Vox Romanica
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Francke Verlag Tübingen
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Kristol De StefaniCatherine Gaullier-Bougassas (ed.), Un Exotisme littéraire médiéval? Actes du colloque du Centre d’Études Médiévales et Dialectales de Lille 3, 6 et 7 octobre 2006, Ville neuve d’Ascq (Presses de l’Université Charles-de-Gaulle – Lille 3) 2008, 324 p. (Bien dire et bien aprandre 26)
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Marion Uhlig
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Catherine Gaullier-Bougassas (ed.), Un Exotisme littéraire médiéval? Actes du colloque du Centre d’Études Médiévales et Dialectales de Lille 3, 6 et 7 octobre 2006, Villeneuve d’Ascq (Presses de l’Université Charles-de-Gaulle - Lille 3) 2008, 324 p. (Bien dire et bien aprandre 26) La représentation littéraire du lointain éveille depuis peu l’intérêt de la critique médiéviste. Si l’engouement des chercheurs pour le foisonnement des textes à caractère encyclopédique et viatique qui fleurissent durant l’Antiquité et à la Renaissance n’a rien de récent, rares sont encore les travaux consacrés à l’imaginaire médiéval de l’autre et de l’ailleurs, pourtant omniprésent dans la littérature. Le choix de placer le volume sous l’égide d’un titre problématique a l’avantage d’exposer les raisons de cet ajournement: l’anachronisme qui frappe le maître mot d’exotisme - il faut attendre Rabelais pour trouver la première attestation française du terme, sous sa forme adjectivale - assorti du point d’interrogation qui questionne à juste titre la légitimité de convoquer cette notion pour la période médiévale, dit bien la difficulté d’une telle enquête. Car l’inclination du Moyen Âge pour le symbolisme, la prévalence du savoir livresque sur l’expérience, mais aussi l’ethnocentrisme et l’intolérance prêtés à la civilisation occidentale de l’époque, s’érigent comme autant d’obstacles apparents à l’expansion d’une notion supposant une forme d’ouverture, faite de goût ou du moins de curiosité, à l’altérité. Le volume soutient pourtant la gageure, en considérant à travers un vaste corpus de textes aimantés par l’exotisme, souvent oriental, parfois nordique, les témoignages textuels mus par la réaction, spontanée et subjective, des auteurs confrontés à la différence culturelle. Constitué de dix-neuf articles, il est centré sur le Moyen Âge (XI e -XV e siècles), mais en franchit largement les marges temporelles puisque sont aussi examinés la fortune antique de certains motifs et thèmes lexicaux, les avatars modernes d’œuvres médiévales jusqu’au XIX e siècle, ainsi que le devenir de la littérature de pèlerinage au XVII e siècle. Le cadre linguistique, de même, est débordé lorsque l’étude s’écarte de la littérature française pour envisager des textes médiolatins, italiens et moyen haut-allemands. Divisé en quatre parties, le recueil se veut tout à la fois diachronique et respectueux de la partition générique. Ainsi envisage-t-il au premier chef la littérature épique («Poèmes épiques et altérité sarrasine»), avant de s’intéresser aux récits d’obédience encyclopédique et viatique, à la faveur d’une seconde partie stimulante - même si on regrette la quasi-absence de références à des textes tels que le Voyage de Mandeville ou le Devisement du monde de Marco Polo - qui est sans doute la plus novatrice («Encyclopédies, chroniques et récits de pèlerinage: la curiosité pour les mirabilia et la peur des monstruosités»), puis d’envisager le roman («Espaces exotiques dans le roman médiéval») et enfin la réception de thèmes en lien avec l’exotisme, au Moyen Âge et par-delà («Curieux et si divers usages de l’Autre: l’Autre et le Même»). La riche introduction de Catherine Gaullier-Bougassas (7-20) expose, à partir d’une évolution sémantique bien documentée du substantif exotisme et de ses dérivés, le paradoxe qui consiste à explorer les formes littéraires d’une notion inexistante en tant que telle dans les textes français du Moyen Âge. Après avoir habilement distingué les traits relevant de l’exotisme de ceux ressortissant à la merveille, elle postule l’existence d’une ou plusieurs forme(s) d’un exotisme littéraire qu’elle se propose d’examiner non à partir des «catégories et des grilles de lecture modernes» (11) mais comme spécifique(s) à chaque genre de la littérature médiévale, en même temps qu’adaptée(s) aux «modes de pensées» des auteurs, aux «cristallisations de leurs imaginaire» et à