eJournals Vox Romanica 70/1

Vox Romanica
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Francke Verlag Tübingen
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2011
701 Kristol De Stefani

Karin Ueltschi, La main coupée. Métonymie et mémoire mythique, Paris (Honoré Champion) 2010, 238 p.

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Aurélie  Reusser- Elzingre
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ses coquilles et le peu de soin typographique et éditorial (un seul exemple: les références des articles édités, p. 361-63, ont une numérotation différente, décalée d’une unité, par rapport à celle qui apparaît à l’intérieur du volume, et certains titres - les n° 22 et 26 - ne coïncident pas exactement). Maria Colombo Timelli ★ Karin Ueltschi, La main coupée. Métonymie et mémoire mythique, Paris (Honoré Champion) 2010, 238 p. Karin Ueltschi est professeure à l’Institut Catholique de Rennes et chargée de cours à l’Université Rennes 2. Elle fait partie du réseau «souple» de Modernités médiévales 1 , ce qui laisse imaginer qu’elle ne se cantonne pas à des recherches de médiéviste, et ouvre son horizon au monde de la littérature moderne. Faisant suite à sa réflexion sur l’exploration du complexe mythique (voir ses ouvrages sur La didactique de la chair et La Mesnie Hellequin 2 ), cet ouvrage est le premier tome d’une trilogie prévue sur ce fameux concept de «Relève du Temps» 3 qui lui tient à cœur. Les deux autres ouvrages prévus porteront sur les motifs du «pied qui cloche» et sur celui de la fileuse. Sa méthode de travail est très précise: elle cherche des cohérences et des réseaux entre motifs littéraires, qu’elle va collecter autant dans la littérature médiévale que dans la littérature romantique, réaliste et même orale, par l’intermédiaire des recueils de contes populaires. Ce long travail est le fruit de recherches transdisciplinaires: philologie romane, histoire, «folklore» (qu’elle met elle-même entre guillemets, 16), ethnologie et mythologie comparée. Elle dit se concentrer essentiellement sur la sphère occidentale et judéo-chrétienne qui est celle du roman qui lui sert de référence initiale (16). En effet, cet ouvrage porte sur le motif (ou «micro-récit», 15) de la fille aux mains coupées et se base essentiellement sur la figure littéraire de la métonymie (la relation entre partie et tout, ici la main coupée de son corps originel), métaphore du «fonctionnement de la mémoire mythique qui procède elle-aussi au processus d’amputation puis de régénération ou ‹ressoudures›» (9). Le cadre narratif fixé par l’auteure pour entrer dans ce champs de métonymies est le roman médiéval de La Manekine de Philippe de Rémi, mais cet ouvrage renvoie à un cadre littéraire beaucoup plus général, ses motifs se retrouvant à toutes les époques et sous diverses variantes. En voici un bref résumé: Une fille de roi du nom de Joïe se coupe la main gauche pour échapper au mariage incestueux dont elle fait l’objet, son père la convoitant en raison de sa ressemblance avec sa défunte femme (motif de Peau d’Âne). Elle doit s’enfuir dans la forêt, car on la menace de mort pour désobéissance. Malgré sa mutilation, elle épouse un prince et accouche d’un garçon. La belle-mère, méfiante envers sa bru manchote, fait envoyer une lettre mensongère à son fils absent annonçant que sa femme a enfanté un monstre (motif du Prince Ours). Celui-ci demande par lettre à sa mère d’attendre son retour mais la méchante femme substitue encore une fois une lettre factice à la vraie missive demandant qu’on condamne sa belle-fille et son bébé à être brulés vifs pour sorcellerie. La jeune femme réussit à s’enfuir 300 Besprechungen - Comptes rendus 1 http: / / www.modernitesmedievales.org/ index.htm. 2 Hellequin, «celui qui détient le secret du renouvellement du Temps et de la sauvegarde de la Mémoire» (9). 