eJournals Vox Romanica 64/1

Vox Romanica
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0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
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2005
641 Kristol De Stefani

Comment expliquer les toponymes formés en Suisse romande, italienne et romanche avec l’élément lexical latin TRANSVERSU?

121
2005
Éric  Siegrist
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Vox Romanica 64 (2005): 94-109 Comment expliquer les toponymes formés en Suisse romande, italienne et romanche avec l’élément lexical latin TRANSVERSU ? Le cas particulier de Travers (Neuchâtel) 1 Introduction La présente étude cherche à répondre aux problèmes posés jusqu’ici par l’explication du nom de la commune suisse de Travers (Neuchâtel). La difficulté réside dans le fait que ce nom est lié, dès les plus anciennes attestations historiques du village, à celui du Val-de-Travers: 1202 in valle Transversa apud Transversum; 1229 in villa Travers que est sita in valle Traversa. Ce fait a conduit à supposer que le village tire probablement son nom de Valtravers/ Vautravers, nom de la vallée apparu au XI e siècle sous la forme Vallis Traversis et qui signifierait «vallée oblique, transversale [du Jura]» 2 . Mais cette interprétation ne peut plus se défendre et doit sans doute être considérée comme une étymologie populaire. L’usage des parlers romans dans notre région ne permet pas de tenir pour certain que travers est un adjectif qualificatif de Val. En effet, dans les toponymes de l’époque composés avec un nom commun générique et un adjectif le qualifiant, la syntaxe romane tend à placer celui-ci en première position 3 , comme dans Neuchâtel, Hauteville (Fribourg) ou Belmont (Vaud). Aussi avons-nous avec Vaux / Val, dans le canton de Fribourg des toponymes comme Autavaux ( alta) et Prévondavaux ( profunda) ou, dans le Jura bernois, Grandval et Sombeval ( summa) 4 . Et quand c’est le nom commun qui se trouve en tête, le mot qui suit est dans la plupart des cas un nom propre en fonction de déterminant. Il s’agit le plus souvent d’un anthroponyme, comme dans Vaumarcus (Neuchâtel), ou d’un hydronyme, comme dans Pontareuse (Neuchâtel), mais ce peut être aussi un nom de lieu, comme dans Val-de-Ruz (dès 1270 Vault de Ruil), ou Montmagny (Vaud). Du seul point de vue des usages que l’on connaît des parlers romans de l’époque, on devrait donc supposer plutôt que le second élément de Valtravers est bien le toponyme Travers, et non pas un adjectif qualificatif. Cette hypothèse est devenue une quasi-certitude grâce à une découverte faite, il y a quelques années, 1 Nous tenons à remercier ici Wulf Müller, qui a bien voulu relire notre manuscrit. 2 DTS 2005: 880. 3 Dardel 1991: 53, §3.2.2. 4 Müller 2004a: 458, pour qui val désigne alors un endroit précis dans la vallée, choisi comme habitat. 95 Les toponymes formés avec transversu par des historiens. A l’époque carolingienne, en effet, le mot vallis pouvait avoir un sens administratif et désigner une circonscription d’après le nom de son chef-lieu 5 . Or il y a tout lieu d’admettre que ce fut le cas du Val-de-Travers, entité qui fut donc administrée depuis Travers 6 . Dans ces conditions, il est clair que le nom du village n’a pas été emprunté à celui de la vallée. Il faut donc lui trouver une explication spécifique. Une autre raison de l’incertitude sur le sens initial du nom de Travers est d’ordre grammatical. A-t-on affaire à l’adjectif transversus ‘transversal, oblique’, ou à son emploi en locution adverbiale ‘en travers, de travers’? Ou s’agit-il de l’adjectif neutre substantivé transversum pouvant signifier, soit ‘obliquité, déclivité’, soit ‘déviation, chemin de traverse’, soit encore ‘travers, irrégularité, imperfection [d’un endroit]’ 7 ? Ou bien s’agirait-il plutôt d’un déverbal de tra(ns)versare ‘traverser, passer d’un côté à l’autre’? Dans cette situation il nous paraît judicieux de commencer par un examen systématique des toponymes et des noms de terroir du type Travers que l’on rencontre en Suisse dans les trois régions de langue romane. Comme on va le voir, ils sont relativement nombreux, si bien qu’une analyse topographique comparée des lieux qu’ils désignent devrait permettre d’avancer dans la solution du problème étymologique. Suisse romande Notre point de départ est la commune neuchâteloise de Travers. La majeure partie de ce village, laquelle avec l’église et le château est aussi la plus ancienne, est située sur la rive gauche de l’Areuse, à l’endroit où celle-ci vient buter contre le versant nord-ouest du Val-de-Travers. Ce versant, généralement escarpé et boisé, s’ouvre ici en forme de cuvette, laquelle présente un talus productif et habitable exposé au sud-est, avec une inclinaison moyenne de 10 % seulement 8 . Dans le canton de Vaud nous trouvons Les Traverses (district d’Aigle, commune d’Ormont-Dessus). Ce nom ne figure ni dans l’Atlas Siegfried, ni sur la Carte nationale suisse 9 . Les endoits qu’il désigne y sont toutefois facilement repérables grâce au Dictionnaire géographique de la Suisse, qui les décrit comme suit: «1700-1800 m. Série de pâturages avec chalets s’étendant sur le versant méridional de la chaîne du Chaussy. C’est un nom local, . . . qui comprend les alpages de Première, Semeley, La Lex, Le Sasset Plat, La Dix et Marnex; . . . » (DGS 6: 29). 