Vox Romanica
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2008
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Kristol De StefaniAchille et Ulysse dans le Roman de Troie: deux héros ambigus
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2008
Luca Barbieri
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Achille et Ulysse dans le Roman de Troie: deux héros ambigus En 2005, la sortie du film Le Monde de Narnia: le lion, la sorcière blanche et l’armoire magique m’a poussé à relire l’œuvre de Clive Staples Lewis, qui avait accompagné les années de mon enfance. Dans une édition assez récente, j’ai trouvé des fragments inédits et des textes qui m’étaient inconnus. Dans l’ébauche d’un roman inachevé, l’écrivain nord-irlandais mort en 1963 imaginait la fin de la guerre de Troie d’une manière nouvelle et insolite 1 . Ménélas entre dans la ville en ruine et se met à la recherche d’Hélène, le cœur partagé entre un sentiment de pitié et un désir de vengeance. Quand finalement l’ancienne reine de Sparte est emmenée en sa présence, il a de la peine à le croire: celle qui incarnait l’idée même de la beauté et de la perfection est devenue une figure terne et insignifiante, à peine reconnaissable. Dix ans se sont écoulés, et le temps passé a gravé sur les traits de son visage plus de ravages que la guerre elle-même. Peu de temps après, une deuxième Hélène apparaît en Egypte, réplique parfaite de la beauté de jadis. Par le biais de ce souvenir cultivé de l’eidolôn de la tragédie d’Euripide, Lewis creuse sous la surface du mythe et met en scène ses propres tourments face à la grave maladie et à la mort de sa femme: le véritable amour doit-il se nourrir des doux souvenirs du passé ou peut-il se transformer en quelque chose de nouveau et s’approfondir à travers l’acceptation de la réalité? Peut-on vraiment aimer sans sacrifice, sans la perception pressante du destin? Cette expérience de lecture, ou de relecture, m’a permis de comprendre encore une fois ce qui, dans l’histoire de la culture, est déjà clair depuis des siècles: l’histoire de la guerre de Troie est devenue à bon droit un mythe universel; les faits, les situations et les personnages de ce mythe peuvent encore de nos jours exprimer les profondeurs et la vérité de la condition humaine. N’étant pas esclaves de nos préoccupations philologiques et conservatrices par rapport à la vérité historique, les savants du Moyen Âge ont opéré aussi des relectures de la matière troyenne, qui ne coïncident ni avec les formes classiques du mythe, ni avec nos interprétations modernes. Les personnages ont été transformés et sont devenus des symboles, les situations et les batailles allégorisant les événements contemporains, les histoires d’amour et les moralisations adoucissant la sévérité de la forme épique 2 . Le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure et ses 1 After Ten Years, dans C. S. Lewis, The Dark Tower and other stories, edited by W. Hooper, London 1977. 2 Wilmotte 1914 déjà souligne la présence à l’intérieur du Roman de Troie d’une nouvelle veine lyrique qui exalte l’importance de l’amour à côté de l’attitude épique: «il y a en effet, quelque chose de changé dans la littérature du temps. La femme, qui n’était rien (ou peu de chose) dans Vox Romanica 67 (2008): 57-83 Luca Barbieri versions en prose contribuent à cette transformation perpétuelle des personnages de la matière antique. Dans ces pages je voudrais mettre en évidence la relecture médiévale dont font l’objet les héros éponymes des œuvres homériques: Achille et Ulysse. Achille et Ulysse sont de toute évidence les protagonistes principaux, de manière directe ou indirecte, de l’Iliade et de l’Odyssée: les thèmes exprimés dans les premiers vers des deux poèmes homériques sont clairs et explicites. Dans les textes grecs, ces personnages ne sont pas dépourvus de traits ambigus, mais il s’agit évidemment de deux figures positives avec lesquelles le lecteur peut facilement s’identifier: le courage, la bravoure, la force d’Achille et l’astuce, l’intelligence, la sagesse d’Ulysse sont légendaires et proverbiales. Mais le Moyen Âge, on le sait bien, ne connaît pas les poèmes d’Homère. Les sources principales du Roman de Troie, écrit par le clerc de Sainte-Maure vers 1165, sont deux courts textes latins en prose qui ont la prétention d’être des chroniques historiques des événements: l’Éphéméride de la guerre de Troie de Dictys de Crète (IV e siècle) et surtout l’Histoire de la destruction de Troie de Darès le Phrygien (VI e siècle) 3 . Dans le prologue de son roman, Benoît évoque pourtant le nom d’Homère (connu probablement à travers la réduction appelée Ilias latina), mais, en suivant Darès, il refuse son autorité sous prétexte que son récit serait poétique et donc mensonger, contrairement à la chronique de Darès, vraie et fiable parce que réellement «historique» 4 . Dans ce dernier texte, la guerre est racontée selon le point de vue des Troyens et de fait tout le Moyen Âge tend à prendre décidément le parti des perdants en mettant les Grecs sous une mauvaise lumière 5 . Pourquoi? Nous connaissons l’importance de l’autorité de Virgile pour la culture médiévale et l’immense fortune de son Énéide, qui raconte le mythe de la fondation de Rome par les descendants d’Énée, héros échappé au massacre de Troie. Le 58 les plus anciens récits de caractère épique, va occuper longuement les auteurs des romans imités de l’Antiquité, et Benoît plus que tous les autres» (105); «Benoît unit dans ses expressions les tours épiques et les façons de s’exprimer de la lyrique» (115). Sur le même thème cf. p. ex. Adler 1960 et Baumgartner 1996. 3 Les citations tirées de Darès et Dictys se réfèrent aux éditions Meister 1991 et Eisenhut 1973. 4 Roman de Troie, v. 45-74. Benoît reprend la lettre du présumé Cornelius Nepos, qui précède le récit de Darès. Pour le rapport entre Homère «poète» et Darès «historien», cf. p. ex. Jacquesson 1985. Dans son analyse, F. Jacquesson évoque aussi l’Hélène d’Euripide (87). Toutes les citations du Roman de Troie sont tirées de l’édition Constans 1904-12. Pour la version en prose «commune» (Prose 1), je fais référence à l’édition Constans/ Faral 1922. Pour les autres versions en proses inédites, je cite directement à partir des manuscrits: la version de Rouen est citée d’après le ms. O.33 de la Bibliothèque municipale de Rouen; la version napolitaine est citée d’après le ms. Royal 20.D.I de la British Library de Londres. 5 Une exception remarquable est constituée par l’Ovide moralisé, poème allégorique dont les moralisations exaltent les aspects christiques des héros grecs. Pour les interprétations discordantes de la figure d’Ulysse au Moyen Âge cf. Babbi 2000. Achille et Ulysse dans le Roman de Troie cœur du grand empire qui, selon la vision médiévale, a permis la diffusion de l’État juste et de la religion chrétienne a donc des racines troyennes. En se fondant sur ces prémisses culturelles, on ne doit pas s’étonner si tous les peuples de l’Occident chrétien veulent avoir une origine troyenne et si les souverains sont prêts à demander aux savants de cour d’en inventer une sur mesure. Charlemagne déjà, qui fondait son idée du Saint Empire sur la continuité idéale, politique et généalogique avec Rome, dut se construire une ascendance troyenne. À partir du IX e siècle, tout souverain censé fonder une nouvelle dynastie doit pour cette raison compter parmi ses ancêtres quelques-uns des héros dardaniens, que ce soit Énée, Anténor ou Hector. C’est l’idée de la translatio imperii: le pouvoir impérial est passé de Troie à Rome et de Rome à la France, tout comme dans la translatio studii le savoir est passé de la Grèce à Rome et de Rome à la France 6 . Dans quelques cas on arrive même à supposer que les rois français descendent d’un fils de Priam ayant survécu à la guerre 7 . La preuve en est que, dans le Roman de Troie, le vrai preux est Hector 8 . C’est à lui que l’on applique le plus souvent le couple d’adjectifs preux et hardis (et après sa mort, cet héritage passe à son frère Troïlus); c’est lui le vrai prototype du chevalier médiéval: fort, courageux, sage, modéré, pieux, protecteur de la famille mais disposé à tout sacrifier pour la patrie 9 . La scène de sa mort occupe le centre du poème, ses funérailles et son tombeau sont décrits avec force détails 10 . Cette relecture et ce renversement de perspective touchent inévitablement les héros grecs, sur lesquels quelques ombres commencent à se dessiner: ils gagnent la guerre par la tromperie, la déloyauté, la trahison et ces moyens ne sont pas très appréciés dans l’épique médiévale. Même l’astuce, la fameuse ruse d’Ulysse, est blâmée. Cela nous explique pourquoi Achille n’est pas inséré dans la liste des Neuf Preux. La colère du poème homérique devient au Moyen Âge un 59 6 La bibliographie sur la translatio studii et imperii est très abondante. Parmi les travaux les plus récents et complets sur la question cf. Faral 1969, Beaune 1985a, Beaune 1985b, Pastre 1992, Mathey-Maille 1997, Brückle 2000, Jung 2000, Chauou 2001. 7 C’est la version proposée par l’Historia regum Francorum du Pseudo-Frédégaire (VII e siècle), reprise par le Partonopeu de Blois (avant 1188) et par la deuxième version de l’Histoire ancienne jusqu’à César (ms. Royal f. 194d-195b). Voir par exemple Joris 2004. 