Vox Romanica
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Francke Verlag Tübingen
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Kristol De StefaniMireille Demaules, La corne et l’ivoire. Étude sur le récit de rêve dans la littérature romanesque des XIIe et XIIIe siècles, Paris (Champion), 2010, 707 p. (Nouvelle bibliothèque du moyen âge 103)
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Olga Shcherbakova
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Mireille Demaules, La corne et l’ivoire. Étude sur le récit de rêve dans la littérature romanesque des XII e et XIII e siècles, Paris (Champion), 2010, 707 p. (Nouvelle bibliothèque du moyen âge 103) Issu d’une thèse d’habilitation à diriger des recherches, soutenue en 2008 à l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV), l’ouvrage de M. Demaules est un remarquable travail de synthèse sur la littérature romanesque du Moyen Âge classique. Consacrée à l’histoire du motif littéraire, celui du songe dans les romans des xii e et xiii e siècles, cette étude se propose d’analyser des rêves représentatifs dans la diachronie des genres narratifs de la période donnée, qui vont du roman antique au grand cycle en prose du Lancelot-Graal. L’introduction (11-21) témoigne, tout d’abord, de l’immensité et de la richesse du corpus: ayant pour but d’examiner les modifications qui ont affecté la conception du rêve, l’auteure choisit de commencer son analyse littéraire par des romans contenant des songes insérés pour aboutir au songe-cadre du Roman de la Rose, en passant, en plus des écrits d’inspiration gréco-latine, par les textes en vers d’inspiration orientale, tels que Cligès et Éracle, ou d’inspiration bretonne comme Tristant et Yseut, Le Bel Inconnu et Le Roman de Silence. M. Demaules intègre également dans son champ de réflexion le roman occitan de Flamenca et des textes dont l’écriture nourrit le roman naissant tels que Le Roman de Brut et Le Roman de Rou, ainsi que La Vie de saint Thomas Becket dont les récits de rêve sont nécessaires à la compréhension des songes du vaste ensemble de la prose arthurienne. Toujours dans l’introduction, l’auteure annonce son intention de soumettre les phénomènes oniriques à l’analyse en trois mouvements qui consiste à étudier le songe littéraire sous l’angle de la vérité et du mensonge dont on l’estimait porteur, sous l’angle de la représentation de la subjectivité et sous celui de la science analytique où le rêve est vu comme la réalisation d’un désir inconscient. Conformément au premier axe de lecture défini dans l’introduction, M. Demaules débute son étude par l’analyse du problème de l’expression de la vérité traditionnellement attribuée à l’expérience visionnaire, ce qui l’amène à dégager des constantes sémantiques et grammaticales de l’écriture du songe (23-112). En remarquant que les textes du corpus présentent trois mots pour référer au phénomène onirique, à savoir songe, avision et vision, l’auteure réussit à établir des distinctions entre ces vocables en considérant leur rapport à l’expression de la vérité. Sur ce point, elle constate que, contrairement au mot songe référant au caractère vrai ou mensonger de la scène onirique, l’emploi du terme avision confère au spectacle contemplé à l’intérieur du sommeil une valeur de vérité, alors que la notion de vision possède des connotations philosophiques et scientifiques qui la distinguent d’avision (50). Quant au mot rêve et le verbe qui y est lié, ils semblent entrer en usage à l’âge classique, quand le mot songe, véhiculant «une certaine idée de noblesse qui serait en porte-à-faux avec la nouvelle conception cartésienne du rêve» (68), tombe en désuétude. Par la suite, l’étude du vocabulaire des récits oniriques se double de celle de leur grammaire qui permet à l’auteure de démontrer, grâce à l’analyse des temps verbaux, que «l’écriture du songe joue de la mobilité et de l’instabilité des signes pour restituer l’impression de discontinuité et d’illogisme propre au monde du rêve» (106). Ainsi, à la fin du premier chapitre, le songe littéraire au Moyen Âge se présente comme un objet poétique paradoxal où un cadre rhétorique rigoureux ne nuit ni à l’authenticité onirique du récit de rêve ni à la saisie