5 Chambon 1999: 73 N77, cité par Müller 2001: 62 et 278 N2; 2004b: 169. 6 Tribolet 2001: 32-33. Müller 2004b: 173-74. 7 Gariel 1935: 524; sens qui n’a guère subsisté en français qu’au figuré. 8 CNS 1163 Travers. Description topographique précise dans DGS 6: 154. Courvoisier 1978: 101: «le village est construit sur un cône de déjection, à la base d’un vallon latéral». 9 CNS 262 Rochers de Naye et 1265 Les Mosses. 96 Éric Siegrist Le DGS cite, par ailleurs, deux endroits au Valais: Itravers ou Y Travers dans le district de Sierre, commune de Grône (DGS 2: 603 et 6: 29) et Draversa ou Traversaz dans le district de Monthey (DGS 6: 29). L’un et l’autre figurent sur les cartes officielles 10 . Itravers est un hameau entouré de prairies, de champs et de forêts à 900 m d’altitude. Il est situé sur une terrasse du versant nord de la Tour de Bonvin. Draversa désigne un talus avec quelques maisons, ainsi qu’une forêt, le long d’un sentier alpestre sur le versant est de la Pointe des Ombrieux, entre 1400 et 1500 m. Dans la partie française du canton de Fribourg, nous trouvons mention de quelques lieux non habités appelés Es Traverses à Enney, Hauteville et Neirivue 11 . Il y a, en outre, un endroit à Châtel-Saint-Denis portant le nom de La Traversière, qui est un dérivé en -aria de transversus. Suisse de langue italienne Au Tessin, les cartes et le DGS indiquent deux endroits habités portant le nom de Traversa. L’un, situé dans le district de Blenio sur le territoire de la nouvelle commune d’Acquarossa, est un hameau avec une chapelle à 680 m d’altitude, au bas du versant sud-est de la montagne qui domine la rive droite du Brenno 12 . L’autre Traversa se trouve dans le district de Mendrisio, commune de Castel San Pietro (autrefois Casima). Il s’agit d’un groupe de chalets et d’un alpage sis à 930 m, sur le versant ouest de la Valle di Muggio 13 . Grâce au Repertorio Toponomastico Ticinese nous avons connaissance, par ailleurs, de toute une série de microtoponymes tessinois répondant au type Travers(a). Les endroits concernés sont très bien décrits et reportés avec une grande précision sur des cartes communales rendant compte de la configuration du terrain. Travèrza, ou la Travèrsa (district de Leventina, commune de Faido) 14 désignent la partie inférieure, couverte de prairies et de nombreuses habitations, d’un ancien cône de déjection, lequel sert de pâturage dans sa partie supérieure. Dans la commune de Comano (district de Lugano), il y a un talus habité et planté de vignes nommé ra Travèrsa 15 . Le district de Vallemaggia connaît trois endroits répondant à un nom du même type: la Travèrsa 16 , sott i Travèrss 17 et i Travèrs 18 . Les deux premiers lieux-dits ap- 10 CNS 273 Montana et 1287 Sierre; CNS 1284 Monthey. 11 Aebischer 1976: 205, pour qui il s’agit de dérivés d’un nom commun travèrsa «poutre», étant supposé qu’il s’agissait de lieux marécageux qu’on passait sur des poutres placées les unes à côté des autres. 12 CNS 1253 Olivone et 266 Valle Leventina. DGS 6: 29. 13 CNS 1373 Mendrisio. DGS 6: 29. 14 RTT Faido 33: 1.19. 15 RTT Comano 99: 3.70. 16 RTT Fusio II 91: 12.2 et 91: 12.3. 17 RTT Fusio I 102: 5.67. 18 RTT Maggia 100: 3.62. 97 Les toponymes formés avec transversu partiennent à la commune de Fusio. Ils désignent un large talus en pente raide bordé d’un précipice, en partie boisé et accessible par un sentier escarpé conduisant à quelques huttes et à un pâturage. Le troisième est le nom d’une colline, avec quelques cabanes abandonnées, sur le territoire de la commune de Maggia. Dans le district de Locarno, la commune d’Onsernone, elle aussi, possède plusieurs endroits nommés de cette façon dans la montagne 19 : I Trevérs est un terrain en pente couvert de prairies, avec quelques cabanes à proximité; i Trevèrs ou Travèrsa est le nom d’une bande de terrain autrefois cultivé, le long de la route montant à un hameau; celui-ci est dominé par un talus appelé al Sass di Trevèrs; Trevèrs, finalement, est un terrain en forte pente au-dessus d’un groupe de chalets. Enfin, sur un sentier escarpé au-dessus du village de Biasca (district de Riviera), il y a une sorte d’abri naturel appelé en dialecte local ol Sprügh Traversa 20 . L’énumération des formes de Travers en langue italienne serait incomplète s’il n’était fait mention encore de la Val Traversagna, qui débouche près de Roveredo dans la Valle Mesolcina et fait partie du district grison de Moesa 21 . Le nom de cette vallée et du torrent qui la parcourt est, en effet, un dérivé de transversus, formé avec le suffixe -aneu 22 , qui lui donne le sens d’appartenance ‘relatif à’. Or