eJournals Vox Romanica 70/1

Vox Romanica
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2941-0916
Francke Verlag Tübingen
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2011
701 Kristol De Stefani

Eva Buchi, ‘Bolchevik’, ‘mazout’, ‘toundra’ et les autres. Dictionnaire des emprunts au russe dans les langues romanes. Inventaire – Histoire – Intégration, Paris (CNRS Editions) 2010, 570 p. + Annexes 145 p.

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2011
Olga  Inkova
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prennent tant bien que mal plusieurs langues étrangères, dont ils se servent à l’occasion: à quel niveau de compétence peut-on estimer qu’ils les maîtrisent suffisamment pour être considérés comme plurilingues? Il faudrait établir, là aussi, au moins quelques critères. Mais la réalité humaine échappe toujours par quelque biais aux «grilles» que nous sommes bien obligés de lui imposer pour pouvoir la réduire à des catégories rationnelles. Ainsi les résultats de nos recherches restent toujours partiels et provisoires. Zygmunt Marzys ★ Eva Buchi, ‘Bolchevik’, ‘mazout’, ‘toundra’ et les autres. Dictionnaire des emprunts au russe dans les langues romanes. Inventaire - Histoire - Intégration, Paris (CNRS Editions) 2010, 570 p. + Annexes 145 p. Cette monographie, qui a pour objet l’étude du «vocabulaire d’origine russe des langues romanes» (9), poursuit un objectif triple: i) faire l’inventaire des emprunts au russe dans les langues romanes standard, ii) faire l’histoire des russismes romans, en indiquant leur première et éventuellement leur dernière attestation et iii) étudier l’intégration des russismes dans les langues d’arrivée. La démarche d’Eva Buchi est, à cet égard, d’une originalité incontestable: il n’existe, à notre connaissance, aucun ouvrage qui embrasserait toute une famille de langues, en l’occurrence, celle des langues romanes, et aurait une visée exhaustive. L’ouvrage comporte une introduction, où l’auteure détermine son objet d’étude, les sources auxquelles elle a fait appel pour l’élaboration des entrées lexicographiques (on comprend mal pourquoi l’auteure les appelle «notices étymologiques») et présente la microstructure de ces dernières. Suivent les entrées lexicographiques, qui constituent l’essentiel du travail: presque 500 pages avec 445 emprunts traités, dont 52 seulement, soit 12 %, sont panromans. L’auteure procède ensuite à l’évaluation de l’impact du russe sur le lexique des différentes langues romanes, d’abord prises séparément et ensuite dans une optique contrastive, afin d’isoler les tendances communes et de dégager les époques pendant lesquelles l’influence russe sur le vocabulaire roman a été particulièrement forte. Dans la partie conclusive, l’auteure dresse le bilan de son étude et réfléchit sur ses développements ultérieurs possibles. Dans les annexes, le lecteur trouvera la liste des abréviations et signes conventionnels, l’index récapitulatif des notices étymologiques, le répertoire chronologique des russismes et la bibliographie. Les apports de ce travail relèvent de quatre catégories: - Les datations: le dépouillement d’un nombre considérable de sources a permis à Eva Buchi de préciser la date de la première attestation d’un nombre important d’emprunts: antédater 365 sur 445 emprunts, rétrodater quelques russismes en roumain et apporter une première datation pour les russismes non encore lexicographiés. - Les étymologies: le réexamen systématique des étymologies relevées dans les ouvrages de référence a amené l’auteure à préciser dans certains cas (69 au total) la langue-source de l’emprunt. - L’intégration des emprunts: la recherche présente des résultats intéressants sur le degré d’assimilation de chaque russisme dans les six langues concernées, notamment dans le domaine des formations secondaires générées par les russismes, formations qui constituent un indicateur fiable de leur vitalité et de leur intégration dans la langue d’arrivée. - La mise en perspective, qui se fait à deux niveaux. Le premier niveau est constitué par la perspective romane adoptée dans les notices étymologiques, «dont le commentaire assigne à chaque idiome considéré sa place à l’intérieur d’un ensemble cohérent» (567). Le second niveau consiste en une synthèse des résultats obtenus pour les 445 emprunts réunis. 