Vox Romanica
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Francke Verlag Tübingen
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Kristol De StefaniJean-Denis Gendron, D’où vient l’accent des Québécois? Et celui des Parisiens? Essai sur l’origine des accents. Contribution à l’histoire de la prononciation du français moderne, Québec (Presses de l’Université Laval) 2007, xxiii + 287 p. (Langue française en Amérique du Nord)
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Wim Remysen
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ses figures (chapitres 1-3) et une partie plus analytique portant sur différents exemples de discours puristes (chapitres 4-8) -, nous avons parfois été étonnée de retrouver les mêmes thématiques reprises à différents endroits, conférant quelque peu à la lecture de l’ouvrage une impression de circularité plutôt que de progression. Ainsi, le chapitre 3.6.1 - Une analyse des classes sociales par leur langage: le puriste «sociolinguiste» (99-103) - nous semblet-il un développement des idées exposées au chapitre 2.3.2. (54-55) qui n’est pas sans rappeler le dernier chapitre (294-343) traitant justement en détail et par l’exemple de cette même thématique. Au final, nous recommandons chaudement la lecture de cet ouvrage qui, s’il présente quelques défauts pour un lecteur universitaire, permet d’avoir un aperçu fort vaste des thématiques, des formes et des relais du purisme, à l’heure actuelle, en France et, dans une certaine mesure, dans la francophonie de souche. Si les auteures enracinent solidement le purisme dans son histoire discursive, elles s’en tiennent dans leurs descriptions plus précises aux exemples du XX e siècle ce qui leur permet de bien en circonscrire l’abondante matière tout en permettant des aperçus vers d’autres horizons temporels et/ ou géographiques. Sara Cotelli ★ Jean-Denis Gendron, D’où vient l’accent des Québécois? Et celui des Parisiens? Essai sur l’origine des accents. Contribution à l’histoire de la prononciation du français moderne, Québec (Presses de l’Université Laval) 2007, xxiii + 287 p. (Langue française en Amérique du Nord) Dans cet essai, Jean-Denis Gendron cherche à expliquer pourquoi la prononciation des Parisiens n’est pas identique à celle des Québécois. Formé en phonétique à l’Université de Strasbourg par Georges Straka, Gendron - qui a présidé la Commission d’enquête sur la situation de la langue française et sur les droits linguistiques au Québec, dont le rapport est paru en 1972 - s’est intéressé pendant toute sa carrière à la prononciation du français, tant au Québec qu’en France 1 . Dans les pages liminaires de son ouvrage («Avant-propos», xvii-xxiii), Gendron présente les principales sources sur lesquelles il s’est appuyé: 1 o des témoignages directs qui rendent compte de la prononciation qui avait cours en France et au Québec depuis le XVII e siècle jusqu’au début du XX e ; 2 o des ouvrages qui traitent de l’histoire de la langue en France et au Québec; 3 o des ouvrages qui s’intéressent à l’évolution socioculturelle et politique des sociétés française et québécoise, question essentielle à la compréhension des changements dans les pratiques langagières des locuteurs. Le lecteur trouvera dans l’introduction («Vue d’ensemble de la question traitée», 1-36) une présentation générale de l’ouvrage ainsi que de la thèse avancée par Gendron pour expliquer l’origine de l’accent des Québécois. Il convient de préciser que l’auteur s’intéresse principalement à l’origine de ce qu’il appelle «l’accent québécois traditionnel», c’est-à-dire de celui qui avait cours au Québec entre 1608 et 1841 2 . Selon Gendron, c’est la prononcia- 346 Besprechungen - Comptes rendus 1 Voir par exemple: J.-D. Gendron, Tendances phonétiques du français parlé au Canada, Paris - Québec 1966 et «Origine de quelques traits de prononciation du parler populaire franco-québécois» in: Phonétique et linguistique romanes. Mélanges offerts à M. Georges Straka, Strasbourg 1970: 339-52. 