eJournals Vox Romanica 66/1

Vox Romanica
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2941-0916
Francke Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2007
661 Kristol De Stefani

Reinhard Kiesler, Einführung in die Problematik des Vulgärlateins, Tübingen (Niemeyer) 2006, xii + 136 p. (Romanistische Arbeitshefte 48)

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Reinhard Kiesler, Einführung in die Problematik des Vulgärlateins, Tübingen (Niemeyer) 2006, xii + 136 p. (Romanistische Arbeitshefte 48) 1. Ce manuel s’inspire de deux aspects alternants de la notion de latin vulgaire: l’aspect qu’on pourrait appeler «latino-centrique», utilisé par H. F. Muller et ses adeptes dans la première moitié du XX e siècle et visant la description du latin vulgaire écrit (ch. 1-10), et l’aspect «romano-centrique», courant chez les romanistes néo-grammairiens à la fin du XIX e siècle, puis de nouveau dans la seconde moitié du XX e siècle, avec Hall et son école, visant une approche historique des parlers romans dans une perspective théorique, que suggère déjà le mot «Problematik» dans le titre de l’ouvrage (ch. 11). Je présenterai ces deux volets séparément (cf. §2s.), puis les soumettrai à une appréciation critique (cf. §4). 2.1. Pour la forme du volet latino-centrique, cet ouvrage ne diffère guère des ouvrages antérieurs sur le latin vulgaire: une définition du latin vulgaire, une histoire externe, un chapitre sur les sources, une partie grammaticale étendue, comportant des exemples tirés du latin écrit, avec leurs pendants dans les principales langues romanes, ainsi que des descriptions, explications et commentaires, un chapitre sur les influences du grec, un autre sur la typologie, un choix de textes latins commentés, une bibliographie abondante de titres récents. C’est aussi un ouvrage que l’auteur a pris soin de mettre à la portée de ses lecteurs: clarté des exposés, tableaux, schémas et cartes, des devoirs en conclusion de chaque chapitre, et, à l’intention des lecteurs germanophones, la traduction des exemples, citations et textes choisis. 2.2. Le fond est traditionnel également. Selon une habitude déjà ancienne, mais encore chère à beaucoup de latinistes, les parlers romans sont, plus ou moins implicitement, traités comme issus du latin écrit. De fréquentes références, dans le texte et en note, orientent le lecteur sur la position d’auteurs en vue, tels Banniard, Coseriu, Herman, Lausberg, Maurer et Väänänen. Une mise à jour de nos connaissances est proposée épisodiquement, par exemple à propos de la définition du terme «latin vulgaire» (7-14), de l’origine de la gorgia toscana (26), de la datation de l’Appendix Probi (33), de l’éventuelle portée diastratique de la palatalisation de [k-] (40), de la structure et de l’évolution de l’ordre de base (67s.), de l’opposition typologique synthèse (latin écrit)/ tendance à l’analyse (parlers romans) et de la typologie selon des vues récentes de Coseriu (ch. 10). 3. Une tout autre perspective domine le chapitre final (ch. 11), déjà annoncé et résumé au début du livre (1s.), «Zusammenfassung und Ausblick: Probleme des Vulgärlateins». L’auteur y traite des aspects fondamentaux du latin vulgaire d’un point de vue surtout romano-centrique. Quelques éléments du volet latino-centrique y sont repris, amplifiés, nuancés, voire rectifiés. D’autres, les problèmes justement, y sont abordés pour la première fois de front et de façon relativement détaillée. Ils ont tous, isolément ou en combinaison, une grande portée méthodologique. Je vais en citer et commenter les principaux. 3.1. Déjà dans le volet latino-centrique (8-14), l’auteur, en guise de conclusion à une analyse des diverses définitions plus ou moins restrictives du latin vulgaire, avait formulé sa propre définition, globale, en ces termes: «Wir schließen uns demgegenüber der weiten Auffassung an und betrachten das Vulgärlatein als zu allen Zeiten der Latinität existierende, diastratisch und diatopisch variable Umgangssprache aller Mitglieder der lateinischen Sprachgemeinschaft» (13). Il s’agit donc d’une définition au sein de laquelle le chercheur est libre d’agencer les données à sa guise, mais qui ne prévoit pas de séparer méthodiquement le latin vulgaire écrit du latin vulgaire parlé, d’où, pour le lecteur, un flou permanent dans les analyses grammaticales. Aussi, l’auteur