eJournals Vox Romanica 62/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2003
621 Kristol De Stefani

Pascal Singy (ed.), Le français parlé dans le domaine francoprovençal. Une réalité plurinationale, Berne/Berlin (Peter Lang) 2002, 213 p. (Sciences pour la communication 66)

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2003
H.  Chevalley
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295 Besprechungen - Comptes rendus Verbformen, die allerdings geographisch nicht mit dem freigrafschaftlichen Raum korrelieren); p. 4 a: farfanta: p. p.adj.pl. ‘effarouché . . .’ wird als Doppelpräfigierung mit ex- und dem «préfixe . . . d’origine inconnue far-» identifiziert, selbiges ist wohl den Varianten des Pejorativpräfixes fer-/ for-/ feuretc. zuzurechnen, dessen Ursprung in der Tat umstritten ist (Germanismus fir- oder lat. foras); p. 7 alkov s. f. ‘lit clos’ wird FEW 1, 76b al-qobbah zugeordnet, besser wäre hier der Verweis auf die überarbeitete Version des Artikels in FEW 19, 96b qubba; p. 31 arbwaz ‘variété de pomme’ ist wohl eher ein Regionalismus und als solcher zu markieren (Arboise und, häufiger, Arboisine als lokale, aus der Region Jura/ Doubs stammende Apfelsorte). Der formal 3 gut gemachte Band ist eine der reichhaltigsten lexikographisch aufbereiteten Sammlungen von Wortmaterialien der Franche-Comté. Wie der entsprechende Index resümiert, erlaubt er in einer Reihe von Fällen im Verhältnis zum FEW neue Etyma zu postulieren, darüber hinaus gelingt es ihm zum Teil, im FEW in den Materialienbänden untergebrachte Wörter richtig zuzuordnen 4 . Vier Vorzüge des Buches seien hervorgehoben: Ohne sie zu ersetzen, tritt es als Inventar an die Seite von Klassikern der freigrafschaftlichen Mundartlexikographie wie Contejean (1876), Roussey (1894) oder Vautherin (1896-1901), für die Benutzung des ALFC ist es ein nützliches Hilfsmittel, aus dialektologischer Sicht leistet es über den Umweg über das FEW die Einbindung der Materialien in den Gesamtzusammenhang des galloromanischen Dialektraums, nicht zuletzt ist es unverzichtbar für die Erforschung nicht nur der freigrafschaftlichen Dialekte aus der Perspektive der Etymologie/ historischen Lexikologie. Die vorgebrachten Kritikpunkte trüben unseres Erachtens den positiven Gesamteindruck nur am Rande. Man würde sich vergleichbare Publikationen für andere Regionalatlanten wünschen. J. Lengert H Pascal Singy (ed.), Le français parlé dans le domaine francoprovençal. Une réalité plurinationale, Berne/ Berlin (Peter Lang) 2002, 213 p. (Sciences pour la communication 66) Cet ouvrage contient les communications qui ont été présentées lors d’une «journée d’étude» qui s’est tenue à l’Université de Lausanne le 24 novembre 2000, avec comme thème ambitieux: Le français régional en zone francoprovençale: bilan et perspectives actuelles. Même sous sa formulation finale, ce titre faisait attendre une prise en compte de la dimension substratique du français régional, mais on est obligé de dire que cela n’a été que partiellement le cas. Seul l’exposé présenté par Jean-Baptiste Martin, Anne-Marie Vurpas et Claudine Fréchet (cf. ci-dessous) sur les régionalismes du français parlé en Rhône-Alpes est solidement basé sur les dialectes de cette région. Et on se permettra de regretter que n’ait pas été invité à cette journée d’étude un spécialiste romand de la problématique 3 Kleinere Unachtsamkeiten fallen kaum ins Gewicht, so die Sigle «além.» p. 6 s. v. a: l 2 , die im Siglenverzeichnis p. xiii nicht aufgelöst wird. Dasselbe gilt im übrigen für die Abkürzungen des FEW, für die man gegebenenfalls auf die Beihefte zurückgreifen muß (mit Ausnahmen wie «anfrk.», das zu «abfrq.» wird). Der Verweis auf das FEW kann versehentlich schon einmal ausgelassen werden (cf. p. 21 an’nœ: y, wo die Referenz auf FEW 4,701b $nodiare fehlt) oder wäre zu erweitern (cf. p. 26 antèchi, wo neben FEW 17,319b auch auf ibid. 320a zu verweisen wäre). Dasselbe gilt für eine Literaturangabe wie p. 37 s. v. av’lin «Ajouter Dondaine, Actes du Congrès de Palma de Majorque, 419», die man gerne etwas kompletter vermittelt hätte. 4 Cf. z. B. p. 23 zu lat. pullus gestelltes anpoulè v. a. ‘mettre en perce (un tonneau)’, was es GPSR folgend erlaubt, die in FEW 22/ 2 unter den Materialien gruppierte Form empoulaie aus dem Berner Jura hierher einzuordnen. 