eJournals Vox Romanica 61/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2002
611 Kristol De Stefani

Donald Maddox, Fictions of Identity in Medieval France, Cambridge (University Press) 2000, 295 p.

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2002
Alain  Corbellari
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Donald Maddox, Fictions of Identity in Medieval France, Cambridge (University Press) 2000, 295 p. Donald Maddox (D. M.) fait incontestablement partie des ténors de la recherche médiévale, et plus particulièrement arthurienne, en Amérique; par son attention aux liens reliant l’imaginaire social à la littérature, il a renouvelé notre vision de Chrétien de Troyes et du Lancelot en prose. Ainsi ne s’étonnera-t-on pas de voir son nouvel ouvrage afficher, malgré ses dimensions modestes, des ambitions qui pourraient bien en faire un livre clé dans notre compréhension de l’art romanesque des XII e et XIII e siècle. Tout n’est pas nouveau, certes, dans ce livre, et le lecteur qui a suivi, dans des articles qui ont d’ores et déjà fait date, l’évolution de la pensée de D. M. reconnaîtra en passant dans certains chapitres une matière déjà traitée ailleurs. La volonté synthétique du volume n’en ressort que mieux, même si on peut, par moments, se demander si le concept choisi comme fil rouge dans cette exploration n’est pas un peu trop vaste. L’idée de D. M. est en effet, à première vue, de celles qui pourraient tout aussi bien s’appliquer à bon nombre de productions romanesques modernes, l’intérêt de l’enquête étant en l’occurrence de marquer la spécificité médiévale de son objet en proposant une explication basée sur la reconnaissance, dans l’art narratif occidental, d’un tournant lié à la naissance de la subjectivité (213). C’est dire du même coup que les recherches de D. M. s’inscrivent dans le courant très actuel qui tend à démontrer que la littérature française du Moyen Âge a développé bien avant Cervantès un art «problématique» de la composition romanesque. On aura noté en passant que D. M. règle son compte à la chanson de geste en affirmant, dans la lignée des recherches de Peter Haidu (The Subject of Violence) que «the notion of specular encounter becomes meaningless, except as a zero-degree, tautological convergence of self and society in a single ethos, as legend becomes myth» (211). La notion centrale du livre est en effet celle de rencontre spéculaire («specular encounter») dont D. M. voit l’illustration archétypale dans la Vie de Saint Eustache: par sa rencontre avec le cerf, «the hunter is forced to accept the role of the prey, which in turn becomes both the ‘Pursuer’ and the informant purveying the reflexive message» (7). Bien sûr, l’«informant» n’est pas forcément un animal, l’important étant que cette rencontre provoque chez le personnage à qui elle advient (et que D. M. nomme l’«addressee») un bouleversement et un conflit qui influenceront à la fois le déroulement de l’action et l’évolution de son propre caractère. Est-ce parce que le terme «specular» lui semble suffisamment clair que D. M. ne se lance pas dans de longues spéculations (si l’on ose dire! ) sur le double? Toujours est-il que l’on cherchera en vain dans ce livre non seulement une quelconque tentative de relier l’art romanesque médiéval à celui de notre modernité (sinon sous forme de clins d’œil: cf. 1 [Robbe-Grillet], 2 [Flaubert], 152 [Proust]), mais aussi toute formalisation en termes girardiens (ne serait-ce que pour la contester) des relations entre personnages ainsi dégagées. Si la première de ces absences témoigne d’une prudence qui honore D. M., et qui est le corollaire de la méfiance qu’il affiche de manière générale envers les grilles interprétatives non directement induites par les textes, la seconde est plus étonnante (on sait d’ailleurs le succès en Amérique des thèses de l’auteur de Mensonge romantique et vérité romanesque), car, précisément, le principe du «désir médiatisé» semble s’adapter à merveille aux situations décrites par D. M., en particulier dans le premier chapitre, qui propose une passionnante relecture des Lais de Marie de France en y dégageant partout une évolution narrative basée sur des successions de «triadic structures» (deux personnages s’opposent à un troisième qui