Vox Romanica
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Francke Verlag Tübingen
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2004
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Kristol De StefaniRichard Trachsler, Disjointures – Conjointures. Étude sur l’interférence des matières narratives dans la littérature française du Moyen Âge, Basel/Tübingen (Francke) 2000, 429 p. (Romanica Helvetica 120)
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2004
Yan Greub
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Richard Trachsler, Disjointures - Conjointures. Étude sur l’interférence des matières narratives dans la littérature française du Moyen Âge, Basel/ Tübingen (Francke) 2000, 429 p. (Romanica Helvetica 120) La thèse d’habilitation de R. Trachsler 1 est un travail très important, parce qu’il est ambitieux: grâce à l’angle d’approche spécial qu’il a choisi, l’auteur veut proposer une compréhension générale d’une partie significative de la littérature narrative médiévale. De plus, la méthode de discussion, qui part des textes et des problèmes qu’ils nous posent pour élaborer une histoire des genres littéraires, n’est pas la plus fréquente dans les études médiévales, et l’exemple de l’auteur mérite d’être suivi. Enfin, la matière observée (la littérature narrative de fiction de la deuxième moitié du XIII e et du XIV e siècle) fait partie de ce que nous lisons peu dans la littérature médiévale, et pour cette raison déjà le livre recensé ajoute beaucoup à nos connaissances. Dans une Introduction (9-47) aux ambitions théoriques marquées, l’A. définit son but et sa méthode. En s’appuyant sur les célèbres vers introductifs de la Chanson des Saisnes et sur des traités poétiques contemporains, il distingue clairement matière narrative et genre, et annonce qu’il tentera de suivre le fil de traditions littéraires. L’outil grâce auquel il mènera cette recherche sera l’étude de l’interférence des matières narratives, c’est-à-dire, sous sa forme la plus fréquente, «l’apparition d’un personnage ou d’un objet appartenant traditionnellement à une matière précise à l’intérieur d’une autre qui, a priori, n’est pas la sienne; se produit ainsi, au sein d’un univers littéraire déterminé, l’irruption d’un élément allogène» (10). La forme typique de l’interférence est l’apparition d’un personnage («la pierre angulaire de la matière») dans un contexte inattendu (14). Pour cerner le phénomène, l’étude choisit, du XIII e au XV e siècle, un corpus de textes représentatifs, qui illustrera les cas de figure les plus importants; «quand deux textes offraient le même cas de figure, nous avons retenu de façon assez systématique le moins connu pour développer notre réflexion» (15). L’introduction se poursuit par des réflexions de belle portée sur le nom propre (20- 25), l’application de la notion de pro-récit à la littérature médiévale (les noms propres fonctionnant comme récits condensés; 25-31) et une discussion de la possibilité de distinguer dans la littérature médiévale des genres nettement séparés. Je trouve l’auteur un peu pessimiste quand il déclare qu’«en aucun cas, la forme ne permet de conclure à une répartition générique bien nette puisque, dès les premiers textes vernaculaires, les choses sont inextricablement brouillées» (33): si Roncaglia, cité à cette occasion, peut dégager des éléments épiques dans certains romans et des éléments romanesques dans le Roland, c’est précisément qu’ils ne sont pas inextricables, ou qu’on a affaire à des êtres qu’on peut concevoir comme distincts. L’ouvrage lui-même commence par une interrogation sur quelques formes simples d’interférence. Tout d’abord la liste (48-59), hors de toute narration, d’ambition totalisante et dans laquelle tendent à se développer des récits. Ensuite l’homonymie, ou le choix pour un personnage de fiction d’un nom déjà attribué dans un autre texte (et à un personnage qui ne peut lui être assimilé; 59-78), puis la comparaison (78-93), l’ekphrasis de l’objet d’art, spécialement quand l’objet décrit représente «une histoire extraite d’une matière allogène» (93-99), et enfin l’histoire d’un objet (par exemple celle du bouclier d’Énée devenu celui d’Olivier; 99-108). Il se poursuit avec l’étude de neuf textes, de statut générique plus ou moins clair et qui illustrent différents modes de l’interférence (108-209), et dont la série débouche sur deux études de grandes œuvres (le cycle des Sept Sages de Rome et le Perceforest) qui dépassent chacun, par des voies différentes, le partage traditionnel des matières littéraires. 