296 Besprechungen - Comptes rendus patois/ français régional (P. Knecht y a certes fait une communication intéressante, mais sur le «Lexique régional codifié et non codifié en Suisse romande», et elle ne figure de toute façon pas, malheureusement, dans ces «actes»). La perspective de cette journée d’étude était bien sûr de nature essentiellement sociolinguistique, portant sur l’usage actuel et les représentations des locuteurs, mais, comme on le verra ci-dessous, l’éclairage diachronique y a souvent fait défaut. Dans son introduction «Le français parlé en zone francoprovençale: trois pays concernés» (1-13), Pascal Singy, l’organisateur de la journée d’étude et l’éditeur de ses «actes», s’est appliqué à évoquer les parlers dialectaux sous-jacents, la «partition substratique de la francophonie européenne», mais on ne trouvera pas dans ce texte une approche des spécificités du français régional en zone francoprovençale. Les types fondamentaux des régionalismes (dialect[al]ismes, archaïsmes, créations locales et emprunts) y sont par contre dûment catalogués, même si on eût apprécié une plus substantielle présentation des «traits définitoires des français régionaux» 1 . On ne s’attardera pas sur la communication de Frank Jablonka, «Le français régional valdôtain n’existe pas» (15-29). Son titre provocateur (comme il l’admet lui-même) et le bilan négatif qui lui y est associé perdent beaucoup de leur portée quand on sait que cet exposé repose sur les enquêtes que cet auteur a menées pour sa thèse 2 . Les «entretiens intensifs de plusieurs heures avec des locuteurs et des familles de locuteurs autochtones durant l’été 1993» (16) allégués par F. Jablonka n’ont été réalisés en fait qu’en deux points d’enquête, Aoste et Saint-Vincent, auprès de 16 locuteurs, de plus issus de trois familles seulement 3 . Avec un si faible bagage (qui néglige complètement les importantes vallées latérales, qualifiées avec mépris de «régions montagnardes retirées»), on ne maîtrise pas la complexe réalité linguistique du Val d’Aoste et, ipso facto, on péjore la valeur scientifique de ses affirmations, si péremptoires qu’elles soient. L’exposé de Jean-François De Pietro, «Le français régional à l’école: quelles possibilités ? » (31-66) est réjouissant à plus d’un titre, en venant nous entretenir de plusieurs pistes pour une prise en compte réelle du français régional à l’école. Longtemps en effet, l’École romande, institution normatrice par excellence, a mené une chasse impitoyable à tout écart par rapport au français standard, confortée en cela par la tradition de purisme académique qui a longtemps sévi dans notre pays. De la même façon qu’elle fut un des principaux agents d’extirpation des patois au XIX e siècle, en interdisant aux enseignants de recourir à cette langue autochtone honnie et en les encourageant à punir leurs élèves qui feraient de même, elle s’est appliquée à en liquider les dernières survivances dans le français régional romand: tout emploi d’un régionalisme, notamment dans le secondaire inférieur, était l’objet de sanction, de risée, à la grande confusion de celui qui se rendait coupable d’un tel écart. Les activités-cadres et les séquences didactiques présentées par J.-F. De Pietro sont susceptibles de donner aux élèves une meilleure culture langagière, de les éveiller à la diversité linguistique, et surtout de conférer une bienvenue légitimité aux spécificités du français en Suisse romande. Peut-être cela permettra-t-il d’évacuer chez ces jeunes locuteurs la fameuse (et problématique) «insécurité linguistique» dont, comme tout Romand, ils sont censés souffrir. En conclusion, soulignant le besoin d’outils didactiques concrets, l’auteur 1 Cf. notamment J.-Cl. Boulanger, «À propos du concept de ‘régionalisme’», Lexique 3 (1985): 125-46; J.-B. Martin, «Le français régional. La variation diatopique du français de France», Le Français moderne 65/ 1 (1997): 55-69. 2 F. Jablonka, Frankophonie als Mythos. Variationslinguistische Untersuchungen zum Französischen und Italienischen im Aosta-Tal, Wilhelmsfeld 1997. 3 Cf. le compte rendu de l’ouvrage, d’une grande et parfaitement justifiée sévérité, par R. Bauer, Romanische Forschungen 112 (2000): 554-55. 