Vox Romanica
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Francke Verlag Tübingen
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Kristol De StefaniFlorence Bouchet, Le discours sur la lecture en France aux XIVe et XVe siècles: pratiques, poétique, imaginaire, Paris (Champion) 2008, 392 p.
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Olga Shcherbakova
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si la distribution des mètres y est assez souvent cloisonnée, atténuant ainsi les risques d’incertitude ou de confusion 12 . L’article de Rosenberg nous semble ainsi une invitation à traiter globalement ces phénomènes d’altérations des formes poétiques pour parvenir à mieux comprendre leurs causes, et à ouvrir le cas échéant des hypothèses d’interprétation et des perspectives, sinon des stratégies de résolution. Si la question de la «performance» se pose, les questions de fond que l’on doit se poser concernent tout d’abord la possibilité pour le copiste de transcrire non pas un texte déjà copié mais l’interprétation d’un texte, et dans ce cas si l’interprète est en sa présence ou non. Dans le cas positif, on pourrait se trouver en face d’altérations ou à tout le moins de modifications ou d’adaptations de la part de l’interprète, que ce soit pour pallier des défauts de mémoire ou mettre l’accent sur des aspects particuliers de l’œuvre qu’il a apprise et renforcer des effets stylistiques: mais alors en quoi serait-on capable de faire la différence avec les altérations apportées par un copiste soucieux d’améliorer un texte qui lui paraît déficient, par exemple? Une autre question fondamentale touche à la nature des modifications que l’interprète pouvait se permettre en toute légitimité, s’il pouvait varier librement la mesure des vers ou des strophes, et de savoir faire la part des fautes éventuelles qui peuvent accompagner toute interprétation. D’autres questions se posent quant aux compétences personnelles du copiste en matière musicale et à sa connaissance de l’œuvre copiée: est-ce un texte qui lui est étranger ou dont il connaît lui-même la mélodie? Quelles sont ses propres compétences de mélomane? Dans quelle mesure la mémorisation d’une mélodie a-t-elle une influence sur la qualité de la copie? On peut devant cette énumération mesurer toute la difficulté que soulève la prise en compte du concept de «performance», mais avant d’ouvrir cette boîte de Pandore, il faudrait ne pas perdre de vue que les exemples ne manquent pas de notations inexactes, elles-mêmes adaptées à des conflits divers suscités par des erreurs de copie qui ont altéré la mesure ou sujettes aux mêmes types de fautes que le texte peut connaître, avec des sauts du même au même, des répétitions intempestives et des rattrapages plus ou moins heureux destinés à combler des lacunes par rapport au texte copié, des transpositions par omission de clés sans parler des notes déplacées et des mélismes mal reportés, toutes fautes qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer de variantes authentiques. On comprendra que dans de telles conditions demeure à l’ordre du jour l’approche philologique classique associée à une bonne connaissance des règles fondamentales de la versification mise en œuvre, avec pour objectif de retrouver un texte aussi proche que possible de la version originale, version dont nous ne doutons pas qu’elle ait été l’objet d’une «performance», indemne de corruptions ou d’altérations tant à l’égard de la qualité du texte que des limites que le modèle métrique adopté fixait à la variation formelle. Dominique Billy ★ Florence Bouchet, Le discours sur la lecture en France aux XIV e et XV e siècles: pratiques, poétique, imaginaire, Paris (Champion) 2008, 392 p. Issu d’une Habilitation à diriger des recherches soutenue en Sorbonne en 2005, le présent ouvrage est consacré à la genèse de la lecture littéraire du Moyen Âge tardif en France. En étudiant les lieux où la lecture, objet de discours, est explicitement visée en tant que telle, 324 Besprechungen - Comptes rendus 12 Nous laissons de côté