remédie-t-il à ce défaut (ch. 11.2), en affinant son analyse et en distinguant, dans l’ensemble des données du latin vulgaire global tel qu’il l’avait défini, deux sous-ensembles, à savoir, à côté des données écrites, un ensemble de données non écrites, produites, à partir des parlers romans, par l’«indispensable» re- 207 Besprechungen - Comptes rendus construction («eine unerlässliche Methode»), seule apte à établir l’extension spatiale de formes du latin vulgaire, seule à «attester» ce que les textes latins n’attestent pas. Il en résulte que, selon l’auteur, dans la description du latin vulgaire, les deux types de données, écrites et reconstruites, doivent toujours se compléter, étant entendu que la comparaison systématique des parlers romans est un préalable à la reconstruction de formes et de règles du latin vulgaire non écrit. Il s’agit en fait, dans cette démarche, sous le nom de «latin vulgaire reconstruit», d’une ébauche théorique de ce que les milieux romano-centristes nomment «protoroman» (cf. cependant §4.1). 3.2. Pour les néo-grammairiens déjà et de nos jours pour les adeptes de l’approche romano-centrique, les parlers romans se forment et évoluent dès l’Antiquité à côté du latin écrit; c’est le «modèle de la simultanéité». Pour les latino-centristes, l’origine des parlers romans ne remonte pas à l’Antiquité mais fait suite aux textes latins tardifs, dont ils seraient issus; c’est le «modèle de la successivité»; l’auteur mentionne ces deux types de filiation (109). Dans le volet latino-centrique de l’ouvrage, la successivité historique sous-jacente des parlers romans par rapport au latin écrit est parfois explicite, comme dans l’énoncé «Die Romanistik ist als historisch-vergleichende Wissenschaft entstanden, und die Entstehung der romanischen Sprachen und Dialekte aus dem Vulgärlatein [souligné par moi] ist insofern ihr traditionelles Hauptgebiet» (2). Au chapitre 11, ce point de vue est en revanche nuancé et partiellement corrigé, notamment par référence à des passages comme les suivants: l’un, emprunté à Lausberg, énonce: «Die Entstehung und Gliederung der romanischen Sprachen beginnt im Grunde bereits bei der Romanisierung Italiens und des Imperiums» (105, N3), et l’autre, rapportant, à propos de la bifurcation du vieux latin en latin classique et latin vulgaire, un point de vue plus général, mais point contradictoire, énonce: «Nach Coseriu setzt . . . das Vulgärlatein die Entwicklung des Altlateins fort, während das klassische oder literarische Latein davon abweicht» (110). L’auteur ne prend pas autrement position sur cette question; toutefois, par des citations comme celles-là, il paraît admettre la possibilité que l’origine des parlers romans se situe antérieurement à l’ère chrétienne. Il semble donc conscient de l’importance de ce problème et de ce que toute grammaire historique correcte est tributaire d’une estimation juste des rapports chronologiques. 3.3. Il ne fait de doute pour personne que les parlers romans, en se formant, ont fortement modifié la typologie du latin. L’auteur s’arrête avec raison à l’aspect historique de cette bifurcation typologique. Pour ce qui est de la cause, il rapporte, parmi d’autres, celleci: «Herman betont . . . auch die Rolle äusserer Einflüsse - besonders die Annahme des Lateins durch andere Völker» (107). Pour ce qui est de la modalité, il cite le passage suivant de Coseriu: «In Wirklichkeit aber ist das Vulgärlatein . . . keineswegs von jeher dagewesen: es handelt sich eigentlich um das gesprochene Latein einer bestimmten Epoche, das auf einmal, mit ungewöhnlich beschleunigtem Rhythmus [souligné par moi] von seiner Tradition abweicht. Und gerade durch diesen ungewöhnlich beschleunigten Rhythmus seiner Entwicklung stellt das Vulgärlatein ein ganz besonderes historisches Problem [souligné par moi] dar» (9). Le rapprochement de ces deux points de vue, de Herman et de Coseriu, de ceux, cités plus haut (cf. §3.2), de Lausberg et Coseriu, suggère que l’auteur fait allusion à un phénomène qui se profile depuis longtemps et de plus en plus nettement, où se rencontrent et se combinent par hypothèse, dans une «triple jonction historique» (i) une semi-créolisation du latin, (ii) la bifurcation consécutive, déjà signalée par Meillet, du latin global en latin traditionnel synthétique et latin parlé (protoroman) tendanciellement analytique, (iii) la date très ancienne et la rapidité de ce bouleversement. Cette jonction hypothétique des trois facteurs soulève un problème historique, dont les tenants et aboutissants se dissimulent dans un temps très reculé et une situation sociolinguistique difficile à saisir. Néanmoins, il est probable que ces énoncés cités par l’auteur, ou d’autres de même teneur, touchent de près ou de loin au cœur du problème. 