Vox Romanica
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Francke Verlag Tübingen
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Kristol De StefaniHeinrich von dem Türlin, La Couronne, traduit et annoté par Danielle Buschinger, Paris (Champion) 2010, 699 p. (Traductions des classiques du Moyen Âge 83)
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Alain Corbellari
Marianne Derron Corbellari
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Heinrich von dem Türlin, La Couronne, traduit et annoté par Danielle Buschinger, Paris (Champion) 2010, 699 p. (Traductions des classiques du Moyen Âge 83) On reste pantois devant l’activité que continue de déployer l’insubmersible Danielle Buschinger (D. B.). Malgré sa retraite de l’Université de Picardie, les colloques qu’elle organise continuent de se succéder aux quatre coins du monde; quant à ses livres, ils se suivent et ne se ressemblent pas: en sus de travaux considérables sur la biographie et la correspondance de Richard Wagner dont elle s’impose comme une spécialiste incontournable en France, elle poursuit son œuvre de passeuse de la littérature médiévale allemande dans la culture française, en nous livrant aujourd’hui la traduction intégrale en français de l’un des plus importants et des plus longs (30’000 vers! ) romans arthuriens moyen-haut-allemands, dont il n’existe même pas, à l’heure actuelle, de traduction dans la langue de Goethe! On en trouve, il est vrai, une dans la langue de Shakespeare, que D. B. a sporadiquement consultée, mais il suffit d’ouvrir son livre pour comprendre qu’elle a dû bien souvent s’aider de ses seules lumières pour venir à bout d’un texte redoutable devant lequel même les spécialistes chevronnés de l’allemand médiéval doivent parfois confesser leur perplexité. On saura ainsi gré à D. B. de nous indiquer, avec une honnêteté scrupuleuse, tous les endroits où sa traduction est conjecturale: «le texte est incertain. Ma traduction est hypothétique», lit-on ainsi dans plusieurs notes, quand ce n’est pas carrément «texte incompréhensible» . . . Notons toutefois qu’elle met abondamment à profit les émendations proposées par l’édition de référence moderne (par Fritz Peter Knapp, Manuela Niesner, Alfred Ebenbauer et Florian Kragl, 2 vol., Tübingen 2000 et 2005). Vérification faite sur un échantillonnage significatif de ces occurrences, il s’avère presque partout aléatoire de faire mieux: on trouvera quelques maigres suggestions un peu plus loin. Mais assurément la réputation d’obscurité de ce texte souvent échevelé, voire fantasmagorique, n’est pas usurpée, et on peut gager que la traduction de D. B. est destinée à rester longtemps une référence! Diu Krone (La Couronne) date des environs de 1230 et nous a été livrée dans deux manuscrits seulement, dont un seul complet, le second ne comprenant que les 12’281 premiers vers: c’est dire la difficulté de la tâche de l’éditeur et du traducteur qui ne peuvent guère s’appuyer sur une tradition codicologique digne de ce nom pour résoudre les problèmes textuels qui se posent à eux. On est bien forcé de caractériser l’œuvre comme un roman du Graal, ce que ne manque pas de souligner D. B., tout en faisant remarquer à raison que l’objet graal n’apparaît en fait que fort peu dans le récit et y semble le plus souvent complètement oublié. Le texte, qui ne manque pas d’humour, est structuré par deux longues scènes, au début et à la fin, qui reprennent le motif de l’objet discriminant qui permet de tester la vaillance des hommes et la fidélité des femmes, connu dans la littérature française à travers les lais du Cor et du Mantel mautaillé, accessoires qui deviennent dans le texte allemand une coupe et un gant. On ne fera pas ici l’inventaire de tous les épisodes, dont Gauvain est généralement le protagoniste, sinon pour souligner par prétérition l’incroyable foisonnement des motifs qui apparaissent dans ce roman-somme, qui se réclame (en particulier au v. 8146) d’une source française: si D. B. voit dans cette revendication un simple hommage aux divers textes auxquels Heinrich a repris des motifs, nous serions pour notre part (au vu de certaines expressions obscures décalquées de l’ancien