322 Besprechungen - Comptes rendus 1 Un compte rendu en a été donné par G. Palumbo dans Medioevo Romanzo 25 (2001): 151-54. La dernière partie (282-365) se penche sur l’organisation d’une matière narrative complexe par des récits encadrants; c’est l’occasion pour l’auteur de développer un sujet privilégié et récurrent dans son ouvrage: les récits consacrés aux Neufs Preux. On y trouve aussi une discussion des nombreuses adaptations françaises de Boccace, et un commentaire très développé (325-65) du Chevalier errant de Thomas de Saluces. Ce travail qui enrichit tellement nos connaissances d’histoire littéraire n’est cependant pas une histoire de l’interférence des matières narratives, comme l’explique l’A. dans sa très belle et trop brève Conclusion (366-70), mais propose seulement «une sorte de typologie des différentes façons dont une matière supplémentaire pouvait s’introduire dans un jeu donné» (367). Une telle histoire ne saurait encore s’écrire, mais R. Trachsler nous propose quelques pistes pour son futur développement: il s’agirait par exemple de s’intéresser à la tradition manuscrite (et imprimée) pour connaître la vie réelle des textes étudiés. Il cite d’ailleurs des exemples significatifs des connaissances que cela nous apporterait. C’est un trait constant dans ce travail qu’une telle vision réaliste des textes - intérêt pour leur vie dans les manuscrits, pour leur réception et les fonctions de leur production - quoi qu’en dise l’auteur (369), et je vois là une de ses grandes qualités. Le volume se termine par une bibliographie (371-419) et un index rerum (420-29). Sur la base d’un jugement très positif, on me permettra de discuter ou de souligner certains aspects généraux et particuliers de l’ouvrage. Comme on le voit par son plan même, le livre de R. Trachsler est moins une réflexion théorique qu’une suite organisée d’exégèses cohérentes. Cela n’empêche d’ailleurs pas l’auteur de traiter de manière convaincante des questions de théorie littéraire; il le fait sans recherche d’une fausse modernité, et ne trouve pas indigne de lui de discuter Köhler, Jauss et Zumthor, sans dissimuler la similarité de certaines de leurs questions avec les siennes (45, 367), mais en marquant clairement les différences de perspective et d’enjeu. Cette capacité à intégrer l’histoire de la discipline comme outil pour une connaissance en progrès contribue sans doute à conférer à l’ouvrage un caractère de classique. Lorsque l’A. dit du Roman de Silence et de Sone de Nansay que «la matière dominante y est ‘neutre’» (118, cf. déjà 112), il me semble que la possibilité de définir ainsi (et même entre guillemets) le caractère de ces œuvres ne découle pas des principes qu’il s’est fixés (15-16, 20), mais directement des affirmations de Jean Bodel. S’il n’y a que trois matières, ce qui ne peut se ranger dans aucune d’elles n’existe pas: on serait encore plus précis en disant que ces ouvrages sont neutres du point de vue de la matière, ou en d’autres termes qu’ils n’ont pas de matière. Mais je crois qu’il y a dans la phrase citée un écrasement entre matière ‘matière’ et matière ‘matière à laquelle est joint un stilus particulier’, qui se manifeste aussi p. 19, où le tableau dit rota Bodelli (par référence à la roue de Virgile) assimile matière et stilus. R. Trachsler, d’ailleurs, peut dire aussi qu’à côté des matières de France, de Bretagne et de Rome il en est «mainte autre, dont Jean Bodel ne parle pas» (211), ce qui semble indiquer que la matière peut se définir extra-johanniquement. Je reconnais volontiers que ce problème terminologique est mineur; il touche cependant le point central de l’ouvrage recensé, et il apparaît que R. Trachsler s’interdit de parler d’autres matières que celles qu’énumère Jean Bodel (ainsi, p. 151 en haut, il serait commode de parler d’interférence avec la matière des croisades). À la p. 31, materia semble être équivalent d’ ‘histoire portée avec lui par le nom propre’, ce qui est une simplification indue. Les critères qui permettent de reconnaître la matière associée à un texte sont tout d’abord les personnages, mais aussi l’espace et la période concernés. On ne connaît cependant leur capacité à marquer l’arthurianité, par exemple, que directement: parce que dans d’autres