eJournals Vox Romanica 65/1

Vox Romanica
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0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
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2006
651 Kristol De Stefani

Friedrich Wolfzettel, Le Conte en palimpseste. Studien zur Funktion von Märchen und Mythos im französischen Mittelalter,Wiesbaden (Franz Steiner) 2005, 210 p

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2006
Jean-Claude  Mühlethaler
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Friedrich Wolfzettel, Le Conte en palimpseste. Studien zur Funktion von Märchen und Mythos im französischen Mittelalter, Wiesbaden (Franz Steiner) 2005, 210 p. Sur la couverture du livre se marient un titre en français - aux échos genettiens - et un soustitre en allemand, procédé peu habituel qui suscite, chez le lecteur, une curiosité étonnée. L’effet est recherché, car Le Conte en palimpseste réunit neuf études, quatre en allemand, autant en français ainsi qu’une (Family Dysfunction and Fairy Tale Patterns) en anglais. Le mélange des langues s’explique dans la mesure où Friedrich Wolfzettel réunit ici le fruit de longues années de réflexion autour du mythe et du conte de fées dans leur relation avec la littérature médiévale. Certains chapitres ont fait l’objet de communications ou ont paru dans des revues, que ce soit en Europe ou aux États-Unis. On se demandera néanmoins si, dans un ouvrage qui porte - de Marie de France à Mélusine - avant tout sur des œuvres françaises, la place accordée à l’allemand ne risque pas de nuire à l’écho qu’il mérite de susciter. Les médiévistes de l’Hexagone ne sont pas, à quelques exceptions près, connus pour maîtriser la langue de Goethe. Heureusement, la pensée longuement mûrie de Friedrich Wolfzettel donne à l’ouvrage une véritable cohésion: la mise au point théorique du premier chapitre (Märchenhaftes und märchenloses Mittelalter. Eine historische Gewinn- und Verlustrechnung) trouve des échos notamment dans les chapitres 2 (celui rédigé en anglais) et 3 (Quelques réflexions sur le thème des enfants-cygnes et le statut du conte populaire au Moyen Âge), de sorte que tous les publics y trouveront de quoi nourrir leur propre réflexion. Friedrich Wolfzettel part d’un fait connu: le conte de fée n’existe pas en tant que genre indépendant à l’époque médiévale, alors que les œuvres ne cessent de se nourrir du substrat folklorique. Du ix e au xv e siècle, on assiste aux tentatives de récupérer cette culture marquée du sceau de la troisième fonction dumézilienne (25, 34, 37, 51, etc.) en la christianisant et en l’adaptant à l’idéologie courtoise. Mais on ne saurait, comme le souligne judicieusement Friedrich Wolfzettel, se contenter d’identifier des motifs ou thèmes folkloriques ni s’en tenir à la constatation que la littérature médiévale est imprégnée de culture orale. Pour chaque œuvre, il s’agit de cerner les mécanismes de la «réécriture», à travers laquelle s’instaure une tension entre le texte et le substrat, le dit et le non-dit (30), une «Doppelbödigkeit» (31) qui, selon le critique, se laisse décrire dans les termes freudiens de refoulement et de censure. C’est que le folklore résiste à l’assimilation, que les textes gardent les traces d’une logique archaïque qui n’est pas la leur. Cette domestication incomplète fonde, aux yeux de Friedrich Wolfzettel, l’altérité médiévale. Fort de ce constat, il pense pouvoir placer les fonctions du «merveilleux», étudiées par Walter Haug pour la littérature allemande et Francis Dubost pour la littérature française, sous un éclairage renouvelé. Trois types principaux de récupération se dégagent à la lecture des œuvres (35): - la fonction subversive: le lai de Lanval en offre un exemple parlant, car l’intervention de la fée révèle les disfonctionnements de la société arthurienne, sans que la créature merveilleuse ne songe jamais à changer une réalité peu satisfaisante. Comme l’avait déjà relevé Jean-Claude Aubailly, le héros est contraint de fuir dans le royaume des mères; le monde meilleur est rejeté dans un espace onirique (142), incompatible avec la vie féodale de tous les jours. - la fonction affirmative: elle est plus particulièrement illustrée par la légende de Mélusine, à laquelle sont