8 Hector est une des trois figures de païens que l’on trouve dans la liste des Neuf Preux établie par Jacques de Longuyon dans les Vœux du paon, interpolation du Roman d’Alexandre écrite au début du XIV e siècle. Il incarne le modèle du guerrier modéré. Cette liste sera reprise, parfois avec quelques modifications, par d’autres auteurs. Sur le motif des Neuf Preux cf. Trachsler 1996: 294-313 et 401-64; Trachsler 2000: 233-38 et 286-97; Bellon-Méguelle 2007: 385-89. 9 Pour la description d’Hector et de ses qualités, en particulier largesse, prouesse et courtoisie, cf. Croizy-Naquet 1996. 10 Les mêmes caractéristiques ont été mises en évidence par Liliane Dulac 2006 dans son analyse du Livre de la mutacion de Fortune de Christine de Pizan, mais elles doivent être attribuées à la source utilisée par Christine, c’est-à-dire la cinquième mise en prose du Roman de Troie, dont il sera amplement question dans la suite. Luca Barbieri trouble caractériel, voire une altération psychique, qui le conduit à la folie: dans le Roman de Troie, Achille est violent, vindicatif, mentalement instable, déloyal. Il ne peut pas être un preux. Quant à Ulysse, surtout dans la partie finale du roman, est présenté comme un couard, un lâche, un menteur et un trompeur 11 . Le moment est venu d’entrer dans les détails et de donner quelques exemples du noircissement progressif des héros homériques: un processus qui commence dans le Roman de Troie en vers et qui continue dans ses cinq versions en prose composées entre le milieu du XIII e siècle et la première moitié du XIV e siècle. L’immoralité d’Achille Sur la base de quelques éléments tirés de l’art, de la littérature et de la mythologie antiques, le Moyen Âge se fait l’idée que les Grecs sont des gens immoraux, avec en particulier un fort penchant pour l’homosexualité, considérée comme un péché contre nature dans la doctrine chrétienne. Dans ce contexte, la caractérisation homosexuelle d’Achille peut être facilitée par deux éléments: a) la diffusion d’une légende posthomérique qui le présente comme tombant amoureux du jeune Troïlus, après l’avoir vu déshabillé près d’une fontaine 12 ; b) le lien d’amitié avec Patrocle, déjà mis en évidence à partir de l’Iliade, qui assume une connotation de plus en plus homoérotique au cours du Moyen Âge 13 . Dans le Roman de Troie, l’ambiguïté sexuelle d’Achille est suggérée déjà dans la description de Patrocle, qui suit immédiatement celle du fils de Pélée. Patroclus ot le cors mout gent e mout fu de grant escïent. Blans fu e blonz e lons e granz e chevaliers mout avenanz; les ieuz ot vairs, n’ot pas grant ire; beaus fu mout, a la verté dire. Larges, donere merveillos, mais mout par esteit vergondos. (Roman de Troie, v. 5171-78) Léopold Constans traduisait le mot vergondos (correspondant au latin verecundum de Darès XIII, 13) d’une manière particulièrement forte: «qui a des mœurs 60 11 Sur la caractérisation négative des héros grecs dans le Roman de Troie cf. par exemple Besnardeau 2006. 12 On peut trouver des traces de cette tradition dans le commentaire de Servius à Aen. I, 474: «Troili amore Achillem ductum palumbes ei quibus ille delectabatur obiecisse: quas cum vellet tenere, captus ab Achille in eius amplexibus periit». 13 Sur le lien entre Achille et Patrocle dans le Roman de Troie cf. Thiry-Stassin 1989 et Adler 1960 (plus particulièrement 22-23). Achille et Ulysse dans le Roman de Troie honteuses» 14 ; il faudra peut-être nuancer, mais il est clair que dans ce contexte on ne pourra pas attribuer à cette expression un sens neutre et générique 15 . La version en prose dite «commune» (Prose 1) 16 opte pour une interprétation assez banale, sans toutefois renoncer à mettre en évidence le caractère efféminé du personnage: Patroclus fu jeunes hons et de merveillouse biauté. Les iauz ot vairz et rianz et tous jors sambloit honteus come une pucele. Larges estoit en doner et miaux estoit tailliés a sejorner delicïousement que a travail d’armes. (Roman de Troie en prose, §70, 16-19) Mais les versions en prose successives ajoutent quelques éléments plus explicites: Patroclus estoit beaulx a merveilles, blonz cheveulx menuz recercellez, crespés, et blans et vermeulx, et preux et hardiz. Et s’entreamoient moult entre lui et Achillez. (ms. de Rouen, f. 23c) Patroclus estoit biaus a merveilles, blons cheveus menus recercelé, crespés, blans et vermeil, prous et hardis, et mult s’entreamoient il et Ulixés. (ms. Royal, f. 56cd) Le compilateur du ms. Royal (Prose 5) met à la place du nom d’Achille celui d’Ulysse; il s’agit d’une faute évidente qu’il faudra corriger, mais elle est significative parce qu’elle permet de faire un premier rapprochement des deux héros grecs. Lors de la première entrevue d’Achille et d’Hector 17 , après la mort de Patrocle, le prince troyen reproche à l’ennemi son homosexualité d’une manière à la fois ironique et méchante: 61 14 Roman de Troie, V, p. 5 et 313-14. 15 Pour une interprétation intéressante du portrait de Patrocle, cf. Thiry-Stassin 1989: 385: «Dans la longue série des portraits de héros grecs et troyens, les descriptions d’Achille et de Patrocle se font suite et traduisent fidèlement, tout en les amplifiant, les données de l’Excidio Troiae: les caractéristiques physiques et morales sont reprises, une seule mise en évidence est opérée à la fin de la représentation de Patrocle: en opposition à sa beauté et à sa largesse, celui-ci est dit ‹Mais mout par esteit vergondos›; si l’on ne peut être tout à fait sûr de traduire, comme le faisait L. Constans, par ‘qui a des mœurs honteuses’, on ne manquera pas de noter que les sens de ‘discret, timide, honteux’ ne sont employés par l’auteur médiéval que dans ces situations où les comportements sont faussement honteux ou discrets. La qualification, placée en opposition et figurant en fin de portrait, trahissant un comportement rougissant, féminin, peu digne d’un chevalier guerrier, fera mouche plus aisément. Il faut d’ailleurs remarquer chez Benoît une tendance à ajouter au portrait de certains de ses personnages des traits prophétiques pour leur carrière amoureuse». Le travail de Martine Thiry-Stassin est d’ailleurs parsemé d’observations intéressantes à propos de l’homosexualité d’Achille dans le Roman de Troie. 16 Pour une mise au point bibliographique et une synthèse des recherches sur le Roman de Troie et ses versions en prose cf. Jung 1996. 17 Cet épisode du Roman de Troie est marqué par les interventions de l’auteur qui indiquent les passages dignes d’une attention particulière: «Certain events in the story are accompanied by unusual concentrations of ‘clusters’ of personal interventions by the author. One such event is the interview between Hector and Achilles, in which a simple, dramatic solution to the conflict - a winner-take-all combat between the two champions - is proposed but is eventually vetoed by more senior figures on both sides (13121-260). Here the proliferation of the first person inter- Luca Barbieri L’ire grant que vostre cuers a porreiz vengier e les mesfaiz que tant dites que vos ai faiz, e la dolor del compaignon dont j’ai fait la desevreison, que tantes feiz avez sentu entre voz braz tot nu a nu, et autres gieus vis e hontos, dont li plusor sont haïnos as deus, quin prenent la venjance par la lor devine poissance». (Roman de Troie, v. 13178-88) Puisque les dieux du panthéon classique sont bannis dans la vision «historique» de Benoît, cette référence ne peut que représenter, sous le voile du mythe, la colère du Dieu unique chrétien envers une pratique considérée aberrante. Cette accusation est reprise par l’auteur de Prose 1, et le même texte se trouve dans Prose 5 (ms. Royal, f. 100b): Et por ce vos di je que li poins en est venus, se vos avés tant de proësce en vos come vos demoustrés ici par semblant, et se vos avés talent de vengier Patroclus que vos tant amastes, de quele amour aucune folles gens distrent cruël vilenie, la quel chose je ne vossice por amor de vos por mil mars d’or que ce fust voirs. (Roman de Troie en prose, §136, 17-23) Le fait que l’accusation soit moins nette que dans le roman en vers n’est pas dû au choix de l’auteur de Prose 1, mais au fait qu’il suit un manuscrit du roman en vers qui reporte la version longue de ce passage, qui est plus modérée 18 . La référence à l’homosexualité d’Achille est une ombre projetée sur la figure de ce grand guerrier. Benoît ne nie pas son excellence dans l’exercice des armes, mais il nous prévient de quelques excès dans son comportement, qui sont incompatibles avec l’image du parfait chevalier courtois, dont une des qualités essentielles est la mesure. Cette impression s’approfondira dans la suite du poème. 62 ventions (a total of five in the 54 lines of description which follow the dialogue between the two men) signals to the audience that the author considers this episode worthy of special attention, and that they should also give close consideration to its significance (which seems to be, once again, that both sides were guilty of exacerbating the conflict by refusing a course of action which would have limited the damage done by the war)» (Eley 1990: 185-86). 