textes ils auront été associés à cette matière. Cela fait qu’une phrase comme «la forme aussi bien que les marqueurs de matière dominants renvoient le lecteur au monde arthurien» intrigue: quels sont ces marqueurs? L’A. serait-il parvenu à médiatiser le rapport 323 Besprechungen - Comptes rendus entre les occurrences d’une matière et notre capacité à les reconnaître, l’objet intermédiaire étant peut-être un type? P. 104, dans une note, l’A. propose d’identifier un Espandragon (Girart de Roussillon, v. 2533) avec Uterpandragon, père d’Arthur. Comme le personnage en question est un forgeron, il me semble qu’il ne peut être identifié au roi des Bretons et qu’il ne s’agit que d’une homonymie (l’équivalence de la forme est démontrée de façon convaincante par R. Trachsler). Dans ce cas, l’A. ferait donc mal la distinction entre nom et évocation d’un récit sousjacent (ou pro-récit). C’est une question d’un ordre semblable qui se pose p. 78 lorsque, après avoir constaté la grande tolérance des scribes et redacteurs à l’égard des noms propres allogènes, il en propose trois explications possibles: 1° l’homonymie serait considérée comme indifférente, 2° l’usage de noms propres célèbres constituerait une convention littéraire, 3° c’est la possibilité intertextuelle offerte par la présence d’un nom propre venu d’ailleurs qui serait ainsi exploitée; R. Trachsler préfère la troisième solution, en se fondant sur les noms de Tristan de Nanteuil, Noiron le Magicien et Guanelet le traître. Je crois qu’il n’y a pas là d’intertextualité (ce qui supposerait des rapports entre textes): Noiron le Magicien n’est une allusion à aucun texte particulier (comme l’A. l’a d’ailleurs expliqué), le nom de Guanelon a acquis généralement la valeur antonomatique qu’on peut gloser ‘nom de traître’ - ce n’est donc plus une allusion à la Chanson de Roland, même si la source reste connue, quant à Tristan de Nanteuil, son nom n’est pas construit sur celui de Tristan de Léonois, mais motivé par une même étymologie que ce dernier - leurs noms sont frères, non père et fils, si l’on me permet cette métaphore. Dans tous ces cas, il me semble donc qu’il n’y a pas d’utilisation de l’évocation d’un autre texte. Le concept d’interférence des matières peut aider aussi à éclairer des problèmes qui pourraient lui paraître extérieurs, comme lorsque la (grande) structure du Perceforest est expliquée par les moments d’irruption de matière étrangère (258). La matière arthurienne, parmi toutes, entretient avec le merveilleux des liens particulièrement étroits, et personne ne s’en étonnera. R. Trachsler met en évidence une assimilation croissante - au fil de l’histoire des textes qu’il examine - entre cette matière et le merveilleux en général (spécialement 128-29). Cela appelle quelques remarques. Ainsi, résumant (163) les épisodes arthuriens de Tristan de Nanteuil, Lion de Bourges, de l’Ogier décasyllabique et du Bâtard de Bouillon, l’A. montre bien que sous la surenchère d’exotisme et de merveilleux se cachent des échecs: elle indique que le monde épique n’est plus en mesure «d’accueillir la projection des désirs des individus», mais aussi que la matière arthurienne ne peut plus fournir «un univers où se côtoient harmonieusement l’homme et le surnaturel puisqu’elle est dans ces nouveaux textes entièrement du côté du merveilleux . . ., un paradis artificiel». Il y aurait donc rencontre des matières «épique» et arthurienne dans un échec partagé. Je crois plutôt qu’il n’y a pas croisement avec la matière arthurienne, mais intégration du merveilleux dans un texte épique; ce merveilleux sera cherché là où on le rencontre le plus facilement, soit dans la matière de Bretagne. Il m’a semblé que l’A. attribuait parfois trop vite à la matière arthurienne ce qui n’était que merveilleux en général; ainsi, lorsqu’il parle de certains éléments allogènes dont l’importance va grandissant dans le cycle d’Huon de Bordeaux, il les nomme «arthuriens et merveilleux en général» (188). Or, ils n’ont rien de spécifiquement arthurien, voire ne le sont même pas du tout, ou presque (190), et il n’y aurait pas lieu, je crois, de parler d’interférence de matières. Même si je souhaiterais que ces distinctions soient plus clairement respectées, je reconnais volontiers que l’interprétation de R. Trachsler a cet avantage de lui permettre d’expliquer que la présence d’Arthur et de Morgue peut en venir à «signale[r] précisément