il est remarquable de constater que la Traversagna coule, près de cinq kilomètres sur huit, aux pieds d’une succession de pâturages et d’alpages couverts de mayens et accrochés au versant occidental de la chaîne de la Cima Grande. Elle récolte donc les eaux d’une configuration qu’on peut très bien comparer avec Les Traverses (Vaud), la série d’alpages au flanc de la chaîne du Pic Chaussy. Il n’est dès lors pas exclu que ces deux noms procèdent de la même motivation. Suisse de langue romanche Pour le canton des Grisons, nous devons au Rätisches Namenbuch la connaissance d’un nombre fort élevé aussi de microtoponymes dérivés de transversus. Le substantif masculin singulier Travers est dominant en engadinois, la forme Traviers ou Trafiers l’est en sursilvan. Le substantif féminin est représenté par Traversa ou Traverza au singulier et par Traversas ou Traviarsas au pluriel. Contrairement au répertoire tessinois, cependant, le dictionnaire toponymique romanche ne contient pas d’indications sur la topographie des endroits désignés. On peut néanmoins présumer que dans cette région montagneuse, ils doivent dans la règle leur nom à des sites en terrain incliné. Voici un extrait de la liste de ces toponymes. 19 RTT Onsernone 83: 173; 99: 339; 98: 324; 120: 535. 20 RTT Biasca 113: 860. 21 RN II: 346; DGS 6: 29; CNS 1314 Passo San Jorio. 22 Schorta 1988: 142. 98 Éric Siegrist Tarvi(e)rs est une prairie située dans la nouvelle commune de Suraua, district de Lumnezia 23 . Dans le district d’Albula, un ensemble de prairies et de champs près de Riom-Parsonz porte le nom de Trafiers 24 . De même, nous trouvons deux prairies nommées Traviers dans le district de Maloja/ Maloggia, l’une dans la commune de Silvaplana, l’autre dans celle de Sils im Engadin/ Segl 25 . Enfin, Travers désigne une prairie près de Brail (Zernez), dans le district d’Inn, ainsi qu’un bois dans celui de Bernina, sur le territoire de la commune de Poschiavo 26 . Quant au nom de Traversa ou Traverza, au pluriel Traversas, Traviarsas, il apparaît dans pas moins de dix-neuf communes: douze de ces endroits sont des prairies maigres ou des pâturages alpestres, sept sont occupés par des bois ou traversés par un chemin forestier, un seul est un champ et un autre une vigne. Il convient de mentionner pour terminer la prairie maigre Travasogn dans la commune de Vrin 27 , district de Surselva. Ici nous sommes en présence de la forme romanche du dérivé en -aneu de transversus, que nous avons déjà rencontré aux Grisons de langue italienne dans le nom de la Val Traversagna. La configuration du terrain de l’endroit ne nous est pas connue. Mais il faut noter que ce microtoponyme est cité comme un exemple de l’adjectif transversus ‘substantivé en référence à des caractéristiques du lieu désigné’. Celui-ci devrait donc être comparable aux terrains en pente tessinois relevant de cet étymon et décrits par le même auteur 28 . Caractéristiques communes des endroits décrits Comme on le voit, tous les lieux examinés du type Travers se trouvent dans des régions montagneuses, ou du moins accidentées. En Suisse romande et au Tessin il s’agit chaque fois de pentes herbeuses, à flanc de montagne et limitées naturellement par des ravins, des zones inaccessibles ou d’abruptes forêts. Ce sont des endroits intéressants malgré leur déclivité, parce que les habitants de la vallée peuvent y chercher de l’herbe ou y faire paître leur bétail, voire y installer des fromageries ou parfois même créer un hameau.Aux Grisons, les lieux-dits de ce type sont le plus souvent des prairies, qu’il ne faut sans doute pas non plus chercher en terrain plat. Seuls Travers (Neuchâtel) et Traversa (Marolta, Tessin) ajoutent à ces caractéristiques communes la particularité de voisiner un cours d’eau. Travers est, en outre, la seule localité importante, située de plus au bord d’une grande voie de transit. 23 RN I: 69.5. 24 RN I: 206.8. 25 RN I: 441.12 et 446.14. 26 RN I: 413.14 et 455.23. 27 RN I: 60.10; Vassere 1996: 1445b, §3.2. 28 Voir les lieux auxquels renvoient les notes 16 à 20. 99 Les toponymes formés avec transversu Étymologies proposées Les plu‘s anciennes propositions que nous avons rencontrées concernent la toponymie de la France, où le nom de Travers(e) désigne également de nombreux endroits, très souvent habités 29 . Ainsi Gröhler 1933: 144 interprétait ce nom dans le sens de camminus transversus ‘chemin de traverse, qui raccourcit’. Pour Vincent 1937: 213, les noms de lieux La Traverse, La Traversa reflètent les noms communs travers, traverse et signifient ‘passage, col, ou passage d’eau’. De son côté, Gros 1973 ( 1 1935): 474 a interprété les noms savoisiens d’un lieu-dit Le Travers et de trois hameaux La Traverse (l’un cité au début du XII e siècle: la Traversa, in Traversia), comme provenant de via transversa ‘chemin qui va au travers d’un territoire’. Trente ans plus tard, Wartburg (FEW 13/ 2: 224b et 227a N19) mentionne à l’article transversus ‘en, ou de travers’ plusieurs noms communs recueillis dans des régions montagneuses de France et caractérisant des aspects du terrain: traver (Morvan) ‘escarpement, pente abrupte’; travé (Dauphiné) ‘pente, colline’; trobèrs (Aveyron) ‘pente raide’. Il en déduit que les toponymes Travers et Traverse signifient ‘Berghang’, soit ‘flanc de coteau’. Selon lui les étymologies ‘chemin de traverse’ et ‘passage, col, passage d’eau’ sont donc à rejeter. Pour Barral 1988: 107 également, dans les parlers du Mont Beuvray (Saône-et-Loire, Nièvre), le nom commun travers désigne ‘une pente abrupte, une descente rapide, un escarpement’ et fournit l’explication des microtoponymes locaux, par exemple Les Travers, Sur le Travers, Champ du Travers, Le Travers du Grand Bois. L’opinion dominante depuis une quarantaine d’années est donc que les (micro)toponymes (Le[s]) Travers, comme aussi leurs variantes au féminin, ont le même sens que le nom commun le travers, qui désigne un terrain en pente. Ils signifient donc ‘[prairie, champ, hameau, village] à flanc de coteau’. Il faut reconnaître que cette dernière étymologie répond parfaitement aux caractéristiques de tous les lieux du type Travers(e) décrits en Suisse romande et italienne, comme sans doute aussi de ceux nommés, sans précisions topographiques, en terre romanche. Il n’est donc pas étonnant qu’elle figure aussi bien dans le RTT 30 , où elle est exprimée par ‘obliquo’, que dans le dictionnaire toponymique romanche 31 et chez Schorta 1988: 142, où nous lisons ‘quer, schräg, schief’, c’est-àdire ‘en travers, oblique, incliné’, ce qui n’évoque guère des lieux en terrain plat. Il s’ensuit que pour des sites montagneux on devrait pouvoir rejeter, dans la règle, les étymologies de transversus essentiellement valables en plaine, telles que ‘[champ, prairie] de travers’, ‘[bois, village] en travers’, de même que celles fondées sur le nom commun la traverse, par exemple ‘chemin de traverse’ ou ‘[passage sur 29 Voir, par exemple en Ardèche, Charrié 1979: 350: Le(s) Travers pour sept hameaux, sept mas ou fermes et un bois; Les Traverses pour huit hameaux, trois mas ou fermes et cinq ruisseaux. 30 RTT Maggia 100: 3.62. 31 RN 2: 346. Voir aussi REW 8860: «quer, schief, engad. traviers, frz., prov. travers». 100 Éric Siegrist des] traverses, poutres’ 32 . En revanche, à la montagne non plus, on ne saurait exclure d’emblée une étymologie fondée sur un déverbal de tra(ns)versare ‘traverser, passer d’un côté à l’autre’, en patois neuchâtelois traversi (FEW 13/ 2: 218b; REW 8859). Effectivement, cette hypothèse nous retiendra encore à propos de deux localités décrites dans notre inventaire, qui voisinent un cours d’eau. Il est très intéressant de constater à cette occasion que dans nos régions montagneuses, la toponymie comprend des noms se rattachant à chacune des trois configurations de terrain qu’on peut y rencontrer: la paroi ou pente quasi verticale, le talus plus ou moins incliné, ou l’absence de pente. Le DTS offre plusieurs exemples de ces trois types de sites. Ainsi, l’adjectif latin directu ‘droit, abrupt, escarpé, vertical’ est caché, par exemple, dans les noms de Rechthalten / Dirlaret (Fribourg) et de Treiten / Treiteron ou Tréteron (Berne; DTS 2005: 729 et 880). Le substantif latin planum / plana ‘petit plateau ou esplanade à mi-côte ou sur une hauteur, replat’, ou l’adjectif planu ‘plat’ ont formé le nom de Plaffeien / Planfayon (Fribourg), ainsi que celui de Brot-Plamboz (Neuchâtel) et de son synonyme grison Silvaplana (DTS 2005: 705, 191 et 834). C’est entre ces deux extrêmes enfin que se situent les lieux dont le nom contient l’adjectif latin transversu ‘oblique, incliné, en pente’. On ne peut pas exclure, à ce stade, que le village de Travers (Neuchâtel) soit l’un d’eux. Traversa (Acquarossa, Blenio): «lieu où l’on traverse un cours d’eau»? Les éditions successives de la feuille 504 de l’Atlas Siegfried nous offrent littéralement le film de la naissance du nom de l’actuel hameau de Traversa (Tessin). En 1872 et 1881, la carte n’indique que trois petites constructions au bas de la pente, un peu au nord du ruisseau, donc quelques mètres au-dessus de celui-ci. L’altitude indiquée (sans doute au point où la route d’accès au groupe d’habitations traverse le petit torrent) est de 681 m. Aucun nom ne figure à cet endroit. En 1907 le nom de Traversa apparaît pour la première fois, imprimé en travers du talus qui domine le ruisseau. Il est placé à côté d’une chapelle, pas indiquée non plus jusqu’alors, sise au-dessus des maisons, à l’endroit où la route monte d’un côté à Marolta (793 m) et de l’autre à Ponto Valentino. Le talus est occupé plus à l’est par un groupe de quelques nouvelles constructions. L’édition 2001/ 2004 de la CNS 33 n’ajoute que trois nouveaux bâtiments au bord de la route, mais cette fois-ci au sud du torrent, à l’altitude de 679 m. Que peut-on conclure de cette évolution? Traversa a tout l’air d’être à l’origine le nom de terroir donné au talus dominé par Marolta. Il a dû muter en nom de lieu au début du XX e siècle pour désigner le hameau créé dans la partie inférieure de ce talus, d’où son apparition sur la carte. Il paraît donc exclu de vouloir interpré- 32 Cf. la N11. 