eJournals Vox Romanica 70/1

Vox Romanica
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2941-0916
Francke Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2011
701 Kristol De Stefani

Anika Falkert, Le français acadien des Îles-de-la-Madeleine. Étude de la variation phonétique, Paris (L’Harmattan) 2010, 308 p. + CD-ROM

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2011
Cristina  Brancaglion
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ailleurs, l’affirmation que l’on ne s’est intéressé que depuis une quinzaine d’années à la perception et à la représentation des variétés régionales par les locuteurs non-spécialistes (170s.) nous a étonné. N’était-ce pas déjà l’objectif des enquêtes menées à l’aide de la méthode du locuteur masqué (matched guise)? 5 Parmi les introductions aux différents français régionaux, la plus réussie me semble être celle, très complète, de la Suisse (H. N. Andreassen/ R. Maître/ I. Racine, «Le français en Suisse: éléments de synthèse», 213-31). Il est vrai qu’il s’agit là de la plus petite communauté francophone prise en considération. Il est beaucoup plus problématique de parler d’un français parlé en Amérique du Nord (J. Eychenne/ D. C. Walker, «Le français en Amérique du Nord: éléments de synthèse», 249-64). À nouveau, le chapitre introductif ne me semble pas assez rendre compte de la diversité du langage, le domaine en question comprenant le Québec, la Louisiane, l’Acadie, ainsi que la diaspora française en Amérique du Nord, sans parler des différences diastratiques à l’intérieur même du québecois. Décrire le français parlé en Afrique est encore plus difficile, car, pour la plupart des locuteurs, le français n’y est pas la langue maternelle. Si l’on y a ajouté le français parlé dans les départements et régions d’outre-mer, largement créolophones, cela ne fait que compliquer la tâche. Heureusement, l’auteur de la contribution correspondante (B. Akissi Boutin, «Le français en Afrique et dans les DROM: éléments de synthèse», 237-44) a eu la sagesse de se contenter d’une petite introduction générale, en renvoyant aux enregistrements et à leurs analyses sur le DVD pour les détails linguistiques. C’est la stratégie qu’ont également adoptée les auteurs qui se sont occupés du français en Belgique (P. Hambye/ A.-C. Simon/ R. Wilmet, «Le français en Belgique: éléments de synthèse», 203-08). Malgré toutes les critiques que nous venons d’adresser à cette publication, elle est tout à fait remarquable sur le plan scientifique et constitue un complément indispensable à la documentation disponible pour les français régionaux, notamment pour ceux hors de France. Quant aux analyses des différents enregistrements, elles sont faites avec beaucoup de compétence et de soin et avec un remarquable souci pour les détails. En revanche, je suis plus réticent en ce qui concerne les ambitions didactiques de cette publication. Jakob Wüest ★ Anika Falkert, Le français acadien des Îles-de-la-Madeleine. Étude de la variation phonétique, Paris (L’Harmattan) 2010, 308 p. + CD-ROM Les recherches sur le français en Amérique du Nord - le domaine francophone actuellement le mieux étudié du point de vue de la linguistique variationnelle - s’enrichissent d’une analyse très sérieuse et approfondie de la variété parlée aux Îles-de-la-Madeleine. L’ouvrage d’Anika Falkert contribue aussi à combler une lacune, en rendant disponible un corpus oral pour cette région qui n’en disposait pas encore, un corpus qui est maintenant accessible à tous ceux qui s’intéressent à ce sujet, étant donné que les transcriptions sont entière- 361 Besprechungen - Comptes rendus 5 Pour le domaine francophone, cf. D. Hoppe, Aussprache und sozialer Status, Kronberg/ Ts. 1976; C. Koller/ C. Müller, dans A. Kristol/ J. Wüest (ed.), Drin de tot. Travaux de sociolinguistique et de dialectologie béarnaise, Bern 1985, 155-84; D. Lafontaine, Le parti pris des mots. Normes et attitudes linguistiques, Bruxelles 1986; U. Bähler/ B. Christen/ J. Wüest, dans Wüest/ Kristol, op.cit., 141-61. Se sont également occupés du problème de l’insécurité linguistique: N. Gueunier et al., Les Français devant la norme, Paris 1978; P. Singy, L’image du français en Suisse romande. Une enquête