Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
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2009
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Kristol De StefaniLa morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman
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2009
Robert de Dardel
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La morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman 1 L’activité scientifique est in extenso une oscillation du voir à un comprendre transcendant le voir et de ce comprendre à un voir de son ordre. (Guillaume 1973: 18) 1. Introduction 1.1 L’adjectif-adverbe Au sujet des liens fonctionnels entre adverbe et adjectif, Sechehaye 1926: 64 écrit: «Cette classe de mots [l’adverbe] joue à son égard [à l’égard du verbe] le même rôle que l’adjectif à l’égard du substantif, et la manière n’est pas autre chose que la qualité du procès [exprimé par le verbe].» Par cet énoncé, l’auteur souligne le parallélisme des fonctions adjectivale et adverbiale sur le plan du contenu; mais c’est sans doute dans ce parallélisme même que se situent l’origine et la condition d’une certaine instabilité de ces rapports sur le plan de l’expression. Dans la présente étude, nous montrons qu’en morphosyntaxe romane, la définition courante des fonctions de l’adjectif et de l’adverbe, que nous appellerons la «définition standard», selon laquelle l’adjectif, variable (reconnaissable à la marque d’accord), complète un nom, et l’adverbe, invariable (reconnaissable à l’absence d’une marque d’accord), un verbe, un adjectif ou un autre adverbe, ne s’applique intégralement à aucun parler roman moderne et probablement à aucun des états en lesquels se décompose l’évolution de ce sous-système depuis le protoroman antique. Nous conservons cependant cette définition en tant que repère, par rapport auquel nous pourrons caractériser les autres définitions. Tous les parlers romans présentent des adverbes dont la forme est identique à celle de l’adjectif correspondant, mis à part l’accord de celui-ci avec un nom; ainsi en est-il du fr. fort dans (1): (1aa) Paul est fort (1ab) Paul chante fort (1ba) Pauline est forte (1bb) Pauline chante fort Nous avons affaire ici à une classe bifonctionnelle d’«adjectifs-adverbes», qui, en vertu des critères du comparatisme historique, représentent, mis à part les ad- 1 Nous tenons à remercier Mme Inés Fernández-Ordóñez (Université Autonome de Madrid), M. Jan Koster (Université de Groningen) et M. Peter Wunderli (Université de Düsseldorf) pour l’aide qu’ils nous ont apportée au cours de l’élaboration de cet essai. Vox Romanica 68 (2009): 1-22 Robert de Dardel verbes de lieu et de temps, la seule classe d’adverbes qui soit productive en protoroman dès son origine et d’un emploi encore attesté dans les parlers romans. Historiquement, cette classe d’adverbes coïncide avec le nominatif-accusatif neutre singulier du latin (primum ‘premier’, facile ‘facile’) et finit, avec la disparition du genre neutre, par se confondre avec l’accusatif masculin singulier (primum, facilem), forme à laquelle se réduit, en protoroman ancien, la déclinaison de l’adjectif masculin singulier et qui devient la forme non marquée de l’adjectif roman (it. primo, facile), par opposition à ses formes marquées pour les besoins de l’accord (it. prima donna ‘première femme’, lavori facili ‘travaux faciles’). L’adjectifadverbe fonctionne donc en protoroman soit comme adjectif (montem altum ‘mont élevé’, montes altos ‘monts élevés’), soit comme adverbe (cantant altum ‘ils chantent haut’). Il inclut aussi bien des lexèmes quantifiants (multum ‘beaucoup’) ou identifiants (metipsimum ‘même’) que des lexèmes qualifiants (grandem ‘grand’). La possibilité d’une origine indo-européenne de l’adjectif-adverbe, qu’envisageait Maurer 1959: §78 et que nous avons naguère prise en considération (Dardel 1995), nous paraît aujourd’hui moins plausible; la réduction morphologique, qui caractérise d’une manière générale le passage du latin aux parlers romans et qui a été récemment mise en évidence plus en détail (Dardel 2005), en rend mieux compte, sous la forme d’une réduction casuelle de l’adjectif, aboutissant à l’accusatif (altum et altam), et d’une réduction des morphèmes constitutifs de l’adverbe (faciliter facilem, alte altum et bene bonum). La question de la genèse morphologique de l’adjectif-adverbe et de sa présence en protoroman étant ainsi, à notre avis, réglée, reste celle de savoir comment s’organisent ses deux fonctions, adjectivale et adverbiale, au point de vue de la morphosyntaxe, en protoroman et, par la suite, dans les parlers romans. C’est à l’examen de ce problème qu’est consacré le présent essai. La méthode retenue est l’analyse comparative historique. 1.2 L’hétérogénéité des données En bonne méthode, les seules données sur lesquelles le comparatiste puisse faire fond pour reconstruire le protoroman sont celles des parlers romans. Or, en ce qui concerne l’emploi de l’adjectif-adverbe, ces données sont, pour l’observateur moderne, on ne peut plus hétérogènes et s’écartent de diverses manières de la définition standard. Par exemple, l’adjectif-adverbe en fonction adjectivale quantifiante n’est pas toujours variable, puisqu’on rencontre des dérivés romans du type multum annos ‘beaucoup d’années’, et, en fonction d’adverbe, il est parfois variable, puisqu’on trouve des dérivés romans du type qu’illustre (2): (2) protoroman bonam parabolat filiam ‘La fille parle bien.’ 2 La morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman Sur ce problème s’en greffe un autre: le syntagme nominal «articulé», par quoi nous entendons un syntagme nominal pourvu d’un article ou d’un déterminant de la même classe, qui apparaît, en liaison avec un adjectif-adverbe quantifiant ou identifiant, tantôt variable, tantôt invariable, dans des constructions romanes issues respectivement des types totam illam villam et totum illam villam, signifiant ‘le village entier’. La documentation romane est hétérogène également en ce qui concerne la chronologie. Il s’y mêle des éléments de règles protoromanes bien établies à des témoins de tendances probablement passagères. À ce flou des structures morphosyntaxiques s’ajoute un flou méthodologique chronique; la méthode comparative dont nous nous servons aboutit dans certains cas à des conclusions inverses de celles auxquelles aboutissent d’autres romanistes, sur la foi de la chronologie de textes romans anciens, ou des latinistes, sur la base de textes latins datés. Dans ces conditions, depuis l’époque des néo-grammairiens, l’examen des fonctions de l’adjectif-adverbe suscite la controverse, dont témoigne une littérature suivie, sur laquelle nous prendrons position à la fin de cet essai. 