eJournals Vox Romanica 65/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2006
651 Kristol De Stefani

Virginie Minet-Mahy/Claude Thiry/Tania van Hemelryck (ed.), «Toutes choses sont faictes cleres par escripture». Fonctions et figures d’auteurs du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Louvain-la-Neuve (Publications de l’Université catholique) 2005, 192 p. (Les Lettres romanes n° hors série)

121
2006
Alain  Corbellari
vox6510205
toujours sans risques: ainsi se permettra-t-on de rester sceptique lorsque C. G. pense que Verlaine se «souviendra» (114) du conte intitulé «Païen» dans «La Grâce, légende», ou que Voltaire «a pu se souvenir» (148) du conte «Ange et ermite» de la deuxième Vie des Pères en écrivant Zadig. Simples clauses de style peut-être; de tels exemples n’en font pas moins regretter que l’analyse motivique ne soit jamais envisagée sous l’angle théorique, mais seulement à travers des exemples (trop? ) ponctuels. Que rajouter, au demeurant, aux modèles élaborés par Jean-Jacques Vincensini? La modestie de C. G. lui tient lieu, en l’occurrence, de gage d’honnêteté. Et de fait la thèse de la subtilité des conteurs du xiii e siècle, même atomisée à travers des analyses de détail plutôt que dans une interprétation d’ensemble, est bien défendue par C. G. dont l’enthousiasme pour La Vie des Pères est communicatif. Nul doute, ainsi, que son ouvrage ne devienne, à la suite de ceux de Michel Zink et d’Adrian Tudor, l’une des pièces essentielles d’une réhabilitation dont on espère voir bientôt les fruits à travers des traductions et des études nouvelles d’un texte aujourd’hui enfin accessible grâce à la belle édition (partiellement posthume) de Félix Lecoy. Alain Corbellari ★ Virginie Minet-Mahy/ Claude Thiry/ Tania van Hemelryck (ed.), «Toutes choses sont faictes cleres par escripture». Fonctions et figures d’auteurs du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Louvain-la-Neuve (Publications de l’Université catholique) 2005, 192 p. (Les Lettres romanes n° hors série) Les publications de colloques thématiques où une grande donnée d’histoire littéraire ou culturelle est traitée «des origines à nos jours» abondent: parfois, on y associe un ou deux médiévistes qui y font quelque peu figure d’alibi à l’intérieur d’un projet massivement dédié aux auteurs modernes, et où, de fait, leur contributions semblent bien souvent un peu perdues. Les cas inverses sont nettement moins courants et c’est là une première raison de saluer l’entreprise des médiévistes de Louvain-la-Neuve qui, autour d’un thème éminemment moderne - la question de l’auteur - centrent, comme par défi, leur réflexion sur la fin du Moyen Âge et n’invitent les modernistes qu’à corroborer en fin de parcours des réflexions massivement situées en amont de la pratique contemporaine. Du coup, il faut bien avouer que c’est la légitimité des réflexions sur la littérature postérieure à la Renaissance qui, dans ce cadre, pose problème. Car si la logique habituelle, qui accorde une petite place au Moyen Âge pour densifier progressivement le volume des contributions au fur et à mesure que l’on approche de l’époque contemporaine, garde, quoique ambiguë, une certaine logique pour elle, ne serait-ce qu’au niveau de la masse documentaire, la construction inverse ne peut que paraître bien plus déséquilibrée encore, en vertu de la même raison documentaire: amenuiser la réflexion là où les témoignages se multiplient, c’est faire paraître inévitablement par trop squelettiques les éléments de comparaison modernes. Passe encore, il est vrai, quand l’article final, en l’occurrence celui de Myriam Wathée-Delmotte, «Autorité auctoriale et ritualité littéraire à la fin du XX e siècle» (181-92), propose une forme de bilan synthétique, bien que fatalement partiel et partial, sur la situation actuelle, mais il n’est que trop clair qu’un article comme celui de Geneviève Hauzeur, «Stratégies d’occultation et de reconnaissance: Nougé-Baillon» (167-80), consacré à deux auteurs wallons du début du XX e siècle dont la renommée hors des frontières belges est pour ainsi dire nulle, manque à la fois sa cible (le cas est beaucoup trop particulier dans une problématique d’ensemble) et ses lecteurs (non a priori intéressés par les littératures francophones modernes). Au demeurant, nous aurons garde