eJournals Vox Romanica 68/1

Vox Romanica
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Francke Verlag Tübingen
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2009
681 Kristol De Stefani

La Chanson de Walther. Waltharii poesis, texte présenté, traduit et annoté par Sophie Albert, Silvère Menegaldo et Francine Mora, Grenoble (Ellug), 2008, 167 p. (Moyen Âge européen)

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2009
Alain  Corbellari
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Besprechungen - Comptes rendus Philologie et linguistique générales - Allgemeine Philologie und Sprachwissenschaft La Chanson de Walther. Waltharii poesis, texte présenté, traduit et annoté par Sophie Albert, Silvère Menegaldo et Francine Mora, Grenoble (Ellug), 2008, 167 p. (Moyen Âge européen) La littérature médiévale d’origine germanique reste mal connue des chercheurs français, et ce n’est pas le moindre mérite du travail de Sophie Albert, Silvère Menegaldo et Francine Mora que d’offrir enfin au lecteur francophone un accès sûr et parfaitement documenté à ce chef d’œuvre de la littérature latine médiévale qu’est le Waltharius. Ce n’en est, à la vérité, pas la première traduction française: publiée à Bruxelles en 1900, la version de F. Norden, pouvait se vanter d’être la première traduction du texte original dans une autre langue moderne que l’allemand. Malheureusement, ce travail aujourd’hui introuvable n’offrait pas le texte latin en regard et restait bien en deçà des exigences scientifiques que réclame une œuvre si difficile et si malaisée d’interprétation. Succédant à d’innombrables éditions allemandes, ainsi qu’à des traductions anglaises, italiennes, espagnoles et même tchèque, le présent ouvrage comble enfin une lacune de la bibliographie française, et bénéficie du même coup du travail de ses devanciers pour offrir au lecteur francophone une synthèse de près de deux siècles de recherche. Littérature d’origine germanique, disions-nous: certes, personne ne conteste cette définition que corrobore l’onomastique des personnages et la répartition géographique des manuscrits; néanmoins, Francine Mora, directrice du projet, qui signe à la fois l’introduction et la longue notice sur le texte, n’a pas tort de nous prévenir d’entrée de jeu qu’«il est difficile de trouver un texte plus européen que le Waltharius» (7). De fait, une telle affirmation n’est pas seulement un acte d’allégeance à l’excellente collection grenobloise dans laquelle le livre s’inscrit; sans doute, par ailleurs, politiquement opportune, dans l’actuel contexte «européen», elle ne s’ancre pas moins solidement dans la réalité multiculturelle de l’empire carolingien. Écrit dans la langue la plus internationale qui soit, le Waltharius nous conte en effet les aventures d’un Aquitain qui a maille à partir avec les Huns, les Francs (voire les Burgondes), et combat ses ennemis les yeux fixés sur la ligne bleue des Vosges. Les Allemands soulignent inlassablement ses nombreux points de contact avec la Chanson des Nibelungen, les Espagnols l’ont réclamé au nom d’un hypothétique substrat wisigothique, les Français font remarquer que Walther, sous le nom de Gautier de l’Hum («des Huns», selon la séduisante hypothèse de Rita Lejeune), est l’un des comparses de La Chanson de Roland. Avec sagesse, les nouveaux éditeurs refusent de trancher de manière trop catégorique entre les hypothèses qui s’affrontent au sujet de la genèse du poème; leur exposé impartial des arguments, mais aussi des faiblesses, de chacune laisse ainsi le lecteur libre de choisir l’auteur du Waltharius parmi le Geraldus cité dans le prologue, Ekkehard I er de Saint-Gall, dont on sait qu’il écrivit, au début du X e siècle, une version de cette histoire (mais qui n’est peut-être pas celle que nous ont transmis les siècles) et un auteur plus ancien en qui d’aucuns ont cru reconnaître nul autre qu’Ermold le Noir, le fameux biographe de Louis le Pieux. On sait que Charlemagne avait voulu, selon le témoignage d’Eginhard, recueillir et mettre par écrit les anciennes légendes germaniques, et assurément le Waltharius