eJournals Vox Romanica 66/1

Vox Romanica
vox
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2941-0916
Francke Verlag Tübingen
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2007
661 Kristol De Stefani

Élisabeth Gaucher (ed.), Le vrai et le faux au Moyen Âge. Actes du Colloque du Centre d’Études médiévales et dialectales de l’Université de Lille 3, Villeneuve d’Ascq (Université Charles-de-Gaulle – Lille 3) 2005, 368 p. (Bien dire et bien aprandre 23)

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moins significatifs que les différents buts auxquels les poètes les plient: que ce soit pour affirmer leur orgueil personnel, éventuellement caché sous le topos d’une modestie affichée, pour appuyer une satire anti-féministe ou anti-matrimoniale, le recours aux énumérations constitue moins un lieu commun qu’un instrument qui témoigne et de la plasticité du lexique et de la joie verbale des poètes. C’est ce qui explique aussi comment la liste d’œuvres (celle, très célèbre, qui inaugure le Cligès de Chrétien de Troyes, d’autres moins connues) fait du poète, «commerçant de mots» selon le titre de cet ouvrage, la figure parallèle du marchand, et comment le «savoir» de l’un s’apparente à l’«avoir» de l’autre. On ne sera pas surpris de constater comment des poètes de grande envergure ont adapté le procédé à leur propre poétique: pour alimenter une double image de clerc amoureux (Machaut), pour multiplier les effets d’autobiographie (Froissart), pour en faire un «mode d’écriture privilégié» au service de la vituperatio (Deschamps, p. 365), ou encore pour nourrir une image ambivalente oscillant entre la virtuosité et l’auto-dérision (Villon). Le véritable apport de cette étude nous paraît résider dans la richesse même et l’accumulation des données. Et si M. Jeay affirme ne pas pouvoir conclure, c’est bien pour éviter une dernière fois de tomber dans le piège inhérent à son sujet: l’exhaustivité, la fermeture, sont d’emblée exclues d’une matière si abondante et, au fond, inépuisable. Il nous semble cependant que deux pistes au moins restent ouvertes: l’approche lexicographique d’abord, puisque la proximité entre les listes poétiques et les glossaires, manières de langage, dictionnaires organisés par champs sémantiques, n’est qu’effleurée ici (270-71). D’autre part, on aura remarqué que les textes en prose n’ont même pas droit d’entrée dans cette analyse; on ne pourra certes pas reprocher à Madeleine Jeay de ne pas les avoir pris en compte dans un corpus déjà si vaste, mais la question se pose nécessairement: la «poétique de la liste» se décline-t-elle uniquement dans les textes en vers? En d’autres termes, quel est le rapport qui s’instaure entre le jeu des listes et la forme poétique, voire les contraintes de la versification? En contrepartie, quels sont sa part et son rôle - si part et rôle il y a - dans l’autre moitié de l’univers littéraire médiéval, celle qu’occupent les œuvres en prose? Maria Colombo Timelli ★ Élisabeth Gaucher (ed.), Le vrai et le faux au Moyen Âge. Actes du Colloque du Centre d’Études médiévales et dialectales de l’Université de Lille 3, Villeneuve d’Ascq (Université Charles-de-Gaulle - Lille 3) 2005, 368 p. (Bien dire et bien aprandre 23) Ce volume 23 consacré aux concepts médiévaux de «vrai» et de «faux» est dédié à Aimé Petit. L’homme médiéval ne prétend pas atteindre la vérité pleine et entière, qui est l’apanage de Dieu, et pourtant il la poursuit sans relâche. Au Moyen Âge, l’homme attribue à Satan la paternité de la fausseté et de la tromperie, et pourtant, lui-même ne cesse de fabriquer des faux et d’en légitimer l’usage. Ces concepts investissent tous les domaines du champ culturel, littérature, linguistique, discours scientifique et juridique, l’interdisciplinarité visant à affiner la définition d’une vérité qui, loin d’être monovalente, s’adapte aux contextes les plus variés. Chapitre I: Semblances et Senefiances romanesques. Christine Ferlampin-Acher, Celui qui croyait aux fées et celui qui n’y croyait pas: le merveilleux romanesque médiéval, du «croire» au «cuidier» (23-39). Le merveilleux