Vox Romanica
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Francke Verlag Tübingen
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2007
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Kristol De StefaniWauchier de Denain, La vie Seint Marcel de Lymoges, éd. critique par Molly Lynde- Recchia, Genève (Droz), 2005, 130 p. (Textes Littéraires Français 578)
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2007
Richard Trachsler
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Wauchier de Denain, La vie Seint Marcel de Lymoges, éd. critique par Molly Lynde- Recchia, Genève (Droz), 2005, 130 p. (Textes Littéraires Français 578) L’édition et l’exploration du versant hagiographique de la production littéraire de Wauchier de Denain se poursuit: après les éditions parues dans la même collection en 1993 et 1999, en voici une troisième tranche, qui devient accessible grâce au travail de Molly Lynde- Recchia 1 . Cette fois, c’est saint Martial qui est à l’honneur. Comme la vie de saint Nicolas déjà éditée, la sienne fait partie de ce qu’on appelle le «second recueil» de Wauchier, consacré aux huit saints suivants: Martin, Brice, Gilles, Martial et Nicolas, Jérôme, Benoît et Alexis. L’attribution à Wauchier de Denain s’appuie sur les passages octosyllabiques que comportent ces vies en prose où se nomme un certain Gauchiers, que l’on pense, sans doute avec raison, pouvoir identifier avec Wauchiers de Denaing, qui signe la vie de Grégoire le Grand dans le «premier recueil». Grâce à la mention de Philippe de Namur que contient le prologue du «premier recueil» et la mention d’un comte, toujours de Namur, dans un passage au début du «second recueil», on peut raisonnablement penser que les textes ont été composés au début du XIII e siècle, entre 1204 et 1212. Tout cela est très clairement expliqué par l’éditrice dans son introduction qui donne aussi des informations sur les sources latines et les aspects littéraires de la vita. Le texte français est conservé dans dix-huit manuscrits brièvement énumérés (24-25), puis classés. Ce classement se fait selon un critère apparemment indiscutable, la présence d’un passage versifié ainsi que celle des sept citations en latin que contient le texte. À l’aide de cette grille, les dix-huit témoins peuvent être répartis en six groupes, dont le plus complet est composé des manuscrits London, British Library, Old Royal 20. D. vi et Paris, Bibliothèque Nationale de France, f. fr. 411 et 412, ce dernier daté de 1285 mais contemporain, peu ou prou, des deux autres manuscrits du groupe. C’est le fr. 412 que choisit l’éditrice, comme avant elle déjà l’éditeur de la Vie de saint Nicolas. Si les raisons invoquées sont très peu explicites (30), cette décision a l’avantage de proposer maintenant au public le texte de Wauchier dans une forme homogène et se justifie parfaitement bien au vu du résultat. Suivent une courte Description du manuscrit de base (30-31), des observations sur la Toilette de texte (31-32), plutôt traditionnelle, si ce n’est en ce qui concerne l’usage plus abondant de l’accent aigu, un paragraphe expliquant la pratique en matière de corrections (33), puis un autre, concernant l’étude de la langue, totalement absente de ce volume, mais accessible, il est vrai, dans l’édition de la Vie de saint Nicolas. Plus copieuses sont l’Analyse (34-35) et la Bibliographie (37-42). La vie du saint est donc éditée d’après le fr. 412, les leçons rejetées sont enregistrées en bas de page (45-92), les variantes des deux autres manuscrits du groupe sont rassemblées à la suite du texte (93-100), tout comme les notes critiques qui s’y réfèrent (101-09). Outre l’Index des noms propres (123-25) et le Glossaire (127-30), le volume comporte deux appendices: l’édition de deux passages de la vita contenue dans le fr. 23112, qui amplifie considérablement les événements de la version de base (112-15), ainsi que la version du fr. 988, qui, elle, abrège assez radicalement la vie du saint (117-21). Le tout est fait consciencieusement et appelle peu de remarques de détail, mais peut-être quelques observations générales, dont la première concerne le glossaire, très utile aux débutants. Toutefois, en se limitant à offrir une aide à la compréhension la plus élémentaire de 294 Besprechungen - Comptes rendus 1 L’Histoire des Moines d’Égypte suivie de La vie de saint Paul le Simple, éd. critique par Michelle Szkilnik, Genève 