intuitive très profonde de ces mécanismes (112). Dans les chapitres qui suivent, M. Demaules s’attachera à montrer comment la rhétorique du songe, intriquée à la question du sens et de la vérité, s’est actualisée dans les différents genres narratifs des XII e et XIII e siècles. Consacré au récit de rêve dans le roman antique, le chapitre II (113-79) s’ouvre sur un constat d’ambiguïté de l’expérience onirique perçue tantôt comme signe des dieux, tantôt 307 Besprechungen - Comptes rendus comme une illusion trompeuse par les anciens. Partant de l’image de la porte de corne par laquelle sortent les songes vrais et de la porte d’ivoire, celle des rêves mensongers, présente déjà dans l’Odyssée d’Homère, l’auteure, s’appuyant également sur les écrits de Platon, note que «le rêve rejoint le mythe dans sa capacité à exprimer des réalités qui échappent au logos» (117). L’analyse des récits oniriques qui s’ensuit aborde, de ce fait, différents aspects de récriture des mythes antiques dans le roman médiéval qui vont d’une mise à distance des croyances anciennes à leur intégration sous la forme parfois inattendue de la mythologie celtique, comme c’est le cas, par exemple, du Roman de Brut de Wace. En clôture de cette partie, M. Demaules choisit d’attirer l’attention du lecteur sur les songes d’Ulysse, d’Hécube et d’Andromaque insérés dans Le Roman de Troie afin de souligner la fonction du rêve dans le roman antique qui consiste à conserver le contenu profond des mythes et à transmettre leur sagesse intemporelle. Notant l’apparition d’une attitude de réserve à l’endroit de la valeur de vérité du songe dans le roman antique, l’auteure jette par là-même le pont vers la matière de Bretagne qui témoignera à son tour du mélange de réticence et de séduction vis-à-vis du message du rêve. Un phénomène particulier du merveilleux où l’imaginaire retrouve des propriétés intrinsèques à l’onirisme fournira le cœur du chapitre III (181-238) consacré aux romans et aux lais arthuriens du XII e siècle. M. Demaules commence son investigation en constatant une certaine dépréciation du phénomène onirique dans les récits courtois, tels que les romans de Chrétien de Troyes dans lesquels le songe est souvent lié à la fable et au mensonge. Pourtant, après l’examen de la rime topique de songe/ mensonge chez le maître champenois, l’auteure arrive à la conclusion que le dédain affiché pour le récit de rêve «aboutit à l’épanchement de l’onirisme dans le merveilleux» (200). L’analyse des lais de Marie de France ainsi que des lais anonymes plaide également en faveur du traitement particulier du motif du songe présent à travers les aventures qui prennent place à l’intérieur d’un sommeil féérique ou à la place d’une absence magique du sommeil. Pourtant, l’auteure nuance vite le propos en remarquant avec justesse que, malgré le rejet généralisé du rêve oraculaire, «le roman versifié semble accueillir le récit de rêve dans la peinture de l’amour» (216). Voyant dans le songe amoureux une illustration typique de l’insomnium, songe illusoire, M. Demaules ne lui dénie pas, cependant, une certaine valeur prémonitoire, ainsi qu’une valeur de révélateur d’une vérité secrète qui le rapproche, sur ce point, de certains songes de la prose arthurienne. Dans les chapitres IV (239-326), V (327-430) et VI (431-510) de son ouvrage, l’auteure livre une analyse minutieuse des récits de rêve dans le cycle romanesque en prose du Lancelot-Graal en prêtant une attention particulière à deux œuvres de ce vaste ensemble arthurien qui élaborent l’origine et la fin de la sainte relique, à savoir Joseph d’Arimathie et la Queste del Saint Graal. Considérant la plupart des phénomènes oniriques de ces romans en prose comme songes inspirés, M. Demaules ouvre l’enquête sur les modèles narratifs du rêve-message, type de songe inséré le plus fréquent dans les œuvres non versifiées du corpus. L’établissement des liens des récits oniriques romanesques avec les songes royaux de la Bible et avec les rêves épiques et hagiographiques permet à l’auteure de mettre en lumière la visée spécifique du récit de rêve dans les romans en prose qui consiste non seulement à renseigner un héros sur son futur, mais aussi à dégager un enseignement spirituel