leurs «projets littéraires» (11). Cet exotisme, tel qu’elle le définit dans ces diverses manifestations médiévales, consisterait alors dans la part d’émotion suscitée par l’altérité, bien davantage que dans la simple prise en compte de la diversité géographique et culturelle: «les contrées étrangères, réinventées quand bien même leur évocation prend appui sur quelques éléments de la réalité géographique contemporai- 279 Besprechungen - Comptes rendus ne ou de la tradition livresque, ou imaginées de toutes pièces, se voient donc exploitées pour les sentiments qu’elles éveillent et non comme connaissances scientifiques ou bien comme semblances appelées à s’abolir devant des senefiances» (12). La première section du volume, consacrée pour l’essentiel à l’exotisme menaçant que représente l’altérité sarrasine dans les chansons de geste, est inaugurée de façon exemplaire par l’article de Gérard Gros sur l’effroyable portrait de Chernubles de Muneigre («Présentation et mort d’un personnage: Chernubles de Muneigre dans la Chanson de Roland», 23-38). L’explication de texte minutieuse des laisses lxxviii et civ présente l’intérêt de réexaminer longuement des formules et motifs épiques d’apparence conventionnelle, mais qui revêtent à travers le prisme de l’exotisme un sens nouveau. Dans son article «Exotismes de la parure et du dépouillement de la Chanson d’Antioche à la Chanson de Jérusalem» (39-54), Magali Janet choisit de cerner la spécificité de l’exotisme représenté dans le premier Cycle de la croisade à travers les descriptions de vêtements. Postulant la convergence de l’apparence et de l’identité, elle envisage les costumes, parures et déguisements des Sarrasins comme de puissants marqueurs d’altérité. Cette attention prêtée aux realia domine aussi dans la contribution d’Armelle Leclerq («L’Orient monstrueux dans le premier Cycle de la croisade», 55-68), qui examine dans le même corpus de textes la frontière perméable entre un exotisme «réaliste» reflétant la proximité du premier Cycle de la croisade avec l’Histoire contemporaine, et un exotisme d’inspiration légendaire, infléchi tantôt vers la merveille, tantôt vers la monstruosité. Wilfrid Besnardeau s’intéresse à la désignation des Infidèles dans l’Estoire de la guerre sainte d’Ambroise (69-80) et constate la récurrence de certaines épithètes et périphrases, le plus souvent dépréciatives. Celles-ci, montre-t-il, témoignent d’une volonté délibérée de signaler l’exotisme, à travers les formules hyperboliques ou les renvois intertextuels qu’elles comportent. Michele Campopiano («La culture pisane et le monde arabo-musulman: entre connaissance réelle et héritage livresque», 81- 98) rappelle par l’étude de deux productions épiques l’immense imprégnation de la culture arabe dans le savoir pisan aux XI e -XII e siècles. La partie du recueil dévolue aux encyclopédies, chroniques et récits de pèlerinage, débute par l’article de Bernard Ribémont («La licorne, un animal exotique? », 99-119), qui rappelle par l’exemple de la licorne la place privilégiée des animaux parmi les éléments caractéristiques des lointains géographiques et imaginaires. Le parcours proposé à travers les littératures didactiques et encyclopédiques antique et médiévale, les bestiaires et les textes courtois permet d’appréhender l’animal dans toutes «ses permanences et ses variantes» (109), lexicales autant que symboliques. La démonstration relève surtout le fait que la localisation géographique originelle de la licorne, garante de son caractère exotique, disparaît au cours du Moyen Âge à la faveur d’une domestication qui voit l’animal s’intégrer à la radition légendaire et devenir le support de réseaux symboliques et métaphoriques extrêmement familiers. Les belles pages que Philippe Haugeard consacre à Joinville («L’expérience de l’altérité dans la Vie de saint Louis de Joinville: l’Orient, l’ailleurs et la contagion possible de la barbarie», 121-36) convoquent la notion essentielle de relativisme culturel pour commenter les problématiques inattendues que la confrontation avec l’altérité peut susciter. Ainsi la volonté chrétienne d’appropriation de l’autre par la conversion trouve-t-elle son pendant inquiétant dans la possible contagion par la coutume de l’autre, tout de même que la barbarie attribuée à l’étranger menace-t-elle le chrétien lorsque l’urbanité d’autres civilisations révèle au monde occidental sa propre sauvagerie. De telle sorte que, Haugeard le montre bien, ce n’est rien de