1993 et Wauchier de Denain, La Vie Mon Signeur seint Nicholas le Beneoit Confessor, éd. critique par John Jay Thompson, Genève 1999. J’ai rendu compte de ce dernier travail dans VRom. 60 (2001): 311-13. Il faudrait ajouter aussi la vie de saint Alexis, publiée il y a longtemps, avant que l’attribution à Wauchier ne soit à l’ordre du jour: Die altfranzösische Prosaversion der Alexiuslegende, ed. Erich Lutsch, Berlin 1913. son texte, l’éditrice a ici fourni quatre pages qui sont à peu près inaptes à être exploitées scientifiquement: sauf pour les verbes, qui ont droit à trois occurrences, seule la première attestation d’un mot est indiquée, ce qui fait qu’on peut avoir deux graphies suivies d’un seul renvoi. En outre, les articles sont organisés de manière peu rigoureuse et les constructions ne sont pas toujours enregistrées de façon précise. Quant aux définitions, il s’agit souvent d’une série de parasynonymes censés traduire avec plus ou moins de bonheur un mot ou une expression. Les comptes rendus que feront les lexicologues rendront sans doute justice à cette partie de l’édition et, ce qui est plus important, enrichiront nos connaissances de l’ancien français à partir des emplois intéressants que comporte le texte. Il conviendrait probablement d’étudier le vocabulaire en rapport avec la vita latine pour bien comprendre, par exemple, la répartition que fait Wauchier entre les deux termes désignant le fait de consacrer une église: dedication (84/ 1235) et dediement (85/ 1282), alors que la version du fr. 988 dit dedicace (121/ 129). Le reste du travail de Molly Lynde-Recchia est bien supérieur au glossaire. Surtout l’établissement du texte est, dans son genre, presque parfait 2 . À la limite, on aurait pu souhaiter une ligne de conduite éditoriale un peu plus sûre, fondée, par exemple, sur une étude de la langue du manuscrit de base. Çà et là, des formes et constructions admises ailleurs sans difficulté dans le corps de texte ont été corrigées, comme qui en fonction de régime, corrigé en 52/ 218, mais entériné 58/ 412, ou l’absence de pronom réfléchi dans la construction tu lieves («tu te lèves»), corrigée en 53/ 242, mais admise en 62/ 538. Cette attitude un peu chatouilleuse peut surprendre, surtout quand on voit intronisées, sans explication aucune, et, jusque dans le glossaire, des formes très suspectes comme hertie pour heitie (52/ 106), ou mesiaus, interprété comme une graphie de «muet» 3 . Si, donc, l’édition peut donner satisfaction dans la mesure où elle fournit un texte presque parfaitement normalisé, elle paraît toutefois caractérisée par son indifférence pour tout ce qui rend notre discipline intéressante, au premier chef l’enracinement concret d’un texte dans une époque et dans un lieu, enracinement qui est ici double puisqu’on est en présence d’une littérature française qui se greffe sur une tradition latine, séparée d’elle du point de vue géographique et linguistique. Dans l’introduction, l’éditrice rappelle bien comment la légende de saint Martial subit des modifications importantes au XI e siècle, précisément à l’abbaye Saint-Martial à Limoges, sous la plume bien intentionnée, mais peu scrupuleuse d’Adémar de Chabannes, qui essaie de transformer le saint en apôtre. Cette version amplifiée de la vita latine a été très diffusée au Moyen Âge, puisqu’on en connaît presque cent copies, et le texte français de Wauchier de Denain en est l’écho assez fidèle. Dans le travail de Wauchier, l’éditrice voit à juste titre «un transfert de savoir et d’autorité linguistique qui aboutira dans le remplacement du latin par le français» (24). Même s’il peut paraître quelque peu excessif de parler ici de «remplacement» dans le domaine de l’hagiographie, où le latin résistera encore pendant bien des siècles, on sera d’accord pour dire que nous 295 Besprechungen - Comptes rendus 2 Tout au plus pourrait-on faire remarquer que l’on aurait pu appliquer un traitement un peu plus conséquent à mes sires et mon seigneur, traditionnellement écrits en un mot quand il n’y pas de relation hiérarchique (46/ 34, 47/ 77, 48/ 11, etc. vs 49/ 34, etc.) et qu’il aurait été possible de se dispenser de l’accent sur enfés ( infans, passim). Une attitude un peu plus tolérante à l’égard de la pratique du scribe aurait permis d’éviter, par exemple, la correction de leceü en receü (47/ 74). En fait, il s’agit d’un lambdacisme, qui n’est pas rare dans la scripta septentrionale dont le fr. 412 est un représentant. La ponctuation peut occasionnellement paraître un peu anglo-saxonne au lecteur français, mais donne en général satisfaction (le point virgule en 79/ 1099 est, lui, une authentique coquille). 