1.3 Le but de la présente étude L’adjectif-adverbe en tant que terme bifonctionnel a donc en protoroman et en roman une histoire intéressante, mais encore obscure, pour ne pas dire énigmatique. Une réflexion prolongée sur les matériaux dont nous disposons nous a convaincu que l’existence de l’adjectif-adverbe en protoroman et son évolution en roman ne se laissent pas appréhender simplement à partir de la définition standard, que résume, trop schématiquement pour nos besoins, le principe «l’adjectif est au nom ce que l’adverbe est au verbe», mais que leur morphosyntaxe est régie dès l’origine, c’est-à-dire dès le latin global antique, par des facteurs qui n’ont pas encore été systématiquement mis en évidence. Or, nous pensons avoir trouvé un facteur approprié chez Bally 1950, dans le critère sémantique des rapports d’inhérence et de relation, lequel se reflète secondairement dans le critère morphologique d’une marque d’accord grammatical exprimant l’inhérence et de l’absence de cette marque exprimant la relation (pour le détail de cette théorie, cf. 2.3.1). Nous commençons notre essai par une analyse globale (en 2), continuons par une analyse spécifique des adjectifs-adverbes quantifiants et identifiants (en 3) et terminons par une critique des approches antérieures en (4). Deux clefs donnent accès à l’interprétation des exemples: les formules qui renvoient au classement morphosyntaxique des tableaux A et B et les traductions et gloses incorporées aux exemples (en 2.2). 3 Robert de Dardel 2. Analyse globale 2.1 Le tableau A des constructions Dans la colonne de gauche du tableau A (classement syntaxique), nous établissons un classement des constructions syntaxiques, sous la forme de sept niveaux d’analyse, avec, pour certaines de ces constructions, la distinction entre adjectifs-adverbes qualifiants (ql) et quantifiants ou identifiants (qt). Dans la colonne I (règles protoromanes), nous formulons les règles du protoroman, selon la théorie de Bally, où apparaîtra, dans les exemples, un écart par rapport à la définition standard; dans la colonne II (règles et tendances romanes spécifiques), nous indiquons certains développements romans, une flèche dirigée à gauche signifiant le maintien de la règle antérieure. Les croix en gras représentent des règles, les autres croix des règles ou tendances spécifiques de chaque parler roman. Le terme de «marque» concerne l’accord en genre, nombre et cas, y compris celui en nombre et en genre d’un sujet implicitement exprimé par le verbe; la marque peut connaître une réalisation zéro. 4 Tableau A Classement syntaxique I. règles protoromanes II. règles et tendances romanes inhérence relation spécifiques [+marque] [-marque] [introduction d’une (= accord) (= rection) marque] 1a Proposition: attribut ql x ← du sujet qt x 1b Proposition: compléql x x ment circonstanciel qt x x 2 Syntagme verbal: ql x x attribut d’objet 3 Syntagme participial ql x x qt x x 4 Syntagme nominal ql x x avec nom [+verbal] 5 Syntagme adverbial qt x x 6 Syntagme adjectival qt x x 7 Syntagme nominal ql x ← avec nom [-verbal] Nom [-articulé] qta x x Nom [+articulé] qtb x x La morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman 2.2 Exemples Ici, les règles du tableau A sont reprises, distinguées par des formules; ainsi, la règle I/ 1a/ ql renvoie, dans l’ensemble des règles de I, à celle numérotée 1a/ ql [+marqué], illustrée par l’exemple (3). En première approximation, ces règles sont traitées comme si elles remontaient toutes au protoroman, même si, comme on le verra par la suite, toutes n’y remontent pas forcément. L’ordre des termes n’y est pas pertinent. L’adjectif-adverbe adverbial étant homophone de l’adjectif-adverbe adjectival non marqué, dans (1aa) et (1ab), le trait [±marqué] n’est explicite que dans des exemples où le terme complété par l’adjectif-adverbe est lui-même marqué, comme dans les exemples (1ba), [+marqué], et (1bb), [-marqué]. 2.2.1 Règles I (protoroman) 2.2.1.1 Exemples [+marqué] (3) I/ 1a/ ql afr. (Roland, Bédier 1922: v. 814) Halt sunt li pui [cas sujet masculin pluriel; marque zéro] ‘Hauts sont les monts.’ (4) I/ 7/ ql afr. (Roland, Bédier 1922: v. 3496) males nuveles li aportet [cas régime féminin pluriel] ‘[Il] lui apporte de mauvaises nouvelles.’ 2.2.1.2 Exemples [-marqué] (5) I/ 1b/ ql it. dialectal (calabrais, Rohlfs 1966-69/ 2: §887) càntanu biellu ‘[Ils] chantent bien.’ (6) I/ 1b/ qt sarde (Spano 1871: 114) Sa cosa furada pagu durat ‘La chose volée dure peu.’ (7) I/ 2/ ql aoc. (Schultz-Gora 1973: §174) Totas las vuelh onrar e car tener ‘[Je] veux toutes les honorer et chérir.’ (8) I/ 3/ ql fr. une fille nouveau-née (9) I/ 3/ qt roum. (Maurer 1959: 164) foarte larg recompensaòi ‘très largement récompensés’ 5 Robert de Dardel (10) I/ 4/ ql aoc. (Schultz-Gora 1973: §174) cartenensa ‘action de chérir quelqu’un’ (11) I/ 5/ qt afr. (Roland, Bédier 1922: v. 143) Vus avez mult ben dit ‘Vous avez très bien parlé.’ (12) I/ 6/ qt afr. (Roland, Bédier 1922: v. 2243) Par granz batailles et par mult bels sermons . . . ‘Par de grandes batailles et par de très beaux sermons . . .’ (13) I/ 7/ qta it. dialectal (calabrais, Rohlfs 1937: 62) sugnu de puocu salute ‘[Je] suis de peu de santé.’ (14) I/ 7/ qtb afr. (Roland, Bédier 1922: v. 2642; 1968: 490, tut est qualifié d’adjectif) Par Sebre amunt tut lur naviries turnent ‘[Les païens] remontent l’Èbre avec toutes leurs nefs.’ 2.2.2 Règles II et tendances romanes, [+marqué] (15) II/ 1a/ qt aport. (Orto de esposo, Nunes 1970: 59) E tanta foy a uirtude . . . ‘Et si grande fut la vertu . . .’ (16) II/ 1b/ ql esp. (Hanssen 1910: §59.2, avec renvoi à Cuervo 1893/ 2: 911, qui ne mentionne pas cet exemple, mais en cite de nombreux autres du même type) ella se fue derecha á casa ‘[Elle] se rendit droit à la maison.’ (17) II/ 1b/ qt aoc. (G. de Bornelh, Jensen 1986: 48) totz m’en cudei laissar [accord de totz avec le sujet implicite, qui représente l’auteur] ‘[Je] pensais m’en désister entièrement.’ (18) II/ 2/ ql aoc. (G. de Bornelh, Jensen 1986: 46) e si tos dichs no te chars ‘et si elle n’estime pas tes propos’ (19) II/ 3/ ql fr. une vache fraîche vêlée (20) II/ 3/ qt acat. (Flos de les Medicines, XV e s.; DCVB, s. molt) de la molta beneventurada verge ‘de la vierge très heureuse (bienheureuse)’ 6 La morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman (21) II/ 4/ ql fr. (toponyme, Dauzat/ Rostaing 1983: 95, ‘bonne forteresse’; [ bona warda bonum warda (règle I/ 4/ ql) bonum ward õ n ‘bien garder’]) Bonnegarde (22) II/ 5/ qt acat. (Tirant, DCVB, s. molt) . . . an fill de molta poca edad ‘[Ils] ont un fils de très peu d’âge.’ (23) II/ 6/ qt afr. (Roland, Bédier 1922: v. 982) Piere n’i ad que tute ne seit neire ‘[Il] n’y a pierre qui ne soit toute noire.’ (24) II/ 7/ qta aport. (Fabulas esopianas, Nunes 1970: 51) auia muytos ossos ‘[Il] y avait beaucoup d’ossements.’ (25) II/ 7/ qtb afr. (Roland, Bédier 1922: v. 212) Metez le sege a tute vostre vie ‘Mettez-y le siège, dût-il durer toute votre vie.’ 2.3 Commentaires 2.3.1 Les règles protoromanes Nous commençons par quelques passages tirés de Bally 1950: 107-13, §164-74, où l’auteur précise sa théorie. Le rapport entre sujet et prédicat ou entre déterminé et déterminant est d’inhérence ou de relation. L’inhérence est une compénétration intime des deux termes et indique soit qu’une chose (le sujet) appartient au genre désigné par l’attribut («La terre est une planète»), soit qu’il possède la qualité désignée par cet attribut, propriété qui peut être une qualité constante («La terre est ronde»), ou un accident: état ou action («La terre tourne»). L’expression grammaticale de l’inhérence est l’accord. . . . La relation est un rapport entre deux objets extérieurs l’un à l’autre, p. ex. livre et table dans «Le livre sur la table», cerise et noyau dans «La cerise a un noyau». . . . La relation est marquée linguistiquement par la syntaxe de rection. Dans le système protoroman que nous avons reconstruit (colonne I du tableau A), en synchronie, tout se passe comme si était à l’œuvre la distinction de Bally entre le rapport d’inhérence et le rapport de relation. Les deux structures syntaxiques qui, selon notre tableau et nos exemples, comportent la marque d’accord, à savoir I/ 1a/ ql (3) et I/ 7/ ql (4), sont des cas de rapport d’inhérence. Les structures restantes, toutes non marquées, sont des cas de rapport de relation exprimés par la syntaxe de rection; chose remarquable, ceci vaut aussi, comme le montre le tableau, pour les adjectifs quantifiants des structures I/ 7/ qt (13) et (14), au sujet des- 7 Robert de Dardel quels Bally précise (§173) qu’ils sont, avec le terme quantifié, en un rapport de relation. Pour la structure I/ 1a/ qt, la construction non marquée qu’impliquerait cette dernière observation de Bally n’est pas attestée dans nos matériaux (nous y reviendrons en 2.3.2.2). Dans l’Antiquité, à l’époque du protoroman initial, c’est-à-dire approximativement au moment du passage au premier millénaire de notre ère, le système du latin parlé tel que le comparatisme le reconstruit présente une certaine cohérence dans le sens de la thèse de Bally. En revanche, dans le latin des textes de la même époque, fût-il qualifié de «vulgaire», ce système ne se manifeste que vaguement. Cette constatation justifie un choix méthodologique, dont nous nous expliquerons à la fin de cet essai (en 5). 2.3.2 Les règles et tendances romanes 2.3.2.1 Le déclin des règles de Bally Avec les règles et tendances romanes (colonne II du tableau A), on aborde l’évolution diachronique qui fait suite aux règles I; elle consiste, d’une part, dans la conservation des règles I [+marqué], constante du protoroman aux parlers romans modernes, et, d’autre part, dans l’introduction d’une marque pour toutes les structures des règles I [-marqué], selon une tendance, non pas systématique ni générale, mais isolée, dans certains parlers romans seulement. Au cours de cette évolution, le système prévu par la théorie de Bally est donc en partie aboli. 2.3.2.2 Aspects de la chronologie Pour reconstruire une protolangue, le comparatisme historique se fonde entre autres sur l’opposition de traits anomaux et de traits réguliers des langues filles; les traits anomaux sont des traits aberrants par rapport aux règles et aux tendances en cours et demandent une explication, qu’on a des chances de trouver dans la protolangue ou dans un état ancien des langues filles. En l’occurrence, pour le comparatiste, la tendance, sensible dans les exemples de 2.2.2, à généraliser la marque, s’explique par un besoin d’uniformiser dans ce sens le système morphologique, de sorte que ce sont les structures des règles I [-marqué] et ce qui en subsiste dans les parlers romans qui font figure d’anomalies et représentent la situation ancienne. Ce phénomène - la tendance à passer de l’adjectif-adverbe [-marqué] à l’adjectif-adverbe [+marqué] - résulte du besoin que, dans sa Grammaire des fautes, Frei (1929: chap. 1) appelle le «besoin d’assimilation», et plus particulièrement le «conformisme», qui est «un procédé général d’assimilation discursive»; l’auteur l’illustre précisément, entre autres, avec l’accord de l’adverbe en français, dans une fleur fraîche éclose, une fenêtre grande ouverte, les nouvelles-venues, la première-née et elle est toute surprise (Frei 1929: 57), constructions conformes aux règles II/ 3/ ql (19) et II/ 3/ qt (2). Cette tendance s’observe aussi ailleurs, peut-être universellement; le néerlandais actuel, par exemple, est en train de passer du type een heel 8 La morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman goede dag, ‘une très bonne journée’, avec l’adverbe heel [-marqué], au type een hele goede dag, où l’adverbe heel est marqué, comme le serait un adjectif. Dans sa théorie, Bally (1950: §173, avec renvoi au §357s.) prévoit en partie aussi cette évolution; à ce sujet, il présente, dans une perspective diachronique, les considérations suivantes: l’accord . . . est psychologiquement un rapport plus étroit que la rection; grammaticalement, l’accord est un procédé plus synthétique, la rection, un procédé plus analytique. Il s’ensuit que l’accord entraîne plus aisément la concordance formelle que la rection. Cf. lat. «Paulus vivit tranquillus» et «Paulus vivit Romae». Mais ce caractère synthétique de l’accord peut avoir pour effet, dans une langue portée à la synthèse, le passage d’une syntaxe de rection à une syntaxe d’accord par voie de transposition. Le cas le plus connu est celui des adjectifs de relation . . ., chaleur solaire pour «chaleur du soleil» (lat. bellum punicum pour «bellum contra Poenos», . . .); nous verrons . . . que des rapports rectionnels ont la forme de l’accord dans les