eJournals Vox Romanica 62/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
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2003
621 Kristol De Stefani

Jakob Wüest (ed.), Les linguistes suisses et la variation linguistique. Actes d’un colloque organisé à l’occasion du centenaire du Séminaire des langues romanes de l’Université de Zurich, Basel/Tübingen (Francke) 1997, 166 p. (Romanica Helvetica 116)

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2003
A.-M. Fryba-Reber
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216 Besprechungen - Comptes rendus sche Linguistik in Europa (Tabelle 6). Drittens: Zum Problem der Veränderung «die Geschichtskonzeption des französischen Historikers Fernand Braudel (1902-85)» 7 . Mit diesem Verfahren erfaßt Raible einige aktuelle Neuerungen in der Ausdrucksweise. Besonders aktiv erscheinen hier die Phraseure der Wirtschaftspropaganda. Die Deutsche Bahn z. B. sagt: «Früher hätte nicht mal Einstein unsere Preise kapiert. Bald versteht sie jedes Kind». In der deutschen Schweiz sogar die Neue Zürcher Zeitung: «Haben Sie eine ganz andere Meinung als die NZZ? Um so spannender die Lektüre». Dazu: «Bei uns verkaufst Du Dein Auto schneller als es fährt» (sic). Man spricht zur Zeit oft von der Krise der Geistes- und Sozialwissenschaften. Dies gilt vor allem für den Hochschulbereich (und in Deutschland insbesondere für das Rahmengesetz von 2001 der Regierung in Berlin, das die traditionelle Struktur der Universität vollkommen verändert). Mit dem genannten Konzept wird das Sprachenproblem unter verschiedenen Geisteswissenschaften als selbstverständlich subsumiert. Die Initiative der Österreichischen Forschungsgemeinschaft ist deshalb ein gewichtiges Novum. Als Negativpunkt möchten wir allerdings anmerken, daß das Verfahren rein eurozentrisch ist. Der Blickwinkel sollte erweitert werden. G. Ineichen H Jakob Wüest (ed.), Les linguistes suisses et la variation linguistique. Actes d’un colloque organisé à l’occasion du centenaire du Séminaire des langues romanes de l’Université de Zurich, Basel/ Tübingen (Francke) 1997, 166 p. (Romanica Helvetica 116) En 1894, la Faculté des Lettres de Zurich, sous la houlette de son doyen Henri Morf, réorganise le séminaire de philologies romane et anglaise en créant deux séminaires distincts 1 : cet acte fondateur qui est à l’origine du séminaire des langues et littératures romanes (Romanisches Seminar), l’Université de Zurich en a célébré le centenaire en organisant une semaine de manifestations (5.-10. 12. 1994). Le colloque des 5 et 6 décembre sur les linguistes suisses et la variation linguistique ouvrait les festivités. Celles-ci comprenaient une cérémonie officielle, une table ronde consacrée à la critique littéraire (et suivie d’une conférence magistrale de Jean Starobinski), un colloque sur les littératures en langues romanes en Amérique latine et en Afrique, une séance d’informations à l’intention des futurs romanistes et, dans la meilleure tradition du gai saber que les romanistes zurichois ont toujours su cultiver 2 , un «bal de la rose» agrémenté d’un spectacle trilingue (français, italien, espagnol). 7 Raible gibt zu Braudel keine weiteren Auskünfte. Wir zitieren: G. Piterberg/ Th. Ruiz/ G. Symcox, Braudel Revisited: The Mediterranean World, 1600-1800. The Center & Clark Newsletter 40 (2000). 1 La séparation des chaires de philologie romane et anglaise est un phénomène d’époque connu des historiens de la linguistique. Cf. à ce propos, l’ouvrage précieux de H. H. Christmann, consacré à l’histoire institutionnelle des philologies romane et anglaise dans l’université allemande du XIX e siècle. L’auteur observe que, de 1860 à 1875, on créa des chaires cumulant la philologie romane et anglaise et qu’à partir de 1870 à 1900, on procéda à la séparation des deux philologies (Romanistik und Anglistik an der deutschen Universität im 19. Jahrhundert. Ihre Herausbildung als Fächer und ihr Verhältnis zu Germanistik und klassischer Philologie, Mainz/ Wiesbaden/ Stuttgart 1985). Cf. également le panorama récent de J. Storost «Le développement des nouvelles philologies au xix e siècle», in: S. Auroux/ K. Koerner/ H.-J. Niederehe/ K. Versteegh (ed.), Histoire des sciences du langage, Berlin 2002: 1240-72. 2 Rappelons que le Gay Saber était le nom du cercle de romanistes zurichois, «la vaillante société de romanistes de Zurich» comme dit Sechehaye qui y a fait une conférence en 1912. Cf. A. Sechehaye, «Les règles de la grammaire et la vie du langage», GRM 6 (1914): 288N. 217 Besprechungen - Comptes rendus Les onze contributions du volume des actes du colloque en question sont consacrées chacune à l’évocation d’un linguiste suisse, soit dans l’ordre de présentation: Ferdinand de Saussure, Charles Bally, Henri Frei, Wilhelm Meyer-Lübke, Carlo Salvioni, Jules Louis Gilliéron, Louis Gauchat, Karl Jaberg, Jakob Jud, Arnald Steiger, Walther von Wartburg. Figurent en ouverture une substantielle présentation d’Eugenio Coseriu et en guise de conclusion une synthèse de l’éditeur des actes, Jakob Wüest. Dans une note préliminaire (5-6), celui-ci précise que le sujet et le choix des conférenciers de ce colloque s’inscrivent dans le cadre d’un programme Erasmus intitulé «Diachronie et variation linguistique»: voici qui explique, en partie du moins, le titre du volume. Le caractère helvétique de la manifestation justifiant l’épithète «suisse», on peut se demander