et moral. Ainsi, d’un signe divin porteur de vérité, le songe devient «un signe divin hautement significatif, toujours porteur d’une vérité utile à méditer» (323) qui requiert une interprétation. L’analyse de la figure d’interprète et des méthodes interprétatives aboutit à la conclusion selon laquelle «le récit a ses moyens pour tempérer le didactisme de l’interprétation en assouplissant le manichéisme du langage symbolique et en métamorphosant l’exégèse en une aventure merveilleuse» (429), car, bien que le rêve contienne souvent un message religieux, il n’en continue pas moins à représenter tout ce qui a fondé le roman 308 Besprechungen - Comptes rendus arthurien. Ainsi le dernier chapitre consacré au cycle du Lancelot-Graal s’ouvre-t-il sur l’évocation des grands thèmes romanesques de l’univers arthurien symbolisés dans les songes. En analysant des récits de rêve sous l’angle de la psychanalyse freudienne, l’auteure découvre une sorte de contenu latent représenté par la problématique de la Table Ronde et des exploits terrestres des chevaliers, par le rapport de l’homme à la sexualité et à l’amour ou par les liens de l’individu à sa famille et à son lignage. À la fin du parcours centré sur la recherche des thèmes intemporels comme l’inceste avec la sœur, l’adultère féminin ou le meurtre du père dans les récits de rêve, M. Demaules note que les songes poétisés contribuent ainsi «à aimanter la complicité du lecteur qui reconnaît dans la prose romanesque une part de sa vérité inconsciente» (509). Dernier mouvement de l’analyse, chapitre VII (511-604) permet à l’auteure de s’intéresser au cas du Roman de la Rose où la fiction du songe guide la construction du sens de l’œuvre. En établissant des parallèles entre l’écriture allégorique et l’écriture du rêve qui «crée le principe de sa senefiance dans le même geste qu’elle organise sa semblance» (533), M. Demaules compare les esthétiques de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun ainsi que leurs conceptions respectives du récit onirique. Ainsi, les différences dans la conception du songe portent à voir dans l’expérience visionnaire de la première partie de l’œuvre un cadre qui permet au narrateur d’ouvrir sa sensibilité, alors que, par la suite, le songe devient la porte d’accès à la théorie et à la discussion philosophique. Pourtant, en dépits des points de vue divergents, le désir amoureux du narrateur reste, dans les deux cas, la source de l’expérience onirique qui a été compris «comme le modèle imaginaire de toute création artistique» (604). Pour sa conclusion (605-615), M. Demaules retisse les fils de son étude en dégageant quelques grandes lignes de l’évolution du songe au cours des XII e et XIII e siècles représentées surtout par une laïcisation du récit de rêve et une désacralisation à la fois de sa forme et de sa signification. En passant en revue toutes les fonctions du songe poétisé, l’auteure souligne encore une fois l’importance de son rôle de la porte d’accès à la dynamique inconsciente du texte qui a permis d’échanger l’expression d’un ailleurs, d’un au-delà qui l’inclut dans le champ d’un merveilleux particulier contre «l’expression d’un merveilleux intérieur à l’homme» (615). Une bibliographie thématique, une liste des songes commentés de la littérature romanesque des XII e et XIII e siècles ainsi qu’une liste des récits de rêve bibliques complètent cet excellent ouvrage. Claire, précise et étayée, l’analyse du récit de rêve fournie par M. Demaules s’impose d’ores et déjà comme un outil de référence dans le domaine des études du rêve médiéval. Tout juste peut-on regretter l’aspect quelque peu redondant de l’argumentation de certains passages ainsi qu’une légère incohérence de la liste des songes de l’annexe 1 qui ne tient pas compte de certaines œuvres romanesques, telles que Cristal et Clarie, Escanor ou Florimont, mais contient une description complète des rêves dans la Chanson de Roland. Mais ces détails insignifiants n’enlèvent rien aux qualités de cet ouvrage, qui, tout en initiant un large public aux mystères du rêve dans le roman français des XII e et XIII e siècles, fournit aux spécialistes des matériaux précieux et sûrs. Olga Shcherbakova ★ 309 Besprechungen - Comptes rendus
