eJournals Vox Romanica 62/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2003
621 Kristol De Stefani

Sylviane Messerli, OEdipe enténébré. Légendes d’OEdipe au xiie siècle, Paris (Champion) 2002, 373 p. (Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge 64)

121
2003
Alain  Corbellari
vox6210272
272 Besprechungen - Comptes rendus Une riche bibliographie (450-77) comprenant les sources, les manuscrits, les éditions en langue latine, française, allemande et tchèque, ainsi qu’un index (478-84) complètent ce beau volume. M.-C. Gérard-Zai H Sylviane Messerli, Œdipe enténébré. Légendes d’Œdipe au xii e siècle, Paris (Champion) 2002, 373 p. (Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge 64) Œdipe est un personnage que l’on oublie volontiers lorsque l’on parle de la «matière de Rome» dans la littérature médiévale. Pourtant, aussi discrète qu’elle soit dans les textes, la présence du père fondateur de la lignée thébaine y occupe une place charnière justifiant amplement le beau travail que S. Messerli (S. M.) nous offre aujourd’hui. Au sein d’une collection dont le rythme de parution est pléthorique et l’orientation volontiers encyclopédique (pour ne pas dire lourdement énumérative), Œdipe enténébré apparaît comme un heureux point d’orgue, car sa densité ne le cède qu’à la remarquable délimitation d’un propos qui ne s’égare jamais dans des considérations oiseuses. Cela n’empêche cependant pas ce volume plutôt mince de déjà juxtaposer deux ouvrages: la première partie qui se veut introductive est en effet presque aussi longue que les deux autres réunies et constitue à elle seule une monographie passionnante et sans doute définitive sur les reprises latines de la légende d’Œdipe. Si la présence du directeur de thèse (Charles Méla) se notait dans le choix du sujet, le long et minutieux examen de plus d’un millénaire de tradition latine liée à La Thébaïde témoigne à l’évidence de l’influence (unité de l’«école de Genève»! ) de l’enseignement de Jean-Yves Tilliette, lequel a d’ailleurs été mis directement à contribution par son élève: on aura en effet remarqué l’élégante traduction qu’il a aimablement rédigée pour l’un des textes les plus retors du corpus étudié (58-62 et 306-09). Notons à ce propos que S. M. hésite visiblement entre deux attitudes face aux textes latins: certains sont traduits, d’autres ne le sont pas, ce qui gêne considérablement la fluidité de la lecture: à ceux qui rétorqueraient que le livre ne s’adresse qu’à des latinistes patentés, on opposera tout de même le précédent du dernier livre de J.-Y. Tilliette (Des Mots à la Parole. Une lecture de la Poetria nova de Geoffroy de Vinsauf, Genève (Droz) 2000: voir notre compte rendu ici même l’an dernier, 271-72) qui donnait une traduction française du moindre mot latin cité. Dans un travail «qui se fonde sur l’écoute de la lettre» (15), le parti pris de S. M. s’avère quelque peu problématique. Au demeurant, une meilleure répartition des textes latins entre la première partie et les quelque soixante pages d’annexes y afférentes aurait sans doute permis, en évitant d’inutiles doublons et en proposant des traductions systématiques, de fluidifier le propos et de clarifier la démonstration. On s’interrogera aussi sur la pertinence qu’il y avait à rompre une lance en faveur de la connaissance de la langue grecque en Occident (21), puisque S. M. n’en fait pour ainsi dire rien, et que, d’ailleurs, elle ne prouve guère qu’en dehors de certaines zones limitrophes de l’Occident le (trop? ) fameux «Graecum est, non legitur» n’ait pas été, malgré tout, la règle. A cet égard, un développement un peu moins elliptique des spéculations étymologiques rappelées en p. 171 aurait aussi été utile. Mais ces remarques sont finalement peu de choses face à la pertinence et à la constante originalité du travail: dévidant le fil qui mène de Stace à ses glossateurs du xii e siècle, en utilisant de nombreux manuscrits inédits, S. M. mène une enquête quasi policière qui intéresse l’ensemble de la réception de la matière antique au Moyen Âge. Il faut souhaiter que ces pages, parues dans une collection essentiellement dédiée à la littérature française médiévale, seront lues par les latinistes avec l’attention qu’elles méritent. 