eJournals Vox Romanica 64/1

Vox Romanica
vox
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2941-0916
Francke Verlag Tübingen
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2005
641 Kristol De Stefani

Lydie Louison, De Jean Renart à Jean Maillart. Les romans de style gothique, Paris (Champion) 2004, 1007 p. (Nouvelle Bibliothèque du Moyen Âge 69)

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Marion  Uhlig
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Lydie Louison, De Jean Renart à Jean Maillart. Les romans de style gothique, Paris (Champion) 2004, 1007 p. (Nouvelle Bibliothèque du Moyen Âge 69) L’ouvrage de Lydie Louison (L. L.) reprend l’analyse d’un corpus de neuf romans jusqu’à présent qualifiés de «réalistes» et propose d’en redéfinir la spécificité dans la perspective du «tournant historique de 1200». Ainsi baptisée par les historiens, cette période de mutations socioculturelles et économiques est sous-tendue par un contexte philosophique particulier, marqué par la redécouverte des textes d’Aristote et le recul du néoplatonisme chrétien. La notion de «réalisme», appliquée à un courant romanesque qui s’épanouit de la fin du XII e au début du XIV e siècle, a soulevé de longue date les réticences des critiques. Le prétendu réalisme des œuvres médiévales d’imagination suscite en effet la méfiance, et les précautions oratoires d’usage parmi les commentateurs modernes en disent long sur le rejet d’une telle appellation. Si les médiévistes continuent, faute de mieux, à employer cet intitulé problématique pour distinguer un ensemble de récits non-arthuriens en vers, ils ne manquent pas d’en assortir chaque occurrence de guillemets protecteurs. Car aucune autre dénomination n’est encore parvenue à désigner de façon plus satisfaisante le corpus constitué de L’Escoufle et du Guillaume de Dole de Jean Renart, du Roman de la Violette de Gerbert de Montreuil, de la Manekine et de Jehan et Blonde de Philippe de Rémy, de Galeran de Bretagne de Renaut, de Joufroi de Poitiers, du Roman du comte d’Anjou de Jehan Maillart ou du Roman du chastelain de Couci et de la dame de Fayel. Pour pallier ce manque, L. L. étudie sous un angle nouveau les spécificités de ces ouvrages, qui entretiennent des liens manifestes avec la veine arthurienne, mais se caractérisent par une attention particulière portée à la représentation de la réalité. Les principales affinités liant les neuf textes sont bien connues; elles résident notamment dans la propension à reproduire le réel, par la peinture des faits de civilisation, le dynamisme des déplacements, la toponymie historique ou la rationalisation de la matière folklorique. Or, l’auteure se fonde sur ces critères communs pour soumettre une hypothèse audacieuse: postulant la convergence des domaines du savoir, à l’aube du XIII e siècle, elle envisage le courant littéraire dit «réaliste» comme l’une des manifestations attestant l’évolution de l’art roman vers une esthétique gothique 1 . Elle propose ainsi de rebaptiser «romans gothiques» les neuf témoins du corpus, à titre d’illustrations exemplaires de ce renouveau artistique. La démarche de L. L. consiste avant tout à éprouver, en littérature, la pertinence d’une terminologie avérée dans l’architecture et dans les arts. La spécificité de cet ouvrage réside donc dans ses prémisses méthodologiques: d’une part, l’auteure identifie les structures émergentes d’une «technique gothique» (21), à partir du contexte historique et artistique, puis par l’analyse des représentations spatio-temporelles au sein des textes; d’autre part, fidèle à une idéologie progressiste, elle mesure en termes de perfectionnement et de rénovation l’écart qui sépare ces romans de la production romanesque du XII e siècle. Avant de poursuivre, donnons un aperçu des contenus de cette étude aux dimensions monumentales. Le chapitre I, Prolégomènes à l’analyse du réalisme gothique (23-180), dresse un panorama du développement socioculturel du premier XIII e siècle, en vue de déterminer les conditions d’apparition du courant artistique gothique. L’auteure évoque en premier lieu les progrès socioéconomiques du siècle naissant en matière de commerce et d’urbanisation. En second lieu, elle décrit le bouleversement philosophique et religieux subséquent à la redécouverte de l’aristotélisme, et commente son retentissement