18 Il existe plusieurs versions de cette première entrevue entre Achille et Hector. Sur la base de l’analyse de Jung 1996: 30-32, on peut conclure que les versions Prose 1 et Prose 5, quasiment identiques, dépendent de la version longue typique des ms. CKN 4 S 2 W du Roman de Troie, tandis que l’édition de Constans suit le ms. M 2 , qui est un témoin de la version courte. Achille et Ulysse dans le Roman de Troie Achille l’infâme: la déloyauté et la cruauté gratuite en bataille Achille ne respecte pas les règles du bon chevalier courtois. C’est dans la description de son comportement pendant la bataille que Benoît opère sa transformation du mythe troyen la plus intéressante et la mieux construite, puisque l’attitude d’Achille est constamment mise en opposition avec celle d’Hector. De plus, une accusation d’infraction au code courtois est extrêmement grave pour la mentalité chevaleresque médiévale. L’épisode de la mort de Troïlus, bien que placé vers la fin du roman, est un excellent point de départ pour comprendre l’insistance sur l’attitude déloyale d’Achille opérée par l’auteur du Roman de Troie. Achille profite d’une chute accidentelle du fils de Priam, qui dans la circonstance perd aussi son heaume; avant qu’il puisse se relever, Achille lui coupe la tête avec son épée. Toz les aveit desbaratez, ocis, detrenchiez e navrez; a la veie les aveit mis, quant ses chevaus li fu ocis. Feruz esteit de dous espiez, ne poëit mais ester sor piez; en mi la place s’estendi, e Troïlus sor lui chaï. N’ot o lui compaignon ne per: ainz qu’il s’en poüst relever, fu Achillès sor lui venuz. Ha! las, tanz cous i ot feruz sor lui d’espees maintenant! E Achillès se mist en tant qu’il ot la teste desarmee. Grant defense, dure meslee lor a rendu: mais ço que chaut? Rien ne li monte ne ne vaut, quar Achillès, le reneié, li a anceis le chief trenchié qu’il puisse aveir socors n’aïe. Grant cruëuté, grant felenie a fait: bien s’en poüst sofrir! (Roman de Troie, v. 21423-45) Puis il attache le corps de Troïlus à la queue de son cheval et le traîne par le champ de bataille, reprenant un élément de la mort d’Hector dans l’Iliade, mais avec un surplus de méchanceté gratuite. A la cöe de son cheval atache le cors del vassal; adonc le traïne après sei, si quel virent cil del tornei. (Roman de Troie, v. 21447-50) 63 Luca Barbieri Peu après Achille s’acharne contre le cadavre de Memnon, qui lui avait reproché d’avoir tué Hector «par trahison», et le coupe en morceaux. Les versions en prose n’ajoutent rien de particulièrement significatif à la description de ces épisodes. Quant li coilverz, li enemis l’ot ensi vencu e ocis, sil detrencha tot par morseaus (Roman de Troie, v. 21595-97) Mais c’est justement la scène de la mort d’Hector qui nous intéresse le plus, car elle occupe le centre du récit, une position importante et stratégique dans l’économie du roman, et elle subit une transformation remarquable dans les versions en prose. Le fils de Priam est tué pendant qu’il est occupé à traîner le corps d’un roi qu’il vient d’abattre, et pour cette raison il n’est pas protégé de son écu. Dans le roman en vers, Achille est qualifié de cuiverz («scélérat») à cause de son acte 19 : Li cri i sont grant et li hu, qu’Ector ot un rei abatu; prendre le vout e retenir e as lor par force tolir: par la ventaille le teneit, fors de la presse le traeit, de son escu ert descoverz. E quant l’aperceit li coilverz, - c’est Achillès, qui le haeit, - cele part est alez tot dreit. dreit a lui broche le destrier: nel pot guarir l’auberc doblier que tot le feie e le poumon ne li espande sor l’arçon. Mout le trebuche tot envers: en poi d’ore est pales e pers. (Roman de Troie, v. 16215-30) 64 19 Les épithètes négatives qui caractérisent le personnage d’Achille et qui dénoncent la prise de position de l’auteur se multiplient dans la deuxième partie du récit. Elles sont déjà assez nombreuses dans le roman en vers (li coilverz 16222, 19016; recreanz e coarz e feus 19032; li aversiers 21138; le coilvert, le desfaé, le reneié 21200-01; coilverz 21476; Achillés le reneié 21441; li coilverz, li enemis 21595; del traïtor, del reneié 21846; cist enemis 21895), mais c’est surtout dans les versions en prose que le jugement devient fréquent (c. p. ex. le ms. Royal f. 113d: cuvers trahitres; f. 144c: li desloial et fel desloial). Memnon apostrophe Achille d’une manière particulièrement violente dans Prose 5, ms. Royal f. 144c: «Lors li dist Menon: ‹Vous le lairez, fel desloial! Trop avés grant crualté et grant mal et grant orgoil qui ensint avés trainé le fils le roi. Mes ceste outrage sera bien vengie et ne targera pas longuement. Mult est grant domage que vous avés tant vescu et que vous avés tant armes portees; de male heure fustes vous onques nés, car vous ne penssastes onques se fauseté et traïson non. Vous avés mort Hector et cestui a grant desloiauté et a grant felonnie, mes je vous en defi›». Achille et Ulysse dans le Roman de Troie Le texte de Benoît est repris par la version en prose «commune» 20 et par celle de Rouen (Prose 3), mais son évolution dans la version napolitaine (Prose 5), probablement à partir d’une variante contenue dans plusieurs manuscrits du roman en vers, est particulièrement intéressante et explicite. Lors out Hector abbatu .i. roi et le tenoit par la ventaille pour traire hors de la presse, et iert descouvert de son escu; et quant Achillés l’aperçut si est alés cele part tout droit, et brocha vers lui son destrier, et le fiert de la lance par derriere, que onques l’auberc doublier ne le pout garantir que il ne li espandist le foie et le poulmon, et mort le trebuche tout envers . . . Et il li fu nuncïe [à Memnon] la doulereuse novele que Hector ses chiers cousins, que il tant amoit, estoit occis par la main d’Achillés, et li fu conté comment il l’agaita et le feri par derriere . . . «Ha cuvers trahitres, ore as tu acompli ton desir! pluseur fois vous combatistes a lui cors a cors et esprovastes sa force quele elle estoit envers vous, et vous et vostre cosin Thoas ne le peüstes conquerre ne metre au desous pour toute la force de vous deuls ensemble. Et ore l’as tu agaitié comme traïtres, quant tu le veïs descouvert de ses armes et de son escu et le feris par derriere et l’occisis». (ms. Royal, f. 113cd) Achille frappe Hector par derrière. Il ne s’agit pas seulement d’une référence probable au thème de l’homosexualité du Grec (les images des manuscrits sont assez explicites 21 ). Ce geste de bassesse et de lâcheté est considéré comme une grave infraction au code chevaleresque; il paraît tellement scandaleux aux yeux de l’auteur de la version en prose qu’il l’évoque plusieurs fois en le reprochant à Achille. Une référence à la déloyauté du fils de Pelée est introduite aussi dans l’épitaphe qui est apposée au tombeau du prince Troyen (cf. Roman de Troie, v. 16812-16). ci gist Hector, li filz au roy Priant de Troie, que Achillés li fils Peleüs occist en la bataille. Mes toutesvoies il ne l’occist pas cors a cors, mes par agait. (ms. Royal, f. 116b) Mais cette mauvaise attitude est soulignée encore une fois vers la fin du récit, lorsque l’amazone Penthésilée s’adresse au fils d’Achille, dans un passage qui ne trouve pas de correspondant dans le roman en vers: ha, pute geste, fils de cuvert, qui occist le meilleur chevalier du monde en felonnie et en grant desloiauté, celui que je amai tant pour sa bone chevalerie (ms. Royal, f. 157b) 65 20 Le paragraphe 165 de l’édition Constans-Faral commence avec la rubrique: Coment Achillès ocist Hector par agait. 21 Cette image se trouve surtout dans les témoins de Prose 5: ms. Royal, f. 113v°; ms. BNF fr. 20125, f. 133v°; ms. BNF fr. 22554, f. 116v°; mais aussi dans quelques témoins de Prose 1 et du roman en vers: ms. BNF fr. 1612, f. 63r; Maredsous, Bibliothèque de l’Abbaye, ms. f° 26, f. 53v°. Cf. Jung 1996: 129, 219-20, 519s.; Gil 2002: 162-63 (avec les reproductions de quelques miniatures). Luca Barbieri La source de ce détail est probablement la traduction française de la chronique de Darès qui se trouve dans l’Histoire ancienne jusqu’à César, une longue compilation historiographique composée entre 1208 et 1213 22 . Et tantost vit et perciut Hector, qui toz s’estoit aclinés sor le col de son chival por avenir au riche haume Polibetés, qu’il n’i voloit laissier mie. Achillés, qui ne guaitoit ne ne porpensoit autre choze, brocha le chival des esperons si feri Hector par dederriere de son glaive en descovert si l’en mist plus de .iij. piés ou cors, quar li aubers li estoit un petit souslevés, por ce qu’il s’abaissoit paravant au cors qui gisoit a terre. (Histoire ancienne jusqu’à César, section troyenne, §40, 19-24) La scène d’Achille qui frappe Hector «par derrière» a évidemment touché l’imagination des lecteurs médiévaux, si on en juge à partir de sa diffusion dans les œuvres dérivées du Roman de Troie et de ses représentations iconographiques. Dans cet épisode, le renversement du mythe troyen est total, puisque la scène reprend les éléments de la mort de Patrocle tué par Hector dans l’Iliade, XVI, 786-821: d’abord le dieu Phébus frappe Patrocle par derrière de sa main droite en le faisant tomber par terre; à la suite de sa chute, Patrocle perd son heaume et sa cuirasse se délie; puis Euphorbe le transperce