3 D’après K. Ueltschi, il s’agit d’un grand moteur poétique qui préside le cycle de la vie (viemort-résurrection). avec son enfant tandis que deux mannequins brûlent à leur place sur un bûcher. Le prince entame alors une longue quête afin de la retrouver. Grâce à la récupération de la main coupée dans le ventre d’un poisson, on rétablit la vérité et tout rentre dans l’ordre (la jeune femme retrouve sa main, son époux, son statut de reine, le père de Joïe se repent et la méchante belle-mère meurt). Karin Ueltschi part du motif Aarne/ Thompson (AT) 4 706 The Maiden without Hands qui préside à tout le roman. Critiquant la notion de motif folklorique, elle préfère parler de «configurations mythiques» (15), car «les notions de ‹motif›, de ‹thème› ou de ‹schème› sont mal définies; des objets, concepts, voire même des trames narratives entières fournissant les entrées sont parfaitement discriminés» (15 N9). Elle fait appel aux catalogues de contes et de motifs habituels aux folkloristes contemporains, AT et Ténèse/ Delarue 5 , mais aussi à F. C. Tubach 6 , W. Propp 7 ou J.-J. Vincensini 8 (qui parle, lui, de «stéréotype narratif» pour le motif littéraire). Elle propose d’aborder le problème de la recherche intra-textuelle en le saisissant à travers les unités constitutives du motif littéraire, qu’elle définit comme un «agglomérat de mythèmes» (15), en se référant à la méthode distributionnelle de la mythanalyse . En effet, un mythème ne peut être analysé qu’en configuration, qu’elle décrit comme un système de «liens qui s’unissent aux autres [qui] sont faits d’une certaine synonymie ou redondance sémique qui assure la grande et secrète cohérence interne de ces conglomérats aussi bien à l’intérieur du même texte . . . que d’une variante littéraire à l’autre . . . c’est donc moins la reprise d’un stéréotype narratif et son insertion dans un cadre donné qui nous intéresse que le jeu de fragmentation et d’agglutination des mythèmes qui à notre sens détermine l’évolution et les variations qu’on observe dans les versions saisies aussi bien en synchronie que plus largement à travers les siècles et les pays» (15). Cette étude ne repose donc pas uniquement sur des occurrences médiévales mais aussi sur celles vivant encore actuellement à travers les contes populaires (traditions orales), «la vitalité des complexes mythémiques ne se concevant qu’en diachronie» (16). D’après Karin Ueltschi, le conte mis en roman par Philippe de Rémi possède environ quatre cent cinquante versions connues. Chaque variante accentue différemment les éléments qui la composent, donnant des éclairages originaux à la trame d’ensemble, en privilégiant tantôt l’un tantôt l’autre mythème. On peut en isoler quatre épisodes centraux: la mutilation de l’héroïne, le mariage avec le roi, l’épouse calomniée et la main recouvrée. L’auteure commence son étude par un chapitre portant sur la mutilation au Moyen Âge, et plus particulièrement de la main, qu’elle soit volontaire ou forcée. Cette mutilation est, selon elle, le premier degré de la symbolisation médiévale, car toute la société est axée sur ce principe de métonymie entre un fragment d’une personne et cette personne elle-même (la côte d’Adam dont on tire Ève, engendrant ainsi toutes les générations futures, le sceptre du roi qu’il tient dans sa main et qui représente le pouvoir etc.). L’auteure recense nombre de mains coupées dans la littérature médiévale: mains tranchées en guise de punition, lors d’un combat ou avant une décapitation. Mais aussi mains rongées par la lèpre ou mains qui guérissent: instruments de force (action), de pouvoir (possession) et de justice. Les mains séparent en deux l’organisation spatiale, mentale et morale, en droite - dextre et gauche - 301 Besprechungen - Comptes rendus 4 A. Aarne, The Types of Folktale. A classification and bibliography, translated and enlarged by St. Thompson, Helsinski 1961 (repr. 1987). 5 P. Delarue/ M.-L. Ténèze, Le conte populaire français. Catalogue raisonné des versions de France, Paris 2002. 6 F. C. Tubach, Index exemplorum. A handbook of medieval religious tales, FFC 204, Helsinski 1969. 7 W. Propp, Morphologie du conte, Paris 1965. 8 J.