un autre aspect de son article concernant le rôle perturbateur que la musique, pourtant réputée selon lui garante de la mesure, pouvait jouer dans l’exécution (art. cit., p. 158). la chercheure tend à cerner les caractéristiques de cette dernière à travers des pratiques et des usages du livre mis en exergue par un vaste corpus de textes des XIV e et XV e siècles, voire de quelques textes antérieurs comme, par exemple, Le chevalier au Lion de Chrétien de Troyes, le Bestiaire d’Amours de Richard de Fournival ou le Livre du Trésor de Brunetto Latini. Conformément au titre, la réflexion se développe selon les trois axes que constituent, respectivement, les pratiques (Introduction, chap. 1), la poétique et l’imaginaire de la lecture (chap. 2 à 8). Les trois axes se rejoignent dans la conclusion qui dresse le bilan de la situation de la lecture de la période donnée et, en même temps, jette le pont vers la suite, le début du XVI e siècle. Dans sa tentative d’étudier la spécificité de la lecture, l’auteure s’intéresse d’abord aux pratiques vues, avant tout, dans leur dimension historique. Dans l’introduction intitulée Mutations de la lecture (9-21), Florence Bouchet (F. B.) rappelle, dans les grandes lignes, l’évolution du lectorat du XII e au XV e siècle, lequel va de pair avec le développement de la bibliophilie et des métiers du livre. L’approche diachronique du processus de la lecture permet également d’évoquer le problème de la performance orale de la littérature médiévale et le primat de la réception auditive pour proposer ensuite de se concentrer sur l’émergence de la lecture oculaire et silencieuse dans la culture française des XIV e et XV e siècles. Le premier chapitre, Lecteurs ou auditeurs? (23-55), constitue un prolongement attendu de l’introduction, d’autant plus que les pratiques de la lecture y sont examinées sous leur aspect littéraire. L’auteure attire l’attention sur le fait qu’aux XIV e et XV e siècles, les modes de réception de l’œuvre de fiction sont multiples et ne peuvent se réduire à un strict schéma évolutionniste. Elle souligne l’ambiguïté des formules du type «or escoutez» (par exemple dans les chansons de geste en vers du XIV e siècle dont Florent et Octavien, La Chanson de Hugues Capet et La Chanson de Bertrand du Guesclin), relevant assez souvent d’une rhétorique archaïsante qui ne nous renseigne pas sur une réception effective du texte. Pourtant, d’après la chercheure, le va-et-vient constant entre oralité et écriture, trait caractéristique des œuvres littéraires de la période en question, ne doit pas «occulter l’émergence d’une nouvelle pratique, la lecture privée» (55). Le reste de l’ouvrage met l’accent sur la lecture privée considérée, en premier lieu, du point de vue de l’auteur (chapitres 2 à 4). En soulignant le fait que tout écrivain est, avant tout, un lecteur qui écrit avec ses souvenirs de lecture (dans le sillage des travaux de D. Poirion et de J. Cerquiglini), F. B. note que les auteurs médiévaux n’ignorent pas l’héritage antique, quand ils pensent, comme le signale le titre du chapitre 2, au Plaisir et profit du lecteur (57-95). Afin de mettre au jour les particularités du précepte antique du delectare et prodesse dans les textes des XIV e et XV e siècles, elle se penche plus particulièrement sur les prologues du Roman du comte d’Anjou de Jean Maillart, du Roman du comte d’Artois, du Guillaume d’Orange en prose et du Livre du corps de policie de Christine de Pizan qui invitent à croire au transfert du plaisir du conteur au lecteur et à l’existence d’un plaisir nouveau, éprouvé en particulier à la lecture, et non uniquement à l’audition. En somme, le discours des prologues présente la lecture comme un passe-temps agréable et profitable en légitimant ainsi l’activité des auteurs, mais aussi des lecteurs. Le chapitre 3, L’écriture au service de la lecture (97-135), prolonge la réflexion sur la relation de l’auteur à ses lecteurs. F. B. examine les choix d’écriture dont le but est, en cette fin du Moyen Âge, de toucher un lectorat de plus en plus diversifié. L’analyse