33 CNS 1253 Olivone. 101 Les toponymes formés avec transversu ter ce toponyme par «lieu où l’on traverse le torrent». Il désigne bien un «lieu à flanc de coteau». Travers (Neuchâtel): y a-t-il d’autres explications que «village à flanc de coteau»? Ici, l’explication fondée sur la position du lieu en terrain incliné ne peut certainement pas être écartée sans autre 34 . Elle correspond trop manifestement aux caractéristiques des endroits du type Travers que nous avons rencontrés en grand nombre en terre romane: pentes herbeuses accessibles au flanc de la montagne, où l’on peut faire paître du bétail, voire s’établir, produire du lait, fabriquer du fromage et exploiter les bois environnants. C’est, en quelque sorte, l’étymologie courante. Mais il faut reconnaître par ailleurs que Travers constitue, parmi tous les lieux examinés, un cas bien particulier. Dans l’aire toponymique étudiée, c’est l’endroit situé le plus au nord, le seul qui soit devenu un village, placé par surcroît au bord d’une rivière et d’une antique route de transit. Et son nom - un des rares de ce type dans l’arc jurassien 35 - remonte au haut Moyen Âge et a même été emprunté par la vallée à son chef-lieu à l’époque carolingienne. Quelle carrière pour un simple «lieu à flanc de coteau»! Ne convient-il pas, dès lors, de se demander s’il n’existe pas quelque autre façon d’expliquer le nom de ce lieu si particulier? Et de fait, la présence, aux pieds de l’église et du château, d’un remarquable et vénérable pont de pierre sur l’Areuse est le signe que l’on se trouve à un très ancien point de passage de la rivière. Cette circonstance pourrait avoir fourni le thème d’autres motivations du toponyme. Lesquelles? Une première variante serait de reconsidérer sous un autre angle la proposition «chemin de traverse» 36 , c’est-à-dire chemin secondaire, plus direct que la grandroute. Celle-ci est représentée ici par la «route de France», qui suit depuis l’Antiquité la rive gauche de l’Areuse. Effectivement, à propos d’un pont cité en 1525 déjà, une chronique affirme qu’au XVIe siècle une crue fit monter l’eau jusqu’au parapet, «obligeant les passants à gagner Môtiers par la rive gauche de la rivière» 37 . Cela paraît signifier qu’on préférait, à l’époque, emprunter la rive droite pour aller à Môtiers et qu’en traversant le pont on prenait un chemin de traverse, un raccourci. Toutefois, il faut reconnaître que cette possibilité n’a pu se présenter que 34 Elle est même la seule admise pour Travers par le FEW 13/ 2: 227a, N19 ad 224b. 35 On peut encore citer L’Étravers, hameau dominant le Défilé d’Entreroche près de Morteau (Doubs). 36 Gröhler 1933: 144. 37 Courvoisier 1968: 19-20. La date de 1525 peut aujourd’hui être reculée à 1372 (Châtelain en préparation: 119). 102 Éric Siegrist bien après que la localité, donc le nom même de Travers, aient été créés. Elle ne saurait donc servir à expliquer notre toponyme. Une autre hypothèse, seule alternative paraissant se présenter, serait une étymologie recourant au verbe latin tra(ns)versare ‘traverser, passer d’un côté à l’autre’. Dans cette acception du terme, tra(ns)versum Travers pourrait alors signifier ‘lieu où l’on traversait l’Areuse, sur un pont ou à gué’ 38 . Il semble cependant qu’à l’époque littéraire, transversare faisait appel à la notion de distance à parcourir pour aller d’un bout, ou d’un côté à l’autre d’un espace. C’est le sens qui apparaît dans la locution attribuée à Cicéron transverso ambulans foro ‘se promenant à travers la place publique’, sens qui a passé en français, ainsi quand on dit ‘traverser un pays, la mer, etc.’ (FEW 13/ 2: 218b), ou bien ‘l’Areuse traverse le Val-de-Travers’. Pour exprimer le franchissement d’un objet, disons ‘de type linéaire’, où l’accent est mis sur l’action de traverser et non pas sur la distance à parcourir, le latin classique paraît avoir utilisé plutôt le verbe transire: transire Alpes, Euphratem; flumen transitur (LLD: 1207). Toutefois, le latin populaire traversare semble bien avoir repris et transmis la fonction de transire. En effet, il existe un diplôme du roi de France carolingien Louis IV, daté de l’an 936, qui désigne par tra(ns)versum un ‘gué’. Puis entre 1079 et 1190, le même vocable apparaît dans des diplômes des rois de France Philippe I er et Philippe-Auguste, ainsi que dans divers cartulaires, avec le sens de ‘péage fluvial, droit de passage’ 39 . Parallèlement, le terme de traversus, -i et le mot travers sont utilisés, dans une série de chartes et de cartulaires dressés entre le début du XI e et le milieu du XIV e siècle, avec la signification de ‘droit de travers’, donc ‘taxe de passage’, notamment à propos de la navigation fluviale 40 . Enfin dans deux épîtres du pape Innocent III (1198-1216) on trouve le terme de tra(ns)versarius avec le sens de ‘péagier’ 41 . Au vu de cette évolution du sens donné aux déverbaux de tra(ns)versare dès avant l’an 1000 déjà, la proposition d’étymologie ‘lieu où l’on traversait l’Areuse, sur un pont ou à gué’ doit naturellement être retenue. De fait, Travers est le premier village, au bas de la vallée, où l’on peut passer d’une rive à l’autre tout à côté 38 Müller 2004b: 174; 2005. 