-J. Vincensini, Motifs et thèmes du récit médiéval, Paris 2000. senestre. L’image de la main illustre aussi les codes culturels de la société féodale, par exemple les mains jointes pour la prière ou la soumission vassalique, la main qui se lève pour assermenter, les mains qui portent un symbole de justice, etc. Le premier chapitre de l’ouvrage est consacré aux motifs principaux du conte de la Manekine: l’automutilation, l’inceste et les naissances monstrueuses. L’étude abonde d’occurrences tirées de la littérature médiévale de tout bord, romans, fabliaux, chansons de geste, lais, hagiographies et de textes de loi 9 , mais aussi extraits tirés de l’Ancien Testament, afin d’expliquer la grande part symbolique de la main (surtout la main droite) au Moyen Âge. La main de l’ennemi est ainsi tranchée au combat comme comble du déshonneur, «lien métonymique du membre coupé avec la personne intégrale» (30). Elle est aussi tranchée aux malfaiteurs, avant la décapitation, surtout aux parricides ou aux parjures (car ils ont levé la main pour jurer). La loi du talion consiste en la juste réciprocité d’un crime, on est puni par là où l’on a péché. Le manchot, l’échassier, le borgne et l’eunuque ne sont plus considérés comme des personnes à part entière, ne sont «plus humains» (33) car leur faute (présumée) les stigmatise aux yeux de tous (punis par la justice ou par Dieu). Dans les légendes, la main qui a fauté se dessèche ou est victime de la lèpre. Au Moyen Âge, il existe une contradiction essentielle: la dissection des corps est interdite vs les reliques des saints sont dispersées un peu partout (19). Une faute contre un saint est gravement punie par une amputation symbolique ou réelle. Certains saints se sont aussi automutilés pour échapper au déshonneur du viol (le nez pour les nonnes) ou pour arriver chastes au Paradis (en parlant de la castration volontaire des moines) 10 . La main d’un innocent ne pourrit pas (dans La Manekine, on retrouve le membre entier dans l’estomac du poisson). En effet, c’est le bras gauche que l’héroïne s’est coupé. Le prince qu’elle épouse en fait la réflexion: si elle avait été punie par Dieu (pour un quelconque crime), ça aurait été la main droite (39). Mais la présomption de culpabilité reste et c’est pour cela que la belle-mère se méfie de sa belle-fille. Au Moyen Âge, «le manque d’un membre inspire la suspicion générale . . . en particulier, une telle difformité peut constituer un obstacle réel au mariage, ce qui donne une motivation toute objective au geste de la Manekine, qui se coupe la main pour empêcher son père de l’épouser» (53). L’inceste est un sujet très souvent répandu dans la littérature médiévale: Karin Ueltschi cite Le lai des deux Amants de Marie de France, Perceforest, Claris et Laris, le Roman d’Apollonius de Tyr. Le fait de trouver des textes qui ne possèdent pas l’épisode de la mutilation pousse l’auteure à penser que ce motif est très ancien et n’est déjà plus compris à l’époque des textes: «Or, bon nombre d’anciens textes possédant des points communs avec La Manekine mettent en exergue ce thème de l’inceste, mais omettent [elle souligne] l’épisode de la mutilation, ce qui peut constituer un indice de ce que nous avons affaire à un noyau mythique très ancien devenu incompréhensible et qu’on cherche pour cette raison à éliminer.» (55) Karin Ueltschi cite des extraits de tous les genres de la littérature et de tous les siècles, en passant par des contes folkloriques tirés des mythologies germaniques et irlandaises jusqu’à Harry Potter 11 pour parler du symbole de la main amputée (46). Elle poursuit sa réflexion autour de survivances mythiques qui auraient persisté à travers les âges, qui «nous paraissent souvent hermétiques, mais nous laissent pressentir le sens occulté de quelque scénario originel» (20). 302 Besprechungen - Comptes rendus 9 Particulièrement Le Grand Coutumier de France, qu’on attribue à Jacques d’Ableiges. 10 Pour ces histoires de saints, l’auteure se base essentiellement sur La Légende dorée de Jacques de Voragine. 