français: voir ci-dessous à propos du v. 25542) davantage enclins à postuler l’existence d’un roman français perdu. On signalera également que l’on retrouve dans La Couronne une version brève du «jeu du décapité» qui vient nous confirmer la vraisemblance de l’hypothèse d’une source française, également perdue, de l’histoire de Gawain and the green Knight, et l’on ne manquera pas d’attirer l’attention des lecteurs amateurs de sensations fortes sur les diverses «chaînes de merveilles» qui agrémentent les pérégrinations de Gauvain: on ne peut que rêver de ce qu’Heinrich von dem Türlin aurait pu réaliser s’il avait eu à sa disposition les moyens techniques d’un Geor- 340 Besprechungen - Comptes rendus ge Lucas ou d’un Steven Spielberg! Certains phrases sonnent même comme des règles de jeux de rôles, par exemple: «l’armure avait le pouvoir que quiconque la portait ne pouvait être vaincu et restait en vie malgré tous les enchantements» (614) ou: «celui qui devait l’emporter sur l’autre renonçait à toute aide magique» (ibid.). Pour l’étrangeté de son imaginaire, un seul roman français semble pouvoir être comparé à La Couronne: c’est, dans un registre il est vrai plus inquiétant et moins ironique, le Perlesvaus. L’introduction de D. B. contient tout ce que le lecteur francophone peut désirer savoir sur le texte; quant à sa traduction, elle est, comme on l’a dit, d’une honnêteté et d’une précision plus que louable, et son parti pris de privilégier l’exactitude plutôt que l’élégance se défend tout à fait, même si on aboutit à des formulations comme «Ce ne sera pas bon pour notre gloire si nous devons rester ici après qu’on nous aura fait miroiter une possibilité d’en acquérir» (v. 3243-46, 155) ou «Mais on peut bien reconnaître la disposition d’esprit d’un ami, si on ne tient aucun compte d’un réconfort secourable; on perd alors ce qui donne sa valeur à la joie: voilà tout ce qu’on y gagne» (v. 7204-09, 229). Les familiers de l’allemand médiéval reconnaîtront ainsi sans peine en Heinrich un disciple de Wolfram von Eschenbach (D. B. le souligne d’ailleurs à la p. 576). Quelques remarques cependant: - v. 335 et 386 (95 et 96): la traduction de Valoys par «Valois» est une étourderie sans doute inspirée par le souvenir de Gérard de Nerval et par le fait que D. B. avait déjà traduit par «Pays de Galles» (ce que désigne à n’en pas douter Valoys) le Gal du v. 332, terme qui s’applique à la Gaule et peut-être plus exactement, en l’occurrence, à la partie celtique de celle-ci, c’est-à-dire la Petite-Bretagne, par opposition au Britanie du même vers, qui s’applique à la Grande-Bretagne. - v. 1863 (124): vrye serait peut-être mieux traduit par «baron» que (trop littéralement) par «homme libre»; quant au «duc» du vers suivant, il est, contrairement à ce qu’imprime D. B., au singulier. - v. 1866 (id.): les conjectures de D. B. sont inutilement compliquées: gämelich n’est vraisemblablement qu’une contraction de gemeinlich, leçon qui est d’ailleurs celle du ms. P., ce qui rend superflu tout recours intempestif à l’idée de la joie ou de l’humour (fût-il noir). - v. 7951 (244): l’idée, reprise de l’édition allemande, que Torriure serait un néologisme inspiré du français torrent est peu vraisemblable phonétiquement. Bloch/ Wartburg soulignent d’ailleurs que le mot torrent, certes attesté dès le XII e siècle, est rare en français avant le XV e . - v. 10595 (295): here devrait plutôt être traduit par «téméraire». Quant à la suite de la phrase française («pour que je l’épargne»), elle développe d’une manière qui frise le contre-sens le sous-entendu du texte. Il faut selon toute vraisemblance comprendre «Nul n’est assez téméraire, croyez-moi, [pour oser m’affronter]». - v. 11087 (305): la note de D. B. est presque trop scrupuleuse: la solution «welche» (wälhischen) qu’elle adopte à raison ne peut sérieusement être concurrencée par vaelschlichen, «faux», qui ne fait pas sens. - v. 11282 (308): la traduction de halspein («os du cou») par «clavicule» ne pose aucun problème. - v. 15713 (391): la pierre en question est sans doute l’«aétite» ou pierre d’aigle (orthographe à préférer à «éthite» de D. B.). - v. 17433 (424): il faut comprendre «histoires villageoises» comme «bavardages». - v. 18144 (437): «mouette» est sans doute préférable à «bouquet». - v. 19606 (465): on pourrait conserver le texte du manuscrit en traduisant «par la punition que vous m’avez imposée». - v. 22094 (513): la graphie symphonie du texte original est remarquable, pour désigner l’instrument de musique dont la graphie la plus courante en français médiéval est chifonie. 