39 MLL 2002: 2, 1357. Mêmes étymologies dans LLMA 1986: 925 et 926. Voir aussi DC 8: 160c: 1124 «concedo pedagium, quod dicitur transversum». 40 DC 8: 160c: 1358 «frans et quittes au travers de l’Isle Adam, soit en montant et avalant, par dessus ou par dessous le pont de ladite ville». Voir encore FEW 13/ 2: 219b: 1213travers «droit qu’on paie pour le passage». 41 LLMA 1986: 926. Voir aussi DC 8: 160c, où l’on trouve la définition «exactor transversi, vulgo traversier». Le mot traversarius «péagier» explique sans doute aussi le nom des Traversari(i) de Ravenne et celui du bourg de Traversara (Émilie, Italie), dont le château de la fin du IX e siècle fut le berceau de cette illustre famille. En effet, ce lieu contrôlait la route de Ravenne à Bologne à l’endroit précis où elle franchit le ravin de la rivière Lamone. Il est difficile d’expliquer ce couple de noms propres autrement que par la possibilité de traverser le cours d’eau à cet endroit stratégique, sans parler de celle, pour le seigneur, de prélever un péage. 103 Les toponymes formés avec transversu de la grande voie de transit. En effet, celui de Noiraigue, situé à plus de 100 m audessous de la route à l’endroit où elle franchit la Clusette, n’a pas cet avantage. Mais pour pouvoir s’imposer comme motivation du toponyme, ce passage devait être, comme dans le cas de Traversara (décrit à la note 41), d’une utilité toute particulière. Comment pourrait-elle s’expliquer? Examinons pour commencer les cartes. Sur les plus anciennes, datant des XVIII e et XIX e siècles, dues à de Merveilleux, Seutter, de l’Isle, Clermont et d’Osterwald, la «Route de France» par le «Trou de Bourgogne» suit toujours, jusqu’à St-Sulpice, la rive escarpée gauche de l’Areuse. En direction de Môtiers elle bifurque, comme aujourd’hui encore, à Couvet. La raison d’être de notre pont n’a donc manifestement jamais été de relier Travers à Couvet par la rive droite, où l’on cherche vainement une route digne de ce nom 42 . En regardant la plus ancienne vue connue de Travers (vers 1583), attribuée à Guillaume Massonde, on constate que le pont servait alors essentiellement à relier le village au groupe de maisons de l’autre côté. Il ne devait y avoir au-delà que le chemin de traverse évoqué plus haut, ainsi que des chemins vicinaux permettant d’exploiter les prairies et les bois de la rive opposée. Cela ne suffit donc guère à expliquer le nom de Travers par «lieu où l’on traverse la rivière». Il semble, toutefois, qu’il n’y ait pas lieu d’en rester à ce constat négatif. En effet, Müller a également attiré l’attention, dans ce contexte, sur le nom de terroir Fin de Port, indiqué sur la carte un peu au sud de Midi du Pont 43 . Ce nom serait le signe qu’avait existé là, dans un lointain passé, un lieu de déchargement de marchandises transportées sur l’Areuse. Du coup, le passage de la rivière à Travers revêtirait une telle importance, qu’il aurait fort bien pu motiver le toponyme. En effet, à supposer que de tels déchargements se soient faits à un lieu-dit Port sur la rive droite 44 , la traversée de la rivière à cet endroit devenait une opération nécessaire pour transborder ces marchandises de la voie fluviale à la «Route de France». Mais peut-on imaginer que l’Areuse se soit prêtée, dans un lointain passé, à la circulation de chalands? Il importe de signaler en premier lieu que des découvertes archéologiques faites à Châtillon-sur-Glâne (Fribourg) et près du Vully, sur la Broye 45 , ont prouvé le rapport local existant entre des microtoponymes tels que Port, Prés du Port, Fin du Port et d’anciennes installations portuaires pouvant remonter jusqu’à l’époque celtique. Les noms de Port et de Fin de Port documentés à Travers sont donc de sérieux indices qu’à une certaine époque l’Areuse était navigable. Un niveau de la rivière plus élevé qu’actuellement expliquerait sans doute aussi le nom de Rosières, hameau aujourd’hui éloigné d’elle de plus de 300 m. Ce toponyme, qui date 42 CNS 1163 Travers. 43 Müller 2003a; 2004b: 174; cf. aussi la Notule de W. Müller à la fin de cet article. 44 Port est mentionné plusieurs fois, avec ou sans noms de personnes, en 1372 (Châtelain en préparation: 110, 122, 128). L’endroit est en pente douce, au contraire de la rive gauche où l’Areuse vient buter contre un crêt. 45 Schwab 2004: 68. 