208 Besprechungen - Comptes rendus Dans cet ordre d’idées, l’auteur s’attarde à un phénomène peu remarqué: la disparition, entre le vieux latin écrit et les parlers romans, de nombreux éléments du système, notamment de particules (ch. 6.3), où il détecte, très justement, le résultat d’une tendance à la simplification et régularisation grammaticales, par lesquelles le latin vulgaire reconstruit se distingue du latin vulgaire écrit, telle la disparition des subordonnants classiques cum, ne, quin, quominus et ut (63). Or, cette évolution me semble devoir être mise sur le compte de la bifurcation typologique, et, à travers elle, sur la triple jonction historique définie ci-dessus. 4. Jusqu’ici, je partage pour l’essentiel les opinions que Kiesler égraine tout au long du chapitre 11; je dois pourtant à la vérité de dire que, malgré l’abondance des données et remarques pertinentes, je trouve que son approche de la problématique est trop superficielle et lacunaire. Aussi, en ce qui concerne la cohérence dans l’ensemble de son livre, mes vues ne rejoignent-elles les siennes que partiellement. 4.1. À propos de la définition du latin vulgaire (cf. §3.1), l’auteur aurait dû préciser qu’il y a carrément non-équivalence des deux sous-ensembles, l’écrit et le reconstruit, en ce que les données écrites sont des faits de parole, dans le sens saussurien du terme, alors que les reconstructions sont des faits de langue, c’est-à-dire des éléments du système protoroman. Il en découle que ce que l’auteur dit dans le volet latino-centrique, à propos de la reconstruction, à savoir: « . . . die Rekonstruktionen haben immer nur den Wert von Hypothesen, zumindest solange, bis sie entweder aufgrund neuer Quellenfunde bestätigt oder aber widerlegt werden» (39), devrait être corrigé: on peut soutenir que de nouvelles données écrites («Quellenfunde») permettent de confirmer ou d’infirmer, au sens de ‘rendre plus/ moins ferme’, le résultat des reconstructions; en revanche, elles ne permettent pas d’en prouver l’existence par A + B, car, dans l’exploration du latin vulgaire, ce qui fait foi, c’est la forme reconstruite selon des techniques ad hoc, si hypothétique soit-elle; sur ce point, le latiniste et le romaniste puisent à des sources qualitativement différentes. Une des conséquences de cette erreur d’estimation est la distorsion chronologique à laquelle sont soumis les ordres de base protoromans (65-68); la chronologie antique y est examinée à partir de textes latins (Pétrone, Pompéi), ce qui est normal dans le modèle de la successivité, mais aboutit à des résultats sans commune mesure avec ceux du protoroman reconstruit selon le modèle de la simultanéité, lequel révèle par exemple, entre la base latine sov et la base romane svo, l’existence d’une ancienne base vso, d’extension panromane; en outre, il y est fait usage de la fréquence d’emploi, dont la pertinence statistique est douteuse lorsqu’il s’agit de faits de parole à ce point diffus. Quant à la continuité documentaire des langues romanes, qui s’étend, compte tenu du latin, sur presque 2500 années (2), elle est trompeuse puisque, fondée sur le modèle de la successivité, elle consiste à mettre bout à bout les textes du latin tardif et les premiers textes romans, comme s’il s’agissait là d’un enchaînement génétique, alors qu’il s’agit de textes ressortissant à deux filières distinctes; certes, et c’est plus remarquable, il y a effectivement une continuité génétique de presque deux millénaires et demi, qui relève toutefois du modèle de la simultanéité et passe par le protoroman, non documenté. Compte tenu de la non-équivalence du latin vulgaire écrit et du latin vulgaire reconstruit, nous aboutissons, sous le nom de latin vulgaire reconstruit, au protoroman (cf. §3.1), situé et caractérisé comme il doit l’être en vue d’une application orthodoxe de la grammaire comparée. 