d’être trop sévère avec les éditeurs du volume, car satisfaire à la fois médiévistes et modernistes relevait du pari impossible; l’article de Jan 205 Besprechungen - Comptes rendus Herman et Kris Peeters, «L’auteur et la scénographie de la mort. Figures et fonctions dans le roman du XVIII e siècle» (141-66), offre d’ailleurs sur le Siècle des Lumières une synthèse d’un grand intérêt et la contribution d’Agnès Guiderdoni, «De l’élection à l’effacement: le statut de l’auteur dans la littérature spirituelle du XVII e siècle (le cas de Mme Guyon)» (127-39), propose un regard original sur le problème de la mystique, même si là encore on peut regretter que le lien avec les mystiques médiévaux ne soit pas fait. On nous excusera donc de nous en tenir ici aux contributions des médiévistes. La question de l’auteur n’est certes pas inconnue des spécialistes de la littérature médiévale, mais la réunion dans ce volume de sept points de vue qui balaient l’essentiel de la question de Chrétien de Troyes à Clément Marot permet de faire idéalement le point sur les tendances actuelles de la recherche à ce sujet. À vrai dire, on ne peut s’empêcher de penser que les auteurs tirent ici un peu à hue et à dia en tentant chacun d’envisager la question en relation avec des thèmes de recherches qui leur sont propres. De fait, la question de l’auteur est si vaste qu’elle induit inévitablement de tels effets et que l’on ne peut que redire ici ce que l’on est en droit de dire de tous les volumes collectifs, si à la mode aujourd’hui, consacrés kaléidoscopiquement à un sujet à la fois vaste et précis: ils ne remplaceront jamais les synthèses assumées par un seul auteur, type de travail qui représente certes l’œuvre d’une vie et dont la possibilité d’écriture même est fortement mise en question par les structures actuelles de la recherche universitaire, mais qui seul permet d’articuler des réflexions de fond à la fois larges et cohérentes sur un sujet donné. Cela dit, le niveau des contributions médiévistes de ce volume est dans l’ensemble excellent, et leur congruence serait parfaite si une place un peu trop grande n’était faite à Christine de Pizan, et ce au détriment d’autres sujets, et plus particulièrement des auteurs du XIV e siècle qui sont les grands oubliés de ce volume, situation d’autant plus dommageable à l’équilibre de l’ensemble que c’est peut-être bien en ce siècle, celui de Guillaume de Machaut et de Pétrarque, que la problématique auctoriale a connu son tournant décisif. Mais ce n’est un secret pour personne que depuis une quinzaine d’années le monde des médiévistes est atteint d’une christinite aiguë qui a centuplé, à la faveur de l’essor des études féministes, le nombre des travaux consacrés à Christine de Pizan. Ce n’est ainsi pas un hasard si la fameuse robe bleue de l’auteure de La Mutacion de Fortune orne la couverture du volume (argument marketing non négligeable) et si deux articles lui sont exclusivement consacrés, sans compter que le très long article panoramique de Jean-Claude Mühlethaler lui fait aussi une petite place. Deux articles sur Christine de Pizan, c’est assurément un de trop et c’est sans trop d’hésitation que l’on préférera ici celui de Jacqueline Cerquiglini, comme toujours remarquablement synthétique et très heureusement écrit, possédant de surcroît l’avantage de s’articuler autour d’une idée originale, celle du scandale («Christine de Pizan et le scandale: naissance de la femme écrivain», 45-56), à celui de Giovanna Angeli où nous semblent abonder les poncifs d’une vulgate christinienne aujourd’hui bien établie («Christine de Pizan et le portrait impossible de l’auteur dans son laboratoire», 57-69). Les deux premières contributions sont dues à nos collègues genevois: Yasmina Foehr- Janssens, tout d’abord, explore avec sa finesse et sa précision habituelles, les XII e et XIII e siècles, en approfondissant une recherche qu’elle mène déjà depuis plusieurs années sur des figures emblématiques de la littérature médiévale («Le clerc, le jongleur et le magicien: figures et fonctions d’auteurs aux XII e et XIII e siècles», 13-31): évoquant la première deux fameux articles de Barthes et de Foucault, dont l’évocation résonnera comme un leitmotiv dans l’ensemble du volume, elle évoque les stratégies de légitimation des auteurs médiévaux, allant