104 Éric Siegrist du haut Moyen Âge parce qu’il est dépourvu d’article, signifie en effet ‘lieu couvert de roseaux’. Il faut se rappeler ensuite qu’après le retrait du glacier du Rhône, le Val-de-Travers fut occupé par un lac allant de Buttes et de Saint-Sulpice à Noiraigue, où il était retenu par un énorme barrage de moraines glacières et d’éboulis (DGS 6: 156). Son niveau initial, à 800 m d’altitude environ, s’est abaissé au cours des millénaires par suite de l’usure du barrage, tandis que le remplissage dû aux alluvions contribuait à réduire sa profondeur. Il est permis d’admettre qu’aux premiers siècles de notre ère il subsistait, sinon un lac continu, du moins des plans d’eau et des passages d’une profondeur suffisante pour offrir, entre Fleurier et Travers, une alternative bienvenue au transport terrestre le long des talus de la rive gauche, entrecoupés de ruisseaux et souvent escarpés. On a d’autre part pu démontrer que des cours d’eau actuellement non navigables, l’étaient parfaitement à l’époque romaine et au haut Moyen Âge. Une profondeur d’un mètre seulement permettait déjà le transport de lourdes charges sur d’assez gros chalands (Kortüm 1995: 30-31). Il est notoire enfin que le Val-de-Travers a servi, dès l’âge du fer, de passage à la route internationale du sel qui reliait - par Salins-les-Bains, Pontarlier et les trois lacs - la Saône au Plateau suisse (Brun 1992: 195). Comme les recherches archéologiques et toponymiques l’ont prouvé, la vallée a été parcourue et peuplée depuis des temps reculés. Ainsi les noms de l’Areuse, de l’Ubena et du Sucre sont préhistoriques. Celui de Meudon (Les Verrières) désigne un lieu fortifié celtique. Une remarquable fibule datant de l’époque de La Tène a été trouvée à Champ-du- Moulin (Rochefort) (Kaenel 1992: 211). L’existence d’un établissement gallo-romain près de l’ancien prieuré de Môtiers a été révélée par la découverte d’une autre fibule et de débris de céramique remontant au I er siècle (Bujard 2001: 16). Des monnaies, ainsi que les anthroponymes latins contenus dans Fleurier ( Florius) et Brot-Dessous ( Brocchus), sont d’autres souvenirs encore des Romains. En conséquence, l’hypothèse que des marchandises en transit étaient transbordées à Travers au haut Moyen Âge et que ce toponyme a été motivé par la traversée facile de l’Areuse à cet endroit, est plausible tant des points de vue linguistique et géologique, qu’au vu des découvertes faites ailleurs par les archéologues. En revanche, la question de savoir si le nom de Travers, formé à partir du verbe tra(ns)versare, était à l’origine celui d’un lieu-dit désignant ce passage (gué ou pont), ou provient d’un ‘droit de travers’ qu’on aurait prélevé à cet endroit, paraît devoir rester ouverte. Jusqu’ici en effet, les historiens n’ont pas cru pouvoir affirmer que l’unité administrative carolingienne du Val-de-Travers comportait un fisc royal (Tribolet 2001: 33). On peut cependant supposer qu’il existait déjà des péages du genre de ceux qui sont attestés plus tard dans des documents du Moyen Âge 46 , notamment sur le sel. Dans ce cas, il est plus que probable qu’on 46 En 1237, par exemple, un diplôme réserve à Jean de Bourgogne le péage du Vautravers, donné en fief à Berthold de Neuchâtel, lequel, en 1247, se défend d’avoir usurpé ce droit (Matile 1842-48: 92 et 106). 105 Les toponymes formés avec transversu en percevait à Travers, vu la situation extrêmement favorable du lieu. Mais il serait hasardeux d’affirmer qu’ils sont à l’origine du toponyme. Car on peut soutenir que l’homme avait un motif de nommer ce lieu d’après la possibilité qu’on y a de traverser l’Areuse, avant que l’idée lui vienne d’y prélever un droit. Il semble d’ailleurs exister une double parenté de sens entre tra(ns)versum et portum: ce dernier, expliqué jusqu’ici par ‘lieu de déchargement sur un cours d’eau’, aurait pu avoir aussi le sens de ‘lieu où l’on passe une rivière’ 47 , ou même celui de ‘lieu de perception fiscale à l’époque mérovingienne, voire romaine’ (Müller 2003b). Nous pouvons donc conclure que l’étymologie nouvellement proposée pour Travers, ‘lieu où l’on traversait l’Areuse, sur un pont ou à gué’, est aussi valable que l’explication ‘endroit à flanc de coteau’ communément admise pour les toponymes montagneux de ce type en Suisse romane et dans des régions comparables de la France. Aurions-nous des raisons de préférer l’une à l’autre? Nous sommes tentés de répondre par l’affirmative en faveur de Travers, déverbal de lat. tra(ns)versare, ‘lieu où l’on traverse l’Areuse’. En effet, la circulation précède d’ordinaire l’établissement: ainsi les hommes ont certainement emprunté le passage du Val-de-Travers pour leurs besoins d’échanges, avant de choisir des endroits de la vallée leur permettant d’y vivre de la terre et du bétail. Il est d’ailleurs significatif que l’église occupe depuis l’origine le crêt dominant le pont et la «Route de France» sur la rive gauche. Sur cette hauteur, nommée autrefois en Costel, se trouvait aussi la demeure des seigneurs de Travers, marquée depuis le XVI e siècle par le château actuel. Et l’on peut supposer qu’au haut Moyen Âge ce même endroit fut le siège de l’administration carolingienne de la vallée. Tout porte