297 Besprechungen - Comptes rendus présente le Dictionnaire suisse romand (ci-après DSR) 4 comme un outil pertinent pour aborder le français régional en contexte solaire. Mais il nous semble qu’il y a d’autres moyens de travailler dans les classes «sur et avec le français régional», qui n’utiliseraient pas simplement ce dictionnaire mais qui seraient susceptibles de l’améliorer! Il faut rappeler en effet que le DSR repose sur une documentation essentiellement écrite (issue du dépouillement des ouvrages spécialisés, de textes littéraires, de nombreux journaux), patiemment recueillie (d’abord par les rédacteurs du Glossaire des patois de la Suisse romande) et colligée dans le fichier du Centre de dialectologie et d’étude du français régional de l’Université de Neuchâtel. Lors des travaux de lancement du DSR (notamment pour la constitution de sa nomenclature), il avait été prévu de mener une grande enquête de vitalité des régionalismes s’adressant aux enseignants romands afin de toucher, à travers eux, leurs élèves et leurs familles 5 , mais ce projet fut malheureusement abandonné. Il est certain que les fruits d’une telle enquête eussent grandement amélioré et affiné toutes les aires d’emploi que produit le DSR, qui sont souvent si imparfaites qu’il serait vain, en l’état actuel, de vouloir en tirer une représentation atlantographique. On pourrait ainsi imaginer une activité-cadre qui reprendrait cet objectif, en collaboration avec le Centre de dialectologie et d’étude du français régional. Et les élèves apporteraient des informations non seulement sur l’emploi des romandismes du DSR, mais sur leur propre vocabulaire, très mal connu des linguistes et insuffisamment traité dans ce dictionnaire 6 . Dans sa communication intitulée «Le français régional en Suisse romande. À propos des conceptualisations profanes et scientifiques du fait régional» (67-82), Bernhard Pöll s’intéresse au statut théorique du français régional, notamment de celui de la Suisse romande, et surtout à la notion problématique de continuum. Se basant sur «l’abondant matériel offert par les dictionnaires d’helvétismes parus ces vingt dernières années pour trouver une approche adéquate, vu que [son] regard [est] inévitablement celui d’un observateur de l’extérieur» (67), l’auteur fait la démonstration, irréprochable au plan théorique, qu’on ne saurait parler d’un quelconque continuum entre patois et français en Suisse romande. Le seul problème est que cette démonstration repose, du fait d’une information défectueuse quant à la réalité linguistique de ce pays 7 , sur des prémisses erronées: «1) l’absence de continuité synchronique entre français et patois, en raison de la quasi-disparition de ce dernier (qui existe tout au plus sous forme de mots isolés dans le répertoire des locuteurs); 2) l’absence d’une entité ‘français dialectal’, qui présupposerait justement la vivacité du substrat dialectal» (72). Pour ce qui est de la première prémisse, l’auteur semble ignorer que le 4 A. Thibault/ P. Knecht/ G. Boeri/ S. Quenet (ed.), Dictionnaire suisse romand. Particularités lexicales du français contemporain. Une contribution au Trésor des vocabulaires francophones, Genève 1997. [Comptes rendus de l’ouvrage dans VRom. 59 (2000) par H. Chevalley (278-89) et J. Lengert (290-307).] 5 C’est par ce moyen qu’a été réalisé, de façon modeste mais fort méritante et intéressante, un lexique de français local: M. Andres/ H. Saugy/ C. Schulé, Glossaire des mots du Pays-d’Enhaut, Château-d’Œx 1992, 32 p. 6 Cf. H. Chevalley dans son compte rendu du DSR, VRom. 59 (2000): 281: «Il resterait enfin à mieux explorer les termes enfantins, notamment ceux liés aux jeux et à la vie scolaire en général». 7 «L’abondant matériel offert par les dictionnaires d’helvétismes parus ces vingt dernières années» utilisé par l’auteur n’est en fait constitué que par les petites publications à vocation commerciale de C. Hadacek, E. Pidoux et A. Nicollier [voir leurs comptes rendus très critiques dans le 86 e Rapport annuel du GPSR (1984): 20-22 et le 93 e Rapport annuel du GPSR (1991): 29], l’ouvrage modeste mais intéressant de G. Arès [voir son compte rendu dans le 98 e Rapport annuel du GPSR (1996): 28-29], ainsi que, certes, le DSR, dont il faut cependant rappeler que la cible est le français régional de large emploi de la fin du 20 e siècle. Ces ouvrages sont inaptes à documenter à eux seuls la problématique patois/ français régional en Suisse romande. 