sur les arts. Le constat d’un éveil commun aux différentes manifestations culturelles incite L. L. à asso- 302 Besprechungen - Comptes rendus 1 Cette distinction entre esthétique romane et esthétique gothique, en littérature, se situe dans le prolongement des articles de P. Zumthor, «‹Roman› et ‹gothique›: deux aspects de la poésie médiévale», Mélanges Italo Siciliano, II, Florence 1966: 1223-34 et «Entre deux esthétiques: Adam de la Halle», Mélanges Jean Frappier, II, Genève 1970: 1155-71. cier la production littéraire à l’élan de rationalité et d’anthropocentrisme qui anime les autres formes artistiques. Pour signifier son adhésion à cette conception globalisante du progrès, l’auteure n’hésite pas emprunter un lexique propre au registre architectural pour décrire les romans du corpus. Alléguant les travaux de E. Panofsky (Architecture gothique et pensée scolastique, Paris 1967) et de W. Noomen («Roman et gothique: mirage stylistique ou réalité structurale», Het Franse Boek 39 [1969]: 14-21), elle analyse en termes de «croisée d’ogive», d’«arc-boutant» ou de «percements de murs porteurs» (58) l’art gothique tel qu’il apparaît dans les genres littéraires (58-180). La notion clé est l’ouverture. Selon l’auteure, ce terme subsume l’ensemble de la production écrite du XIII e au XIV e siècle sous un même mouvement de transition, conduisant d’un style roman «symbolique, stéréotypé et clos» (182) à une esthétique gothique qui accorde plus d’attention à la réalité concrète. Après ces très larges préambules, L. L. recherche dans les textes les traces d’un tel bouleversement des mentalités, par l’analyse des structures spatiales et temporelles. Le chapitre II, La représentation gothique de l’espace et du temps (181-406), étudie les chronotopes romanesques, en vue d’établir un modèle commun aux neuf romans qui, le cas échéant, pourraient recevoir l’appellation de «gothiques». L. L. constate en premier lieu le «décloisonnement» (184) de l’espace qui tend à distinguer les univers littéraires gothiques des lieux mythiques de l’écriture romane. Le symbolisme de cette dernière, dit-elle, est abandonné au profit d’une illusion référentielle perceptible dans la topographie réaliste, la mise en scène de personnages historiques et les déplacements des protagonistes au cœur d’un univers balisé et largement fréquenté (182-278). La seconde partie du chapitre est consacrée à la temporalité. L’auteure commente l’évolution de la perception du temps en littérature, et l’appréhende dans la perspective d’une «temporalité romane théocentrique» (290) cédant le pas à une «temporalité gothique anthropocentrique» (290), inspirée de la réalité contemporaine et centrée sur l’individu (289-396). Le constat de ces changements conduit l’auteure à examiner les choix énonciatif, narratif, dialogique, descriptif et stylistique privilégiés par les neuf romans. L’étude de ces «procédés esthétiques gothiques», qui fait l’objet du chapitre III (407-663), cherche à illustrer l’idée que toutes les composantes de l’écriture romanesque sont tributaires de la même mutation ontologique 2 . L. L. introduit à cet effet la notion de «nivellement tonal» (613), centrale dans l’ouvrage, pour montrer que ces procédés participent d’un effort général visant à atténuer l’emphase. Des tableaux et des graphiques, dans le corps du texte et en annexe, complètent le propos en inventoriant les «discours et leurs différents styles de transcription» (496), les focalisations (519 et 931-33) ou encore les sommaires (929-30). Cette «détonalisation» (620) caractéristique des «romans gothiques» est également perceptible sur le plan thématique, explique l’auteure, dans le processus de décentrement qui détourne l’attention du lecteur du seul héros au profit d’actants multiples, ou encore dans l’aplanissement manifeste de l’aventure «merveilleuse», remplacée par des événements plus vraisemblables et plus banals (539-645). Le dernier chapitre, «L’ouverture et la ‹senefiance› des romans gothiques» (665-891), propose une synthèse des études littéraires consacrées aux romans «réalistes». Il aborde les questions de l’intertexte et du «mé- 303 Besprechungen - Comptes rendus 2 Au début du chapitre, l’auteure se contredit lorsqu’elle commente le rapport des romanciers avec leurs sources. Dans un premier temps, elle explique en effet que seuls Jean Renart et