de sa lance, toujours par derrière; finalement Hector donne le coup final dans le ventre de Patrocle à moitié nu, blessé et désormais à bout des forces. On voit très bien le changement de perspective qui fait passer Hector de la condition de guerrier acharné et cruel à celle de victime innocente, alors que la marque de la cruauté gratuite et injustifiée passe du côté des Grecs et colle en particulier à la figure d’Achille. Achille le fou: l’amour malsain pour Polyxène et la mort du héros La folie d’Achille est provoquée par une femme. Achille tombe amoureux de Polyxène, la jeune fille du roi Priam, et à cause de cet amour il renonce au combat (c’est ce qui reste de la colère homérique), devenant ainsi un recreant, qui passe son temps dans un dialogue-monologue avec Amour. L’accusation de recreantise est la plus infamante pour un chevalier, et les amis ne manquent pas de mettre en garde Achille contre les conséquences de sa folie (cf. Roman de Troie, v. 18362-65, 19016-33, 19515-23). Se n’en prenez autre conrei, que vos reveigniez al tornei, ou vostre pris est toz periz, 66 22 La même version de la mort d’Hector se trouve également dans le poème italien connu sous le nom d’Intelligenza, 270, 5-9. Les détails décrits dans ce texte semblent renvoyer encore une fois à l’Histoire ancienne jusqu’à César, c’est-à-dire à la version française de la chronique de Darès, ou à un éventuel «volgarizzamento» italien. Achille et Ulysse dans le Roman de Troie recreanz estes e failliz, sacheiz que li criz de la gent torra sor vos si faitement qu’ainceis qu’acompliz seit li anz, sera del mal dit plus set tanz qu’il n’en fu onques jor dit bien. (Roman de Troie, v. 19515-23) Dans ce dernier cas, c’est Ulysse, envoyé en ambassadeur par Agamemnon, qui évoque devant Achille le risque de perdre en peu de temps l’honneur et la gloire qu’il a conquis au fil des années 23 . À cause de cet amour fou, Achille perd sa raison et sa capacité de discernement, et finit par mourir de manière indigne pour un chevalier, sans armes, sans gloire et sans honneur, dans l’embuscade que Pâris lui tend au temple d’Apollon, lieu d’un faux rendez-vous avec Polyxène (Roman de Troie, v. 22157-316) 24 . Achille est accompagné dans cette fin honteuse par un autre jeune ami, Antilocus fils de Nestor, et dans le passage qui précède la scène de la mort d’Achille, Benoît synthétise de manière admirable la parabole descendante de ce héros, en unissant la description de sa chute finale dans l’abîme de la folie amoureuse à une nouvelle allusion à son ambigüité sexuelle. Amor li a le sein toleit: ne set, ne veit ne n’aparceit; ne dote mort, ne l’en sovient. Ço fait Amors, qui rien ne crient. Tot autresi com Leandès, cil qui neia en mer Ellès, qui tant ama Ero s’amie que, senz batel e senz navie, se mist en mer par nuit oscure, ne redota mesaventure: tot autresi Achillès fait. De rien ne tient conte ne plait; ne crient peril ne encombrier, qu’Amors li fait le sen changier, qui home fait sort, cec e mu. . . . Uns chevaliers esteit sis druz: Antilocus aveit cil non, jovnes, senz barbe e senz grenon. 67 23 On reviendra plus loin sur le rôle d’Ulysse dans cette ambassade. 24 Wilmotte (1914: 111) avait déjà remarqué la différence existant entre la figure héroïque d’Achille dans l’Iliade et son évolution dans le Roman de Troie: «Achille aime, mais il n’est pas aimé . . . Tout le sépare de la fille de Priam, de la sœur d’Hector, et quand il meurt, victime d’un piège tendu assez odieusement par Hécube à son imprudente passion, il nous apparaît plus téméraire qu’héroïque. La tradition homérique a une autre grandeur, parce qu’elle a une autre noblesse». Luca Barbieri Al vieil Nestor ert heirs e fiz, e si sacheiz qu’il ert hardiz e proz e sages e corteis e mout preisiez entre Grezeis. Mout par l’amot danz Achillès: parent esteient auques près. (Roman de Troie, v. 22117-31 et 22144-52) Le portrait d’Ulysse La transformation d’Ulysse en personnage négatif est presque encore plus poussée et plus profonde que celle d’Achille. Cette opération est probablement facilitée par le fait que, malgré les exploits racontés dans l’Odyssée, la figure du roi d’Ithaque était déjà passablement ambigüe dans l’Iliade, et aussi dans les ouvrages latins médiévaux sur la guerre de Troie. Le changement de perspective opéré par Benoît se fait remarquer déjà à partir de la description physique d’Ulysse. Le Roman de Troie le qualifie immédiatement de menteur: De grant beauté, ço dit Darès, les sormontoit toz Ulixès. N’ert mie granz ne trop petiz, mout par ert de grant sen guarniz. Merveilles esteit beaus parliers, mais en dis mile chevaliers n’en aveit un plus tricheor: ja veir ne deïst a nul jor. (Roman de Troie, v. 5201-08) et le texte de la version en prose «commune» reprend en substance celui de Benoît, tout en mettant l’accent sur la trahison des amis, péché plus grave que la simple tricherie. Nous verrons plus loin à quels événements cette allusion fait référence. Ulixès les sormontoit trestous de grant savoir et de soutil enging et de souverainement parler. Jeus et gabois disoit trop volentiers, meis foi ne loiauté n’avoit nule envers ses amis. (Roman de Troie en prose, §71, 5-8) La leçon savoir du texte en prose trahit la source de la compilation, parce qu’elle reprend une variante typique des ms. x (FGLL 1 N) du roman en vers. Mais la version en prose napolitaine, qui reprend le même texte de la version de Rouen, est plus intéressante, car elle n’explicite pas les défauts d’Ulysse, mais se limite à les suggérer à travers la description physique: Ulixés estoit riches, noir et gros, roons, fors et soutils et sages, et li plus biaus parliers du monde. Dyomedés estoit bien riches, grans et gros et quarrés et orgoilleus et amoureus. 68 Achille et Ulysse dans le Roman de Troie Ulixés, de quoi nos avons parlé ci desus, estoit noirs et velus et cras et barbus et bien parlés sus tous ceuls du mon[f. 56c]de, si que en toutes les causes ou il estoit il gaagnoit par sa langue. Pour ce fu si esprouvé et dit qu’il avoit tousjours une pierre pretieuse en sa bouche, la pierre dont nous vous avons ci devant parlé, qui est appellee alectoire. C’est la pierre qui nais el gisier du chapon, et icele pierre fet bien parler, et si guarde celui qui la porte d’avoir soif. Et ovec cele pierre dient pluseur qu’il vainqui maintes grans batailles et maint estour dur et fort. (ms. Royal, f. 56bc) Dans la littérature médiévale, le portrait physique parle aussi des caractéristiques morales d’un personnage 25 . Ulysse n’est pas une personne agréable, et surtout il a les cheveux noirs, signe d’une personnalité ambigüe et négative. Le pendant d’Ulysse chez les Troyens est Énée, qui ressemble au Grec dans la description physique et morale que nous en donne le Roman de Troie, et qui remplira chez Benoît le rôle du traître à la patrie. Comme tous les traîtres du Moyen Âge, Énée a les cheveux roux 26 : Eneas fu gros e petiz, sages e en faiz e en diz. Mout saveit bien autre areisnier e son pro querre e porchacier. Merveilles esteit beaus parliers e en causes dreiz conseilliers. Mout aveit en lui sapiënce, force e vertu e reverence. Les ieuz ot vairs, le vis joios; de barbe e de cheveus fu ros. Mout ot engin, mout ot veisdie, e mout coveita manantie. (Roman de Troie, v. 5461-72) Il sera intéressant de remarquer que dans la version napolitaine, il y a un autre guerrier grec aux cheveux noirs: Achille 27 . 69 25 Je ne m’étends pas sur la référence aux vertus de la pierre alectoire, qui est typique du style et des intérêts du compilateur de la version de Rouen, qui fera l’objet d’une contribution future. 26 La couleur des cheveux dans la littérature du Moyen Âge donne toujours quelques indications sur les traits du caractère de la personne décrite. Les cheveux blonds font partie de la description stéréotypée de la beauté, les cheveux noirs, du moins chez Benoît et ses continuateurs, indiquent une personnalité hypocrite et ambigüe, alors que les cheveux roux sont le signe distinctif du traître. L’archétype de ce personnage est la figure de Judas qui, dans la littérature et dans l’iconographie du Moyen Âge, a toujours les cheveux roux. L’importance des couleurs dans la caractérisation des personnages au Moyen Âge a été mise en relief par les études de Michel Pastoureau, en particulier dans Pastoureau 1999. La caractérisation négative d’Énée est éliminée par le compilateur de la version «commune» (cf. Roman de Troie en prose, §73, 46-49). 