Vox Romanica
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0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
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2008
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Kristol De StefaniWolfgang Dahmen/Günter Holtus/Johannes Kramer/Michael Metzeltin/Wolfgang Schweickard/Otto Winckelmann (ed.),Was kann eine vergleichende romanische Sprachwissenschaft heute (noch) leisten? Romanistisches Kolloquium XX, Tübingen (Narr) 2006, xxvi + 402 p. (Tübinger Beiträge zur Linguistik 491)
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2008
Robert de Dardel
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Linguistique romane générale - Allgemeine romanische Sprachwissenschaft Wolfgang Dahmen/ Günter Holtus/ Johannes Kramer/ Michael Metzeltin/ Wolfgang Schweickard/ Otto Winckelmann (ed.), Was kann eine vergleichende romanische Sprachwissenschaft heute (noch) leisten? Romanistisches Kolloquium XX, Tübingen (Narr) 2006, xxvi + 402 p. (Tübinger Beiträge zur Linguistik 491) 1. Ce volume, issu d’un colloque de romanistes tenu à Göttingen en 2004, réunit dix-neuf études ayant trait, de près ou de loin, à la linguistique romane comparée. La question que tout chercheur se pose évidemment est de savoir si, dans le domaine des langues romanes, le comparatisme de l’époque de ses fondateurs conserve, voire renforce aujourd’hui, sa capacité descriptive et explicative et reste productif ou si, au contraire, avec le temps, il tend à perdre du terrain et à se dénaturer. Dès l’abord (viii), les éditeurs donnent, très opportunément, la parole à G. Hilty, qui, en tant que président de la Société de linguistique romane, s’exprimait dans sa leçon inaugurale du XXI e Congrès international de linguistique et philologie romanes (Palerme 1995) en ces termes: La grammatica comparata delle lingue romanze non è di moda e numerose scuole moderne preferiscono studiare un solo sistema linguistico nel suo funzionamento sincronico invece di osservare l’evoluzione di vari sistemi a partire da una base commune, tendenze che si manifestano anche nelle comunicazioni di questo congresso. In nessun caso voglio criticare tale evoluzione o girare indietro la ruota della storia. Voglio dire soltanto questo: quanto più difficile è, per un singolo ricercatore, trattare in modo competente problemi di tutte le lingue romanze o per lo meno di gran parte di esse, tanto più importante è la collaborazione fra differenti specialisti, tanto più importanti sono le riunioni, gli incontri come questo congresso, dove specialisti di differenti campi della linguistica romanza possono discutere problemi di interesse generale. Se non vogliamo abbandonare l’idea, l’ideale di un’unità romanza, di un’unità del mondo latino, dobbiamo rinforzare i contatti fra i romanisti. Personnellement, je souscris sans réserve à ce passage, mais dois constater, dix années plus tard, que la collaboration souhaitée par G. Hilty, dans les congrès et dans la recherche en général, n’a guère produit les résultats qu’il avait sans doute dans l’esprit, à savoir la conservation des acquis traditionnels du comparatisme roman et le recours à ses prolongements méthodologiques. Considérant ce recueil comme assez représentatif des recherches menées dans cet intervalle, je me propose de le parcourir et de le commenter, dans les limites de ma compétence, en vue d’un bref bilan dans la conclusion. Toutefois, vu l’abondance et la diversité des matières présentées, je dois m’en tenir à de simples notes, prises au fil de mes lectures et visant à donner une idée des lignes directrices. 2.1 La première partie est consacrée à des questions de principe et de méthodologie relatives à la linguistique comparée, en particulier romane, et à la typologie linguistique. En dépit du proverbe Comparaison n’est pas raison, Ulrich Wandruszka, dans «Was soll eine vergleichende (romanische) Sprachwissenschaft heute leisten? » (3-14), souligne que le comparatisme en linguistique a pour but un élargissement de nos connaissances; dans les études romanes, ce but est la reconstruction du protoroman par le biais des données des langues romanes qui dérivent forcément d’un état antérieur commun, ce qu’il exemplifie avec le subjonctif (5-7). Cette démarche fondamentale du comparatisme historique est aussi abordée à propos de la double position, typiquement romane, de l’adjectif épithète, devant et derrière le substantif, laquelle fait dire à l’auteur que l’évolution analogue des langues romanes est en somme plus remarquable que leur différentiation spatiale et temporelle. À mon avis, l’auteur a parfaitement raison, en ce que celle-ci découle normalement de l’évolution linguistique dans le cadre de la théorie des ondes, tandis que celle-là soulève le 238 Besprechungen - Comptes rendus problème particulier, encore mal élucidé, de l’origine, en latin, comme il le pense, ou dans le système protoroman. Entrevoyant dans cette approche un vaste potentiel de recherches, U. Wandruszka plaide - et il ne sera pas le seul à le faire dans ce volume - pour une extension du comparatisme aux langues non romanes et pour un modèle commun aux études romanes et à la linguistique générale. Rita Franceschini, dans «Von vergleichend zu multi-, interzu trans-? Schnittstellen einer übergreifenden romanischen Sprachwissenschaft» (15-28), est en quête d’une vue d’ensemble des études romanes au sein des structures institutionnelles actuelles. D’autre part, constatant que le comparatisme roman du début était