273 Besprechungen - Comptes rendus Ce travail très riche, minutieux et bien documenté suscite néanmoins quelques questions. La première concerne la méthodologie de l’étude et, en premier lieu, la notion même d’emprunt qui semble être extrêmement large. Inutile de chercher dans l’ouvrage une définition de l’emprunt ou, au moins, une réflexion sur cette notion complexe. Le critère minimal de sélection que l’auteure retient pour son étude est «celui de l’apparition dans au moins un dictionnaire général unilingue d’au moins une langue commune» (13). Cependant, par exemple pour le français, à côté de tsar, morse ou boyard, nous trouvons les entrées akyn, khorovod ou dom(b)ra. Or, le mot akyn «barde kazakh ou kirghiz», comme on peut lire dans la notice, n’est attesté que dans un dictionnaire bilingue russe-français rédigé par des auteurs russophones (L. Šč erba et M. Matusevit č ); l’unique occurrence de khorovod «danse en rond russe» provient de la Revue des deux mondes, alors que le mot dom(b)ra - traduit, du reste, de façon erronée par «balalaïka» - n’est attesté que dans des dictionnaires spécialisés de musique. Beaucoup de lexèmes réunis dans l’ouvrage d’E. Buchi sont limités, eux aussi, aux langages spécialisés: cf. it. et fr. karagan «loup des steppes», fr. corsak «renard des steppes» ou encore des unités de mesures utilisées en Russie avant la Révolution d’Octobre, tels it. vedrò, zolotnik ou č etverik, fr. sagène, tchetvertka ou tchetvert, dont il est difficile de dire qu’ils appartiennent aux langues romanes «communes» (13). Une grande partie des emprunts étudiés proviennent en effet d’ouvrages sur l’histoire de la Russie. La présence de tous ces mots dans le dictionnaire recensé est probablement dictée par le désir d’exhaustivité, mais une telle approche ouvre la voie à l’arbitraire: si l’on considère comme emprunts des hapax, pourquoi ne pas consacrer une entrée lexicographique au mot kursistki qui figure dans le titre d’un poème (consacré aux étudiantes de l’Institut Smolnyj à Saint-Pétersbourg) du cycle Odi e Inni de Giovanni Pascoli? Faut-il vraiment traiter d’emprunt toute occurrence d’un mot étranger dans une langue, et en particulier celles relevées dans des dictionnaires bilingues? Est-il en outre possible de mesurer l’influence du russe sur le vocabulaire roman - l’un des objectifs de l’auteure - sur la base de ce type d’occurrences? Ma deuxième observation porte sur l’approche anhistorique - pour ne pas dire antihistorique - qui caractérise l’étude d’E. Buchi. L’auteure se propose d’étudier les emprunts au russe «indépendamment du fait qu’ils soient toujours en usage à l’époque contemporaine ou non» (13) et, comme on a pu le constater, indépendamment du fait d’être lexicographiés ou non. Cette approche conduit E. Buchi à toute une série d’incohérences et parfois même à des erreurs grossières. L’incohérence concerne, en premier lieu, le déséquilibre dans le choix des sources pour les six langues romanes concernées. Elles sont de trois types: les dictionnaires, les «textes susceptibles de contenir des russismes» (29) et les bases de données. Si, pour le roumain ou le français, les sources des trois types ne sont pas antérieures aux années 80 du XIX e siècle, pour l’italien les sources textuelles les plus anciennes datent de la deuxième moitié du XVI e siècle. En revanche, pour le catalan, les textes choisis partent des années 20 du XX e siècle, tandis que, pour le portugais, sont pris en compte un essai de 1977 traduit du français et une base de données comportant des textes brésiliens de 1670 à 1924. En outre, si la périodisation générale de l’histoire russe utilisée dans l’ouvrage ne pose pas de problème, la chronologie du règne des Romanov, notamment dans l’optique de l’histoire des emprunts, apparaît peu logique. L’auteure a «grossièrement divisé ce règne en trois époques: 1613-1700, 1701-1800 et 1801-1916» (537). Il serait pourtant plus judicieux de déplacer la limite de la première période à 1697, l’année de l’envoi par Pierre le Grand de la mission diplomatique russe - la «Grande ambassade» - en Europe occidentale, et le début de la troisième période à 1814, lorsque l’armée russe entre à Paris. Les deux événements ont certainement marqué les langues romanes: cf. notamment les exemples cités dans l’ouvrage recensé pour le français (543), dont une très grande partie est datée de 1816. Cette approche anhistorique se répercute