pourquoi l’éditeur a opté pour l’appellation «linguistes» plutôt que pour celle de «romanistes». Wüest justifie doublement ce choix par la présence de non romanistes et par le primat de la linguistique générale sur les linguistiques particulières. Dans sa présentation (7-19), E. Coseriu retrace l’essor de la linguistique suisse dans les années trente du xx e siècle. S’appuyant sur un article de Jaberg 3 , l’auteur pose la délicate question de «l’unité essentielle de la linguistique suisse» (8) en soulignant les points communs à deux représentants éminents de la linguistique suisse, Ferdinand de Saussure et Jules Gilliéron: d’abord leur goût irrésistible de la formule concrète («la feuille de papier» de Saussure ou «la pathologie et la thérapeutique verbales» de Gilliéron), ensuite le besoin, chez tous deux, de dépasser l’héritage néogrammairien; enfin la nécessité d’orienter la linguistique sur la langue elle-même et non sur les épiphénomènes. L’autre caractéristique de l’esprit dans lequel les linguistes suisses abordent leur objet est, aux yeux de Coseriu, la nette conscience qu’ils ont de la bipolarité foncière du langage gouverné par «deux universaux essentiels» (10): il s’agit d’une part de la créativité qui se manifeste dans la diversité ou la variation diachronique des systèmes et des normes que Coseriu articule en trois types de variétés synchronique et diachronique (diatopique, diastratique, diaphasique) et en variabilité de la parole, et il s’agit d’autre part de l’altérité qui, toujours selon Coseriu, se manifeste dans l’homogénéité des systèmes linguistiques. La prise en compte de la tension entre les deux pôles constitutifs du langage n’empêche pas que, parmi les linguistes, les uns aient orienté leur intérêt sur l’homogénéité du système, alors que d’autres se sont attachés davantage ou exclusivement à la diversité sous ses différentes formes. Comment justifier cependant, dans une étude consacrée explicitement à la diversité, la présence de Ferdinand de Saussure et de Meyer-Lübke, qui se sont surtout préoccupés de l’homogénéité du système? Coseriu souligne à juste titre que la recherche de l’objet propre à la linguistique a permis à Saussure non seulement de délimiter une linguistique de l’homogénéité, mais du même coup d’esquisser, en image négative, une linguistique de la variété. Partisan lui aussi d’une linguistique de l’homogénéité, Meyer-Lübke prend comme point de départ un système supposé unitaire, en l’occurrence le latin vulgaire, mais se voit aussitôt confronté aux transformations que ce système a subies au cours de son développement dans l’espace roman: la variété est, pour lui, avant tout un phénomène diatopique, visible en particulier dans la phonétique. Bally et Frei, penchant eux aussi vers l’homogénéité, ont été retenus pour l’intérêt porté à la variabilité de la parole, chez Bally pour des faits stylistiques et chez Frei pour sa lapsologie. Les autres auteurs retenus - Salvioni, Gilliéron, Gauchat, Wartburg, Jaberg et Jud - ont consacré leur recherche au pôle de la créativité, en particulier à la variété diatopique, Salvioni représentant une dialectologie prégilliéronienne. Coseriu s’interroge ensuite sur la pertinence d’une linguistique intégrale de la diversité, ou du moins de la 3 Il s’agit de «Ferdinand de Saussure’s Vorlesungen über allgemeine Sprachwissenschaft», reproduit dans K. Jaberg, Sprachwissenschaftliche Forschungen und Erlebnisse, Paris/ Zurich/ Leipzig 1937: 123-36. 218 Besprechungen - Comptes rendus variété, en proposant les pistes de recherche suivantes: pourquoi la majorité des linguistes étudiés manifestent-ils une préférence pour un des trois types de variétés, diatopique, phasique et stratique (seul Gauchat s’intéresse à la fois aux trois types et à la variabilité dans la parole)? Une linguistique variationnelle orientée sur les faits eux-mêmes, abstraction faite d’interférences externes, telle qu’elle est pratiquée par Gauchat et Gilliéron, est-elle souhaitable? Enfin, même si aucun des linguistes retenus ne propose une théorie de la diversité, ne serait-il pas dépourvu d’intérêt d’étudier leur parcours afin d’apprécier les ébauches de ce qui deviendra dans d’autres circonstances et ultérieurement la linguistique de la variation? En conclusion, Coseriu se prononce sur l’exclusion d’un certain nombre de linguistes suisses éminents, dont en particulier les indoeuropéanistes, les philologues classiques, les germanistes, mais aussi, ce qui est assurément regrettable dans le cadre des festivités du séminaire des langues et littératures romanes, sur celle des spécialistes du rhétoromanche. Il déplore en particulier l’absence, guère compréhensible, de Henri Morf 4 . Comme le constate d’emblée l’éditeur du CLG, R. Engler (21-30), la réception des thèses de Ferdinand de Saussure (1857-1913) comporte un certain nombre de malentendus qu’il est nécessaire de lever par le biais du recours aux sources. Optant pour une démarche génétique, Engler s’interroge sur la constitution de cette notion assurément fondamentale du structuralisme qu’est la langue. Il souligne à cet égard le fait que Saussure commence par situer la langue du côté de l’histoire (la langue est composée de faits, donc contingente) et non de l’abstraction (la langue serait composée de lois, donc organique). La même année, en 1891, Saussure soumet à Gaston Paris ses réflexions sur la phonétique, essentiellement historique, et