historique et a produit des résultats en phonétique, mais moins en morphologie et seulement marginalement en syntaxe, elle estime qu’on peut encore défendre le comparatisme historique roman, pour peu que cette voie soit abordée compte tenu de développements méthodologiques plus récents. J’ajouterais, à titre d’exemple, qu’un de ces développements fut le recours à la notion d’«anomalie», chère à A. Meillet, mais encore sous-estimée en tant que critère de la reconstruction et sans laquelle précisément la syntaxe protoromane est condamnée à rester un secteur marginal de la recherche. La contribution de Harald Völker, «Transdisziplinarität und Romanistik» (29-42), ne se réfère pas explicitement au comparatisme historique traditionnel, mais s’intéresse au comparatisme roman dans le cadre de ses rapports avec la linguistique générale, la philologie, la culture. Ce que l’auteur aurait pu préciser, c’est que cette dimension des recherches a déjà fait ses preuves: une infiltration transdisciplinaire décisive s’est produite lorsque, avec notamment les linguistes américains L. Bloomfield et R. A. Hall, jr., le latin écrit, considéré à juste titre comme sujet à caution, a été écarté de la reconstruction protoromane ou relégué au second plan, le protoroman étant dès lors reconstruit à la manière dont on reconstruit les protolangues dépourvues d’attestations. Il y a un siècle, estime Pierre Swiggers, dans «Grammaire comparée des langues romanes, typologie linguistique et linguistique générale» (43-68), la linguistique romane, axée sur la diachronie à partir du latin vulgaire, avait une fonction de modèle. Mais il s’est produit depuis lors des pertes, dont celle de dialectes. Il faut par conséquent, pense-t-il, renouveler la linguistique romane, en dépassant la notion de grammaire comparée historique. Et l’auteur d’esquisser quelques pistes. (i) À propos de l’une de ces pistes, l’auteur dit: «Le drift commun des langues romanes a consisté en une diminution du degré de synthèse et dans la perte d’autonomie du mot au bénéfice du groupe de mots . . . » (51). J’estime que, ce faisant, l’auteur met le doigt sur un fait capital, à savoir une évolution qui affecte le protoroman dès avant notre ère, en y introduisant une structure tendanciellement analytique, étrangère à la norme classique, et en fondant par là une bipartition typologique durable du latin global. (ii) P. Swiggers commente une autre piste en ces termes: «C’est aux romanistes qu’on doit une ‹découverte méthodologique› cruciale, qui de la grammaire historico-comparative a été transférée ensuite à la description synchronique ou achronique: . . . la chronologie relative» (54), méthode qu’il illustre avec les recherches de G. Straka, combinant synchronie et chronologie relative et établissant, de ce point de vue, une différence phonétique entre le sarde et le roumain. Depuis lors, à mon sens, les prolongements de cette approche spatio-temporelle sont en passe de devenir le fondement de la chronologie protoromane entière. Dans le concept d’historicité, Wulf Oesterreicher, «Historisch-vergleichende Sprachwissenschaft und Sprachtypologie im Spannungsfeld der Historizität der Sprache» (69-100), distingue trois aspects: le changement linguistique, domaine de la linguistique diachronique traditionnelle, ses rapports externes compris, la variation linguistique, où la diachronie se reflète dans le système en synchronie (champ pragmatico-communicatif, compétence linguistique), et la diversité linguistique, où la diachronie se manifeste en synchronie de manière contingente (externe, en contraste typologique). Ce modèle est illustré par la for- 239 Besprechungen - Comptes rendus mation du futur roman (73-75). Dans les termes de ce modèle, on pourrait, si je ne me trompe, poser que le protoroman, tel qu’il se présente de nos jours, et ses prolongements (pré)romans, qui représentent à l’origine une norme parlée du latin, sont du ressort du changement linguistique, tandis que leurs rapports avec le latin des textes ressortissent, au début de cette trajectoire, à la variation linguistique, pour déboucher, en fin de trajectoire, sur un ensemble ressortissant à la diversité linguistique; le protoroman étant encore, à l’heure qu’il est, très incomplètement exploré, il faudrait, pour confirmer ces vues, l’étudier systématiquement et le confronter, au niveau de la variation linguistique, en synchronie avec le latin des textes. C’est à partir de A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française (Paris 2000), s. tête, cité in extenso, que Peter Koch, dans «Romanische Sprachwissenschaft und diachronische kognitive Linguistik - eine Wahlverwandtschaft? » (101-36), commente un exemple de linguistique cognitive diachronique avant la lettre (107-08): Hier wird, gestützt auf den inner- und außerfranzösischen Sprachvergleich, im Hinblick auf die Erneuerung von Ausdrücken für das ‹Zielkonzept› ‘Kopf’, eine Gruppe miteinander verwandter ‹Quellenkonzepte› herausgearbeitet: ‘(Ton-)Gefäss’ und ‘runde Frucht’. Überall ist hier direkt oder indirekt lateinisch-romanisches Sprachmaterial involviert: über fr. tête (und mit gleicher Etymologie: it. testa, asp. tiesta, kat. testa etc.), über gr. kónkhos (dessen Variante kónkhè dem sard. conca ‘Kopf’ zugrundeliegt), über lat. cuppa (das dt. Kopf ergibt), ferner über die unterschiedlichen französischen Substandard-Ausdrücke für ‘Kopf’. Die im Zitat angebotene Interpretation der hier erfolgten Bedeutungsübertragung auf Grund einer - außersprachlich zu