4.2. Un leitmotiv chez les chercheurs, surtout dans le camp des latinistes, est la grande complexité grammaticale du latin vulgaire écrit; çà et là, on parle même de «chaos». Kiesler s’y arrête très justement et cite à l’appui ce passage de Herman, en traduction: «Die Entstehung der romanischen Sprachen und die Geschichte des Lateins, insbesondere seine Spätgeschichte, bilden in Wirklichkeit ein und denselben hochkomplexen [souligné par moi] 209 Besprechungen - Comptes rendus realen historischen Vorgang . . . » (4). L’observation est correcte. Qu’on essaie de décrire un système linguistique comme celui qui se trouve à la base de l’Itinerarium Egeriae, on n’y arrivera guère plus loin qu’un ensemble assez hétéroclite de mots et de constructions, dont l’existence est sans doute plausible, mais d’où un système cohérent ne se laisse que difficilement dégager; en théorie, rien n’empêche par exemple qu’un texte écrit en latin vulgaire emploie un substantif à la forme accusative également en fonction de nominatif ou de circonstant. Toutefois, ici encore, les vues des chercheurs sont trompeuses. L’idée d’un chaos est avant tout une illusion, qu’alimente le modèle de la successivité; en effet, le chercheur qui situe l’origine des parlers romans à la suite du latin tardif ne peut rien comprendre au manque de systématicité qu’il observe, dès le début de notre ère, dans le latin vulgaire écrit. Le modèle de la simultanéité, lui, en rend compte en bonne partie, parce qu’il postule, dans le latin global, la présence simultanée, par clivages diastratiques, de diverses variantes d’un mot ou d’une construction donnés et les isole en synchronie par une analyse structurale. Ainsi, dès le I er s. de notre ère, il pouvait y avoir dans les textes vulgaires écrits, sous l’influence du protoroman, donc du latin vulgaire reconstruit, outre les vestiges du système acasuel antérieur, sous la forme d’un accusatif (murum), le nominatif qui fait partie d’un système protoroman bicasuel, alors productif (murus/ murum), sans compter, dans l’usage des locuteurs les plus instruits, le reflet des autres cas classiques, le génitif, le datif et l’ablatif (muri, muro), à quoi s’ajoute, pour comble de confusion, l’inconvénient inéluctable que ces formes écrites sont des faits de parole. 4.3. La reconstruction du protoroman est abordée relativement en détail (ch. 11.2), «Das Problem der Rekonstruktion». L’auteur y présente quelques principes et techniques censés permettre d’inférer le protoroman, c’est-à-dire la langue mère des parlers romans, de la comparaison systématique de ceux-ci. Il souligne cependant aussi les limites inhérentes au comparatisme et le fait que surtout la description de la syntaxe et de la phraséologie reste lacunaire. Pour les partisans du latino-centrisme, la reconstruction du protoroman selon les vues qui se sont développées chez les romano-centristes reste encore dans une large mesure terra incognita. J’en vois un indice dans l’absence presque totale d’une mention de deux techniques fondamentales du comparatisme: (i) celle dite «analyse spatio-temporelle», qui consiste à établir, en fonction des étapes de la romanisation, une corrélation entre l’étendue spatiale d’un trait protoroman et sa position en diachronie; cette technique, dont les débuts remontent aux néo-grammairiens et qui, perfectionnée entre temps, aboutit de nos jours à la possibilité non négligeable de dégager des synchronies successives, n’est mentionnée qu’en quelques lignes à propos de la pertinence en cette matière des données sardes et roumaines et de l’opposition entre Romania centrale et Romania marginale (64, 106s.); et (ii) celle du «critère de l’anomalie», cheval de bataille du grand comparatiste Meillet, qui pose que, sauf pour les emprunts, tout trait roman, même syntaxique, qui ne s’explique pas dans le système où il se trouve, remonte probablement au protoroman. C’est pourtant surtout grâce à ces deux techniques que les romano-centristes en sont venus à postuler la grande ancienneté du protoroman et à adopter le modèle de la simultanéité. Dans leur prolongement se dégage de plus en plus, à mesure que le protoroman s’enrichit d’éléments nouveaux, leur combinaison en constructions syntaxiques, malgré l’absence, dans ce domaine, de tout recours aux lois d’évolution phonétique; ainsi, aux analyses relatives à l’ordre de base en latin vulgaire écrit, dont je signale la faiblesse (cf. §4.1), les romano-centristes sont en mesure d’opposer des règles protoromanes systématiques en synchronie et, par cette voie, de procéder à la vérification des hypothèses protoromanes. Cette lacune dans les techniques de la reconstruction, ainsi que quelques autres, auxquelles je ne m’arrête pas, sont à l’origine de plusieurs prises de position et analyses, dans le volet latino-centrique de l’ouvrage, où le chercheur romano-centriste voit des erreurs de méthode. 