sociolinguistique en pays de Vaud, Paris 1996. ment disponibles dans le CD-ROM qui accompagne le volume, où l’auteure propose aussi des échantillons de quelques enregistrements 1 . Cette recherche touche en particulier à la composante phonétique du parler des Îles-dela-Madeleine, qui est analysée dans une perspective comparative visant à situer cette variété de français par rapport aux autres parlers acadiens. Falkert décrit son Cadre méthodologique dans le cinquième chapitre (133-48), où l’on apprend que sa recherche se base sur une double enquête de terrain menée entre octobre 2003 et janvier 2004; cette enquête inclut d’une part les entretiens semi-dirigés de 22 locuteurs natifs de l’archipel et âgés entre 14 et 92 ans (les informateurs principaux), et d’autre part les résultats d’une enquête complémentaire sur questionnaire à laquelle ont répondu 88 témoins secondaires; l’auteure s’est en outre adressée à 18 informateurs occasionnels pour vérifier les données et pour obtenir des renseignements d’ordre socio-historique sur les Îles-de-la-Madeleine. Dans ce même chapitre, Falkert aborde la question de l’informatisation des corpus oraux, problème crucial en linguistique de corpus; c’est l’occasion de mettre en évidence les difficultés liées à la collecte et au dépouillement des données et de présenter les logiciels utilisés dans la transcription et l’exploitation du corpus. Le chapitre 6 présente le système phonétique de l’archipel (Description de la variation consonantique et vocalique, 149-97) en abordant, dans l’ordre, les consonnes et semi-consonnes, les voyelles orales et les voyelles nasales. Pour chaque phonème, Falkert offre des informations concernant sa distribution et ses réalisations; en outre elle a jugé nécessaire d’illustrer l’évolution historique des différentes réalisations des phonèmes et leur extension géographique, «pour éviter de considérer comme évolutions locales ce qui ressortit à l’héritage» (150). En fin de chapitre l’auteure consacre un paragraphe au phénomène de la diphtongaison, qui devient plus importante aujourd’hui dans l’archipel sous l’influence du français québécois, variété qui s’impose comme norme exogène à travers l’école et les médias. L’Interprétation de la variation phonétique est l’objet du chapitre suivant (199-249), dans lequel l’auteure analyse de façon plus détaillée quatre variables susceptibles d’être considérées comme des traits caractéristiques du parler de cette région, à savoir les variables R, AN/ ON,AI et J. L’analyse - qui prend toujours en compte l’évolution de ces phonèmes dans le français ou les parlers dialectaux de France et dans les autres variétés canadiennes, notamment acadiennes - examine plusieurs facteurs, intralinguistiques (environnement phonétique, catégorie grammaticale, effets lexicaux), extralinguistiques (âge, sexe, origine géographique, occupation) et cognitifs (réseaux sémantiques, représentations phonétiques). Il en résulte que la variation de R «fait ressortir un lien étroit avec l’âge des locuteurs. Par ailleurs, l’exposition à plusieurs variantes . . . semble avoir un impact non négligeable sur la variation intra-individuelle et entraîne la production de variantes concurrentes dans un même mot» (247). Quant aux voyelle nasales, leurs variation s’avère «plus restreinte que dans les autres parlers acadiens» et la neutralisation de l’opposition AN/ ON, influencée par l’âge des locuteurs, peut être interprétée comme «un trait de conservatisme dans le parler madelinot» (236). L’âge semble par ailleurs un facteur décisif dans l’ouverture de AI en [a] devant R final, «dans la mesure où les jeunes ont tendance à employer la variante standard, ce qui amène [Falkert] à dire que la transformation du timbre constitue un archaïsme» 362 Besprechungen - Comptes rendus 1 Le texte des entretiens avec les 22 témoins principaux est entièrement consultable dans un document pdf de 509 pages, dans lequel sont également précisées les conventions de transcription et les métadonnées. Les quatre extraits sonores, sélectionnés pour leur intérêt linguistique et ethnographique, concernent respectivement: la crise économique, l’exode vers le continent et la fondation des premières coopératives; la tradition de