beobachtenden - ‹Analogie› (d. h. Similarität) der Form der betreffenden Gegenstände stellt eine kognitive (metaphorische) Erklärung in nuce dar. Sur la base de cette démonstration et d’une seconde (la formation du futur cantare habeo selon L. Spitzer), P. Koch montre que l’explication cognitive n’est pas la même pour toutes les langues existantes, mais met en œuvre des solutions concurrentes, qui sont intéressantes de ce point de vue, parce qu’elles se présentent de façon récurrente et par polygénèse dans diverses langues. Il illustre plus en détail la possibilité d’explications cognitives dans trois exemples romans, dont celui de la chauve-souris. Ayant pris la précaution de distinguer les approches comparatives sémasiologique (la base de comparaison étant un signe linguistique, comme caput), et onomasiologique (la base de comparaison étant un concept, comme ‘tête’), il fait remarquer que, sur ce point, un rôle unique est réservé aux langues romanes, qui, grâce au latin écrit, disposent pour l’approche cognitive, d’une source attestée à la fois au niveau du concept et à celui de l’expression. Cette observation est juste et encourageante, dans la mesure où la forme latine, en principe un fait de parole, est malgré tout assurée en langue; mais elle ne doit pas nous conduire à écarter le nombre appréciable d’étymons protoromans à astérisque dans W. Meyer-Lübke, Romanisches etymologisches Wörterbuch, Heidelberg 1935, pour lesquels le concept a été reconstruit d’une façon le plus souvent correcte, en langue, à l’aide de la seule méthode historico-comparative. L’étude de Jens Lüdtke, «Römische Kolonisierung und romanische Kolonisierungen» (137-60), m’incite à faire un bref retour méthodologique dans le passé, avant de m’arrêter au sujet formulé dans le titre. La méthode historico-comparative appliquée aux langues romanes, qui s’est peu à peu développée depuis la fin du XIX e siècle et jusqu’à aujourd’hui, comporte une série d’hypothèses, dont il faut actuellement tenir compte dans le traitement de la protolangue, sous peine de s’égarer dans des descriptions et explications sans rapports avec la réalité. Les voici: (i) Les parlers romans dérivent pour l’essentiel du latin parlé (à preuve, l’évolution selon les règles d’équivalence phonético-sémantiques), représenté par le protoroman, qui est une donnée abstraite, située en langue; le latin écrit est, sous ce rapport, une donnée secondaire contingente et, en première approximation, un fait de parole 240 Besprechungen - Comptes rendus (cf. L. Bloomfield, Language, reprint, London 1970: 302, où il est dit que les romanistes reconstruisent d’abord le protoroman, avant de passer aux documents latins écrits, qu’ils interprètent à la lumière de la forme reconstruite; A. Fox, Linguistic Reconstruction, Oxford 1995: 14 N4). (ii) Le rapprochement du latin écrit et du protoroman met au jour d’importantes différences grammaticales, au premier rang desquelles celles entre types de langue synthétique et tendanciellement analytique (cf. le drift que mentionne P. Swiggers dans son exposé, 51). (iii) Il est possible que cette bifurcation typologique du latin global soit liée au contact que le latin parlé a eu, dès les premières conquêtes de Rome, sous la forme de bilinguisme, avec les substrats (cf. A. Meillet, Esquisse d’une histoire de la langue latine, Paris 1977: 236 [ 1 1928], qui, pour n’avoir pas pu bénéficier de recherches plus récentes, situe le phénomène à une époque trop tardive; W. von Wartburg, Évolution et structure de la langue française, Berne 1969: 35; J. Herman, Du latin aux langues romanes, Tübingen 1990: 52). (iv) L’évolution du protoroman aux parlers romans se laisse décrire à l’aide d’une analyse spatio-temporelle des données romanes (méthode qui remonte à G. Gröber, «Vulgärlateinische Substrate romanischer Wörter», ALLG 1 (1884): 204-13, et à la linguistica spaziale, et qui se manifeste par la suite chez H. Lausberg, Linguistica romanza, 2 vol., Milano 1971/ 1: 34-36). (v) L’analyse spatio-temporelle nous apprend que le drift caractéristique du protoroman remonte au moins au premier siècle avant Christ, période donc à laquelle remonte la base grammaticale des parlers romans et où le protoroman couvrait le domaine romanisé entier, ce dont témoignent les nombreux traits communs à tous les parlers romans. (vi) Latin écrit (classique) et protoroman ont coexisté dès l’Antiquité, dans ce qu’on peut appeler le modèle de la simultanéité (adopté explicitement par R. A. Hall, External History of the Romance Languages, New York/ London/ Amsterdam 1974: 12 et 16). En regard de cet ensemble d’hypothèses, qui fait l’objet d’un consensus, non pas total, mais assez étendu chez les romanistes acquis au comparatisme, je trouve l’étude de J. Lüdtke déroutante, pour ne pas dire obscure, parce qu’elle ne les reflète clairement ni dans les faits présentés, ni dans la terminologie. Si cet auteur ne les accepte pas et refuse par conséquent l’avis de plusieurs éminents comparatistes du XX e siècle, ce qui est son droit, il aurait été bien inspiré en le justifiant. De ma part, il résulte de ce constat quelques réflexions critiques sur sa communication. Partons du passage suivant: «Das gesprochene und geschriebene Latein des 1. Jahrhunderts v. Chr. wurde im darauffolgenden Jahrhundert standardisiert und danach als Schriftsprache mit relativ wenigen Veränderungen durch viele Jahrhunderte tradiert» (141). Mais qu’est donc, pour l’auteur, le latin parlé dont il est question ici? Est-ce du protoroman