298 Besprechungen - Comptes rendus patois fonctionne toujours, comme langue, dans plusieurs communes du Valais ainsi que, de façon moins solide, dans certaines régions des cantons de Fribourg et du Jura. Et la preuve reste à faire que, dans ces situations de diglossie patois/ français, il n’y a pas de continuum observable, ainsi que cela a été invariablement affirmé dans diverses présentations de la situation linguistique romande, sur la base de ce qui n’apparaît que comme une intuition savante dépourvue de données empiriques suffisantes. Pour ce qui est de la seconde prémisse, B. Pöll ne connaît pas une riche documentation qui atteste l’existence d’une «véritable entité ‘français dialectal’» en Suisse romande, même et surtout dans les régions qui ont abandonné leur patois depuis longtemps. L’auteur avance: «Continuer à parler de continuum [dans les cas où seul le français est en usage] . . . ce serait affirmer, si l’on veut rester fidèle à la définition classique du terme, que les variétés issues du contact entre patois et français normé ont investi le pôle vernaculaire, jadis occupé par les patois» (73); or c’est là exactement ce dont témoigne cette documentation. Et la vitalité (encore actuelle) de ces divers ‘français dialectaux locaux’ vient contredire l’auteur pour qui «la reconnaissance de variétés . . . peu prestigieuses et différentes à la fois du standard et du patois est vouée à la disparition» (71). Je renvoie pour cette réalité au Glossaire des patois de la Suisse romande qui, contrairement à ce que son titre peut laisser croire, intègre à sa description lexicographique les régionalismes romands, nés pour leur plus grande part de la survivance dans notre français de l’ancien idiome indigène et qui ont leur place naturelle dans les articles consacrés aux mots patois auxquels ils doivent leur origine 8 . L’article de Giuseppe Manno, «La dynamique interne propre au français régional de Suisse romande: réflexions théoriques et méthodologiques autour d’un facteur sous-estimé» (83-111), se signale par sa haute tenue et sa très bonne documentation, mais aussi par sa réjouissante mise en lumière des créations autonomes des Romands. Sur la base d’une solide réflexion théorique et méthodologique, l’auteur apporte une illustration impressionnante de ce phénomène jusqu’ici sous-estimé: régionalismes sémantiques (jouer ‘fonctionner’, gentiment ‘calmement, sans se hâter’, crocher ‘travailler d’arrache-pied, être tenace’, vilipender ‘dilapider, gaspiller’, etc.), mais surtout une liste très fournie de régionalismes lexicaux: agender, amender, ami de noce, arborisé, avale-royaume, bar à café, beuglée, bœufferie, champignonneur, décentré, déménageuse, enfourrer, imperdable, locatif, mi-blanc, ramassoire, renversé, etc. Je ne ferai de réserves que sur des mots comme brantée, ébriquer, gâtion, gonfle, pétouiller, trempe, etc. qui, bien attestés dans les patois de substrat, me paraissent à considérer comme des dialectalismes et non des créations au niveau du français régional. Deux remarques pour terminer: G. Manno tire ses observations réjouissantes du seul corpus à sa disposition, soit le DSR qui, vu la nature principalement écrite de ses sources et les critères qui ont présidé à l’élaboration de sa nomenclature, ne donne qu’une image forcément incomplète de la réalité romande 9 . La démonstration serait plus impressionnante encore si était pris en compte l’usage réel des Romands, riche de bien d’autres innovations sémantiques et lexicales (cf., entre autres, foireur, follo, pougner [et pougne, pougnon], rocade, trignolette). L’auteur avance enfin: «On est en droit de penser que l’existence d’une dynamique autonome du français régional risque de faire découvrir une ‘réalité déplaisan- 8 Glossaire des patois de la Suisse romande, Neuchâtel 1924s. Cf. aussi H. Chevalley, «Contribution de la lexicographie francoprovençale à l’étude des français régionaux. Du GPSR, dictionnaire multidialectal et diachronique, à la prétendue ‘théorie du français régional miroir fidèle du patois’», in: Actes de la conférence annuelle sur l’activité scientifique du Centre d’études francoprovençales. Lexicologie et lexicographie francoprovençales (Saint-Nicolas, 16-17 décembre 2000), Bureau régional pour l’ethnologie et la linguistique, Aoste 2002: 145-64. 