210 Besprechungen - Comptes rendus Avec le savoir qu’il présente dans son chapitre final, complété par les précisions que je viens d’y ajouter et évidemment par l’étude de la littérature relative au protoroman et à sa reconstruction, l’auteur aurait pu donner à la partie latino-centrique de son livre un tout autre tour, plus novateur, plus stimulant et surtout plus juste. En voici, pour finir, une illustration, à propos du système casuel. Dans le cadre le l’hypothétique triple jonction historique (cf. §3.3), le virage du latin vers le type analytique du protoroman comporte, comme manifestation la plus frappante et inattendue, la réduction, avant notre ère, du système casuel nominal au seul accusatif, réduction suivie, au début de notre ère, d’une restructuration morphologique graduelle des cas avec des éléments empruntés plus ou moins directement au latin classique (cf. §4.2). En d’autres mots, le système bicasuel du gallo-roman (murs/ mur), que l’auteur postule par une analyse spatio-temporelle malheureusement incomplète, ne remonte au système classique que par un emprunt diastratique tardif; il s’ensuit qu’à mes yeux la description présentée dans l’ouvrage (49-51) n’est plus valable. Par ailleurs, le processus esquissé ici pour les cas nominaux - système du vieux latin réduction morphologique protoromane (restructuration morphologique protoromane) - s’observe en partie aussi dans toute une série d’autres sous-systèmes, également signalés par l’auteur, dont ceux de l’adverbe (fortiter forte forte-mente) et du comparatif (fortior magis/ plus fortem). L’hypothèse de la triple jonction historique rejoint plusieurs des citations présentées par l’auteur au chapitre final, mais s’appuie, techniquement parlant, sur des analyses spatio-temporelles et sur le critère de l’anomalie. Si elle est correcte et que les chercheurs soient vigilants, l’hypothèse en question, qui affecte de manière diffuse tout le système, entraîne nécessairement un réexamen de l’évolution grammaticale des parlers romans. 4.4. Un mot finalement sur l’état des recherches. Dans un passage intitulé «Zur Forschungslage» (ch. 1), l’auteur écrit: «Der heutige Stand der Forschung zum Vulgärlatein kann . . . als sehr weit fortgeschritten bezeichnet werden» (6). Toutefois (ch. 11.3), par référence à de nombreuses lacunes et aux problèmes de la reconstruction, surtout dans les domaines de la syntaxe et de la phraséologie, il écrit: «Im Bereich der Umgangssprache steckt der romanische Sprachvergleich noch in den Anfängen» (105). Le contraste entre ces deux jugements est moins surprenant qu’il semble. Sans doute, le ton optimiste du premier tient-il à ce qu’il s’agit du domaine latino-centrique, qui livre au chercheur une masse de résultats concrets et donne ainsi l’impression d’une forte avance quantitative des recherches. Quant au ton pessimiste du second, il est en partie justifié, parce que, dans le domaine romano-centrique, la syntaxe ne se prêtait, jusqu’il y a peu, que rarement à un traitement comparatif orthodoxe et reste encore qualitativement en retrait; quant à la phraséologie, elle ne se plie guère aux exigences du comparatisme, parce qu’elle reflète souvent des états ou des mouvements très courants, voire universels, par quoi elle échappe au critère de l’anomalie; aussi, pour l’italien alzare il gomito ‘lever le coude’ et ses pendants romans (88), l’origine latine ne peut-elle pas être établie avec certitude. Par ailleurs, ce pessimisme ne fait pas suffisamment justice aux chercheurs dans le domaine romano-centrique qui, avec des moyens limités, ont œuvré sur ce terrain aride depuis la dernière guerre. Hall, un pionnier des études romanes, n’est pas cité, ni le recours à la reconstruction, épisodique mais orthodoxe, par de nombreux auteurs américains et européens. Il y a eu, en fait, quant aux recherches selon le modèle de la simultanéité, dans les dernières décennies, plusieurs