire que le tronc figure le point de départ, dans notre cas le latin de l’antiquité, que les rameaux figurent les aboutissements de l’évolution dans les parlers romans, et les branches, la manière dont les structures latines se sont transformées, dans les dimensions temporelle et spatiale, pour aboutir aux parlers romans. Or, la lacune incriminée par moi concerne essentiellement les branches. 3.3.1. Le choix du mode dans les subordonnées (143s.), que Rebecca Posner donne comme exemple d’une catégorie où peut intervenir une influence latine tardive, va me permettre d’illustrer mon propos. 3.3.1.1. Voici l’exposé du livre, fortement résumé. L’auteur débute en ces termes: «In general, the Romance subjunctive is a form used principally in subordinated clauses, reflecting some Latin uses more faithfully than others. In many cases it can be viewed as merely an agreement feature, a servitude grammaticale, which serves to reinforce the semanticism of the governing verb or conjunction, usually implying volition or the lack of certainty inherent in anticipated events.» (143). Dans d’autres cas, dit-elle ensuite, le choix semble être d’ordre stylistique; ceci vaut tout particulièrement après les verbes exprimant la joie, la colère, la crainte, etc. (exemples italiens et français); en espagnol, le verbe esperar régit l’indicatif lorsqu’il signifie attendre , mais le subjonctif lorsqu’il signifie espérer’. Apres les verbes dicendi et les verbes de pensée, le subjonctif ajoute une nuance de doute. Une construction ou le subjonctif a manifestement une fonction sémantique est la relative restrictive (exemples espagnol, français, italien et roumain). Suivent des remarques sur le français familier, où cette sorte de distinction n’est guère observée, sauf après les verbes de volition. En italien, la situation est semblable. «In these standard languages, it may be that the dead hand of Latin has forced the retention of a range of uses» (144). En ibéro-roman, standard et non standard, le subjonctif s’est maintenu plus vivant, «and it is difficult to say whether Latin has had the same sort of influence» (144). En roumain, ou l’influence du latin n’entre pas en ligne de compte, il pourrait s’agir d’une influence grecque. Le subjonctif est rare dans le parler quotidien spontané, mais il en émane une délicatesse, qui se manifeste dans le parler plutôt formel. 3.3.1.2. Dans ce passage, on distingue d’une part une amorce du «tronc», d’autre part des «rameaux», où l’emploi du subjonctif est abordé en tant que regle grammaticale, en tant que variante de style ou de niveau de langue et en tant que latinisme ou grécisme éventuel. Tout cela est conforme à la réalité ou du moins plausible. Cependant, le lecteur se trouve en présence d’une énumération de faits, dignes d’intérêt en soi, mais dont il ne perçoit pas les liens génétiques, que ce soit entre les «rameaux» ou entre les «rameaux» et le «tronc». Les «branches», qui relient le tout, sont tout au plus suggérées; par exemple, s’il y a un lien génétique entre le rôle de la volition en latin et en français, il reste implicite. 234 Besprechungen - Comptes rendus Il ne serait pourtant pas difficile de dépasser ce stade peu satisfaisant de la description, sous la forme d’une projection diachronique du commun dénominateur; en d’autres mots, on pourrait reconstruire, par hypothèse, les règles du protoroman, le «tronc», qui sont beaucoup plus nettes et homogènes que celles des parlers romans, mais dont une évolution divergente de deux millénaires, qui représente les «branches», a en partie effacé les contours et diversifié l’aboutissement au niveau des «rameaux». Sur ce sujet, il existe une abondante littérature, dont j’ai tenté de faire une synthese protoromane 2 , que je réduis ci-après à sa plus simple expression. L’emploi du subjonctif protoroman, soit comme trait distinctif, soit comme trait concomitant, est marqué [-actuel], par opposition à celui de l’indicatif, marqué [+actuel] dans le sens étymologique du mot: ce trait parcourt comme un fil rouge la plupart des subordonnées protoromanes, [-actuel] opposant, avec la conjonction si, l’hypothétique à l’interrogative directe totale, avec une conjonction temporelle, l’antériorité à la postériorité, avec la conjonction ke, la comparative d’inégalité hypothétique à la comparative d’inégalité non hypothétique, la finale à la causale, la complétive dans une phrase volitive, négative ou impérative à la complétive dans une phrase ni volitive, ni négative, ni impérative, dans une proposition relative restrictive, celle dont le pronom relatif a un antécédent [-actuel] à celle dont il a un antécédent [+actuel]. Cette structure est à la base des parlers romans, ou elle se reflète dans la plupart des exemples proposés par Rebecca Posner. Elle introduit un principe d’ordre génétique dans l’ensemble diachronique et dans ses multiples aboutissements synchroniques. Il n’est plus nécessaire, dans ces conditions, de citer à part et de justifier chaque fois, au niveau des «rameaux», le choix du mode, lorsqu’il est conforme à la règle du protoroman. Il