273 Besprechungen - Comptes rendus Les deux autres parties traitent successivement du «Roman de Thèbes à la lumière de l’épisode d’Œdipe» et des «romans d’Eneas et de Troie à la lumière du Roman de Thèbes»; le parcours est rigoureux, et l’extrême attention à la «lettre» du texte ne se trouve jamais en défaut, même si elle produit peut-être par places des lectures un peu forcées. Utiliser le vers «Li uns ot non Etÿoclés» (17), où la locution «avoir nom» est purement idiomatique, pour justifier une lecture nominaliste du Roman de Thèbes tient sans doute davantage du trait d’esprit que de la démonstration, et on se permettra de juger illusoire la parenté des deux textes cités au bas de la p. 209: les termes que les deux extraits mis en regard possèdent en commun sont trop banals pour prouver une «réécriture consciente [! ] du conflit œdipien par Benoît» (210); le concept est pour le moins dangereux et même une réécriture inconsciente poserait, en ce cas, problème. On avouera, enfin, n’être pas totalement convaincu par une analogie (231) uniquement basée sur les répétitions du mot autre. Scories minimes, au demeurant, face à l’effort d’élucidation du Roman de Thèbes fourni par S. M. et à son hypothèse globalement très convaincante d’une conjuration de la hantise œdipienne par les romanciers de Troie et d’Eneas. On retiendra en particulier, spécialement éblouissante par son élégance, la lecture de la scène d’Œdipe au bain, mise en parallèle avec les épisodes classiques de l’onction du Christ, du retour d’Ulysse et de la reconnaissance de Tristan par Iseut (104-19): trois explications de textes enchaînées et chacune introduite par «avant d’évoquer Œdipe au bain, la scène évoque le souvenir de . . . » illustrent sans jargon ni remplissage théorisant une pratique active et efficace de l’intertextualité qui donne sans doute la mesure de l’originalité des travaux présents et futurs de S. M. Avouant modestement que «convoquer les figures de l’Ancien Testament pour éclairer le Roman de Thèbes n’est pas une invention de critique moderne» (164), la chercheuse genevoise nous montre cependant exemplairement que, contrairement à ce qu’ont pu croire certains exégètes partisans, la circulation du sens entre interprétations profanes et sacrées peut aller dans les deux sens. Qu’on ait utilisé au Moyen Âge la légende d’Œdipe pour illustrer des vérités bibliques n’empêche pas que celles-ci aient pu en retour informer le sens des fictions reprises de l’Antiquité. Il serait, en fin de compte, de mauvais aloi de reprocher à S. M. d’avoir su borner son sujet, car cette modestie est tout à son honneur; cependant, on ne peut s’empêcher, au vu des résultats déjà obtenus, de refermer le livre avec un sentiment non de frustration mais tout de même un peu d’impatience, tant les perspectives ouvertes dans la conclusion (235-41) apparaissent riches et suggestives: certes, Charles Méla avait déjà écrit un bel article sur le parallèle Œdipe-Judas, mais était-il réellement interdit à S. M. de le développer en tenant compte du fait que dans l’Ovide moralisé «Œdipe est présenté comme l’image du Christ crucifié» (237)? Les allusions à l’œuvre de Chrétien de Troyes, «traversée de réminiscences silencieuses» (239), à Richard li biaus, au Tristan en prose, au Roman du Conte d’Anjou sont également alléchantes et les articles que ne manquera pas d’écrire S. M. sur ces sujets (voir déjà, dans les Mélanges Charles Méla, Paris (Champion) 2002: 425-38: «Œdipe et Judas: la figure d’Œdipe dans l’Histoire romaine jusqu’à César») trouveront sans nul doute des lecteurs attentifs. A. Corbellari H