Vox Romanica
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Francke Verlag Tübingen
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2004
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Kristol De StefaniItalien loro: tonique ou atone?
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2004
Witold Manczak
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Italien loro: tonique ou atone? Dans un article récemment publié dans la présente revue, Floricic 2003 a examiné d’une façon détaillée différentes opinions concernant le caractère atone ou tonique de l’italien loro .A cette occasion, nous voudrions rappeler qu’il y a déjà longtemps, à savoir dans les années cinquante ( Man´ czak 1952a, 1952b, 1952c et 1953), nous sommes arrivé à une conclusion peu orthodoxe selon laquelle la division des mots en toniques et atones, qui remonte à l’Antiquité, est fausse. Bien que, de temps en temps, nous ayons fait allusion à notre conception, elle n’a jamais été l’objet d’une discussion. Dans ces conditions, il nous a paru opportun de répéter qu’à notre avis il est oiseux de réfléchir si tel mot est tonique ou atone. Dans les années cinquante, nous avons commencé par observer l’état de choses en polonais, qui est notre langue maternelle. Dans cette langue, il y a des combinaisons de mots désignées traditionnellement comme «proclitique + mot tonique» qui sont homonymes avec des mots simples: [1] a. na wozy ‘sur les voitures’ = nawozy ‘engrais’ b. a dama ‘et la dame’ = Adama ‘d’Adam’ c. wy le cie ‘vous, volez’ = wyle cie ‘envolez-vous’ Mais il est très important d’attirer l’attention sur le fait que l’homonymie a lieu également entre des mots simples et des groupes de mots qui se composent non pas de «proclitique + mot accentué», mais de deux mots considérés comme «toniques». En voici quelques exemples: [2] a. cz sto chowa ‘il cache souvent’ (adverbe + verbe) = Cz stochowa ‹nom de ville› b. wozi wod ‘il apporte de l’eau’ (verbe + substantif) = woziwod ‘porteur d’eau’ (acc.) c. kilo waty ‘un kilo de coton’ (substantif + substantif) = kilowaty ‘kilowatts’ d. pali sady ‘il brûle des vergers’ (verbe + substantif) = palisady ‘palissades’ e. kie l basa ‘la dent canine d’un bassiste’ (substantif + substantif) = kie l basa ‘saucisse’ Il est même possible de constater l’homonymie entre certains groupes de mots considérés comme «proclitique + mot accentué» et des groupes de mots censés être constitués de «deux mots toniques». [3] a. pod cz l owieka ‘sous l’homme’ = pot cz l owieka ‘sueur d’un homme’ b. bez ogrodnika ‘sans jardinier’ = bez ogrodnika ‘lilas du jardinier’ c. ko l o wozu ‘près de la voiture’ = ko l o wozu ‘roue de la voiture’ S’il se trouvait quelqu’un pour douter de l’homonymie dans les cas mentionnés ci-dessus, on pourrait lui conseiller de faire une expérience bien simple: il devrait 91 Italien loro: tonique ou atone? écrire sur 10 fiches na wozy «sur les voitures» et sur 10 fiches nawozy «engrais», sur 10 fiches cz sto chowa «il cache souvent» et sur 10 fiches Cz stochowa (toponyme), sur 10 fiches pod cz l owieka «sous l’homme» et sur 10 fiches pot cz l owieka «sueur d’un homme», après quoi il devrait mêler ces fiches et demander à une personne de reconnaître s’il s’agit de na wozy ou nawozy, de cz sto chowa ou Cz stochowa ou bien de pod cz l owieka ou pot cz l owieka. Conformément au calcul des probabilités, la personne à qui l’on demanderait de reconnaître de quelles expressions il est question, donnerait environ 50% de réponses justes et autant de réponses erronées, ce qui serait une preuve que les paires du type na wozy et nawozy, cz sto chowa et Cz stochowa ou pod cz l owieka et pot cz l owieka sont en effet homonymes. La seule conclusion qu’on puisse tirer de l’examen de ces exemples (dont le nombre pourrait être multiplié) est la suivante. En polonais, tous les mots (à l’exception, évidemment, de w ‘en’ et z ‘avec’, qui ne comportent pas de voyelle) sont toniques, à ceci près que, dans un groupe de deux mots, il est impossible de prononcer les deux mots avec la même intensité. Dans les cas mentionnés ci-dessus (et ils sont la grande majorité), le premier mot porte