3 Pour hertie, l’on subodore une confusion dans la lecture entre i et r, soupçon que l’exemple de dementiés (54/ 294) où l’on attend dementres ne fait qu’attiser. avons affaire à un changement: l’on passe d’une abbaye limousine du XI e siècle à une cour comtale située près de Denaing, au début du XIII e . Il aurait donc été intéressant d’étudier, par exemple, ce qui advient des toponymes lors de ce passage. Dans l’index des noms propres de l’édition, certains lieux figurent sans être localisés et on aurait pu se demander si l’équivalent contenu dans le modèle latin était plus «exact» et donc identifiable, afin de savoir comment fonctionne concrètement ce «transfer» culturel. En d’autres termes, on aurait pu tenter de voir sur pièces comment s’effectue le processus, au lieu de simplement constater le phénomène. La constellation était particulièrement favorable à une telle enquête puisque nous disposons ici à la fois de la traduction de Wauchier et d’un texte latin dont John Jay Thompson, l’éditeur de la vie de saint Nicolas, a cru reconnaître le modèle suivi par Wauchier dans le manuscrit latin Valenciennes, BM 515 qui présente en effet exactement l’ordre du texte français. Le chantier de l’éditrice pouvait donc nous renseigner sur les pratiques du traducteur et sur le phénomène d’«acculturation» en général. Or, actuellement, tout ce gisement - idéologique, lexicologique et stylistique - est totalement inexploité, comme si l’éditrice n’avait pas voulu tenir compte du potentiel de son propre travail, préférant confirmer les grandes vérités de nos manuels d’histoire littéraire plutôt que de contribuer à la réécriture de quelques-uns des chapitres qu’ils contiennent. L’autre grand aspect du chantier à être quelque peu sous-exploité est celui de la tradition manuscrite. Les cotes des manuscrits que Molly Lynde-Recchia a mobilisés pour corriger son manuscrit de base, louablement enregistrées dans l’apparat, informent que, sur les 38 corrections, une vingtaine provient des deux manuscrits de contrôle 4 . Les trois témoins de ce groupe sont en effet très proches, ce qui permet de corriger les lapsus du manuscrit de base, mais ôte, soit dit entre parenthèses, presque tout intérêt aux variantes relevées. Ce qui est moins attendu, c’est la provenance des autres corrections. Bien que six corrections (dont trois concernant des accidents de copie, qui n’appellent pas de justification particulière 5 ) aient été effectuées sans l’appui de la tradition manuscrite, 17 s’appuient sur pas moins de cinq témoins différents: Paris, BNF, n. acq. 23686 (2 corr.), Paris, Bibl. Mazarine, 1716, Arras, Bibl. Mun., 851 (1 corr. chaque), Bruxelles BR, 9225, Paris, BNF, f. fr. 183 et 185 (7 corr.) 6 . C’est donc un patchwork dont la bigarrure instille un doute: si la version comportant le passage en vers octosyllabiques et les sept citations en latin qu’édite Molly Lynde-Recchia est réellement la plus ancienne et la plus authentique, comment se fait-il que la «bonne» leçon soit conservée, dans près de la moitié des cas, ailleurs que dans ce groupe? ou, en termes lachmaniens, comment se fait-il qu’elle soit conservée en aval de l’arbre? Il n’y a que deux réponses possibles: soit le classement des manuscrits a été fait selon des critères non pertinents, par exemple parce que n’importe quel scribe peut choisir d’omettre un passage en vers ou une citation latine (on peut observer que le manuscrit de base luimême contient à un endroit un blanc prévu pour une citation latine), soit les corrections sont discutables. L’éditrice se devait au moins de signaler ce problème, d’autant qu’elle l’avait formulé, presque à son insu, dans son introduction: les manuscrits Paris, BNF, f. fr. 183 et 185, dont proviennent sept corrections, forment, avec Bruxelles, BR 9225, le «groupe 4». Dans l’apparat, ils figurent avec le sigle G, parce c’est ainsi que Paul Meyer les a désignés dans son classement des légendiers français dans lesquels les vitae par Wauchier de Denain ont 296 Besprechungen - Comptes rendus 4 Malheureusement, l’accord des deux, en cas de correction, n’est pas indiqué. On ne sait donc pas si l’un des deux ne va pas avec le manuscrit de base. 5 En 79/ 1078, la leçon rejetée dans l’apparat est identique à ce qui est imprimé dans le texte et ne permet donc pas de se faire une idée de la correction effectuée. 