27 En réalité, il y a un troisième guerrier grec qui a les cheveux noirs: il s’agit de Netolemus (ms. Royal, f. 57a), homonyme du fils d’Achille, ce qui pourrait expliquer l’analogie physique. Par contre, dans le roman en vers, les cheveux noirs sont aussi la caractéristique d’Ajax (Roman de Troie, v. 5187-200), guerrier de valeur comparable à celle d’Achille, avec lequel il partage aussi quelques caractéristiques physiques et de tempérament. Luca Barbieri Ulysse le meurtrier: la dispute du Palladium Dans le Roman de Troie et dans ses sources 28 , le Palladium est un don envoyé aux Troyens par la déesse Pallas (Minerve dans les sources latines), qui garantit l’invincibilité de la ville de Troie. L’importance de cet objet est décrite dans la version en prose de Rouen, reprise dans la version napolitaine que je copie, avant le récit de l’enlèvement d’Hélène 29 : Et firent .i. temple en la cité trop bel et trop riches et de noble ouvrage en l’onneur et en reverence de la deesse Pallas, qui en guerredon de ceste oevre leur en donna bon guerredon; car elle leur en donna une baniere grant et belle et bien tissue, et si ne pooit nuls hons savoir se elle estoit de lin ou de laine ou de soie ou de quel chose, mes onques homme ne vit plus bele ensengne. Bien fu entremellee d’or et de pierres pretieuses, ne nuls ne sout dont elle vint, mes tuit disoient que dame Pallas lor out envoïe du ciel; car elle descendi devant tous ceuls qui faisoient les sacrefices ou temple, descendi de haut sus l’autel, et leur apris une vois: «Madame Pallas vous envoie ceste ensengne et ce don, et si vous mande que vos le guardés en son honneur et en sa reverence. Car ja tant comme vos l’avrés ne serés vaincus ne pris, ne la cité fondue ne destruite; et saichiés que jamais ne fist en terre plus noble present ne plus riche». (ms. Royal, f. 46c = ms. Rouen, f. 15bc) Dans les pourparlers qui précèdent la trahison de la ville, Ulysse demande à Anténor de pouvoir obtenir en gage le Palladium. Une fois la guerre terminée, cet objet devient le symbole de la victoire des Grecs, et Ulysse et Ajax fils de Télamon se disputent pour sa possession. Les auteurs des versions en prose attirent notre attention sur l’importance de cet épisode en l’anticipant lors de la description du portrait d’Ajax: Li autres Ayax pour voir fu uns rois preus et hardis et corageus. Ce fu cils qui voult avoir le Paladion aprés la destruction de Troie maugré Ulixés, et se vout combatre cors a cors contre Ulixés. Mes tant fist Ulixés par sa langue et par ses belles paroles et par l’aide Agamenon et Menelaus son frere que il out le Paladion; et pour icele achoison fu occis Thalamon [Ayaus dans le ms. de Rouen] ‹par› nuit en traïson, si com nos vous deviserons ça en avant. (ms. Rouen, f. 23d-24a = ms. Royal, f. 56d) Ce trophée, qui remplace évidemment les armes d’Achille de la tradition classique, est gagné par Ulysse grâce à son habilité oratoire, tandis qu’Ajax stigmatise durement la déloyauté et l’hypocrisie de son rival. Le long discours prononcé par le fils de Télamon pour plaider sa propre cause (et celle d’Achille) fournit ainsi à 70 28 Cf. Dictys V, 5, 2-10. 29 L’auteur de la version de Rouen anticipe ici (f. 15bc) la description faite par Benoît aux v. 25373-425 du roman en vers et décrit le Palladium comme une baniere. La version napolitaine intègre ce passage dans son texte; puis, lors de la reprise du passage de Benoît qui précède la trahison (ms. Royal, f. 164d-165a), il décrit le Palladium et se rappelle qu’il avait déjà parlé d’un don de Pallas aux Troyens. Il ajoute donc un court passage qui reprend la description de la bannière en laissant entendre qu’il s’agit d’un objet différent du Palladium. Achille et Ulysse dans le Roman de Troie Benoît l’occasion de dresser un portrait extrêmement négatif d’Ulysse, qui est accusé d’être un menteur, un traître et un mauvais conseiller, et d’avoir permis aux Grecs de gagner la guerre par la ruse et par la trahison et non par le courage et la prouesse: Trop est grant honte et viltance, dont vos ici faites vantance ne dont vos tant cuidez valeir que il vos deie remaneir. Por ço, se vos estes trichiere e decevere e losengiere, e por ço que, par vostre fait, nos sera mais toz jorz retrait que parjures somes e faus e mençongiers e desleiaus, bien nos avez apareilliez, bien en devez estre preisiez, que ço que faire deüsson par proëce, senz traïson, ço nos avez a ço torné dont toz jorz mais seons blasmé, - por c’est bien dreiz qu’il vos remaigne? Cent dahez ait la vostre ovraigne! (Roman de Troie, v. 26705-22) Onc de faire d’eus dous la pais ne vos meïstes en grant fais: mieuz amiëz la descordance que la pais ne la bienvoillance. (Roman de Troie, v. 27005-08) Plus amisseiz, n’en dot de rien, le mal eslire que le bien; de vos n’eissi onques conseiz qui fust leiaus, dreiz ne feeiz. (Roman de Troie, v. 27028-32) Puisque j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer au sujet de cet épisode (cf. Barbieri 2005), je ne m’attarderai pas sur ce point. Il suffira de dire qu’Agamemnon et Ménélas attribuent le Palladium à Ulysse, malgré les protestations du peuple («honte e vergoigne e tricherie/ a sormonté chevalerie», Roman de Troie, v. 27077- 78), en suscitant la colère d’Ajax qui s’en va en menaçant le fils de Laërte et les deux frères. Les Grecs se préparent pour la nuit avec un sentiment d’inquiétude et de danger imminent. Alors que tout le monde s’attend à un geste violent de la part d’Ajax, aveuglé par la rage et la folie 30 , c’est lui au contraire qui est retrouvé mort au matin, et l’on 71 30 La folie d’Ajax est évoquée dans les tragédies grecques, en particulier dans l’Ajax de Sophocle. Cf. Barbieri 2005: 323 N6. Luca Barbieri ne peut pas dire avec certitude qui est l’auteur du meurtre, même si les soupçons se concentrent inévitablement sur Ulysse et Ménélas, au point que le fils de Laërte est obligé de s’enfuir, abandonnant le Palladium à Diomède 31 . D’ailleurs, même si dans ce passage Benoît suit fidèlement sa source, pour lui il n’y a pas de doutes sur l’auteur du meurtre d’Ajax, comme il l’admet explicitement un peu plus loin, en modifiant le texte de Dictys. Diomède, exilé, essaie de se faire accueillir à Salamine, une ville gouvernée par Teucer, frère cadet d’Ajax, mais Teucer le fait chasser parce qu’il n’a rien fait pour empêcher le meurtre de son frère. Et Benoît de commenter 32 : Ço esteit bien dit et cuidé, qu’il aveit el conseil esté par qu’Ulixès l’aveit mordri. (Roman de Troie, v. 28137-39) La source principale du Roman de Troie est la chronique de Darès, qui raconte la guerre du point de vue des Troyens. C’est donc dans sa source que Benoît trouve les bases d’un renversement du jugement traditionnel qui fait des Grecs les exécuteurs d’une juste vengeance en attribuant à Pâris et aux Troyens la provocation qui est à l’origine de la guerre 33 . Sur ces fondements, le clerc tourangeau développe son idée de translatio imperii en faisant des Troyens de justes persécutés et des Grecs des guerriers cruels, déloyaux et immoraux qui gagnent la guerre par la tromperie et la traîtrise. Mais Darès attribue très peu de poids à la figure d’Ulysse, qui apparaît dans deux ou trois épisodes sans importance 34 . Ici Benoît suit sa deuxième source, la chronique du grec Dictys: c’est lui seul qui raconte la dispute du Palladium, et c’est chez lui que le héros de l’Odyssée commence à assumer une caractérisation sombre et sinistre 35 . La dispute n’est pas décrite dans les détails, mais l’opposition entre la prouesse et la ruse y est bien mise en évidence, et tous les éléments que Benoît 72 31 Sur la mort d’Ajax dans le Roman de Troie cf. Barbieri 2005: 333-39. 32 Le même passage se trouve aussi dans les versions en prose (cf. ms. Rouen f. 125a et ms. Royal f. 179d). Dictys par contre n’attribue pas directement à Ulysse le meurtre d’Ajax; cf. Dictys VI, 2, 23-26: «eo Diomedes expulsus regno et Teucrus prohibitus Salamina a Talamone, scilicet quod fratrem insidiis circumventum non defendisset, conveniunt». 33 Dans le texte de Darès, ainsi que dans le Roman de Troie, le récit de la guerre de Troie est précédé par celui d’une première destruction de Troie opérée par Hercule et ses compagnons. Cette campagne se termine avec l’enlèvement d’Hésione, sœur de Priam, par Télamon. L’enlèvement d’Hélène par Pâris ne serait donc que des représailles légitimes en réponse à la cruauté gratuite des Grecs. De l’union de Télamon et Hésione naîtra Ajax (cf. Logié 2002). 34 Après sa description physique (Darès XIII, 18), Ulysse est nommé lors de ses ambassades à Priam avec Diomède (Darès XVI, 25 et XXII) et de l’ambassade à Achille avec Diomède et Nestor (Darès XXX). Son rôle dans la trahison et dans la chute de la ville de Troie est très marginal (Darès XXXVII, 8 et XL, 4). 