devient lui-même, par renversement spéculaire, le membre fort d’une nouvelle triade, et ainsi de suite: voir l’appendice 216-20). En mettant en évidence des constantes dans les relations de couples sur lesquelles se terminent les Lais de Marie, cette analyse donne en outre à D. M. l’occasion de définir trois types d’intrigues, qu’il appelle «courtly», «comic» et 319 Besprechungen - Comptes rendus «elegiac», et dont la gradation et la savante alternance lui permet d’attribuer à une volonté d’auteure la disposition des textes dans le fameux manuscrit Harley. Le deuxième chapitre se meut dans le domaine du roman arthurien, où l’on sait D. M. particulièrement à l’aise: c’est pourtant peut-être là que ses résultats sont les plus flous. Malgré la pertinence de nombre d’observations, le schéma de la rencontre spéculaire s’y applique à des configurations d’une telle diversité qu’il menace de tourner à la banalité ou au simple prétexte: peut-on réellement mettre sur le même plan la confrontation aux coutumes (thème cher à D. M.), la découverte de son nom par un «jeune» chevalier ou la lecture de son infortune par Arthur lorsqu’il découvre les fresques de Lancelot? Une réflexion plus approfondie sur le double aurait sans doute ici sa place. Le grand sens de la synthèse de D. M. n’est pas toutefois sans apporter des lueurs passionnantes sur l’évolution du roman médiéval, et on notera en particulier la très intéressante remarque que, contrairement à Chrétien de Troyes, «Renaut [de Beaujeu] cultivates a type of fiction in which conflicting values create unresolved tensions» (108). Le troisième chapitre étudie, dans Le Chevalier de la charrette, le Tristan de Béroul, la Folie Tristan d’Oxford et La Châtelaine de Vergy, des cas patents d’«aberrant analysis» (157), où les «informants» sont trompés par des signes, volontairement disposés ou non, qui aboutissent à ce que l’on pourrait appeler, en termes lacaniens, le ratage de la rencontre. Le parallèle proposé par D. M. avec le triomphe, aux XII e et XIII e siècles, de la logique aristotélicienne (163) est subtil et, ici encore, n’est pas sans ouvrir des perspectives peut-être insuffisamment exploitées dans la conclusion. Le quatrième chapitre est davantage que les précédents tourné vers l’analyse socio-historique, puisqu’il s’intéresse aux «fictions of lineage», et en particulier à La Fille du Comte de Ponthieu et au Roman de Mélusine: après avoir rompu, sans grand profit, une lance en faveur des thèses quelque peu discréditées de Köhler (190-91), D. M. propose, à propos de ce «profoundly integrative type of specular encounter» (195) une relecture du concept freudien de «roman familial» qui nous ouvre, sans les développer réellement, quelques perspectives sur le rôle de l’amour dans ce type de récit (deux détails minuscules en passant: on serait heureux de voir cité l’original français de la formule de Lacan «in you, more than you» [198] - quant aux vers attribués à Éluard, ils sont en réalité d’Aragon [199]). Après avoir brassé un si vaste champ d’analyse, le lecteur sera particulièrement heureux d’aborder la substantielle conclusion (201-215) qui renoue les fils avec maestria et propose des prolongements de cette recherche dans des domaines encore non explorés, comme la littérature comique (209). Malgré ce qui nous a semblé des timidités interprétatives (ainsi l’analyse de la littérature narrative médiévale sous l’angle du «désir mimétique» nous semble-t-elle encore tout entière à écrire) et une définition peut-être par trop extensive de son concept clé (mais pour une fois qu’un livre de littérature médiévale est autre chose qu’une compilation ou l’exploitation d’un concept éculé, le reproche est bénin), D. M. nous a fourni ici un maître livre dont on doit espérer qu’il nourrira longtemps la réflexion des chercheurs. A. Corbellari H Richard Trachsler, Merlin l’enchanteur. Étude sur le Merlin de Robert de Boron, Paris (SEDES) 2000, 158 p. (Agrégation de Lettres) Voici rien de moins que le cinquième ouvrage de Richard Trachsler (R. T.), qui, à moins de quarante ans, se pose déjà comme l’un des plus compétents spécialistes de la littérature arthurienne française, domaine embrouillé dans lequel son sens de la synthèse fait merveille. 320 Besprechungen - Comptes rendus