la morphologie, essentiellement synchronique: la succession d’états suppose une «abstraction totale du sens» (24), l’unité d’époque, au contraire, la «prise en considération du sens» (24). Engler en arrive à conclure que si, pour Saussure, la langue est bel et bien un produit historique, elle n’en est pas moins un produit sémiologique: c’est dans cette perspective qu’il faut poser le problème de la variation chez Saussure qui distingue la distance dans le temps de celle dans l’espace. La dimension historique est double: externe (c’est la langue dans l’histoire) et interne (c’est l’histoire de la langue, dominée tant par «l’absolue continuité» que par la «transformation continuelle de la langue», 26). Aussi n’y a-t-il pas pour Saussure d’unité de langue dans la perspective historique. D’un point de vue sémiologique cependant, l’unité de la langue, à comprendre comme équilibre, est sanctionnée par la communauté et se manifeste dans la métamorphose incessante des variations (diachroniques, diatopiques, diastratiques) en valeurs. R. Sornicola (31-43) insiste justement sur l’intérêt que Charles Bally (1865-1947) porte aux variations diaphasiques et diastratiques étudiées dans une perspective synchronique. Frappée par la vision essentiellement dynamique de la langue propre à Bally, Sornicola s’interroge sur l’adéquation du terme de variation appliqué à la stylistique de Bally, et propose de le remplacer par le terme de relativité. Tout mouvant qu’il est, le langage repose néanmoins pour Bally sur deux types fondamentaux, le mode d’expression intellectuel ou logique d’une part et le langage commun de l’autre, même si ces deux fonctions, intellectuelle et affective, y sont constamment mêlées. L’attention accordée par Bally au facteur affectif est aussitôt (machinalement? ) interprétée comme reflétant la tradition rousseauiste: soucieuse de détailler le cadre épistémologique, Sornicola discerne dans l’œuvre de Bal- 4 H. Morf (23. 10. 1854-23. 1. 1921, et non 1864-1926 comme indiqué par erreur p. 18), élève de Schweizer-Sidler et de Gaston Paris dont il suit les cours avec Gilliéron, a formé, entre autres, Louis Gauchat et Jakob Jud. Il passe pour être l’instigateur de la dialectologie suisse: à ce titre au moins, il aurait mérité de figurer au nombre des romanistes sélectionnés. Sur Morf, cf. A.-M. Fryba-Reber, «Les romanistes suisses et Gaston Paris», in: M. Zink (ed.), Gaston Paris et les romanistes européens, Paris (sous presse). 219 Besprechungen - Comptes rendus ly le passage d’une conception dix-huitiémiste distinguant le langage affectif du langage intellectuel à une conception dynamique supposant un continuel échange entre ces deux fonctions, dans laquelle elle perçoit une influence de Bergson et de James. A cela vient s’ajouter l’influence non seulement de la «culture protestante» (38), mais encore celle de la psychologie (Janet, Freud, Jung, Flournoy, Claparède) qui se manifesterait chez Bally dans le débat sur le rôle de l’automatisme dans le fonctionnement du langage. A nos yeux, ce vaste balayage enlève à Bally toute sa spécificité. Situer la pensée d’un savant dans son époque répond certes à une exigence légitime et indispensable en historiographie de la linguistique, mais cette démarche perd tout son sens si elle se manifeste par un simple alignement de courants ou de noms (une vingtaine en trois pages: de Schleiermacher à Jung en passant par Wegener, les linguistes de Prague, etc. 38-40). Henri Frei (1899-1980) a retenu l’attention de M. Iliescu (45-55) qui souligne la priorité que l’élève de Bally accorde à la langue parlée sur la langue écrite, notamment dans son Livre des deux mille phrases (1953). Cet ouvrage comportant des échantillons de parole a donné lieu à un certain nombre d’enquêtes en alémanique (à Bâle-ville), en allemand (à Hanovre), en anglais (à Londres), en berbère (deux dialectes), en chinois (Pékin-ville), en français (Paris) et en japonais (Tokyo), dans une perspective manifestement diatopique et comparatiste. C’est en comparatiste que Frei raisonne en effet quand il se pose la question des universaux et de la typologie dans ses études consacrées à la segmentation ou à la dépendance syntaxique. L’approche fonctionnelle déjà présente dans sa thèse, La Grammaire des fautes (1929), s’appuie sur deux postulats: le premier, saussurien, affirme la primauté de la synchronie sur la diachronie (avant d’expliquer les évolutions, il faut connaître les états de langue). Le second, gilliéronnien, établit un cycle déficit-besoin-procédé permettant de décrire et classer les faits linguistiques comme répondant à des besoins, comme la clarté, la différenciation, l’invariabilité ou l’expressivité. C’est P. Wunderli (57-82) qui relève le défi de démontrer l’importance de la variation chez Meyer-Lübke (1861-1936), ce «brillant prince de la philologie romane» (59). Sans mettre en cause «l’orientation paléontologique, c’est-à-dire le reconstructivisme positiviste» (61) du linguiste néogrammairien, Wunderli rappelle que la priorité accordée à la démarche historique n’empêche pas Meyer-Lübke de reconnaître la pertinence d’une vision biologique. Du reste sa participation à la revue Wörter und Sachen (dont il est le cofondateur) et, sur un autre plan, sa conception de la langue comme objet historique et donc non entièrement homogène autorisent à poser le problème de la variation linguistique chez Meyer-Lübke. Son