consacrées les trois parties du chapitre 8 (Der Körper der Fee. Melusine und der Trifunktionalismus, 136-64), dans lesquelles le merveilleux intervient pour corriger les carences du monde féodal. Pour Friedrich Wolfzettel, le récit de Jean d’Arras (il fait allusion à Coudrette en passant) vise à restituer la symbolique mythique de la troisième fonction dans une perspective féodale (142); il y aurait une volonté de légitimer l’ordre trifonctionnel en l’adaptant aux besoins de la modernité. Le folklore, pré- 208 Besprechungen - Comptes rendus senté dans le prologue du roman comme un discours digne de foi, acquiert un statut positif inédit dans la littérature médiévale. Il s’agit d’une problématique que l’auteur a depuis reprise dans un article («La Découverte du folklore et du merveilleux folklorique au Moyen Âge tardif», Le Moyen Français 51-52-53 (2002-03): 627-40) qui complète heureusement les réflexions développées dans la présente étude. - La récupération du folklore par Jean d’Arras sert à fonder un programme de régénération des Lusignan, de manière à célébrer la (haute) aristocratie dans sa fonction civilisatrice. Pour stimulante et argumentée que soit cette lecture, il faut se demander si elle ne néglige pas quelque peu la fin du roman. La fée, même si elle n’est pas condamnée et que ses anciens sujets la regrettent, doit disparaître après la trahison de Raymondin. L’ordre qu’elle a instauré ne résiste pas aux fautes de ses descendants (le roi d’Arménie est incapable de maîtriser son désir pour Mélior 1 ) ni aux aléas de l’histoire; le roman se clôt sur l’évocation du triste sort du dernier des Lusignan. C’est là le récit d’un déclin - qui débouche, je le reconnais volontiers, sur un appel au duc de Berry de restaurer la grandeur perdue - et tout se passe comme si l’histoire finissait par avoir raison du mythe des origines, de sa promesse de bonheur et de fertilité. Dans la mesure où Mélusine, chargée de multiples connotations christiques, appartient à un autrefois révolu, en contraste avec le présent, Jean d’Arras ne fait-il pas de son récit un De casibus? Il dénoncerait alors l’instabilité de toute entreprise humaine et la vanité de la grandeur plutôt qu’il n’exprimerait la possibilité d’un retour de l’âge d’or. Mais une lecture exclut-elle nécessairement l’autre, la vision eschatologique (et pessimiste) ne peut-elle pas laisser une place à la conception cyclique (et optimiste) de l’histoire? En fin de compte, on aboutit chaque fois à un constat d’échec, car la faiblesse de l’homme fait que «dieses Modell am Ende doch misslingt» (162), ainsi que le relève à juste titre Friedrich Wolfzettel: le bonheur mythique est irrémédiablement perdu, il est, dans le meilleur des cas, un rêve illusoire. - la fonction utopique: La Manekine et La Belle Hélène de Constantinople, analysées au chapitre 5, illustrent cette instauration d’un nouvel ordre, cautionné dans ce cas par les interventions divines en faveur de l’héroïne. Le conte se fait hagiographie et la culture cléricale marque de son sceau le substrat folklorique en célébrant la patience, la fidélité, la constance et la chasteté de la fille à la main coupée. La démonstration de Friedrich Wolfzettel convainc, sauf que le lecteur comprend mal pourquoi les qualités de l’héroïne sont qualifiées de «vertus cardinales» (79), l’expression étant habituellement réservée aux quatre vertus de la justice, la prudence, la tempérance et la force. La Manekine se distingue au contraire par des vertus éminemment féminines, vertus que Le Roman du comte d’Anjou mettra à son tour en exergue, allant jusqu’à les proposer, à la fin du récit, en modèle à l’époux: il les valorise au détriment des valeurs chevaleresques traditionnelles. De ce point de vue, une discussion des pages consacrées au roman de Jean Maillart dans La Veuve en majesté (Genève 2000: 221-61) aurait eu son intérêt, même si Friedrich Wolfzettel ne se penche pas sur cette version de la légende de la fille à la main coupée: les remarques de Yasmina Foehr-Janssens, écrites d’un point de vue sensiblement différent, éclairent aussi La Manekine de Philippe de Beaumanoir. Les autres chapitres viennent illustrer avec bonheur les thèses de Friedrich Wolfzettel à travers la lecture de Berte as grans