2 Plusieurs traits de cet «accent traditionnel» se sont maintenus jusqu’au début du XX e siècle voire jusqu’à nos jours, sinon dans la langue standard du moins dans le registre familier ou dans la langue populaire des Québécois. tion qui avait cours à Paris pendant les XVII e et XVIII e siècles qui est à la base de cet accent; comme l’accent qui avait cours au Québec n’a pas été soumis aux modifications phonétiques survenues à Paris à la suite des bouleversements sociaux de la Révolution française, les accents québécois et parisien se sont ensuite différenciés. L’auteur s’inscrit ainsi en faux contre certaines autres hypothèses émises pour comprendre l’origine de l’accent des Québécois, notamment celles de James Roy et de Georges Straka (selon lesquels les classes sociales inférieures, et non la bourgeoisie, auraient modifié la prononciation de Paris à la fin du XIX e ), d’Aaron-Marshall Elliott (selon lequel le peuple québécois aurait imposé son accent, d’origine parisienne populaire, à l’élite québécoise) ou de Marcel Juneau (selon lequel l’accent québécois s’explique en grande partie par des origines provinciales). Les arguments qui viennent à l’appui de la thèse principale exposée dans l’introduction sont développés et approfondis dans les trois chapitres subséquents. Dans le premier («L’accent québécois traditionnel d’après les remarques des voyageurs des XVII e , XVIII e et XIX e siècles», 37-96), Gendron se penche sur les commentaires à propos de l’accent québécois qu’on trouve dans les relations de voyage des visiteurs, principalement d’origine européenne, qui sont venus au pays entre le début du XVII e siècle et la fin du XIX e . À ce sujet, l’auteur prend bien soin de s’assurer de la validité de ces témoignages. Par exemple, pour chaque témoignage dont il dispose, Gendron retrace l’appartenance sociale de son auteur et il vérifie si celui-ci a séjourné lui-même au Canada, s’il a parcouru tout le Canada ou seulement une région et s’il a entretenu des contacts étroits avec des Canadiens, ce qui permet de vérifier si ses remarques peuvent être considérées comme fiables. En outre, Gendron prend soin de reconstituer la chronologie des commentaires recueillis: la visite au Canada pouvant avoir eu lieu plusieurs années avant la publication des témoignages, il convient en effet de retracer à quelle époque ils ont été écrits. Gendron observe qu’il y a eu un changement important dans le discours des voyageurs à partir du début du XIX e siècle: après avoir été louangé et reconnu comme identique à celui de Paris par les voyageurs entre 1651 et 1763, l’accent québécois sera en effet fortement stigmatisé - parce que considéré comme différent de celui de Paris - à partir de 1810. En outre, les voyageurs du XIX e constatent avec surprise que l’accent des Québécois est uniforme du haut en bas de l’échelle sociale. Gendron se demande comment l’accent québécois, tout en restant relativement uniforme pendant trois siècles, a pu donner lieu à des affirmations aussi opposées et, surtout, comment ce changement dans le discours des voyageurs a pu se faire aussi rapidement au tournant du XIX e siècle, pendant quelques décennies seulement. Pour trouver une réponse à cette question, Gendron est d’avis qu’il faut interpréter les observations des voyageurs à la lumière de l’évolution que la prononciation a connue en France, sujet qui est abordé dans le chapitre 2 («Causes de la convergence des accents parisien et canadien aux XVII e et XVIII e siècles, puis de leur divergence au XIX e siècle, et origine des accents canadien et parisien», 97-166). Au début du XVII e siècle, la prononciation parisienne était commune à l’ensemble de la population, mais celle-ci se caractérisait encore par une variation assez grande, héritée des siècles précédents. Cette situation va changer vers le milieu du siècle pour se prolonger jusqu’à la fin du XVIII e . En effet, deux styles de prononciation vont se développer dans les classes sociales supérieures: le style familier de la conversation, appelé bel usage (usité à la cour et dans les salons) et le style soutenu du discours public, appelé grand usage (usité au parlement, au barreau, au théâtre et à l’église). Or, on trouve plusieurs traits de prononciation pratiqués dans le style familier dans l’accent québécois traditionnel, ce qui illustre bien, à l’avis de l’auteur, que la prononciation du bel usage est commune aux Parisiens et aux Québécois pendant le Régime français, expliquant ainsi le ton louangeur des voyageurs jusqu’en 1763. À partir du milieu du XVIII e siècle, toutefois, le grand usage gagnera en importance et il finira par déclasser le bel usage à la fin du siècle. Ce retournement s’explique