9 Cf. le compte rendu de ce dictionnaire dans VRom. 59 (2000): 281 et 289. 299 Besprechungen - Comptes rendus te’ à ceux qui s’efforcent d’estomper toute différence entre le français régional de Suisse romande et le français commun» (87). Les premiers qui devraient être ébranlés par la démonstration de G. Manno sont les tenants de la fameuse «insécurité linguistique» des Romands; comment en effet concilier celle-ci avec des locuteurs capables de créations autonomes, d’innovations lexicales, ce qui cadre mal, bien sûr, avec l’image qu’on a voulu donner d’une population subissant et maîtrisant mal sa langue d’adoption ? Comme dit en introduction, la communication de Jean-Baptiste Martin, Anne-Marie Vurpas et Claudine Fréchet, «Les régionalismes du français parlé en Rhône-Alpes: collectes effectuées et premières observations» (113-38) est la seule qui, lors de cette journée d’étude, a mis le français parlé dans le domaine francoprovençal en rapport avec les patois de substrat. Grâce à une collecte approfondie des régionalismes de la région Rhône-Alpes, à des enquêtes de vitalité auprès d’échantillons représentatifs de la population, à un réseau assez dense d’observatoires, les trois intervenants produisent une présentation géographique précise des traits lexicaux qu’ils ont sélectionnés. Les nombreuses cartes présentées (malheureusement desservies par une mauvaise impression dans la publication; la carte du type agasse est illisible) illustrent les liens 10 complexes qui existent entre certains régionalismes et les termes dialectaux correspondants, en mettant au jour des comparaisons géographiques intéressantes: plus grande extension de l’aire des régionalismes (par ex. fayard, vogue) ou, au contraire, restriction (par ex. caton, cha 11 ) par rapport aux aires dialectales de ces mots. La cartographie permet ainsi d’observer la dynamique particulière du français régional et d’affiner le peu qui avait été avancé auparavant sur l’axe diachronique entre les patois et lui. Par ailleurs, l’exposé de J.-B. Martin,A.-M. Vurpas et Cl. Fréchet me paraît illustrer de façon éloquente une assertion de G. Tuaillon: «Un dialectologue . . . apporte pour l’étude du français régional des qualités qu’on ne trouve pas forcément chez tout autre linguiste: la connaissance des profondeurs régionales qu’il a cotoyées au cours de ses enquêtes dialectologiques et une nécessaire vision de l’espace que, seule jusqu’ici, la dialectologie a donnée aux linguistes» 12 . La communication de Alexei Prikhodkine, «Lexique régional et insécurité linguistique: quels rapports en Pays de Vaud ? » (139-63) se donne pour objectif de «démontrer que les items lexicaux provenant du fonds du français de France (archaïsmes et innovations locales [? ]) sont sujets à la valorisation de la part des locuteurs vaudois, tandis que les lexies dont l’origine n’est pas imputable au français (dialectismes et germanismes) sont plutôt sujettes à la dépréciation de la part des sujets parlant vaudois [sic]. En outre, nous voulions établir que les locuteurs vaudois sont, en général, plus enclins à déprécier des régionalismes de forme que de sens» (141). Relevons d’abord que, pour dégager d’hypothétiques différences dans l’emploi des régionalismes selon leurs origines respectives et selon qu’ils sont de forme ou de sens, il est nécessaire de maîtriser ces paramètres. Ce n’est pas toujours le cas dans cet exposé, l’auteur qualifiant de «dialectismes de sens» le verbe se luger ‘luger’ et le mot patte ‘torchon’ 13 , clas- 10 Je partage entièrement les considérations de J.-B. Martin sur l’évidence de ces liens (114-15), mais ce n’est pas ici le lieu de prendre à nouveau position contre la théorie qui prétend les nier (presque) complètement. 11 À noter que la référence GPSR, III, 28 (lettre C) donnée pour ce mot est erronée; il sera traité dans la lettre T, sous l’en-tête tsó. 12 G. Tuaillon, «Réflexions sur le français régional», TraLiLi. 