objectif déclaré, comme le rappelle Wunderli, est d’expliquer la genèse et la formation des langues romanes en retraçant les différenciations qui se sont produites au cours du temps: de toute évidence la perspective historique domine son œuvre. Aussi la dialectologie n’aura-t-elle qu’un rôle auxiliaire, les variations diatopiques étant exploitées non pour elles-mêmes, mais pour percevoir les transformations dans les langues romanes. Tout en saluant l’apport stimulant des matériaux rassemblés par Gilliéron, Meyer-Lübke ne peut évidemment approuver les explications ‘pathologiques’ et anhistoriques de son compatriote (lequel, de son côté, a dû être irrité par la constante subordination de la dialectologie à la linguistique historique). Le rôle accordé au milieu socio-culturel dans lequel évolue la langue et l’influence du facteur psychologique ou affectif sur l’usage, constituent assurément des entorses à la méthode positiviste, même si ces variations, diastratique et diaphasique, sont, elles aussi, au service de la variation diachronique. Autre cas de variation relevé par Wunderli, c’est la variation diamésique, que Meyer-Lübke souligne à propos de la relation entre le latin écrit et oral d’Afrique du nord. Négligée par les variationnistes actuels, l’approche onomasiologique permet à Meyer- Lübke d’expliquer la disparition de certains mots au profit d’autres (p. ex. les formes afr. piz et poitrine qui, dans le Nord, sont en concurrence onomasiologique, alors que dans le 220 Besprechungen - Comptes rendus Sud, elles impliquent des différences diamésiques et diaphasiques). Habituellement appliquée au lexique, la perspective onomasiologique est également exploitée en morphologie: ainsi l’alternance morphologique -o/ -am (amo/ amabam) est interprétée comme une variation superflue ou forme irrégulière que les langues (sous-entendu: les locuteurs) tendent à éliminer. C’est dans le domaine de la phonosyntaxe que Meyer-Lübke se montre particulièrement innovateur en revendiquant l’étude des variations phonétiques dues à la position syntaxique des mots, variations qui permettent de délimiter la part du facteur syntaxique dans l’évolution phonétique. Enfin les différences typologiques dans les langues issues du latin n’ont pas échappé à Meyer-Lübke qui envisage la variation typologique (diachronique) dans un cadre dépassant les langues romanes. Mettant habilement en lumière des aspects moins connus de l’œuvre de Meyer-Lübke, Wunderli réussit à nuancer la caractérisation trop simpliste de «néogrammairien acharné» (59). M. Pfister (83-94) rend un hommage émouvant au savant et à la personnalité du fondateur du Vocabolario dei dialetti della Svizzera italiana, Carlo Salvioni (1858-1920). Successeur d’Ascoli à la chaire de l’Académie scientifique de Milan et à l’Archivio glottologico italiano, Salvioni projette dès 1907 une enquête du lexique des parlers de la Suisse italienne. S’inspirant des modèles du Glossaire des Patois de la Suisse romande et du Dicziunari rumantsch grischun, le linguiste tessinois rassemble des matériaux par correspondance, mais aussi sur le terrain pour vérifier les particularités phonétiques de certains endroits (1908- 15). «L’introduction de réflexions phonétiques et morphologiques, la discussion des sources, une évaluation des hypothèses présentées jusqu’alors, ainsi qu’un style concis, un jugement sûr et objectif» (87): voilà comment Max Pfister caractérise l’originalité du néogrammairien Salvioni qui ne fut pas seulement un linguiste, mais aussi un philologue averti, auteur de nombreuses éditions de textes médiévaux d’Italie du Nord. Ce maître de la dialectologie italienne, lombarde et tessinoise en particulier, fut du reste un pionnier de l’onomasiologie avec son étude: Lampyris italica. Saggio intorno ai nomi della lucciola in Italia, Bellinzona 1892. Conscient de l’apport précieux de l’étude des noms de lieux à l’étymologie, son domaine de prédilection, il fut, là aussi, un des premiers à inclure la toponymie dans le champ de recherche de l’étymologie. J. Allières (95-100) retrace l’apport du fondateur de la géolinguistique, Jules Louis Gilliéron (1854-1926) en soulignant le fait que l’orientation diatopique apparaît dès les tous premiers travaux. En 1880, le Patois de la commune de Vionnaz (Bas-Valais) et, la même année, le Petit Atlas phonétique du Valais roman (sud du Rhône) annoncent, par leur démarche, l’ALF. Recueillant la langue sous sa forme parlée sur le terrain (c’est la leçon de ses maîtres dialectologues 5 ), Gilliéron procède à la transcription phonétique des formes relevées en veillant soigneusement à noter les conditions sociogéographiques, topographiques, historiques de la zone étudiée. Plus tard, fort des matériaux galloromans de l’ALF, Gilliéron se présentera comme le fossoyeur de la «phonétique de papier» (98), comme un adversaire déclaré de la phonétique des néogrammairiens en remplaçant purement et simplement l’étymologie latine par l’étymologie française 6 . L’influence que Gilliéron exerça sur les jeunes romanistes de son époque, tant dans ses conférences à l’École pratique des hautes études que par l’intermédiaire de l’ALF se mesure aisément au succès du modèle géolinguistique. 5 Dans l’ordre chronologique, Cyprien Ayer à Neuchâtel, Jules Cornu à Bâle et Gaston Paris à Paris. - Signalons ici la remarquable mise au point de l’apport de Gilliéron par P. Lauwers/ M.