un accent plus faible et le second, un accent plus fort, ce qui permet de comprendre pourquoi il y a une homonymie dans des cas comme n'a w"ozy = naw'ozy, cz' sto ch"owa = Cz stoch'owa ou p'od cz l owi"eka = p'ot cz l owi"eka. Il arrive beaucoup plus rarement que, dans un groupe de deux mots, ce ne soit pas le premier, mais le second qui soit accentué plus faiblement, par exemple w"idzi g'o ‘il le voit’, s l "ucham p'ana ‘je vous écoute’. On peut se demander si ce que nous avons décelé pour le polonais est également valable pour d’autres langues. Nous n’en avons jamais douté, bien qu’il soit moins facile de trouver des exemples à l’appui de cette opinion dans des langues où la flexion est moins riche qu’en polonais et où il existe des articles ainsi que l’obligation d’employer des pronoms personnels avec des formes verbales, sans parler de la différence entre les composés germaniques, qui présentent plus d’un accent, cf. all. Br"ieftr'äger, et les composés polonais, qui n’en ont qu’un seul, cf. list'onosz ‘facteur’. Voici quelques exemples tendant à prouver que, dans d’autres langues, la division des mots en toniques et atones ne se justifie pas non plus. En italien sont homonymes mala parte et Malaparte, buona parte et Buonaparte, ben venuto et Benvenuto si, évidemment, on supprime la pause dans mala parte, etc. À notre connaissance, aucun Français ne s’appelle Île ou Aile, mais si l’on imaginait que de tels noms de famille existent, il serait impossible de distinguer il va de *Île va ou elle va de *Aile va. Il en résulte qu’en réalité il n’y a aucune différence entre les pronoms il, elle, dits «atones», et les substantifs île, aile, considérés comme «toniques». En outre, on pourrait citer Jean voit homonyme de j'en vois et j'envoie. Une proposition comme l’heure compte n’a pas beaucoup de sens, mais ce qui est important, c’est que l’heure compte = leur compte. Enfin, il existe une homonymie entre Long vient et l’on vient. Il en est de même pour l’allemand, où il n’y a aucune différence entre man schreibt (prétendument un pronom «atone») et Mann schreibt (nom de famille), ou entre es kommt et S. kommt (où S. désigne un nom de famille, par exemple Schmidt). 92 Witold Man´ czak À première vue, on a l’impression que cela ne s’applique pas à l’anglais, où des mots comme of sont prononcés non seulement [ O v], mais aussi [ @ v] et où, d’après une opinion courante, la voyelle réduite [ @ ] peut apparaître uniquement dans une syllabe atone, d’où l’on tire la conclusion que of [ @ v] est atone. Cependant, on peut se demander si Jones 1957: 95 a raison quand il affirme que « @ only occurs in unstressed syllables» parce que, à son avis, many and upon peuvent être prononcés respectivement [m @ ni] et [ @ p @ n]. Une prononciation [m @ ni] et [ @ p @ n] nous semble impossible. Or, si les Anglais prononcent en réalité [m' @ ni] et [ @ p' @ n], il en résulte qu’il n’est pas vrai que [ @ ] apparaît uniquement dans une syllabe atone. Il est intéressant de mentionner également la constatation suivante de Jespersen 1922: 152: «To emphasize a contrast one may even stress an otherwise weak syllable of a word, as ‹not fi'shes, but fi'shers›». Mais ce qui est le plus important, c’est le fait suivant: que l’on prononce, par exemple, la préposition at [æt] ou [ @ t], le groupe de mots at school est toujours accentué d’une même manière, à savoir at sch"ool. Autrement dit, que la préposition at soit prononcée [æt] ou [ @ t], elle est toujours accentuée plus faiblement que le substantif qui la suit. Le fait que certains mots anglais présentent une double prononciation, avec [ @ ] ou avec une voyelle pleine, n’a rien à voir avec l’accentuation, mais s’explique par ce que nous appelons un développement phonétique irrégulier dû à la fréquence d’emploi (Man´ czak 1987). Il suffit d’attirer l’attention sur le fait que les mots à «weak forms» énumérés par Jones 1957: 95 se répartissent, sur la liste de fréquences de Eaton 1940, de la façon suivante: 1-500: a, am, an, and, are, as, at, but, by, can, could, do, does, for, from, had, has, have, her, many, must, not, of, or, shall, should, so, some, such, than, the, them, there, time(s), to, upon, us, was, were, will, would, you, your. 501-1000: nor, Sir. 1501-2000: per, Saint. 