15/ 1 (Colloque de Dijon), 1977: 29. 13 Comme si c’était le même mot que la patte d’un animal. À noter de plus que cette erreur (cf. simplement le Robert historique: 1454) avait été signalée à l’auteur lors de la journée d’étude, mais qu’elle a été maintenue dans les «actes» de cette journée. 300 Besprechungen - Comptes rendus sant sous «germanismes de sens» le mot tresse ‘pain au beurre’ et considérant pétouiller ‘ne rien faire de bon’ ainsi que gâtion ‘enfant gâté’ comme des «innovations de forme». On est par ailleurs surpris d’apprendre que le nombre d’enquêtés se monte à 64 personnes seulement, qu’elles habitent la (seule) région lausannoise et font partie de la couche sociale dite supérieure (bourgeoisie, professions libérales, fonctionnaires supérieurs, etc.). Ainsi sont donc évacuées les dimensions essentielles de toute étude du français régional: échantillonnage représentatif de toute la population, diatopisme ville/ campagne, diastratisme entre les divers niveaux d’éducation, de culture. Ce qui s’apparente donc plus à une enquête d’opinion qu’à une véritable enquête scientifique s’ouvrait par deux questions naïves («Existe-t-il un parler vaudois? Si oui, pourriezvous donner quelques exemples de ce parler? ») et par le repérage des termes régionaux glissés dans un petit texte d’une gênante artificialité 14 , préambule qui trahit chez l’auteur une étrange approche d’une réalité linguistique qu’à l’évidence il ne connaît que depuis peu de temps. Puis, confrontés à une liste de 35 mots tirés du DSR, les 64 enquêtés devaient dire s’ils les emploient (et, si oui, dans quel contexte social) et s’il faut les apprendre à l’école. Les réponses à ces deux questions 15 ont été rangées dans 5 catégories mêlant à chaque fois degré d’usage et niveau de tolérance (par ex.: «Mot employé dans un contexte familier et non toléré à l’école», etc. 16 ), dont les résultats ne sont pris en compte que d’une façon quantitative, au moyen de statistiques représentées dans des graphiques. Une «analyse factorielle des correspondances» (AFC) aurait permis de dégager de façon plus fine (et plus intéressante que de sempiternels pourcentages) les rapports et les tensions entre les réponses à de telles questions, ainsi que de faire apparaître de quelle façon les enquêtés se répartissent et se regroupent en fonction de leurs opinions. Le bilan, malgré les anomalies méthodologiques relevées ci-dessus, valide toutes les hypothèses de départ: les archaïsmes et les innovations locales (par ex. nonante et ramassoire) sont sujets à la valorisation, tandis que les dialectismes et les germanismes (par ex. panosse et witz) sont dépréciés; de la même façon, les régionalismes (uniquement) sémantiques «passent mieux» que les régionalismes lexicaux. Mais il n’y a là rien d’étonnant ni de bien neuf: la forme française de ces mots masque leur caractère provincial (et donc leur prédisposition à être sanctionnés) dans l’esprit des locuteurs, au point même que ces derniers croient souvent qu’ils appartiennent au français standard («régionalismes inconscients»). Et il y a fort à parier qu’avec un choix d’autres mots (des germanismes plus lisses, des dialectalismes moins marqués, etc.) on obtiendrait des résultats différents. La chose est même sûre si était pris en compte un échantillon plus large de locuteurs, véritablement représentatif de la population romande tout entière. La communication de Pascal Singy, «Accent vaudois: le complexe des riches? » (165-86) porte sur une enquête d’une tout autre envergure (606 personnes interrogées, prise en compte de quatre variables sociologiques: genre [= sexe], âge, statut socioprofessionnel et lieu de résidence) qui est à la base de sa thèse 17 . Vu le nombre des enquêtés et la grande dis- 14 Par exemple: «Je ne vous dis pas combien [? ] de chenil il y avait dans tous les coins et combien de pattes [! ] on a usé[es] en panossant! » (161). Aucun Romand ne produirait une telle phrase et n’utiliserait le mot patte dans ce contexte-ci. 15 De nature radicalement différente («utilisez-vous ce mot? » et «doit-on [! ] l’apprendre à l’école? »), la seconde appelant les témoins à émettre un avis normatif, de plus de façon bien maladroite. 