11 Celle de Queudver (ou Wormtail dans la version originale), exigée de la part de Voldemort comme preuve de soumission, et qui lui sert à sa potion de renaissance. Dans son second chapitre, l’auteure analyse les relations métonymiques fondamentales existant entre la main et la personne. Pour ce faire, elle va puiser dans le fond intarissable des expressions de langue française: obtenir ou demander la main, mettre sa main à couper ou au feu par exemple. Elle illustre par des expressions médiévales le pouvoir que possède la main: a toutes mains ‘largement’, de bonne main ‘de haute naissance’ vs de basse main ‘de condition modeste’, avoir entre mains ‘avoir en sa possession’, tenir en sa main ‘avoir sous son autorité’, tomber en la main de, prêter main forte, le système de la mainmorte pour les serfs (incapacité de pratiquer tout acte légal donc incapacité de posséder un patrimoine). Elle parle aussi de la chiromancie: la main renferme le secret de la destinée. Les mains peuvent servir d’outil aux Forces magiques (on transmet les charmes par les mains, l’anneau magique se met au doigt, on guérit par l’apposition des mains, 81). Des gestes apotropaïques sont effectués par une contorsion des membres (croiser les doigts, tenir les pouces). La main est aussi une marque d’identité: les jeunes filles ont toujours de blanches mains dans les blasons (la fille aux Blanches Mains dans le Bel Inconnu de Renaut de Beaujeu ou les mains de Blanchefleur dans le Conte de Floire et Blanchefleur de Robert d’Orbigny). Par cette recherche, Karin Ueltschi veut démontrer que la charge symbolique et métonymique de la main par rapport à la personne est inscrite dans la langue même, profondément. Il faut un effort de resémantisation conscient pour retrouver le sens premier de ces gestes. C’est, à notre sens, un bon chapitre. L’idée directrice de l’auteure est que la métonymie possède un sens secret, se transforme en une clé de lecture nous permettant de retrouver les traces d’une mémoire perdue: «Nous pressentons la métonymie comme devant jouer un rôle fondamental dans la pérennité et l’évolution de substrats mythiques . . . si la métaphore est ‹l’équivalent littéraire de certains symboles religieux› 12 , la métonymie est une figure qui se prête particulièrement bien à l’expression des repostailles comme dit l’ancienne langue, les secrets, les mystères cachés . . . c’est elle qui rend possible ce gommage partiel de la mémoire mythique. Ainsi, les auteurs, les textes peuvent conserver cette mémoire; elle s’intègre, à l’issue de ce polissage, dans des logiques narratives variées en effectuant des fusions avec d’autres fragments» (62). Ces significations, dit-elle, sont souvent perdues au moment où les auteurs les transcrivent mais, par la poésie, elles sourdent à travers les textes, les auteurs étant «néanmoins restés réceptifs à ce que les romantiques auraient appelé ‹un pressentiment›, eine Ahnung: une mémoire» (62). Elle apporte la preuve que le motif de cette main comme entité propre a traversé les âges, en citant des traditions de marins (des mains qui sortent des flots pour attraper les matelots), des contes populaires (la main fantôme qui porte un chandelier), des traditions de sorcellerie (la main de gloire, amputée à un pendu) et même Guy de Maupassant (La main d’écorché) et Gérard de Nerval (La main enchantée). Son troisième chapitre cherche à systématiser toutes les occurrences des motifs précédents en un fil rouge: la thématique du dédoublement et de la dislocation. Cette analyse débouche sur tout un passage de recherche sémantique et étymologique un peu hasardeux autour du nom de la Manekine. Il cherche à relier le personnage symbolique de l’héroïne à Sainte-Brigitte, et à une figure plus ancienne de déesse mère celtique, qui aurait remplacé le tabou sexuel de la procréation par l’auto-génération, en passant par l’univers végétal de la mandragore et par le poisson «connecteur» de génération. L’auteure cherche par tous les moyens une cohérence à tout ce réseau (à travers le champs sémantique du mannequin et du double), et y arrive autant que faire se peut, en passant par le romantisme allemand, Marie Shelley, la tradition du Carnaval, une coutume portugaise et une