serait un excellent candidat au titre de seul représentant conservé de ce projet (il possède l’élégance, l’ironie et la finesse des meilleures productions de la Renaissance carolingienne) . . . si le roi des Francs qui y figure n’y était si malmené! L’hypothèse d’une œuvre de propagande des ennemis de Louis le Pieux et de Charles le Chauve serait certes d’autant plus vraisemblable que le héros est Aquitain, et l’on s’étonne presque de ne pas voir les éditeurs mentionner la piste guillelmide: on sait en effet que les descendants de Guillaume de Gellone, prototype historique du Guillaume d’Orange épique, en particulier Bernard de Septimanie, furent à la fois les maîtres incontestés de presque toute la France du Sud au IX e siècle et les adversaires les plus déclarés de la dynastie régnante. Resterait cependant à expliquer, dans le cadre de cette hypothèse, le caractère foncièrement germanique du texte! Insistant sur le caractère hautement élaboré du Waltharius, Francine Mora en souligne les traits d’humour et de satire, sans tomber dans le piège d’y voir, comme on le fait trop souvent aujourd’hui pour les textes du Moyen Âge (prenant le mélange des registres pour un signe de dérision généralisée), une œuvre purement parodique: «le Waltharius, remarque-t-elle, est en fin de compte moins satirique que ludique, parce que les personnages qu’il met en scène participent eux aussi au jeu» (28). Observant que le récit illustre les conflits de loyauté qui se font jour dans un univers pré-féodal, elle note ainsi que le texte n’est pas seulement une «épopée pour rire, donc, mais aussi pour penser» (30). Fine connaisseuse de l’Énéide médiévale, à laquelle elle a consacré un ouvrage important, et dans lequel elle livrait déjà d’intéressantes réflexions sur les caractéristiques épiques de Walther, Francine Mora est en outre très attentive aux imitations d’auteurs latins qui abondent dans le Waltharius: de Virgile surtout, mais aussi de Prudence et, plus sporadiquement, de Stace. Sans se vouloir exhaustive sur ce point (la bibliographie, très complète, indique opportunément les études auxquelles se référer), l’édition indique, sous le texte latin, de nombreuses réminiscences qui éclairent le mode de travail de l’auteur, tandis que les notes de la traduction, très riches et dues en grande partie à Silvère Menegaldo, apportent de nombreux éclaircissement non seulement sur les nombreux noms propres qui parsèment le texte mais aussi sur les difficultés d’interprétation d’un texte écrit dans un latin très recherché et parfois déroutant. C’est dire que la traduction de Sophie Albert et Silvère Menegaldo, revue par Francine Mora, bénéficiant des tentatives de prédécesseurs nombreux, est d’une scrupuleuse honnêteté; justifiant toujours des choix parfois cornéliens, elle se signale de surcroît par sa fluidité et son élégance et prend soin, de manière parfois presque excessive, des éventuels étonnements du lecteurs: est-il par exemple bien nécessaire de prévenir que telle «métaphore florale . . . à propos d’un jeune guerrier» (129) peut paraître surprenante, alors que, précise-t-on aussitôt, elle est empruntée à Virgile? Une chronologie (un peu anecdotique) des événements historiques liés aux trois siècles de la domination carolingienne sur l’Europe, un index des noms propres et une très riche bibliographie complètent utilement l’édition. Il manque peut-être cependant à ces appendices un tableau comparatif des personnages du Waltharius et de ceux des plus grands textes épiques de la tradition germanique: ceux-ci sont, certes, abondamment cités dans l’introduction et les notes, mais d’une manière assez ponctuelle, qui risque de laisser quelque flottement dans l’esprit du lecteur peu familier de la Thidrikssage ou du Nibelungenlied. Mais les incursions des spécialistes de l’ancien français dans le domaine germanique sont exceptionnelles, et la rare ouverture d’esprit dont ont ici fait preuve Sophie Albert, Silvère Menegaldo et Francine Mora les absout largement d’avoir été ici et là un peu elliptiques. Alain Corbellari ★ 219 Besprechungen - Comptes rendus