moins que l’acculturation, le reniement et la perte de soi, qu’en vient à redouter l’auteur de la Vie de saint Louis, tant «rencontrer l’autre, c’est risquer de se laisser happer par lui, de se faire aspirer par sa barbarie et finir par lui ressembler», 133). La réversibilité possible des processus d’acculturation est également au cœur de la réflexion que mène Marie-Madeleine Castellani sur Joinville et Jacques de Vitry («Bédouins, Tar- 280 Besprechungen - Comptes rendus tares et Assassins, les figures de l’autre oriental», 137-50). Mais l’analyse des textes montre aussi que certains peuples, en particulier les nomades, résistent à toute assimilation et sont frappés par un caractère d’étrangeté qui les distingue aussi radicalement des orientaux que des occidentaux. Se penchant sur un lieu particulièrement propice à une recherche sur l’exotisme, à savoir l’excursus encyclopédique que Jacques de Vitry consacre aux mirabilia orientaux («De la curiositas à la sapientia, les mirabilia exotiques dans l’Historia orientalis de Jacques de Vitry», 151-64), Marie-Geneviève Grossel constate l’optimisme frappant de l’écrivain qui, loin de considérer l’altérité comme inquiétante, l’envisage comme une forme d’innocence, voire de naïveté, appelant à être remplacée par une sagesse susceptible de mener à la foi chrétienne. L’article de Jacques Charles Lemaire («Images de la Terre sainte dans le Voyage de Georges Lengherand», 165-82) met en lumière la «sensibilité à l’exotisme» (175) et l’étonnante objectivité d’un bourgmestre dont le pèlerinage, accompli à la fin du XV e siècle, est l’occasion d’un récit aux accents humanistes qui n’est pas sans annoncer le Voyage de Montaigne. Marie-Christine Gomez-Géraud («La pomme est-elle un fruit exotique», 183-95), enfin, réfléchit aux «moyens de construire un objet comme ‹exotique›» (184) dans la littérature de pèlerinage, et plus particulièrement dans le Bouquet sacré des fleurs de la Terre sainte de Jean Boucher, publié en 1614. Par l’analyse des descriptions de différents pommiers, cet excursus met en évidence les «continuités et ruptures dans l’appréhension de la notion d’exotisme, quand elle s’applique aux régions d’un Orient habité par la mémoire du texte biblique» (185). On retiendra en particulier les considérations sur l’émergence aux XVI e -XVII e siècles d’un nouveau processus herméneutique construit non plus sur l’interprétation, mais sur l’observation: «observation rigoureuse des espèces naturelles» d’une part, «observation littérale des versets de l’Écriture» d’autre part (193). On peut regretter que la majorité des articles regroupés dans la section romanesque du volume concernent la matière antique, tant la représentation de l’Orient dans les romans d’Énéas, de Troie ou d’Alexandre a déjà fait l’objet de nombreuses études. Ce constat n’entame cependant pas l’originalité de la démonstration de Florence Tanniou, qui montre comment l’adaptation en prose du Roman de Troie passe par une rationalisation et une historicisation de la matière orientale («De l’Orient rêvé à l’Orient révélé: les mutations de l’exotisme du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure au Roman de Troie en prose (Prose 1)», 211-24). L’étude des éléments exotiques révèle que Prose 1, réduisant la part de romanesque de son modèle, est mû par une tentation encyclopédique et didactique qui vise à transformer le mythe antique en récit de voyage. Ce «nouveau sens - historique et chrétien» (225) donné par le texte en prose à l’écriture du mythe de Troie pourrait être mis «au service de la légitimation de la croisade» (224). L’article d’Aimé Petit («Carthage, ville exotique dans le Roman d’Énéas», 199-210) distingue les deux familles de manuscrits du Roman d’Énéas en vertu des infléchissements, d’une part vers l’exotisme (AB), d’autre part vers la merveille (DFG), qu’ils proposent. La caractérisation de Carthage comme ville exotique lui permet aussi, en vertu de l’assimilation convenue entre la ville et la femme, de faire de Didon la figure de l’exotisme amoureux pour Énéas. La recherche des modes de perception et d’expression de l’altérité menée par Marie-Sophie Masse («L’Inde d’Alexandre dans le Strassburger Alexander: un univers exotique? », 225-44) met bien en évidence la façon dont l’exotisme oriental du Roman d’Alexandre, loin de bouleverser les repères, fait l’objet d’une acclimatation à la norme occidentale de façon à susciter en Occident le rêve oriental d’une civilisation idéale. La démarche de Sophie Poitral consiste à mesurer le «degré de coloration exotique de l’imaginaire du prince» auteur du Livre du Cuer d’Amour espris à l’aune du goût prononcé et bien connu de René d’Anjou pour l’exotisme, à savoir sa «culture réelle de l’Ailleurs» (246). L’enquête s’achève sur le constat décevant de la pauvreté et de l’extrême banalité des éléments exotiques dans le Livre. 