déterminatifs (articles, démonstratifs, possessifs, adjectifs de quantité, etc.), c’est-à-dire dans des formes traditionnelles qui résistent à la tendance analytique des idiomes modernes. De toutes les règles et tendances de la colonne II, seules les règles II/ 7/ qta (24) et II/ 7/ qtb (25) sont panromanes. Ceci, sauf évolution parallèle et tardive, est un indice de grande ancienneté, laissant toutefois intact le principe de leur postériorité par rapport aux règles correspondantes de la colonne I, I/ 7/ qta (13) et I/ 7/ qtb (14). Étant donné le caractère synthétique des deux constructions en question, II/ 7/ qta et II/ 7/ qtb, cette constatation rejoint et confirme la dernière observation dans le passage de Bally cité ci-dessus. Quant au contre-argument théoriquement possible d’un développement parallèle et tardif de ces deux règles, il est rendu caduc par le raisonnement que voici. Comme il y a dans notre corpus, pour la catégorie II, des lacunes relatives à des parlers romans spécifiques, ce n’est probablement pas un hasard si le sarde, parler qui conserve en général un état archaïque du protoroman, ne présente d’attestations sûres des règles et tendances de la colonne II que celles que nous supposons les plus anciennes, donc II/ 7/ qta et II/ 7/ qtb; les lacunes de ce parler pour les autres règles et tendances de II ne seraient donc pas fortuites. L’absence d’un exemple de la règle I/ 1a/ qt dans nos matériaux, signalée en 2.3.1, signifie probablement qu’a joué, peut-être très tôt, le passage de la rection à l’accord, prévu dans ce cas par Bally et qu’illustre la construction II/ 1a/ qt (15). La chronologie esquissée ici est confirmée par des attestation romanes de certaines des règles de I [-marqué] dans des parlers anciens ou archaïsants: en sarde ancien, où l’adverbe non marqué est cependant le plus souvent muni d’un s final en fonction de marque prédicative, comme dans solus (Wagner 1951: 362s.; Dardel 2004), en rhéto-roman des Grisons (26): (26) I/ 1b/ qt rhéto-roman des Grisons (sursilvan, Spescha 1989: 377) Ella ei tut en larmas ‘Elle est tout en larmes.’ 9 Robert de Dardel avec de nombreuses autres attestations de la même règle, par exemple pak bela ‘peu belle’ paucum (Augustin 1903: §42) et tut bluts ‘[anges] complètement nus’ (Renzi 1994: 386), en dalmate, où l’on emploie en fonction d’adverbe l’adjectif issu de bonum (27): (27) I/ 1b/ ql dalm. vegliote (Bartoli 1906/ 1: col. 285, §155) i ma livo bon ‘Je me lève bien (i. e. tôt).’ et en roumain, parler qui présente encore aujourd’hui, à côté de formations adverbiales qui lui sont propres, les grandes lignes de la structure, restée productive, de l’adjectif-adverbe protoroman, qu’illustrent les dérivés de formosum, avec un adjectif variable, frumos/ frumoasù, et un adverbe invariable, frumos (28): (28) I/ 1b/ ql roum. frumos vorbeóti ‘[Tu] parles joliment.’ La chronologie que nous postulons sur la base du tableau A est confirmée aussi, inversement, dans certaines des règles et tendances de II, par une distribution romane diffuse, qui pourrait s’expliquer dans chaque parler séparément et tardivement, indépendamment du protoroman. Ainsi en est-il de (29): (29) II/ 1b/ qt esp. d’Amérique et du sud de la péninsule ibérique (Inés Fernández-Ordóñez, lettre du 5. 12. 2005) Mi padre me trajo puros libros de su viaje ‘Mon père m’a seulement rapporté des livres de son voyage.’ Il en est ainsi aussi de l’aoc. cité en (17), de l’afr. bons tuez, règle II/ 3/ ql, qui signifie que l’action de tuer est bonne (Tobler 1971/ 1: chap. 12, 86-88) et du haut-engad. püs ome˘ns et püsas donas plus, II/ 7/ qta (Augustin 1903: §49, «adjektivische Form»). La situation qui prévaut en roman (colonne II), où domine l’introduction de la marque d’accord, n’a pourtant pas entièrement supplanté l’absence d’accord en vigueur en protoroman (colonne I, relation); il s’ensuit évidemment qu’un peu partout les deux systèmes coexistent et sont sans doute sentis par le sujet parlant comme variantes l’un de l’autre. À propos de l’exemple espagnol (16), comportant l’adverbe [+marqué] derecha, Hanssen 1910: §59.2 signale que la même phrase se dit aussi, dans (30), avec l’adverbe [-marqué]: (30) I/ b/ ql ella se fué derecho á casa ‘Elle se rendit directement à la maison.’ 10 La morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman En résumé, le contraste en diachronie entre les traits I [-marqué] et les traits II [+marqué] exprime une situation où la tendance générale consiste à étendre le champ de la marque de l’accord à la rection; on peut donc dire que la rection [-marqué] est une forme romane anomale, tandis que la rection [+marqué] des règles et tendances de II s’explique par la tendance évolutive décrite par Bally et par les «besoins» systématisés chez Frei. 2.3.2.3 La redistribution des marques et l’altération Par référence au principe de l’isomorphisme entre expression et contenu, formulé chez Martinet 1963: 42 en ces termes: «à chaque différence de sens correspond nécessairement une différence de forme quelque part dans le message», et par référence à l’image saussurienne de la feuille de papier dont les deux faces figurent le signifiant et le signifié, lesquels restent congruents quelle que soit la manière de la découper (Saussure 1949: 157), on s’attend à ce que, dans le système régissant la rection et l’accord, la morphologie et la syntaxe évoluent parallèlement. Du point de vue de la langue, envisagée en synchronie, en tant que système de valeurs, tel n’est le cas que sous condition. Dans par exemple II/ 5/ qt (22), acat. de molta poca edad, ‘de très peu d’âge’, si poca s’explique, selon la règle II/ 7/ qta (24), comme adjectif variable dans la théorie de Bally, molta, au contraire, conserve la fonction d’un adverbe déterminant poca, selon la règle II/ 6/ qt (23). Inversement, dans I/ 7/ qtb (14), si l’afr. tut dans tut lur naviries turnent est adjectif, comme le dit l’éditeur et comme le confirme sa traduction, l’absence de marque, en infraction à la définition standard, reste pourtant conforme aux règles établies par Bally. De même, dans le syntagme néerlandais een hele goede dag ‘une très bonne journée’, cité en 2.3.2.2, l’adverbe hele, présenté avec la forme d’un adjectif [+marqué], n’en a pas le sens, qui serait ‘entier’, mais celui de l’adverbe heel [-marqué], ‘très’. Ce qui, dans le sous-système à l’étude, nous fait l’effet d’une entorse aux principes saussuriens cités plus haut, c’est le fait que les exemples en question