la mi-carême; la pratique de la pêche; le récit de la rencontre avec une baleine. (243). Finalement, la dernière variable analysée - la laryngalisation des fricatives post-alvéolaires - semble déterminée essentiellement par le facteur sexe, «les locuteurs féminins (à deux exceptions près) affich[ant] une nette prédilection pour la variante standard» (247) au contraire des locuteurs masculins qui ont recours plutôt aux variantes non standard. Dans le dernier chapitre (Traits phonétiques et morphologiques: pour une meilleure approche de la variation, 251-67), Anika Falkert met en relation ses analyses phonétiques avec la composante morphosyntaxique de la langue, afin «de vérifier si le domaine de la morphosyntaxe reflète la situation observable au niveau phonétique et de fixer la place du parler madelinot sur l’échelle d’un hypothétique ‹continuum acadien›» (252). Il en résulte une perte de certains traits traditionnels, que l’auteure compare à des phénomènes analogues relevés dans d’autres variétés acadiennes parlées en territoires québécois. Aux Îles-de-la- Madeleine, cette désacadianisation «se fait . . . d’abord sur le plan morphosyntaxique avant d’atteindre le niveau phonologique» et «mène à une covariation de formes acadiennes et de formes considérées comme appartenant au standard (québécois), tant au niveau interlocuteur qu’au niveau intralocuteur» (266). Ces sections, spécialement consacrées à l’analyse du changement linguistique, sont précédées de quelques chapitres liminaires qui apportent des informations sur le territoire étudié - en mettant à profit même les renseignements obtenus par les informateurs interviewés pendant les enquêtes - et définissent le cadre théorique de la recherche sur la variation linguistique. Un Survol historique et démographique (17-44) précise la situation géographique de l’archipel, retrace le passé de cette population et apporte des informations démolinguistiques utiles pour approfondir le rapport entre locuteurs anglophones et francophones. Pour mieux situer les locuteurs madeliniens, Falkert examine plus particulièrement la question identitaire en étudiant les représentations linguistiques de cette communauté sur la base des questionnaires soumis aux 88 informateurs secondaires; les résultats montrent «que l’identité composite de la population madelinienne englobe la mémoire des événements historiques, l’attachement au territoire et la valorisation du vernaculaire dont les locuteurs ne cessent de souligner le caractère particulier» (Les Îles-de-la-Madeleine - entre Acadie et Québec, 45-84, cit. 84). Le troisième chapitre est un État de la recherche (85-94) qui passe en revue de façon critique les études menées sur le français acadien et des Îlesde-la-Madeleine, à partir des premiers travaux descriptifs de la fin du XIX e siècle, tandis que le chapitre 4 illustre les Perspectives théoriques de cette enquête: l’auteure y rappelle les principales approches à l’étude de la variation linguistique et donne un aperçu détaillé des théories récentes concernant la variation phonétique, en considérant notamment les spécificités de l’étude du changement linguistique en contexte insulaire. On reconnaîtra à Anika Falkert le mérite d’avoir bien réussi à faire ressortir toute la complexité - aux niveaux théorique, pratique et technique - de la recherche sur la variation régionale du français oral et d’avoir par ailleurs montré l’intérêt de quelques démarches encore peu exploitées, non seulement à travers la mise en relation de la variation phonétique avec le lexique, la sémantique, la morphosyntaxe et la dimension identitaire, mais aussi par la prise en compte d’une dimension comparative limitée au contexte américain. En effet, comme elle tient à le souligner dans sa Conclusion générale (269-75), une comparaison avec le français «de référence» «relève d’une erreur méthodologique» (270) qui amène à une surévaluation des particularités régionales: celles-ci sont très souvent communes à plusieurs variétés de français et leur identification devrait se faire, comme le prouve la recherche de Falkert, sur la base de leur fréquence plutôt que du constat de leur présence/ absence. Cristina Brancaglion ★ 363 Besprechungen - Comptes rendus