même jusqu’à penser, ce qui demanderait peut-être à être plus solidement étayé, que les fréquentes allusions à des auteurs latins chez Chrétien de Troyes, Marie de France ou Jean Renart représentent «un geste qui n’est sans doute pas exempt d’une valeur parodique» (18). Et si l’enquête déborde légèrement le cadre chronologique qu’elle se don- 206 Besprechungen - Comptes rendus ne, puisque c’est à un auteur du début du XV e siècle, Jacques Legrand, que sont consacrées les dernières pages, c’est parce que Yasmina Foehr-Janssens est à raison frappée «par la longévité des représentations culturelles et idéologiques à partir desquelles se construit le discours littéraire» (31). Olivier Collet se concentre ensuite sur la figure de Rutebeuf («Sic ubi multa seges, bovis acres nosce labores: les inscriptions d’auteurs dans l’œuvre de Rutebeuf», 33-43): partant d’un repérage très précis des mentions que Rutebeuf fait de son propre nom, il n’entre sagement pas en matière sur la vraisemblance référentielle de ce patronyme, mais le fait miroiter en regard des «Bouvard» et autres «Bovary» flaubertiens, pour conclure que, plus qu’une «revendication en paternité», l’usage du nom de Rutebeuf, lié à l’émergence, chez les compilateurs des manuscrits, de l’idée que l’unité d’auteur peut avoir une pertinence classificatoire, relève «bien plus de l’assertion d’un statut à conquérir» à l’intérieur «d’un nouvel imaginaire de l’auctoritas» (43). L’article de Jean-Claude Mühlethaler («Lire et écrire d’Alain Chartier à Octovien de Saint-Gelais: la mémoire culturelle, puits de sagesse ou source d’illusion? », 71-98) est le plus long du volume: l’auteur y poursuit la réflexion au long cours qu’il mène sur la littérature curiale du XV e siècle, en la considérant cette fois-ci sous l’angle de la mémoire culturelle. Jacqueline Cerquiglini, dans La Couleur de la Mélancolie, avait déjà décrit les auteurs du XIV e siècle comme écrasés sous le poids des livres qui les avait précédés; Jean-Claude Mühlethaler montre pour sa part que les auteurs du XV e siècle ont plutôt tendance à se révolter contre les livres: Jean Molinet nie «toute continuité entre les livres et l’actualité» (76); Alain Chartier inscrit le débat de La Belle Dame sans mercy «dans un présent sans liens explicites avec le passé littéraire» (93); Octovien de Saint-Gelais, enfin, figure trop négligée qui a ici, très heureusement, la part belle, «est douloureusement conscient que la mémoire culturelle est un bagage inutile» (98). Constat mélancolique, sinon pessimiste, mais qui n’en ouvre que mieux la question du passage du Moyen Âge à la Renaissance. David Cowling évoque ensuite son travail sur les Grands Rhétoriqueurs, et en particulier sur Les Douze dames de rhétoriques («les métaphores de l’auteur et de la création littéraire à la fin du Moyen Âge: le cas des Grands Rhétoriqueurs», 99-111), non sans rendre un hommage mérité au volume de la revue Études de lettres dirigé en 2002 par Jean-Claude Mühlethaler autour des «Poétiques en transition» et qui faisait déjà un sort à ce texte capital dont D. Cowling a par ailleurs donné une édition récente. Plus descriptif que synthétique, son article explore cependant avec finesse les nuances qui séparent les pratiques de Robertet, de Chastellain et de Lemaire, sous l’égide de Boccace. L’article de Claude Thiry, enfin («Clément Marot, poète du roi et poète de France», 113- 25), renouvelle judicieusement la critique de Marot, en renversant l’habituelle vision que l’on a du poète de François I er . Préférant à l’image convenue du poète en radicale rupture avec la poétique pesante de ses prédécesseurs, il propose celle d’un auteur qui reste encore profondément imprégné par les modèles des Rhétoriqueurs. Ainsi le jeu sur son propre nom identifié à celui de Virgile (Maro) est-elle encore typique de la pratique d’un Molinet ou d’un Chastellain; Marot «se montre ainsi capable de pratiquer le jeu de la cour, mais sans en être dupe, ce qui le place dans une position de critique plus efficace» (119). Et Claude Thiry de conclure que «s’il a affermi et incontestablement grandi la figure du poète», Marot «n’en a pas vraiment renouvelé la fonction, sinon peut-être dans la dimension chrétienne qu’il donne à sa réflexion» (125). Alain Corbellari ★ 207 Besprechungen - Comptes rendus