-R. Simoni-Aurembou/ P. Swiggers (ed.), Géographie linguistique et biologie du langage: autour de Jules Gilliéron, Leuven 2002. 6 «Substitution de l’étymologie française à l’étymologie latine» est le titre du chap. 8 de La faillite de l’étymologie phonétique, 1919: 113-33. 221 Besprechungen - Comptes rendus J. Wüest (101-13) évoque l’œuvre du fondateur du Glossaire des patois de la Suisse romande, Louis Gauchat (1866-1942). Formé par Morf à la linguistique de terrain, le dialectologue élabore dans les années 1890 le projet du Glossaire, en association avec Jules Jeanjaquet et Ernest Tappolet. Wüest insiste avec raison sur l’apport de deux articles programmatiques. Dans le premier, Gibt es Mundartgrenzen? (1903), Gauchat démontre, en s’appuyant sur une enquête phonétique dans les villages de La Ferrière et des Bois, l’existence de frontières dialectales, s’opposant en cela à Gaston Paris et Paul Meyer (soucieux de ne pas mettre en danger la République une et indivisible, les deux maîtres romanistes français avaient, dans la polémique avec Tourtoulon et Bringuier, nié l’existence de limites dialectales). Dans le second, L’unité phonétique dans le patois d’une commune (1905), Gauchat observe un certain nombre de divergences phonétiques chez les habitants de la même commune, variations diastratiques qui s’expliquent par une différence de générations, mais aussi par la différence entre les parlers féminin et masculin. Ce qui préoccupe Gauchat, tout comme Gilliéron et Schuchardt du reste, ce sont les irrégularités et le caractère arbitraire de certains changements phonétiques: il met ainsi en cause (en «faillite» pour reprendre l’expression de Gilliéron) la validité de la conception néogrammairienne qui tend à ramener le changement linguistique à la seule action des lois phonétiques et de l’analogie. Wüest a bien vu où se situait la spécificité de Gauchat: tout le problème est de distinguer dans l’action conjointe qu’ils exercent sur la langue la part qui revient respectivement aux lois phonétiques (dont Gauchat est loin de nier l’existence) et à l’arbitraire. Homme de terrain et théoricien, «sociolinguiste sans le savoir» (108), Gauchat n’a pas fait pour autant de la variation linguistique un objet d’étude exclusif, absorbé dès les années 1910 à la préparation du GPSR. Se souvenant avec émotion de la bienveillance du linguiste et dialectologue bernois à son égard, G. Hilty (115-24) souligne à juste titre l’étendu des recherches de Karl Jaberg (1877- 1958): la sémantique (abordée dans sa thèse de doctorat), la morphologie (en particulier les mécanismes associatifs et les transformations analogiques), l’expressivité (en particulier l’instinct ludique de la langue, à l’œuvre aussi bien dans la littérature que dans la langue courante) et bien évidemment la géographie linguistique sont autant de domaines qui témoignent des intérêts diversifiés de celui pour qui les réflexions théorique et méthodologique allaient nécessairement de pair avec le travail sur le terrain: preuve en sont l’élaboration d’une méthode géolinguistique propre à partir de celle de son maître Gilliéron, son compte rendu du CLG de Saussure où Jaberg fait preuve d’une perspicacité peu commune, ou enfin son article sur les bases de l’onomasiologie. Jaberg est, comme le résume heureusement Hilty, «le grand théoricien de la géographie linguistique» (117). À partir de 1911, il prépare avec Jakob Jud l’Atlas linguistique et ethnographique de l’Italie et de la Suisse méridionale (paru en huit volumes de 1928-40, plus un volume d’Index (1960) à l’élaboration duquel Jaberg a consacré les dernières années de sa vie). Quel est le rôle de la variation linguistique? Si le rapport diglossique (dialecte/ langue littéraire) est omniprésent dans l’œuvre de Jaberg (en particulier dans ses études lexicologiques sur escalier, poussière, piller, p. ex.), Hilty observe que la diglossie (qui suppose deux systèmes linguistiques différents) ne ressortit pas à la problématique de la variation linguistique proprement dite. En revanche, l’intérêt que le linguiste bernois porte aux variétés phonétiques dans le domaine des interférences dialectales, relève bien de la variation linguistique, même si ces variétés sont envisagées dans une perspective évolutive. La variation diatopique (dans les remarques sur les notions de français et de français régional), la variation diaphasique (dans la critique que Jaberg fait du terme de stylistique qu’il propose de remplacer par l’expression «théorie de l’expressivité»), la variation diastratique (à laquelle Jaberg fut confronté dans le cadre des enquêtes pour l’AIS) sont toutes trois envisagées dans une perspective synchronique. C’est pourquoi Hilty dit très justement, dans l’optique du colloque: «Karl Jaberg a été un sociolinguiste avant la lettre» (123). 