2501-3000: ma'am. Il en résulte que, parmi les 450’000 mots anglais enregistrés dans le dictionnaire de Webster, il y en a à peine 49 qui présentent une réduction de la voyelle tonique à [ @ ] et que la plupart de ces mots appartiennent aux 500 mots les plus employés. Voici la conclusion de notre article. Dans toutes les langues que nous connaissons, on observe les phénomènes suivants: 1° Dans un groupe de deux mots, il n’arrive jamais que les deux mots soient accentués avec la même intensité. Autrement dit, une accentuation du type *J'ean v'oit n’existe pas. 2° Dans un groupe de deux mots, il arrive le plus fréquemment que le premier soit accentué plus faiblement que le second, tandis qu’une accentuation inverse est plus rare. Autrement dit, l’accentuation du type J'ean v"oit est beaucoup plus répandue que celle du type "oui, monsi'eur. 3° La preuve que l’on dit J'ean v"oit et non *J'ean v'oit est fournie par le fait que Jean voit prononcé sans pause est homonyme de j'envoie. 93 Italien loro: tonique ou atone? 4° La division traditionnelle des mots en atones (surtout articles, pronoms, prépositions et conjonctions) et toniques (autres parties du discours) est fausse parce qu’elle est infirmée par des homonymies du type a) le vent = levant, à voir = avoir et l’eau vend = l’auvent, Long tend = longtemps; il est vrai que les propositions l’eau vend et Long tend sont dépourvues de sens, mais si on les prononce sans pauses, elles sont respectivement homonymes de l’auvent et longtemps, de même que le vent et à voir sont homonymes de levant et avoir; il en résulte qu’en réalité il n’y a aucune différence entre l’accentuation de le vent et à voir (prétendument «proclitique + mot tonique») et celle de l’eau vend et Long tend (considérés comme «mot tonique + mot tonique»); b) j'en vois = Jean voit; cette homonymie prouve qu’en réalité il n’y a aucune différence entre l’accentuation de j'en vois (prétendument «proclitiques + mot tonique») et celle de Jean voit (considérés comme «mot tonique + mot tonique»). On peut résumer la conclusion du présent article encore autrement. La division des mots en toniques et atones est le résultat d’une fausse généralisation. Il est vrai qu’il y a des homonymies le vent = levant, à voir = avoir, et moi = émoi et que les syllabes le-, a-, édans levant, avoir, émoi sont atones, mais il est erroné d’en conclure que le, à, et sont des mots atones parce que les mots toniques sont traités de la même manière. Dix vers, vingt cœurs, va tôt, prononcés sans pauses, sont homonymes de divers, vainqueur, Watteau, où les syllabes di-, vain-, Watsont atones. Pour terminer, répondons à la question de savoir pourquoi tout le monde considère la division des mots en toniques et atones comme justifiée. La réponse à cette question est facile: dans la mentalité des linguistes (appelés autrefois plus modestement grammairiens), la foi en l’infaillibilité des autorités est tellement enracinée que pendant 2000 ans personne n’a jugé utile de confronter cette division avec des faits. D’ailleurs, il y a, en linguistique, beaucoup de cas semblables (Man´ czak 1988). Cracovie Witold Man´czak Bibliographie Eaton, H. 1940: Semantic Frequency List for English, French, German, and Spanish, Chicago Floricic, F. 2003: «Note sur l’italien loro: vraiment un clitique? », VRom. 53: 28-52 Jespersen, O. 3 1922: A Modern English Grammar, I, Heidelberg Jones, D. 8 1957: An Outline of English Phonetics, Cambridge Man´ czak, W. 1952a: «O akcentuacji grup dwuwyrazowych», J zyk Polski 32: 15-24 Man´ czak, W. 1952b: «Enklityki i proklityki w j zyku polskim», J zyk Polski 32: 66-76 Man´ czak, W. 1952c: «O akcentuacji grup ponaddwuwyrazowych», J zyk Polski 32: 145-56 Man´ czak, W. 1953: «L’accentuation des groupes syntaxiques», Biuletyn Polskiego Towarzystwa J zykoznawczego 12: 55-65 Man´ czak, W. 1987: Frequenzbedingter unregelmässiger Lautwandel in den germanischen Sprachen, Wroc l aw Man´ czak, W. 1988: «Critères de vérité. Leurs conséquences pour la linguistique», Langages 89: 51-64