du recours à la prose, à la fiction de la traduction et aux gloses permet d’aboutir à la conclusion que les choix opérés visent plus la communication que l’invention et contribuent à valoriser l’œuvre aux yeux des lecteurs. Les questions de la valorisation d’une œuvre de fiction font l’objet du chapitre 4, Une esthétique de la cueillette (137-68). En rappelant que la valorisation du propos est «un princi- 325 Besprechungen - Comptes rendus pe poétique autant que didactique» (145), F. B. s’appuie sur les travaux de J. Leclercq et de P. Galland-Hallyn pour passer à l’analyse de l’emploi du vocabulaire du monde végétal dans les textes du corpus. Il en ressort que l’activité des auteurs et, par la-même, celle des lecteurs s’apparente à la recherche d’un trésor qui ne demande qu’à être cueilli. Le chapitre 5, Lector in fabula (169-209), emprunte son titre à l’ouvrage éponyme d’U. Eco en l’utilisant, pourtant, pour désigner un motif littéraire particulier. Il est, sans doute, le plus «poétique» de l’ensemble, car il est consacré à l’analyse des cas où l’auteur ou bien le protagoniste d’une œuvre est représenté en tant que lecteur. L’étude de diverses stratégies de mises en scène du lecteur révèle que la lecture devient une des qualités dignes d’éloges et participe ainsi à l’élaboration du héros idéal. D’autre part, un auteur qui s’écrit en lecteur se rapproche plus de son public avec qui il partage désormais sa qualité essentielle, sa subtilitas, déjà remarquée par J. Cerquiglini dans son étude sur Guillaume de Machaut. Véritable pivot de l’ouvrage, le chapitre 5 - dédié à la représentation du lecteur dans les œuvres du corpus - annonce le changement de la perspective qui sera, dans les chapitres suivants, celle du lecteur. Le chapitre 6 (L’autorité du lecteur, 211-38), met l’accent sur le fait que les auteurs des XIV e et XV e siècles tendent à impliquer le lecteur dans le processus de l’«autorisation» de l’ouvrage jusqu’à l’utiliser, comme le montre le chapitre 7 (La littérature, lieu et enjeu de débat, 239-75), comme une arme permettant de gagner un débat littéraire. À travers des exemples tirés de la querelle du Roman de la Rose et du débat autour de la Belle Dame sans merci, F. B. met en exergue la notion d’entendement du lecteur dont les auteurs ne semblent plus pouvoir se passer, quand ils défendent leurs écrits ou leur point de vue de lecteurs professionnels. Fin d’une longue réflexion sur le rôle du lecteur et la lecture, le chapitre 8 (Le lecteur au contact du livre: l’œil et la main, 277-307), revient aux aspects pratiques de la lecture. Il y est question du langage traité de plus en plus comme un matériau graphique, des rimes pour l’œil, des acrostiches et des anagrammes, autrement dit du contact visuel avec le texte élaboré par les soins de la Grande Rhétorique. F. B. souligne ainsi que le lecteur devient indispensable à la réalisation même du texte et la conclusion (L’invention du lecteur, 309-23) ne fait que confirmer ce constat. Les XIV e et XV e siècles en France apparaissent donc à juste tire comme «la période de genèse décisive à l’égard du lecteur» (323). En dépit du caractère quelque peu redondant de certaines des observations, l’ouvrage de Florence Bouchet se distingue par une structure claire qui le rend agréable à lire. La réflexion dans son ensemble doit beaucoup aux travaux de J. Cerquiglini et J.-C. Mühlethaler, de D. Poirion et P. Galland-Hallyn à l’égard de qui l’auteure reconnaît ses dettes. Pourtant, loin d’être une simple synthèse, l’étude en question ouvre de nouvelles perspectives d’analyse du texte médiéval en privilégiant finalement le point de vue du lecteur saisi à travers les aspects les plus divers de la lecture. Excellente mise au point de la problématique de la lecture dans la littérature française médiévale, l’ouvrage de Florence Bouchet a le mérite indéniable d’être le fruit de l’étude d’un corpus impressionnant de textes des XIV e et XV e siècles dont de nombreux attendent encore leurs lecteurs. Olga Shcherbakova ★ 326 Besprechungen - Comptes rendus