6 J’obtiens ce nombre en incluant la correction en 50/ 150 qui est empruntée au ms Bruxelles, BR, 9225, et qui, selon la nomenclature de l’éditrice, devrait être siglée «G» et être comptabilisée avec les six autres corrections effectuées avec l’appui de ce groupe. été intégrées. Le fait est remarquable, comme le dit aussi l’éditrice, dans la mesure où le savant parisien, pour son classement, ne s’est pas occupé des textes, mais uniquement du contenu des manuscrits auxquels il reconnaissait une organisation hiérarchique qui s’est progressivement mise en place: à un noyau primitif formé de la vie du Christ, de la Vierge et des apôtres, ont été ajoutés, au fil du temps, les martyrs, confesseurs et vierges. Ainsi, Paul Meyer répartissait la masse des manuscrits en sept groupes, siglés A à G, selon les vies des saints qu’ils donnaient. Pour ce qui est de la vie de saint Martial, elle apparaît à partir du groupe C de son classement, dont le groupe G, étant le plus «inclusif» de tous, représente le dernier stade. On revient donc au point de départ: comment se fait-il que ce «dernier» stade conserve la «bonne» leçon? Ne s’agirait-il pas simplement de lectiones faciliores, le résultat d’une «purge» administrée au cycle au moment où il a été amplifié une dernière fois? Un nouvel examen de la tradition manuscrite de ces différentes vies de saints de Wauchier de Denain devrait à mon sens inclure, en amont, la tradition latine et les rapports avec le manuscrit de Valenciennes et, en aval, le devenir du texte au sein des légendiers français, qui paraissent lui avoir réservé une attention renouvelée au moment de la composition du cycle complet tel qu’il est donné par le groupe G. À peu de frais, l’éditrice aurait pu, en suivant les jalons qu’elle avait elle-même mis en place, pousser plus loin nos connaissances sur la circulation matérielle de la vie de saint Martial. Accessoirement, j’en suis convaincu, elle aurait aussi pu se faire plaisir. En l’état, il s’agit d’un travail consciencieux et honnête, mais qui manque d’expérience et de recul et passe donc un peu à côté des enjeux que comportait cette vie de saint Martial. Richard Trachsler ★ Adrian P. Tudor, Tales of Vice and Virtue. The First Old French Vie des Pères, Amsterdam- New York (Rodopi) 2005, 612 p. (Faux Titre 253) La Vie de Pères est un recueil de contes pieux composés, sans doute, au début du xiii e siècle. Connu, comme le rappelle Michel Zink dans sa courte préface, «depuis les débuts de la philologie romane» (11), le recueil a été édité intégralement en 1987-97 seulement et n’a suscité aucune étude d’ensemble. Le livre imposant d’Adrian Tudor comble donc cette lacune de façon heureuse et permettra de rendre justice à un texte qui a amplement circulé et vécu au Moyen Âge, comme l’attestent non seulement la cinquantaine de manuscrits conservés, mais aussi les variations que ces derniers présentent. Malgré une longueur de plus de 20000 octosyllabes, c’est donc un texte qui a été lu durant toute la période médiévale avant de sombrer dans l’oubli d’où la critique moderne a du mal à le sortir: privé de la virtuosité verbale qui caractérise les écrits de Gautier de Coincy et qui rend sa production si séduisante pour le public universitaire moderne, moins intéressant aussi, pour les spécialistes du folklore, que certains exempla avec lesquels il partage la thématique, le recueil de la Vie des Pères pourrait, peut-être, d’abord être lu comme un témoignage de l’expression d’une certaine piété médiévale. Ce n’est, naturellement, pas à une lecture pieuse qu’Adrian Tudor convie ses lecteurs, mais à la découverte d’un texte qu’il s’efforce d’éclairer sous différents angles littéraires. Le voyage en vaut certainement la peine. Mais comment évoquer les quarante et un contes qui composent la Première Vie des Pères? En effet, chaque conte est encadré d’un prologue et d’un épilogue qui le rendent de fait autonome, et l’ordre des composantes du recueil varie assez dans les manuscrits pour ne jamais avoir fait l’unanimité parmi les critiques. Fort de ce constat, Adrian Tudor opte pour une solution radicale: il choisit un ordre de présentation qui «deliberately avoids reproducing 297 Besprechungen - Comptes rendus