222 Besprechungen - Comptes rendus A. Kristol (125-35) trace un portrait nuancé de Jakob Jud (1882-1952), l’ami visionnaire 7 , collaborateur et collègue de Karl Jaberg. Formé à Zurich par Morf et Gauchat, Jud, fortement impressionné par Gilliéron, conçut avec Wartburg, à son retour de Paris, le projet de refondre le REW de Meyer-Lübke qui venait de paraître (1911). L’enjeu résidait dans l’application de la dimension diatopique et de la perspective onomasiologique à l’étymologie historico-comparative: Wartburg s’occuperait du galloroman, Jud de l’italien et du rhétoroman. Suite à l’échec de ce projet 8 , Jud put se consacrer avec Jaberg à l’élaboration et à la publication de l’AIS tandis que Wartburg de son côté mit au point son monumental FEW. L’originalité de Jud réside non pas tant dans la reprise de la stratigraphie linguistique de Gilliéron que dans l’application au domaine panroman de ce modèle qui discerne audelà de la variation diatopique la profondeur des strates géologiques. C’est donc dans l’ensemble de la Romania que Jud perçoit les phénomènes de variation, supposant dès lors l’existence d’une unité linguistique virtuelle que serait la latinité. Sa vaste et intime connaissance des langues romanes lui permettra d’interpréter les variantes dialectales de mots qui ont voyagé: ainsi le terme de Lörtschene («résine du mélèze») utilisé par les Walser germanophones des Grisons n’est pas un emprunt au romanche, constate Jud, mais se rencontre dans les dialectes germanophones du Haut-Valais, qui, eux, l’ont emprunté au substrat francoprovençal valaisan. Cette fascination pour les variations diatopiques et diachroniques dans le cadre panroman semble avoir empêché Jud de prendre pleinement conscience de la variation diastratique, alors même qu’il la touche du doigt: dans son article sur la grenouille en italien, Jud réduit la variation diastratique entre ranocchio (florentin cultivé) et granocchio (florentin populaire), pourtant attestée dans l’AIS, à une simple opposition phonétique. G. Bossong (136-47) évoque avec brio les mérites de celui qui fut non seulement le fondateur des études hispaniques en Suisse, mais aussi le père des études hispano-arabiques en Suisse et en Allemagne, le «Caballero de la Gran Cruz de Alfonso el Sabio» (144), Arnald Steiger (1896-1963). En avance sur son époque, avec Schuchardt et Max Leopold Wagner, Steiger est irrésistiblement attiré par les frontières de la Romania, ces lieux mouvants où convergent des cultures et religions différentes. Cette fascination pour la migration des cultures va se répercuter sur son domaine de recherche, l’histoire des mots: «Le grand thème de sa vie, ce n’est pas tant la variation des langues à travers les mots, mais la variation des mots à travers les langues» (141). Quels ancrages culturels successifs un mot a-t-il connus? Telle est la question qu’il se pose. Ainsi l’histoire de l’espagnol alcázar nous amène à faire un voyage autour de la Méditerranée: repris à l’arabe qasr (avec la prononciation maghrébine et l’agglutination de l’article arabe), le mot arabe est lui-même repris à la forme sémitisée qasra- (avec suppression de l’article postposé araméen), forme provenant à son tour du grec médiéval byzantin kavstron venant du latin castra. Suivre les voies de transmission du fonds lexical oriental amènera Steiger non seulement à devenir un érudit inégalé et fin connaisseur de l’hispano-arabe (c’est le sujet de sa thèse d’habilitation), mais aussi à parcourir l’immense étendue de l’Europe orientale, l’Asie et l’Iran, les plaines russes et ukrainiennes aux extrémités occidentales de notre continent. Explorateur passionné, Steiger 7 C’est ainsi que Jaberg décrit Jud dans le compte rendu qu’il fit des Mélanges que Scheuermeier, Rohlfs, Wagner et Jud lui offrirent en 1937: «Ich sehe ihn vor mir, Jud, wie er mit feinnerviger Hand die Zukunft weist und mit ausholender Geste einen neuen Plan entwickelt, wie er lästige Kleinigkeiten beiseite schiebt und alles Konkrete in geistige Sphären erhebt, mitreissend in seinem Glauben, seiner Willenskraft und seinem Selbstvertrauen»,VRom. 4 (1939): 136. 8 Pour les raisons de cet échec, cf. J.-P. Chambon/ E. Büchi, «‘Un des plus beaux monuments des sciences du langage’: le FEW de Walther von Wartburg (1910-40)», Histoire de la langue française 1914-45, sous la dir. de G. Antoine et R. Martin, Paris 1995: 936-37. 223 Besprechungen - Comptes rendus dirigea son attention sur les rencontres culturelles et linguistiques entre l’Ancien et le Nouveau Monde, et sur le basque (après Humboldt et Schuchardt) dont il souligna l’importance pour l’étude des langues européennes ultérieures. A. Vàrvaro (149-59) honore la mémoire de l’auteur du prestigieux FEW, Walther von Wartburg (1888-1971). Formé par Gauchat et Jud à Zurich 9 et par Gilliéron à Paris 10 , Wartburg se met, à son retour de France, au projet panroman commun avec Jud (cf. supra) et se consacre jusqu’en 1918 au dépouillement des sources galloromanes qui aboutira, après quatre remaniements successifs 11 , à la publication en 1922 du premier fascicule du FEW. La variation linguistique chez Wartburg est essentiellement diatopique: les variations phonétiques et lexicales «sont toujours et de toute façon une fracture de l’espace», précise Vàrvaro (154). Espace bien délimité du reste, puisque, pour Wartburg, l’homogénéité vient avant la variation: «Une grande surface unitaire (latine) se fractionne horizontalement en surfaces plus petites» (154). On retrouvera le même raisonnement à propos de la thèse burgonde: l’homogénéité ou unité originelle («Urtypus», 156) de l’aire francoprovençale s’explique par l’existence du royaume des Burgondes, lequel, une fois disparu, fit place aux forces centrifuges et donc à la variation. La notion schuchardtienne de mélange des langues, n’est pratiquement pas exploitée par Wartburg, alors même qu’il s’est penché sur cette problématique, en particulier dans sa formulation des concepts de substrat et de superstrat. Vàrvaro s’explique cette réticence par le