reconstruit selon les techniques de la grammaire historico-comparative et situé en l’occurrence dans ladite période selon une analyse spatio-temporelle? Ou bien est-ce un latin écrit que, pour ne pas s’être conformé aux normes classiques, on étiquette comme latin parlé? Les deux précisions «als Schriftsprache» et «mit relativ wenigen Veränderungen» suggèrent que le protoroman, en réalité une norme parlée et très variable sur l’axe diachronique, n’y est pas inclus et qu’à cette époque, soit il n’existe pas, soit il existe, mais est passé sous silence parce que jugé non pertinent audit latin standard. Ce passage illustre un manque de précision terminologique, qui reste gênant tout au long du texte. Mais, revenons au latin tel que le voit J. Lüdtke. Surgit, après plusieurs siècles, au plus tôt à l’époque de la renaissance carolingienne (150), le problème auquel on pouvait s’attendre (§3.3; je laisse ici de côté quelques processus complexes et leur terminologie), à savoir comment les parlers romans ont pu se former à partir du latin des textes. La réponse de J. Lüdtke se ramène à deux phases: (i) On peut, pense-t-il, admettre, sinon prouver, l’existence d’une régionalisation du latin, c’est-à-dire, avec le temps, la formation, éventuellement liée à des substrats, d’un latin régional, sous la forme de variétés régionales du latin parlé, qui s’écartent de plus en plus de la norme écrite; sans doute l’auteur a-t-il à l’esprit l’apparition dans les textes de variantes analytiques comme comes de civitatem à la place du comes civitatis imposé par la 241 Besprechungen - Comptes rendus norme latine. (ii) Le latin parlé en question doit alors être appris en tant que réalisation orale du latin écrit, c’est-à-dire que, pour reprendre cet exemple, le lat. écrit comes de civitatem doit se transformer, en gallo-rom. septentrional, en li cuens de la cité ou le comte de la cité. Par conséquent, selon l’auteur, dans ce double processus, les variantes romanes ne résultent pas directement d’un écart par rapport à la norme latine, mais d’une conscience de l’autonomie romane, «des Bewusstseins romanischer Eigenständigkeit» (150). À quoi je désire répondre ceci. L’écart qui se creuse, dans la phase (i), ne s’est pas produit graduellement ou tardivement, mais existait déjà dans l’Antiquité, sous la forme de latin écrit non classique, par exemple à Pompéi, et affectait uniformément toute la Romania, la formation de régionalismes du latin écrit étant généralement considérée comme minime et, de l’aveu de l’auteur même, comme difficile à prouver. Dans ces conditions, on voit mal comment, sans la charnière que constituait un bilinguisme généralisé (cf. ma troisième hypothèse), le latin écrit aurait pu à lui seul imposer au latin parlé une structure morphosyntaxique notoirement analytique, qui ne le caractérisait justement pas lui-même. Dans la phase (ii), l’apprentissage du latin parlé à une époque si tardive (au plus tôt donc, selon l’auteur, à l’époque de la renaissance carolingienne) est un anachronisme. En réalité, le processus historique en jeu ici est doublement incompatible avec celui que propose l’auteur: le type lat. comes de civitatem n’est rien d’autre qu’un reflet écrit du protoroman, et le lexème cuens, à cette époque tardive, une forme phonétique ou phonologique déjà ancienne. Tels sont en somme les improbables détours qui nous sont imposés par une tactique visant à conserver, sans recours au protoroman, le modèle périmé de la successivité latin écrit parlers romans, comme si était concevable l’étude historique d’une famille de langues génétiquement liées sans une protolangue, fût-elle hypothétique, à laquelle se référer. Les passages incriminés se rapportent tangentiellement et de façon aléatoire au premier des deux objets proposés dans le titre de l’essai. Au sujet du second, situé dans une autre sphère des recherches romanes, je n’ai pas de remarques particulières. La communication intitulée «Sardinien, La Mecca der vergleichenden Sprachwissenschaftler» (161-80), de Eduardo Blasco Ferrer, débute par un tableau contrastif de ce qu’il appelle l’ancienne et la nouvelle linguistiques historico-comparatives romanes, dont il précise qu’elles se suivent sans solution de continuité, l’ancienne se prolongeant dans la nouvelle, celle-ci tirant profit de celle-là et la complétant. Un des points de ce tableau concerne le fait que l’ancienne version prend en compte tous les parlers romans, y compris les parlers minoritaires et les dialectes, alors que la nouvelle version s’intéresse à une ou plusieurs des grandes langues romanes «normées», ce qui implique, en didactique et dans la recherche, l’utilité de la première pour la seconde. Dans cette optique, l’auteur se penche, à titre d’exemple, sur le sarde, «la Mecca degli studiosi delle discipline più svariate» (G. Bottiglioni). Effectivement, le sarde, sans norme standard propre, mais avec une grande richesse de formes dialectales, fonctionne à bien des égards comme langue passerelle entre l’ouest et l’est de la Romania et éclaire maint développement général des parlers romans, notamment en rendant possible l’établissement d’une chronologie détaillée de certaines évolutions; un exemple en est donné (166) à propos de l’évolution de f- ( [h] 0) et du sort de -s final. En d’autres mots, la riche variété dialectale du sarde garantit le prolongement d’évolutions qui, ailleurs dans la Romania, ont été recouvertes et masquées (177). L’auteur examine plus en détail, dans cette optique, les problèmes soulevés par le pronom relatif dit invariable (du type du fr. l’homme que j’ai rencontré la femme ‘dont’), l’expression de l’existence et l’origine de l’interfixe -I- (du type de l’it. pettirosso). 