Vox Romanica
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Francke Verlag Tübingen
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2012
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Kristol De StefaniJoëlle Ducos/Violaine Giacomotto-Charra (ed.), Lire Aristote au Moyen Âge et à la Renaissance. Réception du traité Sur la génération et la corruption, Paris (Honoré Cham - pion) 2011, 342 p. (Colloques, congrès et conférences sur le Moyen Âge 10)
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2012
Philippe Simon
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Joëlle Ducos/ Violaine Giacomotto-Charra (ed.), Lire Aristote au Moyen Âge et à la Renaissance. Réception du traité Sur la génération et la corruption, Paris (Honoré Champion) 2011, 342 p. (Colloques, congrès et conférences sur le Moyen Âge 10) Fruit de deux journées de réflexion convoquées en 2005 et 2006 à l’université de Bordeaux-III, le présent recueil s’attache à définir les variations - dans un spectre temporel s’étendant de Gérard de Crémone à Pierre de Ronsard - de la réception du De generatione et corruptione d’Aristote. Dans leur étude introductive (7-24), les éditrices, J. Ducos et V. Giacomotto-Charra, définissent les enjeux, en termes de traduction, d’interprétation, de réception et de diffusion, qui s’inscrivent dans «l’un des ‹mal aimés› du corpus» aristotélicien (7): il apparaît que - et ceci peut en partie être mis au crédit de la complexité des voies de diffusion du texte -, «[s]i la réflexion médiévale s’intensifie à partir des traductions aristotéliciennes, la réception de ce traité se développe aussi bien dans les encyclopédies que dans les commentaires philosophiques, voire dans la pensée politique du XVI e siècle» (8-9). L’article de P. de Leemans, «Alia translatio planior. Les traductions latines du De generatione et corruptione et les commentateurs médiévaux» (27-53), se propose de porter l’attention sur trois témoignages de la vivacité du fonds aristotélicien du Moyen Âge. Ces traductions, l’arabo-latine de Gérard de Crémone et la gréco-latine de Burgundio de Pise - qui sera révisée par Guillaume de Moerbeke -, fourniront aux commentateurs que P. de Leemans passe en revue (Albert le Grand, Thomas d’Aquin, Thomas de Sutton et Gilles de Rome) l’occasion selon lui de témoigner «d’une attitude ‹proto-philologique›» (53) manifeste dans leur souci de reconstruire les intentions aristotéliciennes par la confrontation des différents états de l’œuvre. B. Souchard concentre son analyse, «Le commentaire de Thomas d’Aquin du De generatione et corruptione d’Aristote: de la critique aristotélicienne des matérialistes à la critique thomasienne des spiritualistes» (55-83), sur le commentaire - inachevé - que Thomas apporte au traité aristotélicien quelques mois avant sa mort (1274). «L’écart entre le commentaire de Thomas et le texte original d’Aristote ne se mesure pas seulement à des exemples à connotation théologique ou à des précisions sur les rapports entre les catégories, il se tient aussi dans l’attention portée à tel ou tel auteur», écrit B. Souchard (76). De fait, si le Stagirite dialogue volontiers avec Empédocle ou Démocrite, Thomas convoque par exemple Héraclite, absent du traité. Au final, l’écart que réalise le commentaire avec le De generatione et corruptione peut être compris comme la divergence de réflexions prenant des voies opposées: de la physique à la métaphysique pour Aristote, de la théologie à la philosophie de la nature pour Thomas. Thomas fournit aussi matière à l’analyse de T.-D. Humbrecht, «Thomas d’Aquin s’intéresse-t-il à la physique? » (85-94), qui se donne pour intention tout à la fois de faire mentir le jugement d’Etienne Gilson assurant du peu de goût porté par Thomas à la physique, et de rendre manifestes les raisons de cet intérêt redécouvert. Pour T.-D. Humbrecht, le motif de Thomas est double: trouver «un ordre [spéculatif] qui rende mieux compte de l’objet de la science naturelle», et modeler «une certaine idée de l’aristotélisme, qui est celle d’un Aristote rendue compatible avec celle de la foi chrétienne et, partant, avec la raison» (94). B. Carroy, «Héritage et différence: Thomas d’Aquin et Albert le Grand commentateurs du De generatione et corruptione» (95-117), s’intéresse lui encore à Thomas, mais cette foisci dans le cadre d’une étude comparative de son commentaire et de celui qu’Albert le Grand avait apporté une vingtaine d’années plus tôt. Il ressort de l’analyse que les deux commentateurs ne travaillaient vraisemblablement pas sur la même version du traité aristotélicien et que leurs textes - par exemple au regard de leurs gloses