ressortissent à la parole, envisagée en diachronie, et représentent la notion saussurienne d’«altération», i. e. de «déplacement du rapport entre le signifié et le signifiant», processus évolutif où «ce qui domine . . ., c’est la persistance de la matière ancienne» (Saussure 1949: 109, citant l’ancien allemand dritteil ‘le tiers’ allemand moderne Drittel; les recherches récentes sur les textes de Saussure, notamment dans Saussure 2002, confirment que l’altération est une pièce maîtresse dans sa conception de la mutabilité du signe). L’altération ainsi définie laisse donc intacts les principes de l’isomorphisme et des valeurs du signe. Comme, dans chacun des parlers romans, pour les mêmes structures syntaxiques, on observe la présence simultanée de variantes avec et sans marque (cf. I/ 2/ ql et II/ 2/ ql, à propos de l’aoc. car/ cars, et I/ 7/ qtb et II/ 7/ qtb, à propos de l’afr. tut/ tute), nous y supposons une certaine instabilité du système des marques et inclinons à penser que leur redistribution est liée, au moins en partie, à ce qu’il s’agit de faits de parole plutôt que de langue. À la suite de Saussure, qui séparait mé- 11 Robert de Dardel thodiquement les points de vue synchronique de diachronique (Saussure 1949: 119), Guillaume, très proche de lui sur des points essentiels, a pourtant postulé avec insistance et décrit, entre les systèmes de langue synchroniques successifs, le rôle de la parole, qu’il nommait «discours», dont il a maintes fois évoqué les particularités diachroniques et, à long terme, les effets par fixation en langue. Dans un document de sa main, intitulé «Système et diachronie des systèmes», Guillaume 1973: 106-7 écrit: Dans la pensée de Saussure, les deux images dominantes sont celles du temps qui s’écoule et de l’instant qui s’arrête, et immobilise. [Ici: un schéma du temps, symbolisé par une ligne longitudinale, coupée de lignes transversales, qui symbolisent les instants.] Cette vision profonde reste, en la matière, un peu sommaire. Car la systématisation, rapportée par Saussure à chaque instant immobilisé dans la marque longitudinale du temps, n’est pas instantanée: elle a demandé, elle demande et, puisqu’elle est changeante, demandera du temps, tout de même que le procès inverse de désorganisation à partir duquel elle opère. Suivant ce modèle, la redistribution des marques qu’on devine derrière nos exemples, flottante comme elle est et s’étalant sur un ou deux millénaires, pourrait bien se ramener à des faits de parole, au nombre desquels des fautes au sens de Frei (c’est-à-dire suscitées par des «besoins»), retenues çà et là dans les documents romans et attestant sur l’axe du temps le stade de la désorganisation entre le système protoroman, que nous supposons organisé, et les divers systèmes romans en voie d’organisation ou déjà organisés. C’est pourtant le lieu de préciser, comme le fait P. Wunderli (lettre du 17. 5. 2008), que les faits de parole, racines de toutes les innovations, ne sont qu’un état transitoire initial, et que, «quand ces phénomènes sont grammaticalisés, ils quittent le domaine de la parole et montent, en passant par la norme (dans le sens de Coseriu), au niveau de la langue». 2.3.2.4 Un aspect typologique: l’échelle de l’accord Fernández-Ordóñez 2006-7 explore la diachronie linguistique romane sous l’angle de la chronologie et de la hiérarchie selon lesquelles, en fonction de plusieurs critères (telles la classe des mots et leur position), certaines évolutions se réalisent. Elle observe, ce faisant, des échelles analogues entre parlers romans et aussi entre des parlers romans et des langues non romanes, ce qui la conduit à y voir un phénomène typologique, présentant une certaine généralité, mais sans origine commune nécessaire. Cette collègue, qui a eu sous les yeux une version antérieure du présent essai, y relève (lettre du 5. 12. 2005), dans cette perspective, une «échelle de l’accord», qui spécifie l’ordre chronologique du passage de l’adjectif-adverbe d’une construction [-marqué] à la construction [+marqué] correspondante; cette échelle se laisse formaliser selon la classe de mots (nom adjectif), selon la position syntaxique (position intérieure du syntagme nominal attribut prédicat) et selon le type d’adjectif-adverbe (qualifiant quantifiant et identifiant). Cette constatation de sa 12 La morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman part nous paraît rejoindre, par une approche évidemment un peu différente et plus concrète, mais également à un niveau d’analyse général et interlinguistique, les résultats obtenus ici à partir de la théorie de Bally. En roman même, seule une analyse beaucoup plus détaillée, que nous n’avons pas entreprise, permettrait de situer avec quelque précision, dans la chronologie, chacun des changements de règle. 2.3.2.5 Aboutissements spécifiques Au niveau des règles et tendances de II, nous trouvons dans les parlers romans, réalisée localement, une situation où tout adjectif-adverbe tend à être marqué, sans égard à sa fonction adjectivale ou adverbiale; on y assiste au triomphe de l’accord, même là où dans l’analyse selon la définition standard on verrait un adverbe, par exemple dans II/ 1b/ qt (17). Ce phénomène a été mis en évidence par Rohlfs 1966-69/ 2: §887; effectivement, en Italie méridionale, peut-être sous l’influence du grec, il semble bien que se soit perdue jusqu’à la notion d’une opposition adjectif/ adverbe, car l’accord y est systématique, même entre un complément circonstanciel et un sujet implicite, comme dans (31): (31) II/ 1b/ ql Italie méridionale (Rohlfs 1966-69/ 2: §886) facciamo lèáte ‘Faisons vite.’ (dit par des femmes dans la langue parlée d’aujourd’hui) L’existence de ce phénomène est confirmée, du point de vue de la linguistique générale, par Karlsson (1981: 16): «in very few languages is the form of the adverb totally indistinguishable from that of the adjective. In such atypical languages, word order will provide clues.» Au niveau des règles et tendances II, dans la Romania continentale continue, donc sans le roumain, l’adjectif-adverbe hérité du protoroman ne reste productif que dans sa fonction adjectivale. Dans sa fonction adverbiale, il cesse d’être productif, probablement dès avant l’apparition des parlers romans concernés, qui n’en conservent plus guère qu’une distribution grammaticale limitée et des tours figés. En espagnol, selon Rainer 1993: 688, §6.1.3, l’emploi adverbial d’adjectifs «se produce con un número reducido de adjectivos en relación con muy determinados verbos». Après la simplification morphologique selon les règles et tendances de II, qui supprime en bonne partie la distinction formelle entre les deux fonctions de l’adjectif-adverbe, sinon toutes, la dérivation adverbiale avec -mentem introduit une explicitation de cette différence fonctionnelle. Logiquement, en Italie méridionale, en dalmate et en roumain, où l’adverbe en -mentem ne s’est pas implanté, l’adjectif-adverbe protoroman se maintient avec ses deux fonctions, sauf, comme nous venons de le signaler, en ce qui concerne leur fusion en Italie méridionale. En fin de compte, la définition standard ne semble s’appliquer systématiquement ni à la situation en protoroman, ni à celle qui se dessine dans les parlers romans. 