romanesque pose le problème du vrai et du faux, et renouvelle cette opposition en thématisant son enracinement fictionnel sous la forme de deceptions, d’illusions et de bourdes, de mensonges, c’est-à-dire sous la forme à la fois d’êtres et de discours marqués par la fausseté. Le corpus étudié comprend Artus de Bretagne, Par- 319 Besprechungen - Comptes rendus tonopeu de Blois, le Lancelot en prose, Perceforest, Merlin de Robert de Boron, Escanor, Brun de la Montagne, Méliacin de Girart d’Amiens. Pour l’auteur, l’illusion merveilleuse et la fiction romanesque vont de pair. Etienne Gomez, Chacun sa vérité. Un nouvel examen de la Deuxième Continuation du «Conte du Graal» (41-54). On observe la même opposition à triple fond entre vrai et faux, vers et prose et bref et long. L’auteur dit clairement qu’on peut mettre dans le conte des choses qui ne se trouve pas dans l’estoire, ou qu’on peut croire à tort que le conte témoigne de toute l’estoire. Il impose à la vérité deux conditions originales; la première relève de la forme, la deuxième de la structure. Annaïg Queillé, Perceval le «nice», Amadan Mor, Peredur et Finn (55-78). Plusieurs chercheurs ont fait remarquer les liens étroits existant entre le Perceval de Chrétien de Troyes et les personnages de Finn et Amadan Mor pour la tradition irlandaise et écossaise et de Peredur pour la tradition galloise. A. Queillé conclut qu’à travers ces diverses formes de réécriture selon les valeurs de l’époque, le héros mythique est devenu un personnage héroïque romanesque, héros humanisé, improbable et problématique, emblématique des préoccupations morales et intellectuelles de l’époque. Jean-René Valette, Les «Hauts livres» du Graal et le problème de la vérité (79-99). Le problème de la vérité dans les Hauts livres du Graal pose, en réalité, celui de la vérité des Hauts livres du Graal eux-mêmes, de ces romans qui revendiquent la qualité de Hauts livres. La question fondamentale est celle de l’articulation qu’il convient d’établir entre une conception chrétienne qui règne sans partage au sein de la fiction, celle d’une vérité de la foi, et la foi qu’il convient d’accorder à ces textes. Chapitre II: Ambivalences tristaniennes. Jacques Chocheyras, De la tromperie à l’erreur, sémantique du «faux» au Moyen Âge (103-09). Scrupuleusement, l’auteur examine les trente-cinq occurrences de mots de la famille de «vrai» et vingt de celle de «mentir». Jean-Marc Pastré, Pour une éthique de la communication: le vrai et le faux dans les romans de «Tristan» (111-20). L’exposé retient essentiellement les épisodes du serment ambigu et du refrain chanté par Tristan à la cour de Petite Bretagne. Jacques Ribard, Le «Tristan de Béroul» ou l’impossible quête de vérité (121-27). L’auteur étudie en particulier les Folies Tristan et le lai du Chèvrefeuille de Marie de France; il met en exergue l’importance du thème du regard et de la parole. Chapitre III: Visions et voyages dans l’au-delà. Robert Baudry, Merlin: visionnaire ou faussaire? (131-41). La figure de Merlin est ambivalente; ces enchantements sont-ils bénéfices ou maléfices? L’auteur conclut que les textes doivent se comprendre par la mentalité de leur temps et non par celle du nôtre. Mattia Cavagna, La «Vision de Tondale» à la fin du Moyen Âge: vérité historique ou fiction littéraire? (143-58). Les visions médiévales de l’au-delà sont issues, plus ou moins directement, de la littérature apocalyptique qui se développe à partir du II e siècle avant Jésus-Christ. L’apocalypse attribuée à saint Paul est indiquée comme la principale source de la production médiévale. La question posée est la suivante: quelle est l’attitude du lecteur laïc de la fin du Moyen Âge vis-à-vis du récit de la Vision de Tondale? Est-il encore considéré comme le témoignage d’une expérience authentique, ou plutôt, comme une création, voire une fiction littéraire? Huguette Legros, Vérité testimoniale, vérité théologique et «vérité de l’art» dans quelques récits de voyage dans l’au-delà, deuxième moitié du XII e -début XIII e siècle (159-72). Des analyses effectuées, il ressort que le concept de «vérité» est polysémique. L’opposition vérité/ mensonge peut renvoyer soit à l’opposition littérature religieuse/ littérature profane ou encore édification/ fiction, soit à l’authenticité ou non de l’écrit au témoignage du voyageur. La vérité testimoniale, quant à elle, n’est, jusqu’au xii e siècle, remise en 320 Besprechungen - Comptes rendus cause que de manière rhétorique pour mieux accréditer la véracité du récit du visionnaire. Chapitre IV: Le «bel» mentir du genre épique. François Suard, La question de la vérité dans les chansons de geste (175-93). Le chanteur de geste, de par la dignité de son sujet, de par la relation immédiate qu’il entretient avec son public, semble ne pas devoir prouver la véracité de ses propos: il le fait pourtant, jusque dans les textes les plus anciens. Mensonge et vérité sont liés à la construction du sens de la chanson de geste; ils concourent aussi à la création du pathétique, dans la mesure où l’annonce véridique de l’avenir, soit par le songe, soit par la parole, est négligée ou rejetée par les protagonistes. Hélène Tétrel, Le brouillage des sources dans les adaptations norroises des chansons de geste (195-207). Traits stylistiques, influences étrangères dans l’organisation narrative, prologues, citations et autres garanties sont autant d’indices d’après lesquels on peut établir la nature des sources épiques françaises des sagas traduites. Chapitre V: Fictionnalisation de l’histoire. Philip E. Bennett, Jean le Bel, Froissart et la Comtesse de Salisbury: entre histoire et mythe chavaleresque (211-24). On a l’impression que pour Froissart, au moment où il rédige le Livre I des Chroniques, le mythe passe avant le vrai. Marie-Geneviève Grossel, Entre désinvolture et imposture? «Les Récits d’un Ménestrel de Reims» (225-37). Pour comprendre et goûter le Ménestrel de Reims comme le firent ses auditeurs puis ses lecteurs, il nous faut accepter de quitter nos idées préconçues. Nous devons lire ses Récits comme l’œuvre d’un conteur plein de verve et de fantaisie, qui visait à divertir tout en édifiant. Chapitre VI: Rhétorique et linguistique. Corinne Féron, Les modalisateurs «il est voir/ vrai, en vérité» et «à la vérité» en français médiéval (241-61). L’auteure s’intéresse à des expressions comprenant le nom vérité ou les adjectifs voir ou vrai, en se limitant à leurs emplois comme modalisateurs. L’étude porte sur des œuvres narratives en prose des XIII e , XIV e et XV e siècles qui figurent dans la Base du français médiéval. Danièle James-Raoul, La rhétorique entre vérité et mensonge: les leçons des arts poétiques des XII e et XIII e siècles (263-75). L’auteure souligne les spécificités de l’écriture fictionnelle aux XII e et XIII e siècles: le rapprochement tangentiel de la poésie avec la philosophie, la question de la vraisemblance qui tend à s’imposer en remplaçant celle du vrai, l’importance accordée à la figuration du discours poétique, vecteur de vérité ou de mensonge. Dominique Lagorgette, La vérité du nom: métadiscours sur le droit nom, métadiscours sur l’origine? (277-93). La dénomination médiévale, telle qu’elle est représentée dans les œuvres littéraires en ancien et moyen français, paraît poser de manière cruciale le problème du vrai et du faux pour l’ère culturelle envisagée, bercée qu’elle est par les principes judéo-chrétiens. C’est à travers le rapport au nom que l’individu prend sa place dans le groupe social, mais aussi plus généralement dans le monde. Il s’insère dans une histoire à la fois familiale, locale et sociale qui le précède, le suivra et surtout sera transmise, d’où l’importance pour lui de ne pas perdre son «droit nom». Ce sont surtout le Conte du Graal, le Bel Inconnu et la farce Jenin, fils de rien qui servent d’exemples. Fabienne Pomel, L’art du faux-semblant chez Jean de Meun ou «la langue doublée en diverses plicacions» (295-313). Le faux semblant repose sur la disjonction de l’apparence et de l’être, par opposition au vrai qui scelle leur concordance et coïncidence. Faux-Semblant, par delà le jeu de la falsification, invite le lecteur à chercher une vérité