version de Cendrillon 303 Besprechungen - Comptes rendus 12 Elle cite T. Revol, Représentations du sacré dans les textes dramatiques des XI e -XIII e siècles en France, Paris 1999: 124. en chinois. Le lecteur a un peu de peine à suivre son cheminement de pensée, qui pour elle a l’air très clair et solide: «Sous une mince strate romancée et banalisée apparaît dans son immense simplicité (nous soulignons) ce scénario mythique élémentaire et immémorial de la Relève du Temps, agencé ici autour d’une figure maternelle, martyre et sanctifiée, figure à laquelle renvoient toutes ces variantes synonymiques que sont la mandragore et la pédauque, la lépreuse et l’accoucheuse manchote, le mannequin immolé et la reine couronnée» (208). Ce chapitre nous paraît artificiellement construit, dans le but d’arriver à la conclusion que l’auteure s’est fixée (contrairement à ce qu’affirme M. White-Le Goff 13 dans son compte rendu). Il est indéniable que le Carnaval ou la notion de reverdie, en passant par l’autodafé d’un mannequin en paille ou en cire, symbolise la renaissance du printemps et la refertilisation de la nature, mais nous ne comprenons pas toujours le nécessaire sacrifice que cela implique et le recours à des légendes celtiques enfouies qui remonteraient à une version originelle perdue. Nous savons depuis le milieu du XX e siècle que cette idée de «conte originel et pur» n’est qu’un leurre 14 . Après avoir eu accès à toutes ces occurrences, Karin Ueltschi conclut que son étude «met en évidence le formidable travail de rationalisation que la littérature fait subir aux héritages ancestraux, le ‹vigoureux gommage› des substrats mythiques qui explique l’apparente incongruité de bien des éléments du conte, ainsi que du délicat équilibre entre signifiances fonctionnant en réseau intra-textuel et références à des dimensions mythiques et culturelles extra-textuelles» (191). La conclusion est très brève pour un travail de dépouillement systématique de cette ampleur et un peu abrupte. L’auteure est tellement persuadée d’avoir trouvé un système cohérent qu’elle en oublie un peu son lecteur qui, peut-être, est resté bloqué dans les méandres d’un chemin de réflexion cahoteux. À la recherche d’un mythe originel perdu, «de traces de cette mémoire que nous tendrons à jamais, avec une étrange et mélancolique nostalgie, à pourchasser» (211), Karin Ueltschi aimerait persuader son lecteur que ce système «caché» a réellement existé, et se donne beaucoup de peine à rassembler toutes ces variantes dans ces centaines d’extraits tirés du folklore, de la littérature, des textes de loi, de la Bible etc. Mais c’est là à notre avis la faiblesse de cet ouvrage: l’auteure utilise des réseaux «à tiroirs» que l’on peut ouvrir à l’infini (et elle-même parle des poupées gigognes - 140). C’est là que réside le gros problème des chercheurs qui travaillent avec et sur les contes. Jusqu’où doit-on aller pour trouver des variantes? Faut-il se mettre des limites temporelles et spatiales dans le choix de son corpus? Est-il vraiment utile de faire référence à d’obscures légendes chinoises ou à des traditions locales d’Extrême Orient? Cette limite est fixée par le folkloriste lui-même, à la lumière de ce qu’il a pu réunir, mais il est impossible d’être exhaustif: que deviennent tous ces contes oraux qui n’ont jamais été recueillis? Nous pen- 304 Besprechungen - Comptes rendus 13 Myriam White-Le Goff: *Karin Ueltschi, La main coupée. Métonymie et mémoire mythique»; Cahiers de recherches médiévales et humanistes 2010, mis en ligne le 12 octobre 2010 (http: / / crm.revues.org/ 12101). 