donc à croire que Travers et son nom sont dus à la possibilité exceptionnelle, pour le transit, de passer ici de la voie fluviale à la route et vice-versa. L’archéologie et la toponymie nous paraissent devoir être en mesure de contribuer à renforcer encore cette hypothèse. La première pourrait tenter de trouver des traces du lieu de déchargement qui se cache dans le nom du lieu-dit Fin de Port sur la rive droite de l’Areuse. Rappelons que cela a été fait avec succès ailleurs en Suisse et à l’étranger sur la base de l’élément lexical latin portum (cf. Schwab 2004 et Kortüm 1995) contenu dans des microtoponymes. Par ailleurs, une étude du pont et une investigation des rives à sa hauteur révèleraient peut-être des constructions antérieures ou pourraient donner lieu à des trouvailles de monnaies ou d’autres objets antiques qu’on ne serait pas étonné de découvrir en un lieu de passage de pareille importance et ancienneté. Les toponymistes, de leur côté, pourraient étudier systématiquement les noms des lieux-dits bordant l’Areuse en aval de Fleurier, afin de tenter d’esquisser les rives atteintes par le cours d’eau au haut Moyen Âge. Un travail analogue a été fait pour reconstituer le périmètre du lac de Tuggen (Schwyz), qui constituait un prolongement du lac supérieur de Zurich vers l’an 800 (Tanner 1977: 62-69 et car- 47 FEW 9: 227-28, qui attire l’attention sur le rapport de lat. portus avec all. Furt ‘gué’. 106 Éric Siegrist te n° 2, p. 81). Un coup d’œil sur les cartes 48 livre déjà quelques indices dans ce sens. Dans la plaine en aval de Couvet, en effet, des noms comme La Léchère ( lat. liscaria ‘lieu couvert de laîches’) et Le Loclat ( lat. lacusculu) pourraient être des souvenirs d’un plan d’eau plus étendu et aider à renforcer l’hypothèse d’un lieu de déchargement près de Fin de Port. En conclusion, il ne devrait pas être téméraire de présumer que l’étymologie ‘lieu où l’on traverse la rivière’ s’imposera un jour comme étant la seule à retenir pour le village de Travers (Neuchâtel). Zurich Éric Siegrist Abréviations CNS = Carte nationale de la Suisse, 1 : 50000 (n° 205-97), 1 : 25000 (n° 1011-1374), Wabern DGS = Knapp, C. et al. (ed.) 1902-10: Dictionnaire géographique de la Suisse, 6 vol., Neuchâtel DC = Favre, L. (ed.) 1883-87: Glossarium mediae et infimae latinitatis conditum a Carolo du Fresne, domino Du Cange, 10 vol., Niort DTS = Kristol, A. et al. 2005: Dictionnaire toponymique des communes suisses. Lexikon der schweizerischen Gemeindenamen. Dizionario toponomico dei comuni svizzeri, Frauenfeld/ Lausanne FEW = Wartburg, W. von 1928-2002: Französisches etymologisches Wörterbuch. Eine Darstellung des galloromanischen Sprachschatzes, Bonn/ Leipzig/ Basel LLD = Pertsch, E. 1999: Langenscheidts grosses Schulwörterbuch Lateinisch-Deutsch, Berlin LLMA = Blaise, A. 1986: Lexicon Latinitatis medii aevi praesertim ad res ecclesiasticas investigandas pertinens. Dictionnaire latin-français des auteurs du Moyen-Âge, Turnhout MLL = Niermeyer, J. 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Le nom de personne Rolin fil Jehaneta de Port (n° 122) nous indique que le lieu nommé Port a été un repère important dans la vie villageoise de sorte qu’il a pu entrer comme signe distinctif dans cet anthroponyme. La même désignation revient avec Janneta feme Rolin de Port (n° 128). L’épouse de Rolin de Port a donc donné naissance à un fils appelé également Rolin de Port d’après son père. Ce lieu-dit s’est apparemment perdu dans l’usage oral de sorte qu’il n’a pas été consigné au cadastre du XIX e siècle. Après la disparition du point de décharge, on a remplacé ce microtoponyme par Midi du Pont. Fort heureusement, le lieu-dit Fin de Port a survécu au cadastre et nous permet ainsi de situer l’ancien nom de Port sur la rive droite de l’Areuse un peu en amont du pont. Au fait, la Fin de Port occupe deux importantes parcelles situées dans la pente à une petite distance de l’Areuse. Du reste, le pont existait déjà en 1372 puisque Rolin d’enczon le Pont (n° 119) habitait apparemment au haut du pont. Sa construction a sans doute été rendue nécessaire de bonne heure à cause de la profondeur et du courant des eaux. 49 Directeur de la recherche: Jean-Daniel Morerod. La transcription a été effectuée par Thierry Châtelain. Il s’agit de documents conservés aux Archives de l’État de Neuchâtel. 50 Cf. R. Scheurer, «Les premières reconnaissances dans les territoires de l’actuel canton de Neuchâtel (fin XIII e siècle - milieu XV e siècle)», in: Dialectologie, histoire et folklore. Mélanges offerts à Ernest Schüle pour son 70 e anniversaire, Berne 1983: 257. 109 Les toponymes formés avec transversu Si nous nous reportons à la reconnaissance d’environ 1338-39 51 , nous découvrons que là aussi Port apparaît plusieurs fois: par ex. Willermus de Por, in Fine de Por. Il en est de même du pont: supra le pont, Michel dou Pont, etc. Neuchâtel Wulf Müller 51 Scheurer 1983: 256. Cote des Archives de l’État: G 11 n° 23.