341 Besprechungen - Comptes rendus - v. 23810 (546): le sens obscène est plus précis que ne le dit D. B, car ce qu’elle traduit par «corps» devrait plus exactement se traduire par «fourrure». - v. 24734 (565): la traduction de steinbock par «bouquetin» est possible (c’est encore son sens moderne), mais au vu du v. 25542 (580), où il est question, dans un calque approximatif de l’ancien français, du «chevalier à la bique», la traduction par «bélier» voire par «chèvre» serait, quoique moins noble, plus appropriée. - v. 28147 (628): on préférera à la traduction trop littérale de weltgot, «dieu du monde» celle de «[je me sens comme] Dieu sur terre». Alain Corbellari Marianne Derron Corbellari ★ Aimé du Mont-Cassin, Ystoire de li Normant, édition du manuscrit BnF fr. 688 par Michèle Guéret-Laferté, Paris (Champion) 2011, 688 p. (Classiques français du Moyen Âge 166). Le moine Aimé écrivit son Historia Normannorum entre 1078 et 1085 au Mont-Cassin. Cette source capitale pour l’histoire de la conquête normande de l’Italie du Sud a été perdue. Seule reste la traduction glosée en prose française qu’un Italien du Sud en a donnée au XIV e siècle, sous les Angevins. Jusqu’ici, elle était lue - très peu, à vrai dire, par les littéraires et les linguistes - dans la belle édition de 1935 1 . La nouvelle édition proposée par M. Guéret-Laferté au sein d’une collection jouissant d’une large diffusion éveillera, on l’espère, l’intérêt des spécialistes pour ce texte et les autres œuvres historiques qui l’entourent dans le seul témoin connu. L’Ystoire de li Normant est en effet conservée aux f. 125v°-199r° du ms. fr. 688 de la BnF, un recueil vernaculaire de textes historiques ordonnés avec soin dans le but de composer une histoire cohérente de l’Italie du Sud à travers les siècles: à la suite d’un prologue indiquant le commanditaire et ses attentes, le recueil aligne une traduction des Chronica d’Isidore de Séville (f. 1r°-11r°), celles de l’Historia Romana (f. 11v°-72r°) et de l’Historia Langobardorum (f. 72r°-125v°) de Paul Diacre, ensuite l’Ystoire de li Normant et une traduction de l’Historia Sicula (f. 199r°-212v°). Tous ces textes français sont dus, d’après les spécialistes, au même traducteur et forment dès l’origine une véritable compilation. Il n’est donc pas envisageable d’isoler l’Ystoire de son contexte de rédaction, dont le contexte matériel de conservation nous offre par bonheur un tableau fidèle. Eu égard à la tâche, l’éditrice consacre au texte une ample introduction (9-230). Elle y passe en revue le cadre historique dans lequel l’œuvre d’Aimé s’insère, insistant à juste titre sur le rôle culturel et politique joué par l’abbaye du Mont-Cassin dans la deuxième moitié du XI e siècle, notamment sous l’abbatiat de Didier (16-28). Suit un aperçu de l’activité d’Aimé (28-36), ainsi qu’une présentation de la traduction glosée (36-63). D’après l’éditrice, «tout concorde pour dater cette traduction aux alentours des années 1310-1315» (38-39), au vu de la référence au lieu de naissance du pape Clément V (1305-14) que s’autorise le traducteur de l’Historia Romana lorsqu’il rencontre dans sa source la ville de Bordeaux. La remarque, qui était aussi dans De Bartholomaeis (1935: xcviii-xcix), donnait tout juste, chez le savant italien, un terminus post quem à la traduction de l’Historia Romana. Ainsi, la question demeure ouverte, d’autant plus que l’éditrice ne semble pas connaître une étude stimulante parue en 1996, dans laquelle, sur la base d’une citation précise du chant V de l’Enfer de Dante repérée au sein de la traduction de l’Historia Romana (elle concerne Cléo- 342 Besprechungen - Comptes rendus 1 V. De Bartholomaeis (ed.), Storia de’ Normanni di Amato di Montecassino volgarizzata in antico francese, Rome 1935.