seconde, complexe, contradictoire. Il propose une leçon de méfiance envers les signes, qu’ils soient sociaux, amoureux ou langagiers et incarne une figure ambiguë, alliant ruse, transgression et plaisir du jeu. 321 Besprechungen - Comptes rendus Chapitre VII: L’autorité juridique et scientifique. Joëlle Ducos, Fantasmes et illusions: les apparitions aériennes (317-31). Le phantasme aérien, lié à l’apparence et à l’illusion, invite à l’interprétation sur sa forme, sa réalité et sa perception. Il n’est plus simple image, mais composante intrinsèque du monde naturel que l’on ne peut décrire autrement que par l’analogie ou la métaphore. Corinne Leveleux-Teixeira, Droit et vérité. Le point de vue de la doctrine médiévale (XII e -XV e s.) ou la vérité entre opinion et fiction (333-49). La vérité occupe une place paradoxale dans le discours juridique savant du Moyen Âge. D’un côté, il semble établi dès les premiers Glossateurs que le droit doit être interprété «selon la vérité» et qu’il peut être assimilé à une entreprise de vérité. À l’inverse, maints moyens n’ont-ils pas été mis en œuvre à seule fin de prévenir et réprimer l’altération, la dissimulation ou la falsification de ces mêmes actes, l’insincérité des témoignages produits ou la manipulation des indices et des preuves allégués au cours d’une procédure? Christine Silvi, Faire dire vrai dans le discours de vulgarisation scientifique en français (XII e -XV e siècles): l’argument d’autorité à l’épreuve de la méthode doxographique (351-68). Pour que sa parole devienne parole de véridiction, l’encyclopédiste a à sa disposition toutes sortes de stratégies discursives dont la plus fréquente est l’argument d’autorité. La méthode doxographique qui est à l’œuvre dans les textes scientifiques en langue vulgaire dénonce d’ailleurs les limites d’une telle conception. Marie-Claire Gérard-Zai ★ Sarah Baudelle-Michels, Les avatars d’une chanson de geste. De Renaut de Montauban aux Quatre Fils Aymon, Paris (Champion) 2006, 535 p. (Nouvelle Bibliothèque du Moyen Âge 76) On reconnaîtra à cette étude de Sarah Baudelle-Michels deux grands mérites au moins: celui de la clarté d’abord, clarté du plan, de l’exposé, de l’application méthodologique, et celui du courage, qualité indispensable pour approcher un corpus aussi vaste que celui des réécritures imprimées de Renaut de Montauban. Cet ensemble (dont sont exclus tant les livrets d’opéra que les bandes dessinées et les adaptations dérivées de la branche italienne) ne compte pas moins de 218 titres pour la tranche chronologique allant des premiers incunables à l’an 2000; et il est bien compréhensible que, pour mener à bien son travail, l’auteure ait dû réduire son inventaire, en retenant une vingtaine de titres étalés sur six siècles et représentatifs d’une triple réception: versions «traditionnelles», marquées par une sorte d’inertie éditoriale qui les rend très proches entre elles (imprimés anciens et Bibliothèque Bleue), versions «dérivées» (remaniements plus libres, produits à partir du XVIII e siècle) et versions théâtrales (du XVIII e au XX e siècle). On trouvera le recensement des titres - complet dans la mesure du possible - aux p. 13-31 de l’Introduction, le corpus de travail aux p. 49-51. Les pages introductives rendent aussi compte de l’approche critique adoptée: il s’agit de l’esthétique de la réception élaborée par Hans Robert Jauss, qui permet de s’interroger sur les raisons d’un succès éditorial aussi durable en tenant compte et des traits caractéristiques du texte de départ (qui n’est pas - il vaut sans doute mieux le rappeler - la geste en vers du XIII e siècle, mais une réécriture en prose déjà, la version «courte» transmise par le ms. Arsenal 3151) et des goûts des différents publics pour lesquels l’ancienne épopée a été adaptée au fur et à mesure. La première partie du livre («Cadres et structures») s’attache aux aspects formels, en mettant en relief continuités (pérennité du titre - Quatre fils Aymon - sous sa forme archaïque, traits constants dans les textes liminaires) et ruptures (morcellement du texte, re- 322 Besprechungen - Comptes rendus