2.2 La seconde partie du recueil est consacrée à des études pointues ou ponctuelles dans divers domaines qu’on peut considérer comme ressortissant à la linguistique romane comparée. 242 Besprechungen - Comptes rendus Fernando Sánchez Miret dans «La historia de / -r/ en catalán. Plaidoyer para una nueva gramática histórico-comparativa de las lenguas romances» (183-206), constate d’une part que, depuis nombre d’années il n’est plus paru de grammaires historico-comparatives des langues romanes, d’autre part qu’il subsiste de nombreuses tâches à accomplir selon cette méthode, spécialement en phonologie et morphologie historiques; et, comme il estime que la perspective panromane peut encore dévoiler des données qui échappent aux romanistes travaillant sur des parlers romans spécifiques, il plaide pour un retour à une (nouvelle) grammaire historico-comparative. Dans le présent essai, il applique lui-même ce principe au problème posé par la disparition du / -r/ final en catalan. Dans cette langue, le problème en question se présente pour plusieurs structures phonétiques et morphologiques, variables dans l’espace et dans le temps, que, par un rapprochement avec les matériaux correspondants des autres parlers romans, on peut classer, par types de changement, en plusieurs hiérarchies, mettant en évidence des similitudes au sein de certains ensembles compacts de parlers romans. Conforté par des cas concrets comme celui-ci, l’auteur revient finalement sur la nouvelle grammaire historico-comparative, dont il a souligné la nécessité au début de l’essai, et en énumère les objectifs minimaux (203): présenter les données de façon organisée, analyser les résultats obtenus qui ne sont pas encore incorporés dans les grammaires existantes, mettre en évidence les zones les moins explorées. Comme pour répondre aux desiderata formulés par G. Hilty (viii), il envisage une œuvre collective soigneusement planifiée. Michele Loporcaro, «Sintassi romanza, ovviamente comparata: il caso del participio assoluto» (207-22), et Ursula Klenk, «La construction auxiliaire + participe passé dans une grammaire syntagmatique guidée par les têtes. Une étude comparée» (223-38), rapprochent comparativement plusieurs parlers romans, mais, à la différence de l’étude de F. Sánchez Miret, sans considération particulière de la dimension diachronique. Wolf Dietrich, «Das romanische Tempus- und Modussystem und die einzelsprachlichen Normen» (239-54), se propose d’examiner dans quelle mesure on peut parler d’un système temporel et modal roman et non pas seulement de systèmes spécifiques de chaque parler roman. Son approche, inspirée par l’ouvrage bien connu de E. Coseriu, Das romanische Verbalsystem, Tübingen 1976, est double: il part de l’analyse synchronique des parlers romans, mais prend en considération aussi le point de départ du latin vulgaire et prône l’argumentation de cette démarche en termes de diachronie. Il souligne que les deux démarches, rétrospective et prospective, sont nécessaires et complémentaires. Vu le vague qui caractérise cette question jusque dans les rangs des romanistes actuels, cette insistance de sa part me paraît justifiée; toute la démonstration doit se dérouler dans une approche globale, au moyen de critères de reconstruction, entre la protolangue d’une part, représentée par une forme reconstruite du latin parlé ou par une forme latine écrite garantie en langue, et les parlers romans, d’autre part. En appliquant cette technique, l’auteur aboutit à une description des temps et des modes, fondée sur un classement typologique et éclairant, dans l’espace et le temps, de larges pans du système; c’est le cas, par exemple, du plus-que-parfait de l’indicatif (§2.1.2), forme qui est à la fois issue du lat. habuerat et attestée, en tant que temps inactuel du passé, par ses dérivés dans une grande partie de la Romania. À ce sujet, l’auteur précise: «Dabei muss freilich angenommen werden, dass die zu rekonstruierende Proto- Sprache Vulgärlatein uneinheitlich, d. h. in der Norm unterschiedlich war» (239), une réserve sur laquelle je vais revenir dans mon commentaire. À propos du système temporel global selon E. Coseriu, W. Dietrich remarque pourtant: «Sie [= l’analyse de E. Coseriu] stellt . . . ein System von grundsätzlichen Möglichkeiten dar, das in den einzelnen romanischen Sprachen in unterschiedlichem Masse verwirklicht ist. Die typologisch begründeten romanischen Grundunterscheidungen sind aber in tatsächlich allen romanischen Sprachen dieselben» (240), passage qui, malgré la réserve formulée plus haut (239) par l’auteur, atteste bel et bien, à l’origine, une unité du protoroman. Je considère la protolangue frag- 243 Besprechungen - Comptes rendus mentée qu’entrevoit l’auteur dans le passage précédent (239) comme une contradictio in terminis, car, par définition, une protolangue rend compte de tous les parlers qui en sont issus; dans la pratique des romanistes, toutefois, une protolangue est bel et bien dite, selon le cas, «uniforme» ou «fragmentée»; chez W. Dietrich, la notion de protoroman fragmenté est évidemment inspirée par la démarche rétrospective à partir de spécificités des parlers romans, laquelle démarche, appliquée à certains sous-systèmes, par exemple à celui formé par le type habuerat et le type habuisset, plus-que-parfait du