281 Besprechungen - Comptes rendus Les textes abordés dans la quatrième section du recueil divergent tant par les lieux géographiques qu’ils explorent que par les matières qu’ils développent. On peine en effet à saisir la cohérence de cette partie qui abandonne les critères chronologiques et génériques précédemment établis pour réunir pêle-mêle des études consacrées à l’exotisme irlandais dans un récit visionnaire, aux figures sarrasines dans une pièce de théâtre, aux muances de l’exotisme oriental dans une chanson de geste et ses divers avatars, et au thème de l’altérité byzantine dans les littératures médiévale et moderne (Fiona McIntosh-Varjabédian, «Figures de Byzance, de l’usurpation à la fable politique», 309-20). Myriam White-Le Goff («L’originalité de la figure de l’Irlandais dans la légende du purgatoire de saint Patrick», 259-70) s’appuie sur les deux témoins les plus diffusés de la légende du purgatoire de Saint Patrick, celui du moine de Saltrey et celui de Marie de France, pour montrer que le portrait des Irlandais, quoique négatif, reconnaît à ce peuple de pécheurs et de rudes ignorants une propension au repentir et à la sincérité. Celle-ci, c’est là ce que propose l’étude, ouvrirait de nouvelles perspectives à l’implantation anglaise en Irlande, dans la mesure où l’identité de l’autre, moins exotique qu’il n’y paraissait, consonnerait avec celle des conquérants. Anne B. Darmstätter («Émirs, saints et buveurs. Altérité et réalité dans le Jeu de saint Nicolas de Jean Bodel», 271-86) développe à travers le Jeu de saint Nicolas une idée déjà évoquée par Catherine Gaullier-Bougassas dans son introduction, à savoir que la définition de l’identité passe par la définition de l’altérité, les attributs de la seconde déterminant son caractère exclusif à l’égard de la première. À travers les différentes manifestations littéraires et musicales de Huon de Bordeaux, du Moyen Âge au XVIII e siècle, Caroline Cazanave constate une divergence radicale dans les représentations médiévale et moderne de l’exotisme, mais en relève le caractère toujours construit et, loin de toute fantaisie personnelle, toujours lié à des aspirations politiques. Quelques remarques ponctuelles: p. 52: s’il est la marque d’un désordre, le travestissement connaît aussi des valorisations positives dans la tradition littéraire. Il suffit pour s’en convaincre de penser à la ruse de Guillaume d’Orange dans le Charroi de Nîmes ou à l’ermite qui se déguise en marchand de pierres précieuses pour initier le jeune prince à la révélation chrétienne dans la légende de Barlaam et Josaphat. p. 57: pour autant que la présence de camélidés dans les chansons de croisade constitue un véritable «indice de réalisme», elle nous semble peu représentative de la tendance, qui serait particulière au Cycle, à se référer à des réalités historiques dans la mesure où l’emploi de telles montures ou bêtes de somme est aussi mentionné dans la Chanson de Roland et dans un nombre considérable d’autres chansons de geste 1 . p. 60 N16: l’association proposée entre le «roi des Asnes» de la Chanson d’Antioche et la «parodie de la liturgie religieuse» que serait la fête des fous est loin d’être évidente, en raison du caractère vague et inexact des données sur lesquelles l’auteure se fonde. L’ouvrage de Jean Dufournet, cité dans la note, s’inspire en effet des travaux de Du Cange, eux-mêmes basés sur deux sources, l’une dans un manuscrit conservé qui ne comporte ni «hi-han» ni procession d’une jeune femme et d’un enfant à dos d’âne, l’autre dans un volume disparu au XVII e siècle. Quant à l’asinorum dominus, il n’est attesté qu’une seule fois en Allemagne, au milieu du XIV e siècle, dans un recueil de cantiones qui n’a pas de rapport avec la fête des fous, mais marque les étapes importantes de l’épiscopat de l’évêque des Innocents de la collégiale allemande 2 . p. 71: on saisit mal la 282 Besprechungen - Comptes rendus 1 Nous renvoyons notamment au bel article de Michelle Szkilnik, «Roland et les chameaux. Sur la date de la Chanson de Roland», Romania 122 (2004): 522-31. 