14 L’histoire de la recherche scientifique consacrée aux contes est complexe: d’abord centrée sur la question de l’origine, puis de la diffusion des contes, ensuite de la forme avec les recherches structurales commencées par Vladimir Propp au début du XX e siècle, les recherches sur la littérature orale se sont dirigées vers le sens (interprétations mythique, psychanalytique et marxiste) et la fonction de ces récits (rôle de la tradition orale dans une société donnée). On s’éloigne actuellement des grandes théories monolithiques auxquelles les contes servaient de simple illustration pour accorder une plus grande attention au texte même des contes, examinés dans un esprit pluridisciplinaire qui s’efforce d’opérer une synthèse entre diverses méthodes d’approche. Cf. notamment M. Simonsen, Le conte populaire français, Paris 1981. sons que les exemples sont bons quand ils illustrent la problématique abordée, mais certains sont superflus; ils donnent l’impression que le texte n’est qu’une liste sans fin. Karin Ueltschi, citant Claude Lévi-Strauss, réfute l’existence du conte «originel premier» (16). Et pourtant elle recherche à travers ces «faisceaux», ces «indices», une «mémoire mythique», qui a été effacée avec le temps et dont seuls subsistent des fragments, un «scénario mythique dont il [le motif] pourrait émaner» (16). Cette hypothèse de l’auteure pourrait être rediscutée à l’infini vu l’absence de preuves écrites durant la période celtique. Nous nous contenterons de constater qu’il s’agit de symboles existants dans l’univers culturel de la société médiévale. Nous n’avons aucune preuve de l’existence d’un conte celte (ou plus ancien) originel de la Manekine ou même d’un hypothétique système de pensée. Relevons en revanche que l’ouvrage dispose d’une riche bibliographie et des références à de nombreux recueils de contes; les sources sont toujours données avec précision. L’auteure a une très bonne connaissance de la littérature, ce qui fait de cet ouvrage un excellent instrument de travail sur le thème de la main coupée. Un en-tête tiré du roman de Philippe de Rémi cadre bien la notion abordée de chaque chapitre. On aurait aimé aller plus loin dans le lien entre folklore médiéval et folklore actuel (contes oraux) - une bonne entrée en matière à ce propos ayant été abordée dans l’introduction, mais la suite étant décevante. L’auteure critique le système Aarne/ Thompson mais ne pousse pas sa réflexion tellement plus loin; or on aurait aimé qu’elle étaye son propos, principalement parce qu’elle prend souvent les motifs numérotés de AT comme illustrations de sa propre analyse. On sera vraiment ravi de voir paraître des études interdisciplinaires regroupant littérature orale et littérature écrite en un lien de systèmes mythémiques (selon le terme de Karin Ueltschi), des études qui réuniront autour d’elles Arnold van Gennep, Claude Roussel, Nicole Belmont, Jean-Louis Flandrin, Carlo Ginzburg et Philippe Walter. En mêlant médiévistes, folkloristes, historiens des mentalités et ethnologues, textes médiévaux, textes modernes et répertoires de contes dans un même corpus, une continuité entre littérature médiévale et littérature orale contemporaine semble amorcée. Aurélie Reusser-Elzingre ★ David Vitali, Mit dem Latein am Ende? Volkssprachlicher Einfluss in lateinischen Chartularen aus der Westschweiz, Bern, etc. (Peter Lang) 2007, X + 643 p. (Lateinische Sprache und Literatur des Mittelalters 41) Für den Rezensenten ist es eine Freude, eine ausgezeichnete Dissertation zu besprechen. «Die vorliegende Arbeit hat zum Ziel, den Einfluss der Volkssprache an einem geschlossenen Korpus lateinischer Gebrauchstexte aus dem Spätmittelalter zu untersuchen». Die von Peter Stotz betreute Dissertation ist eine lexikographische Studie, «die anlässlich eines mehrjährigen Stipendiums am mittellateinischen Wörterbuch in München entstanden ist». Die Arbeit ist nicht nur eine Untersuchung von Interferenzerscheinungen zwischen Latein und Volkssprache, sondern im zweiten Teil auch ein wertvolles Wörterbuch (Glossar 374- 643) mit ausgearbeiteten Artikeln der hochmittelalterlichen Rechtssprache, die volkssprachliche Termini im lateinischen Gewand enthalten (abergamentun, advoieria, badivus, etc.). In der Einleitung (1) schreibt Vitali: «anhand einer eingehenden Analyse der sprachlichen Gestaltung ausgewählter lateinischer Chartularien aus der Westschweiz werden die Rückwirkungen des romanischen Idioms, in diesem Fall des Frankoprovenzalischen, modellhaft herausgearbeitet». 305 Besprechungen - Comptes rendus