subjonctif, passé à l’indicatif en roumain, ne peut en effet déboucher, au moins de prime abord, que sur une protolangue fragmentée. Cependant, étant donné ce que nous trouvons dans les matériaux romans et comme on vient de voir (240), il a forcément existé dans l’Antiquité, conformément à la définition, des structures protoromanes uniformes, sans lesquelles des traits communs à tous les parlers romans seraient inexplicables. Pour ne pas manquer l’incorporation de ces traits dans le système protoroman, il est donc nécessaire de postuler en première approximation le protoroman uniforme dont les parlers romans attestent l’existence; et ce n’est qu’en seconde approximation, en l’absence avérée d’un trait uniforme, qu’on peut parler d’un protoroman fragmenté. La différence entre protoroman fragmenté et protoroman uniforme, compte tenu d’un trait uniforme qui aurait échappé au chercheur, n’est en fait pas d’ordre quantitatif, mais d’ordre qualitatif; dans le protoroman fragmenté, une lacune structurale de ce type peut se répercuter sur toute l’analyse. C’est pour avoir négligé le protoroman uniforme que les romanistes n’ont pu prouver par A plus B l’existence généralisée d’un système nominal roman acasuel qu’à la fin du XX e siècle. W. Dietrich ne semble pas avoir pris la mesure de ce principe, comme il appert de sa réserve à propos d’une norme d’origine non uniforme. À mon avis, le même problème se pose pourtant, dans sa propre analyse, à propos de l’absence de consecutio temporum: au centre du niveau inactuel se trouve, dans tous les parlers romans, l’imparfait. «Zwar», précise l’auteur, «weichen das Rumänische und das Bündnerromanische am meisten von allen übrigen romanischen Sprachen ab, da sie keine Consecutio temporum kennen und das Imperfekt daher auch nicht die Gleichzeitigkeit in der abhängigen indirekten Rede ausdrückt» (241); à ma connaissance, le statut historique de la construction romane sans consecutio temporum n’est pas encore élucidé et mériterait une analyse au niveau du protoroman uniforme, si tant est qu’elle caractérise cette étape initiale du protoroman, comme le pense T. H. Maurer, A unidade da România ocidental, S-o Paulo 1951: 184-85, en s’appuyant sur des attestations romanes isolées, aussi en dehors des domaines rhéto-roman et roumain; pour ma part, sans préjuger d’autres facteurs ayant pu favoriser cette construction, je songerais à un lien avec le caractère tendanciellement analytique du protoroman initial (cf. le drift mentionné ici même par P. Swiggers); sa présence soutenue en rhéto-roman et en roumain serait alors liée à l’isolement relativement précoce de ces deux aires, face à l’expansion, à l’ouest, de la norme classique, qui tend à instaurer la consecutio. Si elle se confirme, cette hypothèse pourrait - c’est à voir - se répercuter dans l’analyse de W. Dietrich, par exemple sous la forme d’un emploi restreint de l’imparfait, comme en roumain. De l’avis de Max Pfister, «Die Lexikologie als Arbeitsfeld der vergleichenden romanischen Sprachwissenschaft» (255-68), le Romanisches etymologisches Wörterbuch (REW) de W. Meyer-Lübke, dans son édition de 1935, reste un instrument de travail fondamental, mais est susceptible actuellement d’être complété par les dictionnaires de W. von Wartburg, Französisches etymologisches Wörterbuch (FEW), 23 vol., Bonn [etc.] 1922-2002, et de J. Corominas/ J. Pascual, Diccionario crítico etimológico castellano e hispánico (DCECH), 6 vol., Madrid 1983-1991, ainsi que par M. Pfister, Lessico etimologico italiano (LEI), Wiesbaden 1979-. M. Pfister illustre ces propos avec l’analyse d’un groupe de mots, l’italien cala ‘insenatura marina’, calanca ‘dirupo scosceso’ et scalo ‘porto’, sur la base d’un extrait provisoire du LEI, donné en annexe. En conclusion, l’auteur remarque que nous avons abso- 244 Besprechungen - Comptes rendus lument besoin d’un nouveau REW et que le lexicographe dispose actuellement d’immenses collections de données romanes, qu’il s’agirait de classer, comparer et interpréter à cet effet. Dans le domaine des mots composés romans, Axel Schönberger, «Tatpuruóa-Komposita und Renyõkei im Lateinischen und Romanischen» (269-90), constate que l’analyse unilingue ne peut s’appliquer qu’en synchronie et que la diachronie de cette classe de termes exige une approche comparative des parlers romans, laquelle se révèle même parfois insuffisante, au point de nécessiter une révision des vues actuelles sur son origine. Le champ des recherches est en réalité plus ample encore, pense A. Schönberger, parce que les rapports historiques ou typologiques pertinents aux composés impliquent d’autres langues indo-européennes que le seul latin, voire des langues non indo-européennes, et que, jusque dans la sphère du latin et des parlers romans, il faut compter avec des emprunts savants et avec l’hypothèse que, dans certaines circonstances, des structures de composé en voie de lexicalisation peuvent se réactiver et redevenir productives. Les deux types de composé qui figurent dans le titre confirment cette thèse générale; le premier, qu’illustre le fr. viticulture et qui comporte un substantif dans la fonction d’un cas, mais sans désinence casuelle, suivi d’un élément verbal, n’est pas une innovation romane, mais prolonge, par réactivation, des formes du latin antique, produites sous l’influence d’un modèle grec ou hindou; le second type, dit renyõkei, terme emprunté à la grammaire japonaise, qu’illustre le lat. calefacio et qui consiste en un verbe muni d’un préverbe, lui-même