13 Robert de Dardel 3. Analyse du cas spécial des quantifiants et identifiants En 2, nous avons présenté une vue globale de la morphosyntaxe des adjectifs-adverbes, comportant leur répartition dans le temps, en protoroman et en roman, selon le critère de l’absence ou de la présence d’une marque exprimant respectivement la rection et l’accord dans la théorie de Bally. Il s’en est dégagé un ensemble de constructions, tendant dans les grandes lignes à passer de la rection en protoroman à l’accord en roman, mais qui semble, par la mise au jour d’une échelle chronologique ordonnée des accords, rejoindre des observations au niveau de traits typologiques ou universels. Reste pourtant un sous-ensemble de constructions, à l’origine rectionnelles, ne comportant que des adjectifs-adverbes quantifiants et identifiants, qui, vu la complexité de leur évolution, doivent faire l’objet d’une analyse distincte; il s’agit des structures I et II/ 7/ qt du classement syntaxique du tableau A. L’analyse sera proposée en premier lieu pour l’adjectif-adverbe totum, dont la fréquence d’emploi et l’abondance d’attestations romanes offrent l’accès le plus aisé à la description et à l’explication historiques (3.1). Les autres lexèmes de cette catégorie seront abordés brièvement ensuite (3.2). 3.1 TOTUM et OMNEM 3.1.1 Esquisse diachronique L’histoire de totum est inséparable de celle de l’adjectif omnis, à laquelle elle est liée par certains traits sémantiques propres à la fonction adjectivale de ce groupe, à savoir, au singulier, le sens discontinu-distributif, qu’illustre en français chaque village, et le sens continu, qu’illustre le village entier, au pluriel, le sens discontinucollectif, qu’illustre tous les villages. Au début, dans la phase 1 du tableau B, à en croire les attestations romanes, notamment sardes et italiennes, l’adjectif omnis et ses dérivés ont, comme en latin classique, un sens discontinu-distributif au singulier (omnem villam, ancien sarde in omni opera ‘dans chaque jour de travail’, it. ogni giorno ‘chaque jour’), un sens discontinu-collectif au pluriel (omnes villas, ancien sarde omnes sanctos prophetas ‘tous les saints prophètes’) et, au singulier, en plus, un sens continu, déjà présent en latin écrit, qui fait encore surface en ancien sarde (cun omnia pertinenthia issoro ‘avec toute leur dépendance’, Monaci 1955: t. 16,9, où omnia fonctionne comme féminin singulier) et en italien (omne mia fidanza ‘toute ma confiance’, Monaci 1955: t. 33, III,1; ogni lor virtù ‘toute leur vertu’, M.-L., 3,§729). L’étymologie de ce quantifiant n’est pas encore assez bien établie pour qu’on puisse admettre sans réserve qu’il y a accord tardif, au singulier, selon la règle II/ 7/ qta. La phase 2, où apparaît totum, soulève un problème d’analyse syntaxique et de classement: si le type totum villam est un syntagme nominal relevant de la règle 14 Tableau B Phase adjectif adverbe singulier pluriel 1 I/ 1b/ qt omnem villam omnes villas videt totum illam villam (discontinu-distributif) (discontinu-collectif) videt totum illas villas ‘chaque village’ ‘tous les villages’ ‘entièrement’ (continu) ‘le village entier’ 2 I/ 7/ qta totum villam (continu) ‘le village entier’ 3 II/ 7/ qta II/ 7/ qta totam villam totas villas (discontinu-distributif) (discontinu-collectif) ‘chaque village’ ‘tous les villages’ (continu) ‘le village entier’ 4 I/ 7/ qtb I/ Ib/ qt totum illam villam [videt] totum illam (continu) villam ‘le village entier’ totum illas villas [videt] totum illas (discontinu-collectif) villas ‘tous les villages’ 5 II/ 7/ qtb II/ 7/ qtb totam illam villam totas illas villas (continu) (discontinu-collectif) ‘le village entier’ ‘tous les villages’ La morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman I/ 7/ qta, totum a une fonction adjectivale et, d’après les témoignages romans, le sens continu de ‘entier’. Si totum villam fait partie d’un syntagme verbal du type videt totum villam, totum peut avoir une fonction adverbiale et signifier ‘entièrement’; le problème se pose dans (32), qui admet deux interprétations: (32) I/ 7/ qta cat. moderne He corregut tot Catalunya ‘[J’] ai parcouru toute la Catalogne.’ ‘[J’] ai entièrement parcouru la Catalogne.’ 15 Robert de Dardel Nous n’avons trouvé, dans les rares exemples du type de la phase 2, aucune attestation d’un sens autre que le sens continu. Dans la phase 3, avec l’accord, totum se substitue à omnem pour les trois fonctions que cet adjectif-ci assume dans la phase 1: discontinue-distributive au singulier (totam villam, it. tutta città ‘toute ville’, M.-L., 3, §165), discontinue-collective au pluriel (totas villas, aport. armado de todas armas, M.-L., 3, §165; ancien sarde totas billas ‘tous les villages’) et continue au singulier (totam villam, ancien sarde totta corona ‘toute l’assemblée des «juges»’, afr. toute nuit ‘toute la nuit’, M.-L., 3, §165). Jusqu’ici, totum, comme adjectif-adverbe en fonction adjectivale, donc dans un syntagme nominal, se joint à un nom [-articulé] au singulier, selon la règle I/ 7/ qta. Pendant ce temps, au niveau de la proposition, la fonction adverbiale est régulièrement exprimée par totum invariable et de sens continu, ‘entièrement’, selon la règle I/ 1b/ qt, soit en protoroman, (33a) et (33b): (33a) I/ Ib/ qt videt totum illam villam ‘[Il] voit le village entièrement.’ (33b) I/ Ib/ qt videt totum illas villas ‘[Il] voit les villages entièrement.’ soit en roman, (34) et (35): (34) I/ 1b/ qt cat. erem tot orelles ‘[Nous] étions tout oreilles.’ (35) I/ 1b/ qt roum. (DLRM, s. tot adv.) Tot n-a murit mùtuóù-mea ‘Ma tante n’est pas encore (litt. entièrement) morte.’ Dans la phases 4, totum adverbe subit une altération (cf. 2.3.2.3), en passant du niveau de la proposition, où il signifie ‘entièrement’, à celui du syntagme nominal [+articulé], où il est adjectif, sans pourtant recevoir de marque d’accord; dans cette position, il a le sens continu au singulier ([videt] totum illam villam, sarde moderne totu s’acqua ‘toute l’eau’, Rohlfs 1937: §35) et le sens discontinu-collectif au pluriel ([videt] totum illas villas et [videt] illas villas totum, ancien sarde toctu sos saltos ‘tous les bois’; il en va de même dans (36): (36) I/ 7/ qtb ancien sarde (M.-L., 3: §494, sans référence) appo vistu sas femnas todu ‘[J’] ai vu toutes les femmes.’ 16 La morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman Ainsi, totum devient, pour la fonction, un constituant immédiat du syntagme nominal, selon la règle I/ 7/ qtb, interprétation confirmée par le fait que ce syntagme peut être introduit par une préposition, comme dans (37): (37) I/ 7/ qtb ancien sarde (Condaghe di S. Pietro di Silki, Lazzeri 1954: t. I.21.a, l. 22, p. 110, cf. N10) et ego pettilila a tottu frates suos litt. ‘Et moi [le prêtre] la [la serve] lui [à I. de V.] demandai, (et) à tous ses frères.’ [? ] Des matériaux romans se dégage l’impression que la règle relative au nom [+articulé] (I/ 7/ qtb), liée à l’instauration progressive de l’article défini, tend à supplanter le nom [-articulé] correspondant (I/ 7/ qta), tout en en conservant le sens continu au singulier. En fait, la structure opposant, dans les phases 3 et 4, les syntagmes issus respectivement des fonctions adjectivale (totam villam) et adverbiale (totum illam villam) de totum est attestée dans deux des parlers romans les plus archaïsants que sont le sarde (exemples ci-dessus) et le rhéto-roman des Grisons, où, selon Augustin (1903: §46), totum s’accorde avec un nom [-articulé], totas kumünas ‘toutes les communes’ (II/ 7/ qta), mais reste invariable avec un nom [+articulé], tot las sairas ‘tous les soirs’ (I/ 7/ qtb). En fin de compte, totum, comme adjectifadverbe quantifiant invariable, se trouve, dans la phase 4, inséré dans un syntagme nominal, où il revêt, malgré l’absence de marque, une fonction syntaxique adjectivale, en infraction donc à la définition standard, mais en accord avec la théorie générale de Bally (2.3.1), ainsi qu’avec la définition de l’altération selon Saussure (2.3.2.3). Dans une cinquième phase, enfin, avec totum [+marqué], la règle II/ 7/ qtb rétablit la marque prévue par Bally pour l’évolution morphosyntaxique de l’adjectifadverbe quantifiant (2.3.2.2), au singulier et au pluriel (totam illam villam et totas illas villas, aoc. tota l’onors ‘tout le domaine’, Schultz-Gora 1973: §176; it. tutta la città ‘la ville dans son intégrité’, tutti gli uomini ‘les hommes dans leur totalité’, ‘tous les hommes’, M.-L., 3: §165; roum., avec l’article postposé au nom, tot trupul ‘tout le corps’, toatù apa ‘toute l’eau’, toatù ziua ‘tout le jour’, DLRM, s. tot adv.). 3.1.2 La documentation minimale de la règles I/ 7/ qta Toute l’évolution de l’adjectif-adverbe décrite dans la présente étude s’accompagne de l’introduction, puis de la généralisation de l’article et d’autres déterminants, le plus souvent antéposés au nom, l’article défini n’étant postposé qu’en roumain. De ce fait, on rencontre dans le corpus d’exemples romans, en fonction d’adjectif continu, à la fois le type archaïque tot Catalunya et le type courant toute la France, ainsi que, dans la règle rhéto-romane rapportée plus haut (3.1.1), en fonction d’adjectif discontinu-collectif, à la fois totas kumünas et tot las sairas. Voici les quatre types de construction possibles en termes de traits [±marqué] et [±articulé]: 17 Robert de Dardel (i) I/ 7/ qta [-marqué], [-articulé] totum villam (ii) II/ 7/ qta [+marqué], [-articulé] totam villam (iii) I/ 7/ qtb [-marqué], [+articulé] totum illam villam (iv) II/ 7/ qtb [+marqué], [+articulé] totam illam villam L’évolution qu’ils illustrent suggère deux explications. Selon la première, il y a peut-être à l’origine une règle concernant la détermination du nom, car, dans les nombreux exemples romans du syntagme nominal avec totum, la construction (i) est attestée, mais extrêmement rare, comme dans le catalan He corregut tot Catalunya, I/ 7/ qta, de l’exemple (32), avec l’interprétation adjectivale de totum; nous en concluons que, dès une date reculée, le nom doit, en règle générale, être accompagné d’un déterminant qui en précise les traits grammaticaux et qu’en l’absence d’un tel déterminant, dans le type (ii), c’est totum [+marqué] qui assume cette fonction; les exemples rhéto-romans cités en 3.1.1 nous paraissent confirmer ces vues. Selon la seconde explication, en recourant à la théorie de Bally, on peut comprendre que le type (i), très synthétique, ait adopté l’accord, en (ii), plus rapidement que ne l’a fait le syntagme moins synthétique du type (iii), en adoptant l’accord, dans le type (iv). Ces deux explications ont pu être déterminantes en combinaison. Nous ne voyons pas d’autre moyen de rendre compte de la frappante rareté documentaire de (i). 3.2 Les autres lexèmes ressortissant aux classes des quantifiants et des identifiants Totum, le plus fréquent des adjectifs-adverbes quantifiants, est aussi le mieux attesté; il nous permet de suivre dans le détail l’évolution des lexèmes soumis à l’origine à la syntaxe de rection. Pour les autres quantifiants et les identifiants, moins fréquents, moins bien attestés et au parcours moins connu, parmi lesquels ipse, medium, metipsimum, minus, plenum, purum, solum et summum, valent probablement, dans les grandes lignes, la même description et les mêmes explications; nous disons «dans les grandes lignes», parce qu’en vertu de différences sémantiques entre ces lexèmes, il semble exister aussi quelques variantes qui ne se sont pas présentées avec totum. D’une manière générale, est conforme à ce qu’on observe à propos de totum l’invariabilité de l’adjectif-adverbe en fonction adverbiale jusque dans les parlers romans modernes, puis son passage tardif éventuel à la forme marquée. Par ailleurs, la conformité avec la syntaxe de totum se rencontre dans des exemples reflétant encore la règle I/ 7/ qta, tel (38): (38) I/ 7/ qta bas-engad. (Augustin 1903: §49) Main ufants main fastidis ‘Moins [il y a d’] enfants, moins [il y a de] soucis.’ 18 La morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman ainsi que les règles I et II/ 7/ qtb (afr. meisme le jour ‘le même jour’, M.