potentiel conflictuel des mélanges linguistiques, ressenti par Wartburg comme mettant en danger l’équilibre politique du pays. Dans sa synthèse (161-66), J. Wüest s’interroge sur la pertinence de la notion de linguistique suisse en proposant un tour d’horizon des travaux d’envergure effectués par des Suisses ou en Suisse à la fin du xix e et au xx e siècle: le Schweizerdeutsches Idiotikon de F. Staub, avec la collaboration de L. Tobler; l’Altfranzösisches Wörterbuch d’A. Tobler et d’E. Lommatzsch; Die Kerenzer Mundart des Kantons Glarus de J. Winteler, pionnier de la phonologie; les travaux des deux théoriciens de la langue, ceux d’Anton Marty qui demandent à être lus et ceux de Ferdinand de Saussure qu’il importe de relire, tout comme du reste ceux des Genevois Bally et Sechehaye; l’Atlas linguistique de la France de Gilliéron; le REW et la Grammatik der romanischen Sprachen de Meyer-Lübke; le Vocabolario dei dialetti della Svizzera italiana de Salvioni; le Glossaire des patois de la Suisse romande de Gauchat, Tappolet et Jeanjaquet; l’Atlas linguistique de l’Italie et de la Suisse méridionale de 9 Précisons que le rapporteur de la thèse de Wartburg n’est pas Jud, comme le suggère Vàrvaro (149), mais bien Gauchat. Du reste, le sous-titre de la thèse: «Eine semasiologische Untersuchung» indique la position critique, explicitée dans l’introduction, de Wartburg envers l’onomasiologie qui tend à assimiler la représentation de l’objet avec l’objet. Il est un peu hâtif d’affirmer que la thèse de Wartburg «fait partie des problèmes d’onomasiologie historique qui avaient alors du succès» (150). Pour l’histoire de l’onomasiologie, on consultera la magistrale mise au point de B. Quadri, Aufgaben und Methoden der onomasiologischen Forschung. Eine entwicklungsgeschichtliche Darstellung, Berne 1952. 10 Wartburg n’a pas passé inaperçu aux yeux de Gilliéron qui écrit à Jaberg: «Wartburg est de beaucoup le meilleur de mes auditeurs de cette année. Gamillscheg est revenu et restera ici jusqu’en juillet» (27. 1. 1912). A la fin de l’année, Wartburg doit rentrer en Suisse pour effectuer son service militaire («je le regrette, c’est un homme de valeur», lettre de Gilliéron à Jaberg (14. 2. 1912). Cf. A.-M. Fryba-Reber, «Dans les coulisses de la géographie linguistique: la correspondance Jules Gilliéron (21. 12. 1854-26. 4. 1926) - Karl Jaberg (24. 4. 1877-30. 5. 1958)», P. Wunderli/ I. Werlen/ M. Grünert (ed.), Italica, Raetica, Gallica: studia linguarum litterarum artiumque in honorem Ricarda Liver, Tübingen 2001. 11 Le point de vue onomasiologique, a-chronique, prépondérant au départ, cèdera la place (sauf dans les Matériaux d’origine inconnue) au point de vue sémasiologique, historique. Cf. J.-P. Chambon/ E. Büchi, op. cit., 937-38. 224 Besprechungen - Comptes rendus Jaberg et Jud; le Dicziunari rumantsch grischun de Planta et Schorta et le FEW de Wartburg. La liste est impressionnante et force est de constater la qualité exceptionnelle de la production de cette période tant chez les «linguistes de plein air» (pour reprendre l’expression de Bally à propos de Gauchat) que chez ceux de cabinet. Si cette opposition entre dialectologues et théoriciens 12 est commode, elle peut néanmoins s’avérer problématique, dès le moment où elle désigne deux catégories de chercheurs plutôt que deux démarches complémentaires. Insistons à cet égard sur le fait que les dialectologues en question ne sont pas de simples collectionneurs de papillons, pas plus qu’un théoricien comme Saussure ne vivait retranché dans sa tour du château de Vufflens (dialectologue et onomasticien, Saussure connut du reste les aléas auxquels sont soumis les enquêteurs, lorsque, dénoncé par des employés de voirie qu’il avait interrogés, il fut arrêté pour espionnage dans une des communes voisines de Genève 13 ). Concluant sur la notion de variation, Wüest observe que les linguistes étudiés se sont tous penchés, à des degrés divers, sur les macro-variations que sont la diachronie et la diatopie, tout en restant dans l’ensemble peu conscients des micro-variations que sont la diaphasie et la diastratie, à l’exception de Charles Bally et de Louis Gauchat. Juger du passé par le présent est une démarche qui pose problème, comme le souligne Hilty avec pertinence: «Il est évidemment dangereux de regarder l’œuvre d’un chercheur dans la perspective d’une théorie élaborée après sa mort» (118). Choisir comme angle d’attaque une théorie élaborée a posteriori peut être une démarche féconde, s’il s’agit de retracer la constitution même de cette théorie: dans ce sens, le dépistage systématique de l’importance de la variation linguistique dans l’œuvre des linguistes et romanistes suisses met légitimement en évidence leur rôle décisif dans l’émergence de la sociolinguistique. Tout en reconnaissant l’habileté avec laquelle les contributeurs se sont tirés d’affaire, j’aimerais néanmoins revenir sur la mise en garde de Hilty en insistant sur les problèmes que pose ce parti pris méthodologique. L’inconvénient majeur à nos yeux est le caractère atomiste de cette démarche qui, par définition, laisse dans l’ombre tout ce qui se trouve en dehors de l’éclairage choisi.Aussi est-il difficile de soupeser le poids accordé à la variation linguistique à l’intérieur des travaux étudiés, puisque leur cohérence interne est simplement écartée ou, du moins considérée comme secondaire par rapport au sujet traité. Un autre