35 Cf. Dictys V, 14-15. Achille et Ulysse dans le Roman de Troie développera sont déjà dans sa source. La responsabilité d’Ulysse n’est pas affirmée directement, mais Dictys établit un parallèle très parlant entre le meurtre d’Ajax et celui de Palamède. Benoît n’a qu’à en tirer les conséquences. At lucis principio Aiacem in medio exanimem offendunt perquirentesque mortis genus animadvertere ferro interfectum. Inde ortus per duces atque exercitum tumultus ingens ac dein seditio brevi adulta, cum ante iam Palamedem virum domi belloque prudentissimum nunc Aiacem, inclitum tot egregiis pugnis, atque utrosque insidiis eorum circumventos ingemescerent. (Dictys, V, 15, 18-25) J’ai déjà analysé ailleurs (Barbieri 2005: 334) la transformation du motif classique du suicide d’Ajax vers cette mort mystérieuse qui laisse tout de même un espace important aux différentes interprétations, mais il est évident que, dans cet épisode, le noircissement d’Ulysse touche à son comble et assume des connotations définitives et irréversibles. Les versions en prose reportent le très long discours d’Ajax de manière inégale, en l’abrégeant parfois drastiquement, mais la partie qui contient la caractérisation négative d’Ulysse est toujours présente. Même la version «commune», qui a la rédaction la plus écourtée, et qui se montre souvent assez indulgente envers les Grecs, conserve toutes les accusations d’Ajax contre Ulysse et sa brièveté finit par les mettre encore plus en évidence 36 . Ulysse le traître: la mort de Palamède Le lien étroit qui unit Ulysse et Diomède est mis en évidence dès le début du récit troyen: lors de la présentation des notables grecs, les portraits des deux héros sont contigus (RTroie v. 5201-10 et 5211-24), et certains traits négatifs de la personnalité de Diomède sont calqués sur la description d’Ulysse: La chiere aveit mout felenesse: cist fist mainte fausse pramesse. (Roman de Troie, v. 5213-14) Les versions en prose ne font que reprendre cette description, en ajoutant comme d’habitude d’autres éléments qui vont dans la même direction et qui confirment l’impression d’une complicité étroite et maléfique entre les deux personnages 37 . Les versions de Rouen et napolitaine abrègent les descriptions, mais insèrent de 73 36 La seconde moitié de Prose 1 est inédite. J’ai pu consulter la transcription du ms. BNF fr. 1612 faite par Françoise Vielliard. Le discours d’Ajax se trouve aux f. 126d-127a, qui correspondent au paragraphe 323 de la transcription. Sur le rapport entre les diverses rédactions du discours d’Ajax dans les versions en prose du Roman de Troie et la tradition manuscrite du poème de Benoît, cf. Barbieri 2005: 335-39. 37 Roman de Troie en prose §71, 5-12; ms. Rouen f. 23ab; ms. Royal f. 56bc. Luca Barbieri manière significative le portrait de Diomède entre les deux parties de la description d’Ulysse, comme je l’ai montré plus haut 38 . Dans la suite du récit, Ulysse et Diomède forment un couple fixe sur le champ de bataille 39 et surtout à l’occasion des nombreuses ambassades 40 , dans lesquelles ils adoptent une stratégie qui met bien en évidence leur complémentarité: Diomède provoque l’ennemi avec son impétuosité et ses propos directs à la limite de l’insulte alors qu’Ulysse, avec son habileté diplomatique et sa facilité de parole, gère les accords et les oriente dans la direction voulue. Les ambassades des deux amis n’obtiennent pas toujours les résultats espérés par les chefs de l’expédition. Au contraire, comme il a été observé par Philippe Logié, elles aboutissent souvent à un effet opposé aux intentions 41 . Cela confirme aux yeux des lecteurs l’impression d’ambiguïté et de fausseté suscitée par les portraits des deux personnages. Avec une intervention typique d’auteur, le compilateur de la version de Rouen nous dit qu’une pierre précieuse aux pouvoirs extraordinaires permettait à Ulysse de gagner toutes les causes oratoires auxquelles il participait, et il nous prévient que, lors de l’ambassade infructueuse qui devait convaincre Achille de reprendre les armes, Ulysse a volontairement échoué. En revanche, lors de la dispute du Palladium, il a bien eu recours aux pouvoirs de la pierre pour obtenir une victoire qu’il ne méritait pas. Je cite le texte dans la version du ms. Royal: Iceste maniere de pierre et ices caracteres tels comme il affierent, qui assés sont de petis fais et la pierre de petit pris, elle a vertu trop grant. Icele portoit Ulixés en un anel d’or que il avoit en sa main destre, dont l’en trueve que onques ne requist chose a nullui que il vousist avoir que il n’eüst; et ce soivent tuit que, quant il pria Achillés que il portast armes, que il ne l’en pria mie de cuer, car il pensoit a avoir le los et le pris que Achillés out de ce que il occist Hector. Mes quant toute ‹Troie› fu destruite, si com nos vos conterons ci aprés, il vint a court issi garnis comme il miex pooit, non mie d’armes chevaleresces, mes des pierres precieuses dont nous avons avant parlé; car il estoit sages et soutils, si savoit bien [que] force ne li porroit avoir mestier contre tant de vaillant gent: se par sa[f. 49a]pience ne faisoit son conquest, ja autrement ne l’avroit. Si porta en son doit cel anel et en sa bouche la pierre dont nous avons avant parlé, qui est appellee alectoire, qui nest ou capon, que on doit laver en vin blanc et sa bouche aussi, et puis porter la pierre en sa bouche: cele vaint causes et si guarde l’omme d’avoir soif et a toutes bones vertus qui longues seroient a raconter. Ensint garnis vint Ulixés a court et 74 38 La seconde partie de la description d’Ulysse doit être un ajout du compilateur de la version de Rouen, puisqu’elle se concentre sur les vertus de la pierre alectoire qui permettait à Ulysse d’exceller dans l’emploi de la parole. La première partie des deux portraits, bien que synthétique, reprend le roman en vers, alors que la deuxième description d’Ulysse n’a aucun contact avec les vers de Benoît et dépend d’une source différente. 39 Ms. Royal f. 60ac (épisode du roi Lernesius), f. 94a, 127b, 134bd (conseil de guerre), f. 139c, 145b, 149d, 154c. 40 Ms. Royal f. 61b-62c, 98d-99c, 131b-134a (ambassade à Achille, avec Nestor), f. 162b-165c (conseil de la trahison). 41 «L’ambassade, ici comme dans la chanson de geste, remplit une fonction ambiguë: elle n’a pas pour but véritable de faire la paix, mais de justifier la guerre» (Logié 2002: 246). Achille et Ulysse dans le Roman de Troie seit on bien certainement que malgré tous les barons, par plet et par sa parole sus le pois a tous cels de Grece, par la grace de ses pierres si li fu Palladion donnés et otroiiés. (ms. Royal f. 48d-49a = ms. Rouen f. 17bd) Ulysse et Diomède participent aussi aux pourparlers de la trahison avec Anténor et Énée et, comme nous l’avons vu, Anténor donne à Ulysse le Palladium qui protège la ville de Troie en permettant ainsi la victoire des Grecs. C’est toujours Ulysse qui, dans la version napolitaine, explique à Épius comment réaliser le cheval de bois, le stratagème qui permettra aux Grecs de pénétrer par la ruse et la collaboration des traîtres dans la ville de Troie. Ce détail ne se trouve pas dans les autres versions en prose, ni dans le roman en vers, ni dans ses sources latines; mais l’initiative de l’auteur de Prose 5, qui récupère une ancienne tradition classique, explique bien l’évolution du personnage d’Ulysse, qui concentre sur lui toute action rusée et trompeuse 42 . Et li Grieu ne targierent plus, si firent drecier sus roës celle oevre grant et merveille‹use› qui estoit en four‹me› et en semblance de cheval, que Ulixés, qui estoit sages et de grant enging, avoit devisé et orde‹né› et Nestor avec lui. (ms. Royal, f. 167c) Mais c’est après la fin de la guerre que la vraie nature d’Ulysse se révèle ouvertement. Les fils de Laërte et de Tydée sont les protagonistes d’une série d’épisodes dans lesquels ils poursuivent leurs intérêts personnels contre les autres princes grecs, ce qui leur fait mériter l’étiquette de traîtres, de mauvais conseillers et de meurtriers. C’est Ulysse qui propose de sacrifier Polyxène sur le tombeau d’Achille. Son conseil est accepté et la vengeance est accomplie par Néoptolème, le fils d’Achille. Benoît s’accorde ici avec Dictys, mais il se démarque de sa source en attribuant à ce sacrifice d’une victime innocente l’origine des mésaventures qui caractériseront le retour des Grecs. Dein Polyxena suadente Ulixe per Neoptolemum Achilli inferias missa. (Dictys V, 13, 23-24) E Ulixès dit en apert que l’om l’ameint isnelement al tombel e al monument ou Achillès gist, la l’ocie: «Donc iert la venjance acomplie e li Enfernal apaié, qui de l’aller nos font devié». Creüz en fu; si le feront, mais griefment l’espeneïront, ensi com vos m’orreiz conter, anceis que vienge al definer. (Roman de Troie, v. 26430-40) 75 42 Pour les détails sur l’épisode du cheval de bois et son évolution dans les diverses versions du Roman de Troie, cf. Barbieri 2005: 339-51. Luca Barbieri C’est Ulysse qui dispute le Palladium à Ajax en semant la discorde entre les Grecs. Et c’est toujours Ulysse, avec la complicité de l’ami Diomède, qui est le protagoniste du meurtre odieux de Palamède, épisode dans lequel Benoît fait émerger avec évidence le caractère sournois et trompeur du héros grec. Ce meurtre est raconté par Dictys, dans son style synthétique habituel, vers le début de la guerre: Per idem tempus Diomedes et Ulixes consilium de interficiendo Palamede ineunt, more ingenii humani, quod inbecillum adversum dolore animi et invidiae plenum anteiri se a meliore haud facile patitur. Igitur simulato quod thesaurum repertum in puteo cum eo partiri vellent, remotis procul omnibus persuadent, uti ipse potius descenderet eumque nihil insidiosum metuentem adminiculo funis usum deponunt ac propere arreptis saxis, quae circum erant, desuper obruunt. (Dictys, II, 15, 6-15) Benoît déplace ce récit à la fin de son œuvre (Roman de Troie, v. 27671-867), et pour ce faire il l’introduit comme un conte indirect fait à Nauplus, le père de Palamède, pour le pousser à se venger des responsables. Ulysse, jaloux de Palamède à cause de son autorité et de son ascendant sur les Grecs, aurait écrit deux lettres anonymes pour l’accuser d’avoir volé de l’or que lui-même avait caché sous le lit de Palamède. Celui-ci se défend tellement bien que tous les Grecs sont convaincus par son discours. Ulysse est obligé de modifier sa stratégie et décide d’intervenir publiquement pour soutenir Palamède, dans