Jehan Maillart admettent avoir composé leurs récits à partir d’une matière préexistante, un vieux conte dans le cas du premier, une histoire transmise par le destinataire, pour le second. Pour le reste, conclut-elle, «les romanciers gothiques taisent leurs sources et ne font pas la moindre allusion aux hypotextes, modèles ou contre-modèles qu’ils ont utilisés» (422). Mais plus loin, L. L. revient sur son affirmation pour prétendre que, «soucieux d’auréoler [leur] histoire d’un noble nimbe et de convaincre le lecteur de la vraisemblance de [leur] récit», les auteurs en «interrompe[nt] à plusieurs reprises le cours pour mentionner l’existence d’une source écrite» (460). lange des genres» (666-797), puis de la subversion des idéaux courtois et chevaleresques (798-855). Le livre se termine par un index des auteurs et des œuvres (979-82), un index des critiques modernes cités (983-90), un index des matières (991-1002) et une bibliographie raisonnée (941-78). Si certains ouvrages affichent une vocation herméneutique, d’autres privilégient une approche encyclopédique et mettent à la disposition du lecteur une synthèse érudite des ressources documentaires. De Jean Renart à Jean Maillart ressortit à l’évidence à cette seconde catégorie. L’auteure étaie son propos d’un appareil critique extrêmement fourni qui lui permet d’aborder les éléments textuels du corpus sous des angles multiples, et de les confronter avec un nombre considérable d’approches contextuelles. Au regard d’une telle complétude, on regrettera l’absence de référence au bel article de J.-C. Mühlethaler: «L’Or et le laiton: du figuratif dans le Roman de la rose à la poétique de Jean Renart», Studi provenzali e francesi 86-87 (1990): 177-208, d’autant plus que la bibliographie «tend à l’exhaustivité» (941). La réflexion originale qui se greffe sur cette compilation bien agencée est vive et motivante; entre autres, l’attention portée aux realia, aux personnages secondaires et à certains épisodes négligés de la critique (539-663) est l’une des grandes qualités de cet ouvrage. L’étude est conduite avec système: L. L. envisage chacun des sujets abordés en fonction de son affiliation aux esthétiques tantôt romane, tantôt gothique. Cette méthode, appliquée avec rigueur, encourt cependant deux risques majeurs. En imputant toute forme de renouveau esthétique à une tendance générale, elle menace en premier lieu de réduire la spécificité propre à chaque œuvre. A titre d’exemple, l’évolution des portraits féminins qui tendent, notamment dans l’œuvre de Jean Renart (848-53), à s’émanciper des préceptes rhétoriques de la descriptio puellae, nous semble aisément concevable en dehors du mouvement de transition conduisant de l’art roman à l’art gothique. Dans le cadre d’une esthétique fondée sur la répétition de motifs, la volonté de renouveler une pratique qui a fini par engendrer la lassitude relève de l’évidence. Enraciné dans la pratique de l’intertextualité, un double mouvement d’identification aux modèles reconnus et de différenciation générée par la recherche d’originalité se met en place à partir de la seconde partie du XII e siècle 3 ; en toute logique, cette tendance à l’émancipation s’accentue par la suite, allant jusqu’à provoquer l’abandon momentané de l’usage descriptif chez certains auteurs du XIV e siècle. En second lieu, les présupposés méthodologiques de l’ouvrage reposent sur une idéologie progressiste dont l’application pourrait être plus nuancée: ainsi, évoquant l’autonomie et la mobilité inégalées dont les personnages féminins disposent à l’intérieur du corpus gothique, l’auteure décrit le «gynécée, emblème du monde roman» comme «un lieu suranné et clos empêchant tout épanouissement personnel, maintenant les personnages dans une attitude larvaire, passive et dépassée». «Son décloisonnement», ajoute-t-elle, «permettant la libération et la renaissance d’une Liénor éblouissante, fait disparaître les contraintes et symbolise l’ouverture gothique au monde» (277-78). L’avènement d’une esthétique nouvelle peut se passer de pareils jugements de valeurs qui, s’ils rendent justice à l’indépendance exceptionnelle dont les demoiselles bénéficient dans les œuvres de Jean Renart ou de Renaut, relèguent des héroïnes courtoises telles qu’Iseut, Guenièvre ou Fénice au rang de figures insignifiantes, passives et effacées. L’ampleur de