inconvénient réside dans l’exclusion du contexte intellectuel, institutionnel, historique des travaux en question qui demanderaient, au contraire, à être resitués à l’intérieur des grands courants et des débats de l’époque. Au-delà de ces remarques critiques d’ordre méthodologique, le principal mérite de l’initiative zurichoise est d’avoir entrepris une réflexion sur le rôle assurément trop longtemps ignoré qu’ont joué les Suisses dans la prise de conscience de la variation linguistique pendant une période exceptionnellement féconde qui a connu un renouvellement sans précédent des méthodes en linguistique. Il est intéressant à cet égard de souligner que la plupart des auteurs des articles se sont faits pour l’occasion historiographes de leur propre discipline, démarche qui ajoute aux analyses la dimension supplémentaire de témoignage. Cette publication rendra, dès maintenant et dans le futur, de bons services 12 Cette opposition est suggérée en particulier dans la formule suivante de Wüest: «Gilliéron n’était pas seulement linguiste de plein air, il pouvait même se considérer comme le commandant de cette phalange dont parle Bally, alors que Meyer-Lübke, de même que Saussure, entretenait avec les langues des rapports beaucoup moins ‹charnels›, beaucoup plus intellectuels que les dialectologues» (164). 13 Pour se faire une idée de l’apport de Saussure dialectologue, on consultera le Fonds Saussure déposé à la Bibliothèque publique et universitaire de Genève et en particulier le carton Ms. fr. 3956 intitulé «Toponymie et patois romands» contenant des manuscrits de Saussure classés par Jules Ronjat. 225 Besprechungen - Comptes rendus aux historiens de la linguistique: au moment d’entrer dans un nouveau siècle, l’heure est venue de prendre enfin conscience de la contribution de nos aînés à la linguistique du xx e siècle. A.-M. Fryba-Reber H Mario Eusebi (ed.), La Chanson de saint Alexis, Modena (Mucchi) 2001, 73 p. (Studi, testi, manuali, Collana di Filologia romanza diretta da Aurelio Roncaglia, Nuova serie, 2) Depuis les éditions de Rohlfs et de Storey, il pouvait sembler qu’une pose s’était établie dans l’activité éditrice de ce texte, capital à tous points de vue. Or, voici que, coup sur coup, nous pouvons le lire dans deux nouvelles éditions qui, très différemment, en renouvellent la matière: celle de M. Perugi à la fin de 2000, personnelle et ambitieuse 1 , suivie quelques mois plus tard, de celle de M. Eusebi. Cette dernière édition de la Chanson 2 est précédée d’une courte préface de seize pages consacrée pour l’essentiel aux questions posées par les rapports entre les manuscrits 3 et l’élaboration d’un nouveau stemma codicum, dans une ligne qui rappelle la pratique de deux grands modèles, G. Paris et G. Contini. M. Eusebi y apporte des éclairages nouveaux qui constituent un apport important à l’ecdotique de la Chanson. En vue de parvenir à élaborer son stemma, M. Eusebi prend pour point de départ la situation des strophes L 109-110 et 122-125 4 : avec Fœrster 5 , il admet comme un axiome que ces deux groupes forment deux conclusions «reciprocamente incompatibili» (8). Et, avec de bonnes raisons, il souligne que A, qui fait des str. L 109-110 la conclusion de son récit, ne saurait présenter, comme le pensait Sckommodau 6 , un récit complet: «Che il corteo funebre dovesse giungere a destinazione, la chiesa de S. Bonifacio, lo vuole la coerenza narrativa e, per quello che può contare, la cronologia relativa, perché il poemetto latino Pater deus ingenite . . . si conclude con la sepoltura del santo in San Bonifacio» (9). Toutefois, comme il le relève, il est très peu vraisemblable que les deux strophes correspondant à L 109-110 constituent une conclusion créée par l’auteur de l’abréviation (9). Le problème réside donc dans la possibilité de trouver une explication, fondée, à la présence de deux conclusions qui s’excluent 7 , conservées toutes deux uniquement dans L; P omet les str. 108-112, à l’exception de 109a-d qu’il place à la suite de L 122a-b et ne conserve des trois dernières str. que L 125a-d; A, comme L, présente les str. 109-110 mais termine là son 1 Cf. mon compte-rendu dans Rev. critique de philol. 3 (2002) (non encore paru). Comme il a été heureusement institué dans cette revue, l’auteur du livre en question est invité à rédiger une réponse, ce qu’a fait M. Perugi: chacun pourra ainsi apprécier les arguments et le style des deux parties. 2 M. Eusebi (7 N1) estime, avec des arguments pertinents, que le titre Chanson est préférable à celui de Vie. 3 Soit L A V P P 2 S M M 2 : pour les deux derniers manuscrits M. Eusebi préfère M M 2 à Ma Mb. 4 M. Eusebi considère comme seconde conclusion les quatre dernières strophes et non seulement les deux (ou trois) dernières comme on le fait souvent. 5 «Sankt Alexius. Beiträge zur Textkritik des ältesten französischen Gedichts», in: Nachrichten der K. Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen. Philologisch-historische Klasse, 1914, 151-52 et 165. 6 ZRPh. 70 (1954): 192. 7 Le problème ainsi posé s’évanouirait si on acceptait les vues du regretté D’A. S. Avalle, La doppia verità, Firenze 2002: 596 (reprise d’un cours universitaire de 1963): les str. 109-110 constituent la conclusion de la première partie de la Chanson, la Vita proprement dite, et sont donc à leur place dans L et dans A, ce dernier supprimant la fin du récit, sépulture et conclusion générale.