16 Il semble bien que la bizarrerie des résultats obtenus, dans le cas de panosse notamment, procède de la mise ensemble de ces deux paramètres. Et on s’interroge sur la pertinence (et la réalité), à propos de régionalismes, de la catégorie «Mot non employé mais toléré à l’école». 17 P. Singy, L’image du français en Suisse romande. Une enquête sociolinguistique en Pays de Vaud. Paris-Montréal 1997. 301 Besprechungen - Comptes rendus parité des réponses obtenues, notamment en fonction de la variable liée à l’appartenance sociale, on se permettra de regretter à nouveau que l’analyse soit uniquement quantitative et ne recoure pas à l’AFC (cf. ci-dessus A. Prikhodkine). Résumant les principaux résultats de son enquête, l’auteur sélectionne d’abord parmi les manifestations des Vaudois un sentiment d’infériorité linguistique (à l’égard des Français) et un sentiment d’insécurité linguistique, qui se traduirait «par une tendance à déprécier et à valoriser, tout à la fois, le parler local» (172). Sans rouvrir une polémique stérile 18 , la mise en évidence de cette valorisation régiolectale me paraît l’apport le plus intéressant du travail de P. Singy, susceptible de remettre en question la réalité même de cette notion d’insécurité linguistique des Vaudois (et des Romands en général) 19 . Le fait que trois enquêtés sur quatre aient donné une réponse négative à une question posée sur une éventuelle officialisation des régionalismes par le biais de l’enseignement ne me paraît pas, contrairement à ce que dit l’auteur, révéler «une nette tendance à la dépréciation du parler local, étant entendu qu’une population bienveillante à l’endroit de son parler répondrait massivement par l’affirmative» (172). C’est là sous-estimer, à mon avis, les effets du rapport complexe que les Romands entretiennent avec leur École, institution normatrice par excellence, dont ils ont totalement intégré le refus de légitimer leurs particularités linguistiques 20 . Parmi les représentations linguistiques des Vaudois, cette enquête s’attachait particulièrement à celle qu’ils ont de leur accent, avec six indicateurs à ce propos parmi les douze cités (181). Le problème est que l’accent est une dimension particulièrement volatile du discours, qui n’a fait l’objet d’aucune étude scientifique en Suisse romande 21 . D’autre part, de la même façon qu’il n’y a pas un «accent suisse» (dont se moquent les Français), il n’y a pas un (seul) «accent vaudois» mais, au gré des diverses régions, de subtiles variations dans les accentuations et les intonations (plus ou moins harmonieuses). Dans cette situation, peuton valablement demander «aimez-vous votre accent? », «quand vous entendez un parent avec un fort accent, comment vous sentez-vous (fier, gêné, agacé)? », etc. sans que le témoin et même l’interrogateur sachent de quoi exactement il est question? Une dernière remarque: la conclusion de l’exposé de P. Singy se signale par une louable relativisation des résultats apportés par son enquête (notamment du fait des disparités observées entre générations) et par son appel à «une étude fondée sur une saisie en profondeur de l’imaginaire linguistique des Vaudois» (184). La communication de Oleg Kulinich, «Modélisation probabiliste dans la description d’oppositions phonologiques. Le cas du français régional en Suisse romande» (187-211) s’exclut elle-même de ce compte rendu, n’apportant pas d’informations de nature linguistique sur les traits phonologiques des Romands mais faisant seulement la présentation (impressionnante) de l’outil mis au point pour les enregistrer et les analyser. Pour dresser un rapide bilan et esquisser quelques perspectives 22 , on citera d’abord ce que B. Pöll a avancé de façon audacieuse lors de cette journée, de coloration essentiellement sociolinguistique, d’étude du français régional: «Le concept classique de ‘français régional’ est difficilement compatible avec des approches sociolinguistiques, et ce malgré les 18 Le compte rendu de l’ouvrage de P. Singy par G. Manno dans le Bulletin suisse de linguistique appliquée 67 (1998): 153-61 avait donné lieu à une réponse de H. Chevalley, à propos du concept d’insécurité linguistique, dans les 101 e et 102 e Rapports annuels du GPSR (1999-2000): 13-14. 