le merveilleux, la suspension des repères chronologiques et géographiques habituels» (197). Ce gain ne me paraît cependant pas suffisant. Dans sa conclusion, l’A. pose que l’interférence des matières narratives possède avec le merveilleux des liens évidents, puisque son relevé «a fait ressortir 324 Besprechungen - Comptes rendus l’aptitude particulière de l’une des trois matières bodéliennes à la migration: celle de Bretagne» (368), qui perd son ancrage spatio-temporel traditionnel lorsqu’elle s’exporte dans d’autres types de textes, «pour se rattacher à une géographie orientale, merveilleuse». Je ne crois pas la démonstration valide; on a vu plus haut que l’A., dans la perspective de l’interférence, en venait à lier à la matière de Bretagne toutes les manifestations merveilleuses, et il y a une grande proximité entre une de ses prémisses et la conclusion. Mais surtout on pourrait comprendre que le merveilleux (et non l’interférence arthurienne) serait premier, et que la matière de Bretagne n’interviendrait de façon privilégiée dans les inserts de ce type que parce qu’elle est liée intrinsèquement au merveilleux. La question qui se pose ici est peut-être de savoir dans quels cas se déplacent des matières conçues comme matières, et dans quels cas des modes de conception du monde littéraire (le merveilleux) ou des personnages. Ainsi, l’explication donnée par l’A. (199) 1° de la présence d’Arthur en Faerie, 2° de son incapacité à maîtriser toutes les caractéristiques de ce monde me semble contournée, qui pose un état intermédiaire de l’intégration du bretonnisme et du merveilleux, connaissant à la fois des traits de son début et de sa fin («le plus intéressant dans la perspective de l’interférence des matières narratives, c’est de constater que la matière de Bretagne est encore bien la matière de Bretagne, c’est-à-dire qu’elle n’a pas encore dérivé vers Faerie, qu’elle ne s’est pas encore fondue dans le merveilleux. Cette observation est totalement vraie en ce qui concerne Arthur, comme on le constate clairement dans le passage . . . qui montre le souverain breton quelque peu désorienté lorsqu’il se voit souhaidié, lui, Morgue et vingt mille de ses hommes, à Dunostre»). Je crois qu’il n’y a pas de difficulté ni d’incertitude du statut d’Arthur. Le seul acte original de l’auteur du Roman d’Aubéron est l’introduction d’Arthur dans le royaume de Féerie (ce qui se comprend, vus les liens privilégiés d’Arthur et du merveilleux), mais cela ne suppose pas que la matière de Bretagne s’y intègre avec lui, et les règles de déplacement que connaît la littérature arthurienne continuent à être connues d’Arthur, dont la psychologie n’a pas changé avec son déplacement. On touche ici une autre question générale, que l’A. n’a certes pas éludée dans les réflexions méthodologiques proposées dans son Introduction, mais qui ne m’a néanmoins pas toujours paru réglée dans le cours de son ouvrage. L’ouvrage étudie l’interférence en général, et en décrit soigneusement des réalisations de caractères différents; il le fait cependant toujours en parlant d’interférence de matières. Peut-être aurait-il fallu intégrer comme premier élément de l’analyse des interférences une distinction nette et constante entre rencontres de matières, de fonctions (ainsi quand R. Trachsler parle d’un début «‘en clé arthurienne’», 223), de genres, insertions de personnages et citations de textes. On a l’impression que l’A. a voulu ne parler que de la matière, mais qu’il se sent bien obligé, parfois, d’introduire genres ou fonctions, qui sont alors rattachés un peu abruptement à la notion de matière. Une trace de ceci peut être trouvée dans les nécessaires facilités d’écriture qui permettent à l’adjectif épique de dénoter une matière. Une première approche laisse par exemple croire que dans Tristan de Nanteuil (dont l’appartenance générique et matérielle à la chanson de geste et à la matière de France est absolument claire), c’est l’influence du genre romanesque (portant avec lui la matière de Bretagne) qui crée la possibilité pour Arthur d’apparaître. E. Köhler écrivait que les traditions littéraires s’adaptaient le plus fréquemment selon deux axes: l’élargissement des limites d’un genre existant et la création de Mischgattungen. À sa suite, R. Trachsler pose que «les textes de [son] corpus participent sans doute des deux tendances puisqu’on est indubitablement à la fois