par des rai- 347 Besprechungen - Comptes rendus sons d’ordre social: la bourgeoisie, qui s’était progressivement approprié l’accent du grand usage, acquiert de plus en plus d’autorité à partir de la Révolution française et elle finira par imposer son modèle de prononciation dans la haute société parisienne. C’est ce revirement qui a consacré la rupture de la communauté d’accent entre Paris et le Québec, dont la prononciation restera fidèle au bel usage. Évalué à l’aune de la nouvelle prononciation bourgeoise parisienne, l’accent québécois suscitera dorénavant la réprobation, comme nous le montrent les jugements dépréciatifs de la part des voyageurs de l’époque. C’est que le bel usage sera dorénavant condamné par les grammairiens français qui le jugent «négligé», «populaire» ou «provincial», puisque les provinces de France accusent elles aussi un certain retard sur la capitale. En résumé, l’accent traditionnel des Québécois s’explique essentiellement par l’abandon de certaines pratiques phonétiques du bel usage à Paris (où, par exemple, [ ] disparaît en faveur de [ ], comme dans part). L’écart entre les deux accents est en outre accentué par certains autres changements phonétiques survenus à Paris dès la deuxième moitié du XVIII e siècle, mais non au Québec (par exemple [ ] devient [ ε ], comme dans père), ainsi que par le maintien, au Québec, de certains traits propres aux classes populaire et petite-bourgeoise et qui étaient déjà rejetés à Paris au cours des XVII e et XVIII e siècles (par exemple, [ ] pour [ ε ] dans chercher). Les caractéristiques des deux styles de prononciation qui avaient cours à Paris, le bel usage (style familier) et le grand usage (style soutenu), font l’objet d’un examen plus approfondi dans le troisième et dernier chapitre («Origine, développement et sort des deux styles de prononciation», 167-219). De façon générale, le style soutenu se distinguait par la prédominance de voyelles ouvertes et de formes pleines, alors que le style familier se caractérisait par une préférence pour les voyelles fermées et pour les formes allégées, résultant de la chute d’une voyelle ou d’une consonne. C’est ainsi que, à l’inverse du style familier, le style soutenu préfère [ ε ] à [e] (comme dans les proclitiques mes, les, ces, etc.), [ œ ] à [ ø ] (menteur et non menteux) et [ks] à [s] (expliquer et non espliquer); il rejette en outre les formes syncopées (comme ste pour cet) ou encore la chute du [l] devant consonne (comme dans quèque pour quelque). Selon Gendron, le bel usage reste ainsi plus proche de l’évolution naturelle de la prononciation, alors que le grand usage s’y oppose, privilégiant les formes plus recherchées. C’est ce qui explique selon lui que le style familier se rapproche parfois de l’accent du peuple, sans toutefois se confondre totalement avec celui-ci. Certains traits, tels que la chute du [ ] dans les substantifs en -oir (miroi pour miroir) ou la prononciation [ ʒ ] au lieu de [ ʃ ] (ajeter pour acheter), sont par exemple communs à l’accent populaire et à celui du bel usage. Dans la conclusion (221-31), Gendron rappelle que le retournement linguistique survenu en France à la fin du XIX e siècle coïncide avec un changement social: dorénavant, ce sera l’accent bourgeois parisien qui servira de référence. Fidèle au modèle phonétique détrôné, celui du bel usage, l’accent québécois sera donc, dans les esprits des intellectuels, relégué au rang de prononciation populaire et, partant, jugé illégitime. L’ouvrage contient en outre quatre appendices. Dans le premier, Gendron donne un aperçu des différents grammairiens français qui sont cités dans deux ouvrages consacrés à l’histoire de la prononciation du français 3 (233-49). L’auteur illustre ensuite, à partir de l’exemple du passage du l palatal [ ʎ ] au yod [j], comment certains changements phonétiques ne finissent par se consolider dans l’usage qu’après une longue période de variation (251- 54). Le troisième appendice contient un tableau avec les principaux traits phonétiques com- 348 Besprechungen - Comptes rendus 3 C. Thurot, De la prononciation française depuis le commencement du XVI e siècle, d’après les témoignages des grammairiens, Paris, 2 vol. 1881-83, et G. Straka, «Sur la formation de la prononciation française d’aujourd’hui», TraLiLi. 