-L., 3: §729). Sont également conformes aux règles de totum la possibilité d’introduire le syntagme nominal par une préposition (afr. par esse la charrière ‘par le même chemin’ M.-L., 3: §729) et la liberté de position de l’adjectif-adverbe en fonction adverbiale ou dérivée d’adverbe devant ou derrière le syntagme nominal, comme l’illustrent respectivement les exemples (35) et (36). La rareté de la construction I/ 7/ qta, signalée à propos de totum (3.1.2), caractérise aussi les autres quantifiants et les identifiants. Et voici deux aspects de la non-conformité de totum avec les autres termes à l’étude. La liberté positionnelle de l’adverbe ou du dérivé d’adverbe dans les constructions régies par la règle I/ 7/ qtb, que nous venons de citer, ne semble pas être exploitée sémantiquement avec totum; mais elle peut l’être avec d’autres lexèmes; Gamillscheg 1957: §29 postule, avec l’identifiant ipse, les types protoromans ipse ille homo ‘derselbe Mensch’/ ille homo ipse ‘der Mensch selbst’, selon un schéma séquentiel dont on retrouve le reflet dans les parlers romans, par exemple en français, dans le même homme/ l’homme même, le seul homme/ l’homme seul. Enfin, la séquence adjectif-adverbe + déterminant + nom, normale avec totum, subit souvent une inversion des deux premiers termes avec les autres quantifiants et les identifiants (afr. meisme le jour ‘le même jour’ fr. moderne le même jour). 4. Critique des thèses antérieures Les recherches traditionnelles ne dépassent guère la collecte de faits isolés, glanés dans des textes anciens, des grammaires historiques et des dictionnaires, chacun des parlers romans étant envisagé séparément et dans une perspective historique fondée sur les textes anciens, dont la pertinence pour la localisation et la chronologie est souvent trompeuse. Seuls les comparatistes de l’époque néo-grammairienne parviennent à imprimer aux recherches une approche d’ensemble plus solide, fondée sur des données panromanes classées, comparées et analysées. Les vues les plus prometteuses se précisent alors à propos de quelques problèmes romans où se fait jour une certaine cohérence interromane. Aussi est-ce au comparatiste Meyer-Lübke (1890-1906/ 3: §137, 173-75; §165, 203-04; §729, 812) qu’est emprunté l’essentiel de notre §3.1.1; et c’est déjà lui qui, suivi par quelques autres romanistes (Heise 1912 et Maurer 1959: 163-65), estime que l’évolution de l’adjectif-adverbe consiste majoritairement en un remplacement de structures non marquées par des structures marquées, à peu près comme le représente notre tableau A. Pendant ce temps, d’autres chercheurs, surtout parmi les latinistes, prennent le contre-pied de ces vues. Richter (1909: 145) s’appuie sur le latin écrit plutôt que sur l’anomalie des données romanes ou sur le protoroman; tous les lexèmes qui entrent ici en ligne de compte (solus, purus, etc.) étant, comme totus, attestés en latin sous la forme d’adjectifs [+marqué] en fonction adverbiale, elle estime, 19 Robert de Dardel à la différence de Meyer-Lübke, que c’est au contraire le type marqué qui est le plus ancien. Cette chronologie-ci est adoptée aussi, avec des arguments du même ordre, par Andersson 1954: 106-13; 1961: 5 et Gamillscheg 1957: 60-61. 5. Remarques finales sur la méthode Les deux interprétations qui se dessinent en 4 sont incompatibles: le latin parlé que représentent le protoroman et les parlers romans, d’une part, et le latin des textes, d’autre part, appartiennent dès l’Antiquité à des normes différentes, ce dont beaucoup de chercheurs n’ont pris conscience que tardivement. En outre, le protoroman reconstruit est un fait de langue, tandis que le latin écrit, notamment «vulgaire», est avant tout un fait de parole. Cette incompatibilité s’explique par l’histoire des recherches latino-romanes. En gros, au XX e siècle, nombre de chercheurs, surtout des latinistes, étaient adeptes du modèle dit «de la successivité», c’est-à-dire pensaient que, puisque les parlers romans apparaissent après le latin écrit antique et tardif, ils sont ipso facto issus du latin écrit. D’autres chercheurs, cependant, notamment des romanistes, se sont doutés que, selon un modèle dit «de la simultanéité», les parlers romans sont issus dès l’Antiquité du latin parlé, qui existait côte à côte avec le latin écrit; les recherches, dont l’exposé mènerait trop loin (cf. Dardel 1996: ch. 1), tendent en effet à montrer que les traits romans les plus anciens dont il est avéré qu’ils reflètent le protoroman remontent au moins au premier siècle avant notre ère (Dardel 1985); aussi estimons-nous qu’en bonne méthode le modèle de la successivité doit céder la place à celui de la simultanéité. Les résultats divergents ou contradictoires que nous venons d’épingler sont en partie imputables à l’application combinée de ces deux modèles. Toutefois, le comparatisme historique appliqué selon le modèle de la simultanéité ne suffit pas, dans le cas présent, pour décrire et expliquer la morphosyntaxe des adjectifs-adverbes en protoroman et en roman. Si l’hypothèse édifiée ici sur le critère des rapports d’inhérence et de relation et du besoin de conformisme permet de faire avancer les choses - ce qui semble être le cas - c’est qu’était nécessaire au préalable une réflexion théorique approfondie (dans l’esprit du texte placé en exergue), valable en synchronie et en diachronie et invitant à des prolongements typologiques, comme celle que nous offrent Bally et Frei. C’est donc, dans ce cas, grâce à un retour de la pensée sur elle-même que pourraient être relancées les recherches sur le terrain. Groningue Robert de Dardel 20 La morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman Bibliographie Alcover, A.-M. 1968-76: Diccionari català-valencià-balear, Palma de Mallorca Andersson, S. 1954: Études sur la syntaxe et la sémantique du mot français «tout», Lund/ Copenhague/ Paris Andersson, S. 1961: Nouvelles études sur la syntaxe et la sémantique du mot français «tout», Lund/ Copenhague Augustin, H. 1903: Unterengadinische Syntax mit Berücksichtigung der Dialekte des Oberengadins und Münsterthals, Zürich/ Halle a. S. Bally, Ch. 1950: Linguistique générale et linguistique française, Berne Bartoli, M. G. 1906 (reprint 1975): Das Dalmatische. Altromanische Sprachreste von Veglia bis Ragusa und ihre Stellung in der appennino-balkanischen Romania, 2 vol., Wien (reprint Nendeln/ Liechtenstein) Bédier, J. 1922: La Chanson de Roland, Paris Bédier, J. 1968: La Chanson de Roland, commentée par J. B., Paris Cuervo, R. 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