développements importants, dont je retrouve à peine la trace dans le chapitre final, bien qu’il fasse par ailleurs figure de synthèse: il s’agit de (i) la remise à l’honneur, par Hall, du modèle de la simultanéité et de la distinction des deux normes latines, de (ii) l’analyse spatio-temporelle du protoroman (cf. §4.3) et (iii) du critère de l’anomalie comme technique incontournable de la reconstruction (cf. §4.3). Cela revient à dire que l’état actuel des recherches romano-centriques n’est guère représenté dans cet 211 Besprechungen - Comptes rendus ouvrage, en dépit de son but affiché: «Das Buch möchte eine verständliche Einführung in Geschichte und Strukturen des Vulgärlateins auf dem aktuellen Forschungsstand [souligné par moi] geben.» (v). Sous le titre «Allgemeines» (ch. 11.1), Kiesler se livre à des considérations générales sur les progrès des études romanes. Constatant un certain morcellement des recherches, notamment en raison de différences d’opinion ou d’approche entre chercheurs et des définitions variables du latin vulgaire, qui, bien qu’inévitables, compliquent la tâche du chercheur, il ajoute: «Andererseits erfordert eine angemessene Beschreibung einen einheitlichen und kohärenten Blickpunkt» (103). Par là, il rejoint, plus qu’il ne pense, une de mes principales conclusions, à savoir que, les deux modèles de la successivité et de la simultanéité étant incompatibles l’un avec l’autre, les combiner, comme il le fait, débouche sur des résultats inacceptables et voue les recherches romanes au sur-place et à l’asphyxie. 4.5. En conclusion générale de mon appréciation critique, je dirais que l’ouvrage de Kiesler pèche par deux défauts particulièrement gênants. L’un consiste en ce que s’en dégage une impression de désordre du fait que l’auteur ne prend pas position entre les deux modèles concurrents, comme, me semble-t-il, il conviendrait en bonne méthode. Le second défaut vient de ce que l’auteur place, si je puis dire, la charrue devant les bœufs, en n’appliquant pas d’emblée, au volet latino-centrique de l’ouvrage, les excellents principes du chapitre 11. 5. Le bilan est mitigé. Dans la perspective du modèle de la simultanéité, auquel j’adhère et qui me paraît être actuellement le seul valable pour l’exploration comparative historique des parlers romans, bien des passages du livre de Kiesler me paraissent manqués ou surannés. Il eût été préférable que l’auteur, au lieu de nous offrir une présentation latinocentrique, qui fait sans doute l’affaire de latinistes, mais pas celle des romanistes, choisisse une fois pour toutes un seul modèle, le bon, et l’applique systématiquement au latin vulgaire reconstruit ou à reconstruire, dans la perspective de la problématique qu’il est un des quelques romanistes actuels à avoir examinée. Vu les qualités réelles que cet auteur manifeste aussi dans ce livre et l’étendue de ses connaissances, l’entreprise esquissée ici à son intention est, je l’espère, à portée de la main, pour le plus grand bien des études romanes. Je lui souhaite bonne chance. Robert de Dardel ★ Martin-Dietrich Glessgen, Linguistique romane. Domaines et méthodes en linguistique française et romane, Paris (Armand Colin) 2007, 480 p. In den Stürmen der diversen Studien - und Universitätsreformen - ob unter dem Zeichen des «Bologna-Prozesses» oder den Schlägen einsparungserpichter Kultusminister - scheint sich die «gute, alte» Romanistik nicht schlecht zu behaupten; wenigstens, wenn es nach Menge und Qualität der explizit unter diesem Markenzeichen in den letzten zehn Jahren erschienenen Publikationen geht. Darunter stellen bekanntlich das im Jahr 2005 mit dem achten Band abgeschlossene Lexikon der romanistischen Linguistik (LRL) und die auf drei Bände geplante (und hic et nunc - 2007 - bereits in zwei Bänden vorliegende) Romanische Sprachgeschichte (RSG) die Flaggschiffe dar. Rund um diese beiden monumenta aere perenniora gruppiert sich aber seit geraumer Zeit eine erkleckliche Anzahl mehr oder weniger umfangreicher Einführungen (etc.) in alle oder ausgewählte Sektoren der romanischen Sprachwissenschaft (cf. p. 34-36), auf denen die akademische Vermittlung der romanischen Sprachwissenschaft - und da ganz besonders in den deutschsprachigen Ländern - im wahrsten Wortsinn gründet. Verf. hat nun den überaus lobenswerten und vorzüglich 212 Besprechungen - Comptes rendus