piés (chap. 4) - qui fait également l’objet d’une analyse dans l’étude de Yasmina Foehr-Janssens -, d’Ami et Amile et d’Eracle (chap. 6), du Roman de Perceforest, de Blandin de Cornouaille et, en quittant le domaine de la littérature française, de Frayre de Joy e Sor de Plaser (chap. 7). Les multiples allusions à un nombre important 209 Besprechungen - Comptes rendus 1 Une erreur s’est glissée dans l’étude au sujet de la sœur de Mélusine: par deux fois (137 et 158, N83) elle est désignée par le nom de Presine, qui est celui de leur mère, comme cela est dit à la p. 163. d’œuvres médiévales témoignent non seulement de l’érudition du critique, mais offrent des rapprochements suggestifs, propices à de futures investigations. L’ensemble est complété par une riche bibliographie (qui s’arrête à l’année 2000) et un index nominum et rerum fort utile. Remercions Friedrich Wolfzettel de mettre à notre disposition ce recueil aussi riche que stimulant, un modèle aussi par la volonté de toujours discuter (avec) la critique, de se situer au sein du débat scientifique! Jean-Claude Mühlethaler ★ Noboru Harano, Vocabulaire de l’ancien français. Actes du Colloque de Hiroshima du 26 au 27 mars 2004, Hiroshima (Keisuisha) 2005 1 , 187 p. Le respect dont témoignent nos collègues japonais à l’égard des fruits de l’esprit humain en général et des sciences humaines en particulier devient tangible lorsqu’on tient en main ce petit volume d’actes: belle reliure à dos brisé, beau papier durable, belle impression, signet fixe de soie dont la couleur bronze rehausse le bleu de la toile. Quel contraste avec les pauvres plaquettes moins bien confectionnées que l’annuaire des téléphones et que l’on croit suffisantes dans nos contrées pour contenir nos efforts en philologie. Par politesse, on a placé en tête du volume une contribution de M. Zink, intitulée «Dénaturer» (5-20). Celui-ci part de l’observation que afr. mfr. nature ne désigne pas la (belle) nature, mais la ‘puissance génératrice et régulatrice de l’univers’ et le ‘caractère inné (de qn. ou de qch.) appelé à se développer et essence dynamique’, et où «l’idée du changement est toujours essentielle» (8), et finit par analyser les sens de desnaturer ‘changer la nature’ [dans le sens précité]. Le verbe desnaturer paraît toujours être péjoratif en afr. 2 , mfr. et occ., sauf dans une chanson de Bernard de Ventadour (P. C. 70, 44, 2) où le sens serait positif: Tant ai mo cor ple de joya Tot me desnatura: Flor blancha, vermelh’ e groya Me par la frejura . . . 3 (12). L’analyse du passage est fine, mais il ne semble pas nécessaire de conférer au verbe un sens inhabituel: c’est l’amour et ses répercussions qui sont positifs, mais la dénaturation des sens de l’enflammé reste négative; au contraire, une tension supplémentaire bénéfique semble se glisser dans la chanson. [Dans un exemple tiré de EvrartContyEchH desnaturer serait un «doublet» d’entosiquer: c’est un emploi insolite de doublet et les deux verbes ne semblent pas s’associer pour décrire un même phénomène (9).] Y.-H. Yi, «Et Gieffroy le suit l’espee traicte: constructions prédicatives adjointes avec participe parfait en français médiéval» (21-37), nomme à nouveau une construction assez courante en afr. qui a déjà reçu une douzaine de dénominations («complément absolu», Grevisse 1986, etc. (22)). Yi ne pense pas que cette construction dérive de l’ablatif latin (Meyer-Lübke), mais qu’il s’agit plutôt d’une création romane (avec S. Lyer). La construction est toujours composée d’un participe passé dépendant d’un sujet et le complément du participe. Un dépouillement sert à analyser la fonction discursive des tours (28) et à procéder à une classification. A. Yokoyama, «Le verbe voir chez Robert de Boron - le témoignage oculaire et la création liturgique du roman» (39-64) essaie de donner au verbe voir des interprétations pour ainsi dire métaphysiques. Il faut se demander si l’on peut traiter à la fois les sens d’un verbe (voir) et la fonction du voir dans un texte témoin. L’une ou l’autre phrase nous laisse per- 210 Besprechungen - Comptes rendus 1 Sigle du DEAF: ActesHiroshimaVoc. 2 L’attestation tirée de Vat. Chr. 1490 (v. n. 8) se lit dans PerrinS II 1: 205. 3 Cité selon la reconstruction critique d’Appel.