ne reste plus qu’à en décrire et expliquer les emplois déviants. La connaissance des «branches» est une exigence méthodologique aussi lorsqu’il s’agit de décrire d’éventuelles influences latines qui court-circuitent la transmission orale du protoroman. Je rappelle que nous sommes en présence de deux filières interactives: d’une part l’évolution du latin parlé, reconstruit sous la forme du protoroman, qui aboutit aux parlers romans, d’autre part la tradition latine écrite, qui s’inspire de la norme classique. Entre ces deux filieres, il existe des différences grammaticales notoires, qui, soit dit en passant, infligent un sévère démenti à l’affirmation (citée en 3.1) selon laquelle la langue mère des parlers romans est bien attestée. Parmi ces différences, il y a celles relatives à l’emploi des modes; par exemple, à l’interrogation totale indirecte du latin écrit, avec num et le subjonctif, correspond en protoroman, depuis l’antiquité, la construction avec SI et l’indicatif; ou bien, inversement, dans les causales, ou le latin écrit connaît le subjonctif avec cum, le protoroman, avec n’importe quelle conjonction, ne connaît que l’indicatif. Dans ces conditions, il faut compter avec une éventuelle influence du latin écrit sur le protoroman ou, plus tard, sur les parlers romans, favorisant selon le cas l’indicatif ou le subjonctif. Dans le passage incriminé, le problème est que l’auteur, sur ce point, n’explicite pas la norme de la tradition protoromane et, par conséquent, ne peut pas nous faire la démonstration qu’un mode donné, dans les parlers romans, relève de la tradition protoromane ou, au contraire, d’une adjonction tardive, éventuellement sous l’effet de la norme latine écrite. En fait, selon plusieurs auteurs qui se sont penchés sur ce probleme, le subjonctif se présente en ibéro-roman dans les causales introduites par un dérivé de quomodo, sous l’influence du latin écrit cum avec subjonctif. Il se peut que la lacune méthodologique que je signale ici, à propos de l’emploi du subjonctif, vienne de ce que Rebecca Posner, comme quelques autres chercheurs, n’a pas con- 235 Besprechungen - Comptes rendus 2 Cf. R. de Dardel, Esquisse structurale des subordonnants conjonctionnels en roman commun, Genève 1983: 109ss. fiance dans la reconstruction syntaxique en général. Celle-ci, en l’absence de lois phonétiques, présente effectivement des difficultés réelles, qui ont jadis embarrassé même Meyer-Lübke. Mais, de nos jours, se retrancher derrière cet argument serait anachronique, car, depuis au moins un demi-siècle, grâce aux progrès de la linguistique générale et grâce à de nouveaux critères de vérification, la reconstruction syntaxique est appliquée, avec des résultats intéressants, tant chez les romanistes que chez les indo-européanistes. Je me permets d’insister sur la nécessité d’une hypothèse protoromane dans un cas comme celui-ci. Non seulement parce que, comme je l’ai dit, c’est une exigence scientifique, mais aussi parce que le passage en aurait gagné en intérêt, les faits isolés et apparemment fortuits au niveau des «rameaux» finissant ainsi par trouver leur juste place dans un ensemble diachronique cohérent. En s’appuyant sur une hypothese protoromane et en se déchargeant sur elle d’une part de responsabilité, l’auteur aurait pu généraliser et simplifier la description au niveau des parlers romans et se permettre une formulation plus assurée. 3.3.2. Les remarques que j’ai faites à propos du mode dans les subordonnées s’applique mutatis mutandis à l’exposé diachronique sur la position de l’adjectif épithète (146ss.), où l’auteur saute du «tronc» aux «rameaux», sans s’arrêter aux «branches». Les éléments explicatifs fournis, tels l’influence germanique pour l’ancien français, thèse du reste assez généralement abandonnée, et les latinismes syntaxiques, ne rendent pas compte de manière convaincante de ce que, malgré l’ordre de base roman SVO, censé favoriser la postposition, la plupart des parlers romans connaissent des cas d’antéposition non marquée. 3.4. Dans un passage sur le conservatisme (326s.), Rebecca Posner cite le sarde central, dont on admet en général que les archaïsmes sont dus à ce que, de très bonne heure, la Sardaigne, tombée dans un certain isolement, cesse de participer pleinement à l’évolution du latin. «But there is no clear evidence,» ajoute-t-elle, «that the centre of the island was thoroughly romanized in classical times. The putative conservative character may therefore be a reflection of a later introduction of an artificial learned version of Latin rather than a natural evolution of an inherited spoken Latin» (326s.). Il faut rappeler qu’il y a, dans la structure grammaticale des textes sardes anciens, des traits qui sont non seulement différents de ceux de la plupart des autres parlers romans, mais aussi antérieurs à eux, en vertu de critères universels de l’évolution 3 ; la preuve est donc bel et bien faite d’un système relativement archaïque au départ. Quant à l’explication invoquée, elle est trop vague; Rebecca Posner a-t-elle en vue les sons qui ont conservé leur aspect antique, comme le [k] devant des voyelles antérieures, ou des emprunts lexicaux? De toute maniere, je ne vois pas que les structures grammaticales auxquelles je fais allusion reflètent quelque latin savant que ce soit. Lorsqu’on formule avec un certain aplomb une hypothese inédite, voire surprenante, il serait bon, pour être crédible, de l’argumenter ou d’en citer la source. 