2 L’entrée Kalendae du Glossarium de Du Cange élabore à partir de la lettre d’un érudit du XVII e siècle l’histoire de l’âne de Beauvais. Le chanoine Foy de Saint-Hilaire aurait lui-même construit son récit sur la base d’un manuscrit encore conservé, mais dépourvu de «hi-han» et de procession d’une jeune femme et d’un enfant à dos d’âne (il s’agit d’un office de la Circoncision de Beaucohérence du tableau répertoriant les appellations choisies par Ambroise pour désigner les païens, surtout au regard du commentaire largement plus éclairant proposé à la p. 72. Quel critère justifie la distinction entre «felum sarazin culvert» et «faus pople colvert»? Pourquoi différencier les termes («li mescreant») et les périphrases («gent mescreant»; «cels qui Deu mescroient»)? p. 77: braire en ancien français, est dépourvu des «connotations animales évidentes» qu’il possède dans la langue moderne et s’emploie couramment pour les personnes, avec le simple sens de «crier» 3 . p. 101-02: l’évolution sémantique du mot licorne aurait pu gagner à être envisagée dans une perspective plus linguistique: en effet, le passage d’unicornis/ unicornuus > unicorne à licorne, sous l’effet d’une déglutination (unétant confondu avec l’article indéfini), suivie d’une agglutination avec l’article défini (sur le modèle l’agriotta → la griotte ou l’endemain → lendemain), s’accompagne dans le cas précis d’un changement de genre. Or cette transformation du masculin unicorne au féminin licorne explique de toute évidence la transition entre les figurations viriles de l’animal et l’attribut de la dame qu’il est voué à incarner à la fin du Moyen Âge. Si l’urgence qu’il y a à penser et à interroger les représentations de l’altérité dans la littérature du Moyen Âge est largement révélée par la diversité et la richesse des articles réunis dans le volume, celle de systématiser les approches de ce lieu désormais incontournable de la critique littéraire s’y fait aussi sentir. Le caractère très hétéroclite des thèmes abordés montre bien la difficulté de subsumer une matière aussi étendue que labile sous des catégories ou des dispositifs d’analyse adéquats. À cet égard, il nous paraît que la distinction par genre littéraire mise en place dans le recueil n’est pas la plus efficace. Celle-ci suppose en effet qu’à chaque genre littéraire correspondrait une forme d’appréhension spécifique de la notion d’exotisme, ce qui n’a rien d’évident. Et la multiplication des observations sur les «topo[i] transgénérique[s]» (43) et autres «interpénétration[s] de la chanson de geste et du roman» (58) en témoigne largement. De fait, l’oscillation constante qui caractérise l’écriture sur l’ailleurs au Moyen Âge, entre l’héritage textuel et le témoignage visuel, entre la fiction légendaire et la réalité historique, concerne l’ensemble de la production littéraire. L’éditrice du volume en est bien consciente, qui constate dans son introduction la perméabilité des genres: «Dès la Chanson de Roland, les auteurs des chansons de geste imaginent aussi des monstres orientaux sur le modèle des peuples étranges des encyclopédies . . . avant que des poèmes épiques plus tardifs, des XIII e et XIV e siècles, n’intègrent un savoir géographique plus varié, inspiré des encyclopédies, des Romans d’Alexandre et aussi des récits de voyage» (15). Peut-être le second critère, chronologique, adopté dans ce recueil, serait-il à ce titre plus approprié. Sans résoudre tout à fait l’épineux problème, la perspective diachronique serait du moins susceptible de reproduire de façon cohérente la progression des découvertes et l’évolution graduelle du savoir livresque à un savoir plus empirique. Elle permettrait sans doute aussi de cerner de plus près le(s) sens que revêt l’exotisme dans une littérature dont l’attraction pour les confins, particulièrement bien représentée dans plusieurs compilations manuscrites dès la seconde moitié du XIII e siècle, semble se concevoir davantage par vogue que par genre. Marion Uhlig ★ 283 Besprechungen - Comptes rendus vais, daté du XIII e siècle, conservé à la British Library), et du récit de son propre père, qui aurait eu connaissance d’un office de l’âne, non daté et livré aux flammes de son vivant par un curé. Nous renvoyons pour davantage de précisions sur la fête des fous et l’évêque des Innocents aux différents travaux de Yann Dahhaoui, que nous remercions très chaleureusement pour les renseignements et éclaircissements qu’il nous a fournis. 3 Tobler-Lommatzsch, I, 1114.