en présence d’un genre - la chanson de geste qui s’ouvre à des éléments romanesques - et de l’émergence, de ce fait, d’une sorte de genre (sous-genre, famille) nouveau, qui peut être considéré . . . comme ‘impur’» (164). C’est bien l’intérêt de sa méthode que de permettre de suivre historiquement des lignes d’évolution des genres, c’est-à-dire de les délimiter en les concevant comme des ensembles cohérents. Le statut évidentiel (ou plus exactement d’existant a priori, non des- 325 Besprechungen - Comptes rendus tiné à être établi par la discussion) donné par l’A. à la notion de genre a cette conséquence fâcheuse que l’on perd parfois de vue le problème d’histoire littéraire que son ouvrage aide si bien à mieux comprendre: celui des rapports entre ces objets de l’histoire littéraire que sont les genres littéraires - et que ne sont pas directement les matières. C’est par quelques remarques touchant justement l’histoire littéraire que je terminerai. Ysaÿe le Triste est exceptionnel dans le corpus examiné: il semble que ce soit le seul cas où il y ait réellement matière mixte, et pas seulement matière étrangère appelée par une fonction particulière à laquelle elle est spécialement liée. Mais aussi ce texte est exceptionnel par sa position chronologique tardive. Il semblerait donc que l’interférence des matières narratives, qui est loin d’être seulement tardive, ait fini par se répandre au point d’avoir pu envahir complètement la structure ‘matérielle’ d’un texte. Les remarques conclusives de R. Trachsler à ce sujet (208) montrent que ce roman est très différent de tous les autres textes étudiés; d’un point de vue historique, il n’appartient pas au même groupe et l’on ne devrait pas s’étonner d’observer que ses règles de fonctionnement en sont fondamentalement différentes, également sous l’aspect de l’interférence. Me limitant à la discussion de certains points, j’ai renoncé à relever des exemples de tout ce que l’ouvrage a de neuf, éclairant et intéressant, mais on remarquera que même de courtes parenthèses (comme en 182, sur les fonctions du merveilleux) ou des notes (156, en complément à la thèse de F. Dubost) sont très souvent précieuses. La mise en page est manifestement un travail d’amateur, mais la finition est satisfaisante. Certains renvois (depuis l’index aussi) connaissent un léger décalage dans la pagination. La bibliographie est excellente, et cela fait que le lecteur est très étonné de la grave absence de l’ouvrage de S. Kay 1995: The Chansons de Geste in the age of romance: political fictions, Oxford, dont la prise en considération aurait été du plus grand intérêt. En conclusion, je répéterai le grand intérêt et l’admiration qu’inspirent cet ouvrage dont l’importance est évidente. Y. Greub ★ Finn E. Sinclair, Milk & Blood, gender and genealogy in the «Chanson de Geste», Berne (Peter Lang) 2003, 292 p. Cet ouvrage, publication d’un Ph. D. réalisé à l’Université d’Edimbourg en 1996, s’inscrit dans la lignée des Études Genres anglo-saxonnes et américaines qui, sous l’impulsion de chercheurs comme E. Jane Burns, Simon Gaunt ou Roberta Krueger 1 , s’intéressent depuis une dizaine d’années au rôle et à la représentation de la femme en littérature médiévale. C’est dans les termes suivants que F. E. Sinclair (F. E. S.) définit en quatrième de couverture son livre consacré au personnage maternel dans l’épopée médiévale: «[A] wide-ranging and provocative study on the importance of the mother in the genealogical and social frameworks of the Old French and Occitan chanson de geste». Un tel choix ne manquera pas de nous étonner: exploiter un thème d’apparence aussi contingente dans un corpus qui se signale par la mise en avant des valeurs patriarcales, voilà qui tient de la gageure! Mais F. E. S., qui distingue très nettement les figures maternelles des autres personnages féminins, établit avec une remarquable netteté le rôle crucial de la mère épique. Cette dernière, nous montre-t-elle, doit satisfaire à nombre d’impératifs lignagers afin de préfigurer l’illustration héroïque de ses héritiers. Invoquant au long de son étude des 326 Besprechungen - Comptes rendus 1 Voir en particulier E. J. Burns, Bodytalk: When Women Speak in Old French Literature, Philadelphia 1993; S. Gaunt, Gender and Genre in Medieval French Literature, Cambridge 1995 et R. Krueger, Women Readers and the Ideology of Gender in Old French Romances, Cambridge 1993.