dans les traductions des étymons russes qui ouvrent les entrées.Ainsi, les mots grivennik et grivna sont traduits tous les deux comme «dix 274 Besprechungen - Comptes rendus kopecks». Pourtant, le premier mot est toujours utilisé en russe, le deuxième appartient désormais à l’histoire. Des indications de ce genre auraient été les bienvenues dans une étude dite étymologique et aideraient à mesurer le degré d’intégration et de vitalité d’un emprunt dans la langue d’arrivée. La même remarque vaut pour les unités de mesures russes, dont la majorité écrasante est sortie d’usage en russe d’aujourd’hui, ce qui n’est pas sans conséquence sur leur vitalité dans les langues romanes où ces emprunts existent ou ont existé. En outre, l’auteure ne précise pas la source des gloses qu’elle utilise dans les notices et qui se répètent sans modification pour chaque langue romane qui possède l’emprunt en question, alors même qu’elles sont parfois fausses. Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, le mot kisel’ est glosé pour le français et pour l’italien comme «entremets froid fait d’une gelée sucrée et parfumée aux fruits rouges ou au café». Or, le kisel’ est une des boissons traditionnelles russes les plus anciennes (elle est mentionnée dans les textes à partir du X e siècle), alors que le café n’arrive en Russie qu’au XVIII e siècle et ne fait sûrement pas partie des produits accessibles aux paysans russes. Un autre exemple: le mot č eka est glosé comme «police politique soviétique», alors que cet organe a œuvré de 1917 à 1922, et l’URSS a été fondée le 30 décembre 1922. De même, dans le répertoire chronologique des russismes, le mot artel (632) est glosé par «coopérative (URSS)» avec pour date de première attestation 1800. Si ces gloses sont prises dans un dictionnaire et qu’elles se révèlent fausses, la présente étude aurait pu être une occasion de corriger l’erreur. La traduction des étymons mérite une remarque à part. Le mot burlak est traduit par «célibataire, haleur», mais le mot russe n’a pas la première acception; le mot ž alovanie est traduit par «plainte, dotation», alors que ce mot, considéré comme vieilli, signifie en russe «salaire, gages», et «plainte» se dit en russe ž aloba; kulebjaka n’est pas un «pâté de poisson», mais en premier lieu «un pâté en croûte à base de choux»; glasnost’ est traduit par «publicité», . . . La rigueur, à laquelle appelle E. Buchi (553), ne fait malheureusement pas partie des qualités de son travail. La même remarque vaut pour les datations et, en particulier, le «manque d’attestations russes» postulé par l’auteure (17-19). Ainsi, pour trois étymons russes, à savoir: K. G. B., gulag et samizdat, l’auteure affirme qu’ils n’ont pu être lexicographiés qu’en 1998, 1990 et 1998 respectivement. Elle explique ce manque par le «retard de la lexicographie historique russe» et «l’interdit lexicographique qui a pesé pendant toute la durée d’existence de l’URSS sur le vocabulaire ‹dissident›» (18-19). Or, K. G. B., que l’on peut difficilement qualifier de lexème dissident, est bien présent dans la 2 e édition (je n’ai pas sous la main la 1 e édition, mais il est fort probable que cette abréviation y soit aussi, étant donné que c’était une institution officielle) du Dictionnaire des abréviations sous la rédaction de D. Alekseev, I. Gozman et G. Sakharov (Moscou, Russkij jazyk, 1977, 1 e édition 1963); idem pour gulag. Le mot samizdat et l’adjectif samizdatnyj sont inclus, par exemple, dans le dictionnaire Novoe v russkoj leksike. Slovarnye materialy - 81 sous la rédaction de N. Kotelova (Moscou, Nauka, AN SSSR, 1986), dictionnaire des mots nouveaux recensés dans la presse russe de 1981. L’organisation de l’appareil technique de l’ouvrage n’est pas non plus très heureuse: une partie des abréviations et des signes conventionnels utilisés est donnée dans les annexes (571-74), une autre p. 36-37, ce qui ne facilite pas la lecture des entrées lexicographiques. La bibliographie est également difficile à utiliser: la recherche d’un renvoi bibliographique demande un double travail, une fois parmi les abréviations, ensuite dans la bibliographie organisée par langue. Il me semble évident que cet ouvrage doit subir des amendements importants, avant de devenir «au niveau roman la synthèse de référence» (567), comme le souhaite l’auteure. Olga Inkova 275 Besprechungen - Comptes rendus