verbal, est tenu par l’auteur pour un type latin nouveau, de source non latine. À mon avis, la chronologie des données du latin parlé pourrait être utilement précisée, si l’on recourait à une analyse spatio-temporelle du protoroman. Le titre de la contribution de Hans Goebl, «Warum die Dialektometrie nur in einem roman(ist)ischen Forschungskontext entstehen konnte» (291-318), suggère évidemment une cause d’ordre linguistique. Cependant - Oh! surprise! - tel n’est pas le cas. L’explication doit être cherchée dans la tradition cartographique française, très ancienne et de haute qualité, relative à la démographie, la sociologie, la géographie, les transports, etc., bref à tout sauf à la langue, tradition dont pourtant l’ouvrage de J. Gilliéron/ E. Edmont, Atlas linguistique de la France (ALF), 17 vol., Paris 1902-1910, est un prolongement et pour laquelle les autres grands pays de l’Europe, notamment l’Allemagne, n’ont pas d’équivalents. Gilliéron ne pouvait donc opérer que selon le critère éprouvé du classement par départements (français). L’ALF est rationnel, les atlas allemands sont romantiques, conclut l’auteur. Martin-D. Glessgen, dans «Vergleichende oder einzelsprachliche historische Textwissenschaft» (319-40), commence par poser clairement que la comparaison n’a pas la même pertinence selon qu’elle a pour objet la langue ou les textes: la comparaison linguistique romane est liée à la famille des langues romanes, tandis que la comparaison textuelle est liée à des courants culturels, indépendamment des familles de langues. Après des considérations sur les recherches traditionnelles et sur les rapports entre sortes de texte et histoire de la langue, l’auteur développe (§4) des remarques préliminaires en vue d’une science historique des textes; il y évoque, avec raison, la possibilité et l’utilité d’un recours au traitement quantitatif, pour mieux évaluer le bien-fondé de certaines catégories de données. Dans «Textvergleich - Perspektiven für die romanische Sprachwissenschaft» (341-60), Heide Aschenberg débute par un exposé circonstancié sur la notion de comparaison, dans le domaine des opérations cognitives en général, puis, en particulier, dans les processus linguistiques, notamment sous la forme d’actions analogiques, et finalement dans la comparaison interlinguistique de textes. Dans cette optique, les textes sont des expressions linguistiques individuelles, que définissent des normes ou conventions soit universelles, soit ressortissant à une seule langue ou à un choix personnel du locuteur. Le fait que deux textes puissent être comparés présuppose qu’ils ont quelque chose en commun, ce que l’auteur 245 Besprechungen - Comptes rendus aborde en distinguant une base de comparaison (tertium comparationis) heuristique non spécifique (niveau I), que précisera ensuite, à partir des traits retenus pour la comparaison, une base de comparaison spécifique (niveau II). Armée de cet outil terminologique, l’auteure aborde et exemplifie des types de comparaison textuelle interlinguistique observés dans des traductions: comparaison de textes isolés, comparaison multilatérale (selon la voie tracée par M. Wandruszka), impact de la traduction sur le système de la langue cible, comparaison de textes parallèles, tels les avis mortuaires et les recettes de cuisine (avec la base de comparaison de niveau I), la comparaison de grammaires de texte. Finalement, elle esquisse des perspectives plus lointaines, mais séduisantes. Elle termine par la constatation que, dans ce cadre, la notion de «Romania» n’est plus définie seulement, comme dans son classement généalogique, par l’extension territoriale d’une famille linguistique issue du latin, mais en plus par les notions de communauté linguistique ou communauté culturelle. L’étude de Peter Wunderli, «Franko-italienische Studien ohne Romanische Philologie? » (361-90), s’ouvre sur la constatation du déclin de la grammaire historico-comparative romane dans les programmes universitaires en Suisse et en Allemagne. En guise de contreattaque, il va s’employer à présenter un problème qu’il n’est pas possible de résoudre sans passer par cette méthode: il s’agit de l’analyse linguistique d’un texte en franco-italien, une langue littéraire, située en Italie septentrionale, productive aux XIII e et XIV e siècles et conservée dans un corpus de textes unique en son genre, encore en grande partie inédit ou mal édité. En termes linguistiques, il s’agit donc d’une langue littéraire artificielle, qui n’occupe qu’une aire restreinte. Le franco-italien n’a jamais été un moyen de communication primaire, ni un langage quotidien, ni une langue maternelle; il est toujours limité à des textes littéraires, une sorte d’hybride, d’un côté en remplacement d’une langue primaire considérée comme inapte à l’expression littéraire, de l’autre une imitation approximative d’un modèle idéal ou idéalisé, le français. La langue franco-italienne se situe sur une échelle que délimitent les deux pôles dialecte italien/ gallo-italien et français/ dialectes français. Comment donc en est-on venu à cette langue hybride? Écartant certaines explications anciennes, P. Wunderli y voit moins la tentation d’imiter le français que le résultat d’une adaptation ciblée aux possibilités réceptives de l’Italie septentrionale. Il y a, dans le cas du franco-italien, une interférence, non pas toutefois au sens usuel d’une influence plus ou moins fortuite d’une langue cible par une langue source, mais au sens d’une contribution de deux ou