3.5. A propos du sort du neutre latin en roman (55ss.), il aurait été souhaitable de se demander où se situe, par rapport à l’évolution décrite, le pronom illa indéterminé qu’on trouve dans les nombreuses expressions romanes du type Il se la coule douce; est-ce le résultat de l’ellipse d’un nom féminin, comme on le dit d’ordinaire, ou n’est-ce pas plutôt un vestige du neutre pluriel? 4. Le livre de Rebecca Posner marque certainement une étape dans la description des langues romanes, et cela par la maniere dont les données sont disposées, par sa richesse exceptionnelle, l’abondance des thèmes, des vues théoriques, des illustrations et des exemples. J’en ai personnellement beaucoup profité et ne manquerai pas de m’y reporter pour m’informer sur tel ou tel des thèmes traités. 236 Besprechungen - Comptes rendus 3 Cf. R. de Dardel, «Le sarde représente-t-il un état précoce du roman commun? », RLiR 49 (1985): 263-69. C’est toutefois cette richesse même qui, je crois, porte en germe mon insatisfaction de lecteur. Dans sa conclusion, Rebecca Posner formule parfaitement le problème, lorsqu’elle écrit: « . . . this book, in which I am conscious of being able only to skim the surface of the rich linguistic material proffered by the Romance languages . . . » (343). Puisqu’on ne peut pas demander à une seule personne de dominer toute la littérature afférente aux thèmes traités, j’aurais préféré que l’auteur traite moins de thèmes ou donne moins d’illustrations de ces thèmes, mais approfondisse ceux qu’elle aurait retenus. J’ai eu parfois l’impression, à la lecture de son ouvrage, que la qualité a été sacrifiée à la quantité. Ceci dit, je ne voudrais pas suggérer aux lecteurs de ce compte rendu que les aspects problématiques occupent dans le livre une place proportionnellement aussi importante que dans le présent rapport. R. de Dardel H Sanda Reinheimer/ Liliane Tasmowski, Pratique des langues romanes. Espagnol, français, italien, portugais, roumain, Paris/ Montréal (L’Harmattan) 1997, 285p. Die von den beiden Verfasserinnen vorgelegte Pratique des langues romanes ist eine einführende, synchronische und diachronische Aspekte verbindende grammaire comparée der fünf großen romanischen Sprachen, die einen systematischen Überblick über ihre Struktur und ihre im Lateinischen wurzelnden Gemeinsamkeiten, aber auch ihre in unterschiedlichen sprachexternen Voraussetzungen und divergierenden Entwicklungslinien begründete Verschiedenheit gibt. Die von Reinheimer und Tasmowski (hinfort R & T) mit dem Begriff «pratique» offensichtlich darüber hinaus verknüpfte Zielsetzung, einem Leser mit guten Kenntnissen zumindest einer romanischen Sprache (also vor allem des Französischen, das - neben dem Lateinischen als diachronem Bezugspunkt - als synchroner Bezugspunkt und als Metasprache fungiert) echte praktische Fähigkeiten im Sinne einer Erleichterung der «compréhension des idiomes apparentés au sien» (9) zu vermitteln oder gar den Wunsch verwirklichen zu helfen, daß «le globe-trotter romaniste voudra aussi se faire comprendre et comprendre ce qu’on lui dit» (11), scheint dem Rezensenten eine recht abenteuerliche Vorstellung. Dies schmälert aber nicht Wert und Nutzen des Buches - vermag es doch einem sprachwissenschaftlich vorgebildeten Leser einen sehr anschaulichen und, wenngleich elementaren, so doch durchaus differenzierten Überblick über den genetischen und zumindest partiell auch typologischen Zusammenhalt der romanischen Sprachen zu vermitteln. Von vielen der tabellarischen Übersichten sowie dem reichen Fundus an Beispielen wird man zudem in nicht-einzelsprachlich gebundenen linguistischen (nicht: sprachpraktischen 1 ) Einführungskursen profitieren können; und auch derjenige (vor allem nicht-romanistische) Sprachwissenschaftler, der sich einen ersten, aber insgesamt durchaus verläßlichen, Überblick über wichtige Charakteristika (cf. weiter unten zur Vollständigkeit der Informationen) einer oder mehrerer romanischer Sprachen verschaffen möchte, ist sicherlich mit einem Griff zu R & T’s synoptischer Darstellung in keiner Weise schlecht beraten. Zweifellos wären, wenn man sich von der Vorstellung der vermeintlich intendierten, letztlich jedoch obskur bleibenden «pratique» des Buches einmal verabschiedet, teilweise detailliertere linguistische Analysen und über die im wesentlichen rein phänomenologisch orientierten Darstellungen hinausgehende Ansätze zu einer linguistischen Erklärung wünschenswert gewesen. Dennoch fallen die Darstellungen in der Regel - gemessen an der vor- 237 Besprechungen - Comptes rendus 1 Einschließlich solcher praktischer Kurse, in denen es «nur» um die Vermittlung von Lesefähigkeiten in einer zweiten oder dritten romanischen Sprache geht.