19 Cf. aussi ci-dessus G. Manno. 20 Mais on peut rêver que cela change; cf. ci-dessus J.-F. De Pietro. 21 On en trouve une approche dans l’Encyclopédie illustrée du Pays de Vaud, tome XI (1984): 289- 90 et 306 (M. Mahmoudian). 22 Cf. l’ancien intitulé de cette journée d’étude: Le français régional en zone francoprovençale: bilan et perspectives actuelles. 302 Besprechungen - Comptes rendus efforts d’adaptation qui ont été faits ces dernières décennies: issu du contexte de recherche spécifique qu’est l’enquête dialectologique, le concept de ‘français régional’ est lié, dans l’histoire de la linguistique, à une description du code (par rapport à une variété-étalon) et non pas à une approche des fonctions sociales du code» (77-78). Le constat s’impose en tout cas que l’analyse des variétés diatopiques ou topolectales du français, du fait de leur complexité, nécessite une base théorique solide liée à une grande rigueur méthodologique 23 , des dispositifs sophistiqués d’enquêtes et d’analyse de leurs résultats ainsi que, surtout, une approche concrète du terrain, une prise en compte globale et approfondie de la réalité linguistique. Sans cela et comme le montrent certaines des communications recensées, le risque est grand de travestir l’usage réel des locuteurs et de produire des résultats de valeur scientifique limitée. D’autre part, même si la perspective de la sociolinguistique est essentiellement synchronique, l’étude des français régionaux ne peut faire l’économie de l’axe diachronique. Ainsi, en notre pays dont la langue a longtemps été représentée par les divers patois francoprovençaux, on ne saurait se passer des apports de la dialectologie romande, comme ce compte rendu l’a à plusieurs reprises suggéré. H. Chevalley H Peter Cichon, Sprachbewusstsein und Sprachhandeln. Romands im Umgang mit Deutschschweizern, Wien (Braumüller), 1998, 392 p. (Wiener Romanistische Arbeiten 18) Les recherches de Peter Cichon sur les relations qu’entretiennent les Romands avec les Suisses allemands n’ont pas connu une réception digne de l’intérêt que suscite cet ouvrage paru il y a cinq ans déjà 1 . En effet, cette étude, qui s’appuie sur des entretiens réalisés à Saint-Gall, Bienne, Fribourg, Lausanne et Genève, parvient à rendre compte des principaux éléments stéréotypiques dans lesquels se condense l’identité des Romands vis-à-vis de leurs voisins alémaniques. Cette étude s’inscrit dans le champ des travaux sur la conscience linguistique des locuteurs intégrés dans une réalité spécifique que le chercheur vise à décrire d’un point de vue à la fois émique et étique; elle confirme, affine et parfois complète les connaissances apportées par des travaux antérieurs sur les rapports entre Romands et Alémaniques (Claudine Brohy, Pierre Centlivres, Gottfried Kolde, Georges Lüdi entre autres); enfin, elle esquisse un mode identitaire des Romands déjà mis en évidence par des chercheurs travaillant avec des méthodes différentes (Pierre Knecht ou Pascal Singy par exemple). L’ouvrage s’ouvre par trois chapitres consacrés à la constitution de l’objet d’étude, à la définition du concept de conscience linguistique ou langagière (Sprachbewusstsein) et à la présentation des méthodes d’investigation. Le quatrième chapitre propose un rapide panorama de la situation linguistique en Suisse, d’un point de vue diachronique et synchronique, mêlant intelligemment des considérations de linguistique interne à une réflexion structurée autour d’une dynamique relevant de la linguistique externe. Se succèdent ensuite quatre chapitres qui thématisent la relation des Romands aux Suisses alémaniques selon quatre types de situations urbaines de contact linguistique (urbane Sprachkontaktsituation). Enfin, 23 Cf. notamment Cl. Poirier, «Le français ‹régional›: méthodologies et terminologies», in: Français du Canada, français de France. Actes du colloque de Trèves de 1985, Tübingen 1987: 139-76; J.-P. Chambon, «L’étude lexicographique des variétés géographiques du français de France: éléments pour un bilan méthodologique (1989-93) et desiderata», Lalies. Actes des sessions de linguistique et de littérature 17 (1997): 7-31. 1 Je n’ai connaissance que d’un bref compte-rendu de R. Schlösser 1999, RF 111.