l’approche globalisante proposée par L. L. se trouve rehaussée par la nature composite du corpus. Les neuf romans qui constituent celui-ci partagent en propre une 304 Besprechungen - Comptes rendus 3 Comme le révèle E. de Bruyne dans ses Études d’esthétique médiévale, II, Brugge 1946: 133-45 et 173-202, cette lassitude, déjà sensible chez Chrétien de Troyes et ses contemporains, ne se limite pas à la production littéraire en langue vernaculaire. Les théoriciens des arts poétiques médiolatins préconisent en effet d’éviter la monotonie des topoi et de rechercher l’originalité. volonté de se distancier du domaine arthurien et de valoriser la réalité en lui procurant un statut littéraire, mais pour le reste ils demeurent très hétérogènes. En effet, L’Escoufle, Galeran de Bretagne et dans une certaine mesure Jehan et Blonde se rattachent au roman idyllique, tandis que La Manekine et le Roman du comte d’Anjou héritent de la matière folklorique du «conte de la fille sans mains». Le Roman de la Violette et le Roman de la Rose appartiennent pour leur part au «cycle de la gageure». Quant à Joufroi de Poitiers et au Roman du chastelain de Couci et de la dame de Fayel, ils s’apparentent aux vidas occitanes. Il est en effet plus aisé de définir cet ensemble a contrario 4 que d’établir une typologie cohérente permettant d’en appréhender l’originalité. Si l’ouvrage de L. L. a le grand mérite de préserver la «diversité irréductible» (13) du corpus, il se soumet à une ambition d’exhaustivité qui, dans le cas précis, s’avère contraignante. Le «souci de totalisation» (666) que l’auteure affiche à l’encontre de chacun des textes dilue la progression de l’argumentation. L’étude confine à l’anthologie: chaque argument est soumis à l’approbation successive des neuf romans, ce qui multiplie les citations et allonge le développement. Si les extraits offrent au lecteur l’occasion d’un parcours édifiant au travers des romans gothiques, le danger est celui du mimétisme; l’ouvrage se fait miroir des récits constitués en «sommes littéraires» (666) qu’il étudie. De Jean Renart à Jean Maillart ne constitue pas moins une étude riche et érudite qui pourrait permettre de combler une béance de la critique. Reste à souhaiter que, fraîchement rebaptisés, les romans gothiques échappent aux guillemets qui neutralisaient leur dénomination précédente. Marion Uhlig ★ Daniel Heller-Roazen, Fortune’s Faces: The Roman de la Rose and the Poetics of Contingency, Baltimore (Johns Hopkins UP) 2003, xiii + 206 p. Considered one of the most important and influential literary texts of the Middle Ages, Le Roman de la Rose has been the subject of numerous critical works and various interpretations by scholars. What sets Fortune’s Faces apart from other critical efforts, the author contends, is its consideration of the Rose as a single, bipartite work, rather than an unfinished text and its distinct continuation. Through his analysis of the poem, Heller-Roazen seeks to underscore the sense of the romance as a whole and does so by concentrating on a major theme found consistently throughout this immense work: the concept of contingency. As Heller-Roazen explains: «One of the defining characteristics of the two-part romance . . . is that, at each of the fundamental levels of its construction, it presents itself as being otherwise than it is» (8). Each of the four chapters of Fortune’s Faces focuses on a specific element of the contingency that defines the romance (and the author’s introduction offers a clear and excellent summary of the goals and structure of his book). Chapter One, which examines the language of contingency, begins with a discussion of Aristotle’s De Interpretatione and the logical and metaphysical aspects of his definition of the nature of speech. After establishing the importance of Aristotle’s treatise on interpretation throughout late antiquity and the Middle Ages, Heller-Roazen considers the works of medieval philosophers and theologians themselves, including those of Boethius,Anselm of Canterbury, Peter Abelard, Albert the Great, and Thomas Aquinas, concentrating almost exclusively on their 305 Besprechungen - Comptes rendus 4 C’est ce que propose J. Dufournet dans l’introduction à la traduction de Galeran de Bretagne, Paris 1996: 7, lorsqu’il attribue à ce corpus l’appellation d’«autre roman loin d’Arthur».