le but de gagner son estime et sa confiance. Palamède est acquitté. Ulysse et Diomède lui révèlent avoir trouvé un trésor dans un puits qu’ils veulent partager avec lui. Palamède les accompagne et il se laisse convaincre d’entrer en premier dans le puits; quant il arrive au fond Ulysse et Diomède l’écrasent avec des grosses pierres. Dans ce passage, le clerc mélange la version classique de Virgile, d’Ovide et de Servius et celle de Dictys 43 , mais ce qui nous intéresse le plus c’est la surabondance d’expressions négatives associées au nom d’Ulysse. Cette attitude se manifeste dès le début du récit: Cist Nauplus ert en grant dolor: dit li aveit l’om e noncié - ne sai com li fu enseignié - que par merveille e par envie orent son fil geté de vie. Ç’orent fait Greu en l’ost entre eus, que Ulixès, qui tant ert feus, le haeit mout tres mortelment, qu’il par ert de tel escïent qu’en l’ost ne feïssent ja rien, ne haute uevre, ne mal, ne bien, se ço non que il comandast, qu’il vousist e qu’il loast: 76 43 Cf. Barbieri 2005: 357 et N78. Achille et Ulysse dans le Roman de Troie por ço li ert cil haïnos e malvoillanz e engeignos. Ore oëz quel seduction il fist de lui par traïson. (Roman de Troie, v. 27680-96) Pour le lecteur de la rédaction de Benoît, le comportement d’Ulysse et de Diomède dans cet épisode est réellement odieux, et l’inévitable jugement de réprobation auquel il parvient suit la progression d’un climax qui intéresse tout le passage: Palamède est engeignié (27721) par cil qui de traïson fu pleins (27728), c’est-à-dire Ulysse, qui est li feus (27736), li souduianz (27746), le souduiant (27806). Les détails de l’épisode sont omis par la version «commune» en prose, qui attribue l’homicide de manière générique aux Grecs, mais ils sont repris par Prose 3 et Prose 5, qui associent désormais au fils de Laërte une qualification fixe très peu flatteuse: Ulixés li trahitres 44 . Conclusions En choisissant de fonder son récit poétique de la guerre de Troie sur l’autorité de Darès, Benoît de Sainte-Maure fait d’emblée l’aveu de ses intentions. Il accepte un renversement de perspective qui fait des Grecs les méchants envahisseurs et des Troyens les justes persécutés. Cette interprétation était déjà présente dans l’idée de translatio studii et imperii selon la version du Pseudo-Frédégaire, mais la fortune de l’œuvre du clerc tourangeau la relance et la diffuse jusqu’à en faire la tradition de référence pendant tout le Moyen Âge, à quelques rares exceptions près. Elle sera reprise en France par Guillaume de Machaut et Christine de Pizan, en Espagne par le roi Alphonse X dans la General Estoria, vaste œuvre historiographique réalisée à sa cour, en Allemagne par Konrad von Würzburg dans son Trojaner Krieg, en Italie par quelques remanieurs anonymes et par Guido delle Colonne, auteur de l’Historia destructionis Troiae qui marque le retour de la légende troyenne à la langue latine. Le Roman de Troie s’insère dans le sillon ouvert par l’auteur de l’Eneas, qui introduit des histoires d’amour dans le récit des batailles. Les femmes jouent un rôle important chez Benoît: Médée tombe amoureuse de Jason et lui permet de conquérir la Toison d’or; Hélène se laisse séduire par Pâris au commencement de la guerre et son enlèvement déclenche la guerre qui finira avec la destruction de Troie; Briséida, la grande invention du Roman de Troie, exprime ses considérations sur l’amour et la nature féminine partagée entre Troïlus et Diomède; l’amour fou d’Achille pour Polyxène conduit le héros à la mort. Mais l’œuvre de Benoît de Sainte-Maure reste une œuvre épique comme l’a très bien dit Maurice Wilmotte, 77 44 Cf. ms. Rouen f. 121d et 122d, ms. Royal f. 177b et 178a. Luca Barbieri dont j’évoque ici les paroles: «sur 30.316 vers de Troie, 24.000 environ sont consacrés à nous décrire des combats, des préparatifs ou des conseils de guerre, des scènes de rapt ou de cruauté. La tradition épique le veut ainsi. Elle est encore dominante chez Benoît. Les chevaliers vivent la même existence que dans Roland» (Wilmotte 1914: 103). La comparaison avec la Chanson de Roland n’est pas extravagante. Les personnages et les situations du Roman de Troie suivent la dynamique typique de la chanson épique, en tenant compte du fait que Benoît écrit dans un contexte déjà imprégné de courtoisie. Benoît avoue sa dette envers la tradition épique à l’aide de quelques citations bien cachées dans l’impressionnante masse de son œuvre. Le roi Priam déclare vers le début du roman: «Grezeis ont tort, nos avons dreit», un vers qui renvoie immédiatement à l’affirmation analogue de Roland: «Paien unt tort e Chrestïens unt dreit» (Chanson de Roland, v. 1015); les noms de certains chevaliers grecs permettent d’établir un rapport d’assimilation avec les Sarrasins des chansons de geste (cf. Besnardeau 2006: 186s.). Hector, le vrai protagoniste du Roman de Troie, est un Roland courtois. Comme Roland, il est fort, brave, courageux, excellent guerrier et chef charismatique. Comme Roland, il est disposé au sacrifice: il prise plus son honneur et sa gloire que sa vie, il aime mieux la patrie que la famille. Dans la scène emblématique qui précède la mort du héros, Hector repousse sa femme qui, effrayée par ses prémonitions, essaye de le retenir en lui rappelant son rôle de père et de mari, et en faisant appel à l’autorité de Priam: Hector de rien ne s’asopleie ne por l’enfant ne s’amoleie: nel reguarde ne n’en tient plait. Ja li orent son cheval trait: monter voleit, n’i aveit plus. «Sire», fait il, «itel folie com fu solement porpensee? Por une fole, une desvee, que son songe vos a retrait, quos entremetez de tel plait? N’avenist pas! Ço di por veir, trop i porrai grant honte aveir, se jo remaing por tel afaire» (Roman de Troie, v. 15491-95 et 15582-89) Cette scène n’est pas sans rappeler le dialogue entre Olivier et Roland dans la Chanson de Roland (laisses LXXXIII-LXXXVII): le premier, constatant la supériorité écrasante des Sarrasins, invite Roland à sonner son Olifant pour rappeler le roi Charles avec le gros de l’armée; le second refuse de crainte que cette faiblesse ne lui fasse perdre son honneur. Mais Hector, à la différence de Roland, a toutes les caractéristiques du parfait chevalier courtois. Son excellence en courtoisie est rappelée par Benoît quand il dresse son portrait: 78 Achille et Ulysse dans le Roman de Troie De corteisie par fu teus que cil de Troie e l’oz des Greus envers lui furent dreit vilain: onc plus corteis ne manja pain. De sen e de bele mesure sormontot tote creature, n’onques por joie ne por ire ne fu menez jusqu’al mesdire ne a sorfait n’a nule faille: ja mais n’iert cors d’ome quil vaille. (Roman de Troie, v. 5353-62) Dans le Roman de Troie, Achille est un Hector à l’envers. Sa valeur dans la bataille égale celle du prince troyen, mais les vertus courtoises lui font défaut. Si Hector se distingue par sa sagesse et sa mesure, chez Achille tout est folie et excès. Il excède dans sa fureur dans la bataille, il excède en cruauté envers les ennemis, il excède dans les manifestations de son tempérament, il a des accès de colère avec les amis, il devient dépressif quand les choses tournent mal. Enfin, il est excessif aussi en amour, qu’il s’agisse d’aimer un homme (et dans ce cas l’excès coïncide avec le fait lui-même) ou une femme. En effet, ce chevalier intraitable et insensible tombe dans le paradoxe d’Aristote chevauché 45 : le guerrier misogyne et homosexuel qui veut ignorer les femmes se perd pour l’amour d’une femme. Sa passion pour Polyxène lui fait perdre la raison, l’honneur et la vie. L’altération des personnalités d’Hector et d’Achille, qui renversent leurs rôles par rapport à la tradition classique, procède à la même vitesse que le changement de perspective qui fait préférer les Troyens aux Grecs. Cette relecture qui caractérise la perception que le Moyen Âge avait des mythes de l’Antiquité est déjà présente chez Darès, mais c’est Benoît de Sainte-Maure qui la développe et la radicalise. Dans les versions en prose du Roman de Troie, elle parvient à son accomplissement 46 . Nous avons vu que la version «napolitaine» attribue à Achille des manifestations de cruauté que l’Iliade attribuait à Hector. La matière antique est pliée 79 45 La figure du philosophe grec est inévitablement évoquée dans la tradition du Roman de Troie. Au moment de parler de la folie amoureuse d’Achille, Benoît fait référence à Salomon (v. 18045-46, avec Samson et David, et 18452), qui dans sa vieillesse se laissa détourner par ses femmes vers les dieux païens (1 R 11, 4-5). En correspondance avec ce passage, le compilateur de Prose 1 augmente la liste d’hommes illustres dupés par amour, dont les noms sont tirés en prévalence de l’Ancien Testament: Adam, David, Salomon, Samson, Oliferne, Virgile et Merlin (cf. Roman de Troie en prose, §190, 12-13 et §198, 41-56). L’auteur de Prose 5, frappé par l’analogie entre l’épisode d’Achille et Polyxène et l’anecdote du philosophe chevauché, remplace Merlin par Aristote (cf. ms. Royal, f. 125c). 