19 (1981): 161-248. muns au bel usage et à l’accent québécois traditionnel (255-75). Enfin, on trouve la liste des ecclésiastiques émigrés au Canada (277-79). S’appuyant sur une documentation très riche et variée, l’essai de Gendron apporte un éclairage nouveau sur l’origine de l’accent québécois et constitue sans aucun doute une contribution essentielle à l’histoire de la prononciation du français au Québec. Il a surtout le mérite de bien illustrer comment les caractéristiques de cet accent s’expliquent par l’état du français en France à l’époque de la colonisation et comment l’évolution divergente des deux accents s’inscrit dans le contexte sociohistorique particulier des deux communautés. À ce sujet, il aurait été intéressant de poursuivre l’étude jusqu’au XX e siècle. Comme l’affirme Gendron, l’accent québécois traditionnel s’est rapproché de l’accent français à deux reprises, d’abord au milieu du XIX e siècle, ensuite depuis la Révolution tranquille, mais il ne s’est pas intéressé à cette question dans son essai. Toutefois, les Québécois n’ont pas abdiqué à toutes leurs particularités phonétiques pour autant. Or, pour mieux comprendre comment s’est développé l’accent québécois actuel, il faudrait se pencher sur les incidences que ces rapprochements ont eu sur la prononciation des Québécois, non seulement dans le registre familier ou dans la langue populaire, mais aussi, et surtout, dans le registre standard. C’est dire que l’étude menée par Gendron soulève encore beaucoup de questions, et c’est pourquoi l’auteur souhaite vivement que son essai soit complété et enrichi par la contribution d’autres chercheurs (xvii et xx). Pour ne donner qu’un exemple, nous ne disposons pour l’instant d’aucune étude qui rende compte de la prononciation des Québécois entre 1760 et 1810. Cela ne signifie pas que nous ne disposions d’aucun document qui pourrait nous renseigner à ce sujet, mais l’exploitation de ces sources reste à faire. Selon l’auteur, leur étude est d’autant plus intéressante qu’elle permettrait de mieux comprendre la transition entre les louanges de l’accent québécois sous le Régime français et les remarques péjoratives à partir de 1810 (70s.). L’étude présentée par Gendron soulève par ailleurs certaines questions qui mériteraient des explications supplémentaires. Par exemple, on ne s’explique pas toujours bien la contradiction qu’il semble y avoir entre le caractère fort élogieux des témoignages les plus anciens et la présence de certains traits parisiens populaires déjà stigmatisés à Paris aux XVII e et XVIII e siècles dans la prononciation des Québécois de l’époque. Il est vrai que Gendron fait observer que le bel usage a pris un certain temps avant de se fixer et qu’une telle situation n’était pas sans donner lieu à une variation importante à Paris même, ce qui a sans doute contribué à maintenir l’idée que la prononciation québécoise était proche de la parisienne. Mais est-ce uniquement en raison de la forte variation phonétique qui caractérise l’accent parisien de l’époque que certains de ces traits n’étaient pas encore ressentis comme populaires par les voyageurs? Ces traits auraient-ils tout simplement échappé à l’attention des derniers? Gendron précise en effet que les remarques qui remontent au Régime français portent sur l’accent québécois en général et que ce n’est qu’à partir du XIX e siècle qu’elles contiennent des indications plus précises au sujet de tel ou tel trait de l’accent québécois (40). Par ailleurs, dans la mesure où les commentaires des voyageurs pendant le Régime français contiennent des jugements sur l’accent des Québécois mais non des commentaires sur l’usage réel tel qu’ils l’ont observé, ces témoignages ne nous renseignent que peu sur les traits de prononciation qui avaient cours dans la langue des Québécois de l’époque. L’auteur n’a donc pas pu s’appuyer sur les seuls témoignages des voyageurs pour affirmer, comme il le fait à plusieurs reprises, que la prononciation qui s’est implantée en Nouvelle France est celle du bel usage et que celle-ci semble être restée relativement uniforme pendant trois siècles. En réalité, lorsque Gendron établit des liens, du reste indéniables, entre la prononciation du bel usage et celle des Québécois, il semble s’être inspiré avant tout de l’étude de Marcel Juneau (comme il le précise dans l’Appendice C), qui a identifié plusieurs 349 Besprechungen - Comptes rendus