plusieurs langues à la formation d’une troisième, qui se veut une création autonome. P. Wunderli souligne que cette langue littéraire artificielle n’a jamais été standardisée et n’a pas connu de norme stable. Cependant, le fait qu’il y ait de la part de l’auteur ou du remanieur une création ad hoc nous force à attribuer un rôle déterminant à la connaissance qu’ils avaient des deux langues sources impliquées. Mais il est difficile et délicat d’identifier dans chaque cas les paradigmes auxquels ils se réfèrent. L’analyse linguistique que P. Wunderli entreprend et illustre dans ce but se fonde sur le roman en prose Aquilon de Bavière de Raffaele da Verona, écrit entre 1379 et 1407 et édité par ses soins en 1982. Un exemple bref et simple: la représentation de la graphie française ch est de nature à exclure une explication dans le cadre d’une seule langue; son interprétation n’est possible qu’à l’aide d’une philologie romane qui se fonde à la fois sur le français et l’italien, à divers stades de leur évolution, et qui dispose en outre de données dialectales italiennes. Et c’est ici que la contre-attaque lancée par P. Wunderli atteint son but. L’auteur démêle, mutatis mutandis, toute une série d’autres problèmes d’interprétation, aux niveaux des graphies et des phonèmes, à ceux de la morphosyntaxe et du lexique. Il termine par un plaidoyer pour l’inclusion, dans la méthode comparative, de l’approche scientifique des cultures et des littératures, compte tenu de leur aspect linguistique. Selon Rainer Schlösser, «Angewandte historisch-vergleichende Sprachwissenschaft: Erfahrungen aus der Praxis» (391-402), la grammaire historico-comparative romane, qui 246 Besprechungen - Comptes rendus continue d’être utilisée pour la recherche scientifique, a cessé d’être utilisée dans l’enseignement pratique des langues; et pourtant, elle semble refaire surface dans cette perspective. De même qu’il existe une linguistique des Balkans, fondée sur des convergences, on peut songer, à l’âge de l’européanisation, à une linguistique de l’Europe, que caractérise également une certaine convergence, où la recherche s’émancipe des philologies spécifiques. Il se trouve du reste que les contributions à la linguistique de l’Europe révèlent déjà que cette approche se fonde tout de même sur des acquis de la méthode historico-comparative, et si, au XIX e siècle, la science linguistique a pu contribuer à la formation des États, on ne voit pas pourquoi elle ne pourrait pas, aujourd’hui, sur une plus grande échelle, contribuer à la formation de la communauté européenne. Or, la formation d’une Europe politique, économique et juridique unie laisse loin derrière elle l’apprentissage correspondant des langues de l’Union et, par conséquent, le développement du bilinguisme, voire du multilinguisme. Une des solutions proposées pour y remédier est le projet EuroCom, qui met l’accent, selon le cas, sur l’un des trois ensembles que sont les langues romanes, les langues germaniques et les langues slaves. La méthode est basée sur le principe de l’intercompréhension, qui existe déjà chez des locuteurs possédant la compétence d’une des langues de ces trois ensembles, donc d’une langue romane dans le système EuroComRom. L’apprenant aborde la langue à apprendre, en apparence inconnue, par le biais de sept filtres, ordonnés selon leur difficulté, mais étudiés simultanément, centrés sur par exemple le vocabulaire international, le vocabulaire panroman et les correspondances phonétiques. Or, toute cette opération se fonde sur des comparaisons. R. Schlösser décrit et commente ses expériences faites dans la pratique de cette méthode, au sein de laquelle les langues romanes occupent une place privilégiée. 3. Essayons de dresser un bilan global de ce tour d’horizon. On verra qu’il est mitigé. Le vœu de G. Hilty que la notion d’unité romane soit sauvegardée est sans doute, au moins tacitement, aussi celui de la plupart des auteurs du présent recueil, mais plutôt comme idéal, voire comme objet de spéculations, que comme produit d’une technique comparative systématique. Concrètement, cette réserve découle de ce que la méthode historicocomparative n’est qu’incomplètement assimilée. La notion de structure protoromane, qui seule permettrait de décrire le protoroman scientifiquement en synchronie et d’expliquer son évolution, n’est pas suffisamment présente dans les recherches. De même, l’hypothèse d’une uniformité possible de la structure protoromane et de sa fragmentation éventuelle subséquente en structures plus récentes et plus réduites dans l’espace, qui permet de dégager l’analyse spatio-temporelle des données romanes, n’est pas systématiquement mise à profit. Enfin, le modèle de la successivité, reliquat d’un autre âge, freine la mise en oeuvre d’un comparatisme roman à jour. Étant donné ces lacunes de la méthode, l’analyse diachronique des parlers romans risque de ne pas rendre compte de leur point de départ historique et le résultat final d’évoquer fâcheusement un colosse aux pieds d’argile. Heureusement qu’apparaissent en contrepartie les signes prometteurs de recherches en équipe pour la grammaire historique des langues romanes et pour les étymons protoromans. Du côté des entreprises positives, je place également les approches centrées sur la typologie ou sur la comparaison de textes, dont la validité n’est pas directement tributaire du protoroman. Dans ces secteurs-ci, on constate une réjouissante vitalité de la recherche. Robert de Dardel ★ 247 Besprechungen - Comptes rendus