46 Benoît le reconnaît dans son prologue quand, en louant le Darès historien, il admet que « . . . s’il ert des Troïens, / ne s’en pendié plus vers les suens, / ne mais que vers les Grezeis fist» (Roman de Troie, v. 113-15). Par contre, nous surprenons dans un passage de transition du Roman de Troie une affirmation extrêmement explicite et digne d’un partisan: «Mais, ainz que fust prime de jor, / furent josté li nostre as lor» (Roman de Troie, v. 23855-56). Luca Barbieri sans aucun souci philologique aux nouvelles exigences littéraires et politiques de la translatio studii et imperii 47 . Si Benoît trouve en Darès les sources pour la transformation en négatif du personnage d’Achille, il n’en est pas de même dans le cas d’Ulysse. Nous avons vu que le fils de Laërte a un rôle extrêmement limité dans l’Historia destructionis Troiae. C’est donc à Dictys que l’auteur du Roman de Troie fait recours pour dessiner la figure d’Ulysse. Si Darès maintient une attitude assez équilibrée malgré sa sympathie pour la cause troyenne, Dictys, qui est un combattant grec, est beaucoup plus explicite dans le choix de son camp: chez lui, les Grecs sont toujours pacifiques, cultivés, loyaux, respectueux de la morale, tandis que les Troyens sont agressifs, frustes, faux et immoraux. Pourtant, c’est précisément chez Dictys qu’Ulysse, qui joue un rôle primaire dans les événements de la guerre, est dépeint sous une lumière négative et défavorable: à partir de son idée de sacrifier Iphigénie aux dieux (I, 20-22), jusqu’au meurtre de Palamède (II, 15 et 29), à la lutte contre Ajax (III, 19), à la négociation de la trahison (V, 7-8), au sacrifice de Polyxène (V, 13) et à la dispute du Palladium (V, 14-15). À bien regarder, on peut comprendre la raison de cette contradiction apparente. Dictys oppose souvent Ulysse à Achille, et par ce biais il veut probablement montrer que les Grecs n’ont pas gagné la guerre par la ruse et la trahison, mais grâce à la valeur de leur guerrier le plus redoutable. C’est en tout cas à partir de ce portrait d’Ulysse que Benoît développe son interprétation. Le clerc tourangeau doit à Dictys beaucoup plus que ce que la critique n’a admis jusqu’à maintenant. Il ne se limite pas à lui emprunter la partie finale du récit, que Darès ne pouvait pas écrire. Il récupère tout au long de l’Éphéméride les épisodes qui pouvaient servir à son interprétation; l’épisode du meurtre de Palamède, nous l’avons vu, est pris d’un des premièrs livres de l’œuvre de Dictys pour être collé à l’aide d’un stratagème à la fin du Roman de Troie. Mais Benoît doit surtout à Dictys la couleur sombre qui caractérise la partie finale de son roman, dès la fin de la guerre jusqu’au retour des Grecs. L’auteur du Roman de Troie, lié comme nous l’avons dit à un idéal de chevalerie en même temps épique et courtois, partage la condamnation de la ruse et de l’astuce trompeuse. C’est ainsi qu’Ulysse devient dans la tradition troyenne française un personnage désagréable, ambigu, sournois, douteux: un menteur, un trompeur et un traître. Comme d’habitude, les versions en prose du Roman de Troie ren- 80 47 À cause des arguments que j’ai exposés ici, je ne peux partager les conclusions de Wilfrid Besnardeau (2006: 195-96): «Benoît tâche de concilier les deux camps, comme lors des nombreuses scènes de trêve: son but prend alors une dimension idéologique. S’il ne peut complètement accabler les Grecs, s’il ne peut complètement défendre les Troyens, c’est que les deux sont équivalents». Ces conclusions sont tirées à partir d’un discours d’Anténor, figure du traître à la patrie chez Benoît, qui ne peut donc pas exprimer la pensée de l’auteur du Roman de Troie. D’ailleurs, l’expression de l’estime pour les ennemis est aussi typique des chansons de gestes, et il a été démontré que les descriptions des chrétiens et des sarrasins dans la Chanson de Roland obéissent à des critères analogiques et symétriques. Certaines figures de païens ne sont pas dépourvues de dignité, et l’auteur chrétien les regarde parfois avec une admiration secrète. Achille et Ulysse dans le Roman de Troie chérissent et ajoutent de nouveaux détails pour corroborer l’interprétation de l’œuvre en vers: c’est le cas par exemple de l’invention du cheval de Troie, qui est attribuée à l’initiative d’Ulysse seulement dans la version en prose «napolitaine» 48 , ou de la série d’épisodes qui racontent la complicité entre le fils de Laërte et Diomède. La marque infamante de conseiller frauduleux restera collée à Ulysse, malgré une certaine atténuation de ce jugement négatif vers la fin du poème. Les errements du héros sont racontés par Benoît d’une manière plus neutre, selon le style des chroniques, mais ils sont néanmoins l’expression de la punition divine pour ses méfaits, et le roman s’achève sur la mort d’Ulysse, alerté par une prémonition à laquelle il oppose des précautions inutiles, tué fatalement par son fils Télégonos, fruit de sa relation avec Circé. La version de Benoît et de ses continuateurs a peut-être contribué à la création de la figure d’Ulysse dans la Divine comédie de Dante. La tradition troyenne française eut une large diffusion en Italie, et avec elle la caractérisation négative de Diomède et surtout d’Ulysse. Il n’est pas invraisemblable que cette tradition ait pu être connue de Dante. Le poète florentin n’était pas seulement le probable auteur de la traduction italienne en vers du Roman de la Rose 49 , il était aussi un profond connaisseur de la littérature en langue d’oc et d’oïl, comme cela paraît évident en lisant le De vulgari eloquentia. Le chapitre 10 du premier livre révèle que ses connaissances ne se limitent pas à la lyrique des trouvères et des troubadours; dans ce chapitre, Dante déclare que la langue française était particulièrement adaptée aux œuvres en prose telles que l’Histoire ancienne jusqu’à César, les Faits des Romains et les aventures du roi Arthur 50 . La deuxième rédaction de l’Histoire ancienne contient, on le sait, la version en prose «napolitaine» du Roman de Troie. De fait, la collocation d’Ulysse dans le cercle des conseillers frauduleux s’expliquerait mieux en supposant une connaissance de la tradition française du Roman de Troie plutôt qu’en partant des sources latines habituellement évoquées par la critique italienne 51 . Comme Paolo et Francesca reconnaissent l’étincelle qui a fait naître leur amour adultère dans la lecture d’un Lancelot, ainsi Ulysse devrait sa position en enfer à la fidélité de Dante à la tradition latine et française médiévales de la matière troyenne. Mais chez le grand poète-théologien, le respect de la tradition constitue la structure formelle du poème, qui n’empêche pas un élan révolutionnaire de valorisation de tout ce que son expérience littéraire et humaine a pu connaître. La compassion pour l’amour adultère et courtois qui liait les 81 48 Cf. ms. Royal, f. 166d. 49 Le débat sur la paternité de la couronne de sonnets appelée Fiore, attribuée à Dante par Gianfranco Contini, est toujours ouvert, et dernièrement le parti des opposants à cette attribution s’est renforcé. 50 Probablement les continuations des romans de Chrétien de Troyes, comme par exemple le Lancelot en prose et la Mort le roi Artu, auxquels Dante fait des références concrètes dans Banquet IV, xxviii, 8; Enf. V, 127-138; Enf. XXXII, 61-62 et Par. XVI, 14-15. 51 Essentiellement l’Énéide de Virgile et l’Achilléide de Stace. Luca Barbieri amants de Rimini 52 et la participation affective au désir de connaissance qui animait Ulysse, dans lequel Dante voit le sommet de la raison humaine, trouvent également leur place dans cette valorisation. Pour l’extraordinaire homme du Moyen Âge qu’était Dante, cela ne constitue pas une prise de distance des préceptes de l’Église, mais, au contraire, la réalisation de l’exhortation de saint Paul: «omnia autem probate, quod bonum est tenete» (1 Th 5, 21). Genève Luca Barbieri Bibliographie Adler, A. 1960: «Militia et amor in the Roman de Troie», RF 72: 14-29 Babbi, A. M. 2000: «L’Ulisse medievale tra romanzo e allegoria», in: A. M. Babbi/ F. Zardini (ed.), Ulisse da Omero a Pascal Quignard, Verona: 183-97 Barbieri, L. 2005: «Qui a tué Ajax, fils de Télamon? De la double mort d’un héros et d’autres incohérences dans la tradition troyenne», R 123: 321-59 Baumgartner, E. 1996: «Benoît de Sainte-Maure et l’art de la mosaïque», in: L. Rossi (ed.), Ensi firent li ancessor. 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Selected papers from the 5 th Triennal Congress of the Inter- 82 52 Dans le même cercle de Paolo et Francesca, celui des luxurieux, se trouvent aussi Pâris et Hélène, Tristan et Achille, «che con amore al fine combatteo» (Enf. V, 66). La source latine de l’amour d’Achille pour Polyxène est le commentaire de Servius à Aen. III, 321, mais encore une fois on peut voir dans cette référence un souvenir du Roman de Troie. Achille et Ulysse dans le Roman de Troie national Courtly Literature Society, Dalfsen, The Netherlands, 9-16 August 1986, Amsterdam/ Philadelphia: 179-90 Faral, E. 1969: «Comment s’est formée la légende de l’origine troyenne des Francs», in: Id., La légende arthurienne. Études et documents, vol. 1, Paris: 262-93 Gil, M. 2002: «Le cycle d’illustrations du Roman de Troie en prose de Benoît de Sainte-Maure dans le milieu bourguignon: le cas du ms. f° 26 de l’abbaye de Maredsous (Arras ou Cambrai, vers 1450)», in: J.-Ch. 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