respectives de la lettre d’Aristote - gagnent à être considérés comme indépendants l’un de l’autre. B. Carroy 241 Besprechungen - Comptes rendus conclut: «Il reste toujours possible que Thomas ait lu le commentaire de son ancien maître mais il n’y fait manifestement pas allusion» (116). J. Biard, «Les commentaires sur le De generatione et corruptione comme lieu de réflexion épistémologique dans quelques textes du XIV e siècle» (119-34), transpose la réflexion sur des commentaires plus tardifs, partant de celui de Gilles de Rome (vers 1274) pour faire le saut du XIV e siècle avec Jean Buridan, Nicole Oresme, Marsile d’Inghen ou Blaise de Parme. Il apparaît que les mutations qui affectent alors le discours sur les sciences naturelles impliquent que le De generatione et corruptione remodèle le débat en donnant naissance à des enjeux épistémologiques nouveaux: «Est-ce qu’il y a une science des engendrables et des corruptibles? » (121), se demandera ainsi Buridan. Une telle inflexion épistémologique, qui peut dériver vers une «interrogation sur l’évidence» (126) chez Oresme, semble être aux yeux de J. Biard un trait récurrent de l’activité des commentateurs de ce siècle. Dans l’article qui suit, «Le De generatione et corruptione et son environnement au ‹siècle d’or› des encyclopédies médiévales (1200-1250)» (135-73), I. Draelants met en lumière un bilan contrasté: le De generatione et corruptione est passé sous silence chez Alexandre Nequam et Thomas de Cantimpré. Il fait son apparition, de manière encore fugace, chez Barthélémy l’Anglais ou Arnold de Saxe, pour asseoir enfin son emprise dès Albert le Grand et Vincent de Beauvais, démontrant «à quel point la fonction de l’encyclopédie naturelle ou du commentaire philosophique naturaliste . . . se modifie entre 1230 et 1250 environ» (169). Pour clore cette partie du recueil consacrée au Moyen Âge, J. Ducos envisage dans son article, «Le De generatione et corruptione et les commentaires sur les Météorologiques» (175-97) les relations que le traité a pu entretenir avec une série de commentaires des XIII e et XIV e siècles portés sur le texte qui lui fait suite dans le corpus aristotélicien. Il s’avère que, dans ce contexte précis, le De generatione et corruptione a été pensé - et utilisé - comme cadre théorique aux Météorologiques: «L’utilisation du De generatione et corruptione . . . permet aux commentateurs de dépasser l’explication du phénomène pour l’intégrer dans une vision et une conception du monde» (194), conclut J. Ducos. Pour inaugurer la seconde partie du recueil, consacrée à la réception du traité aristotélicien durant la Renaissance, M. Rashed offre la première édition (201-48) de la traduction du De generatione et corruptione par Andronicos Callistos, conservée dans un manuscrit unique, le Laur. Plut. 84.11 (F). Cette traduction élégante, la seule à avoir été recensée pour le XV e siècle avec celle, plus ancienne, de Georges de Trébizonde, vaut surtout, selon M. Rashed, «comme exemple d’activité philosophico-littéraire dans l’entourage» (201) de Laurent le Magnifique. L’article de L. Bianchi, «Ludovico Boccadiferro, commentateur du De Generatione» (249-58), s’intéresse quant à lui à ce professeur de philosophie à Bologne et à Rome de 1515 à 1545, auteur d’un commentaire sur le De generatione et corruptione vraisemblablement extrait d’un cours tenu à Bologne en 1536. Encore nourrie de traits «scolastique[s]» (255), la lecture d’Aristote par Boccadiferro témoigne néanmoins, selon L. Bianchi, d’inflexions humanistes «en introduisant des sources, des problématiques et des procédures herméneutiques inattendues» (256). Dans son étude «Les deux versions (1505 et 1521) du commentaire d’Agostino Nifo sur le De generatione et corruptione» (259-68), L. Boulègues intègre un autre commentateur italien d’Aristote dans le débat: Nifo (1469-1538), qui enseigna successivement à Padoue, Naples, Rome, Pise et Salerne. L. Boulègues fait remarquer que la seconde version du texte est le fruit d’une stratégie apologétique: l’averroïsme du commentaire de 1505 ne pouvait survivre intouché aux mesures qui, dans les années 1510-1520, ont cherché à brider l’expression de telles thèses (L. Boulègues mentionne la Bulla Apostolici Regiminis de 1513 et la controverse sur l’immortalité de l’âme qui opposa Nifo à Pietro Pomponazzi en 1518). La 242 Besprechungen - Comptes rendus version de 1521 témoigne dès lors de quelques prises de distance qui s’inscrivent dans une démarche critique philosophique et philologique - donc humaniste -, mais qui reste toutefois «favorable, autant qu’il est désormais possible, à Averroès» (268). Au-delà du domaine strict des commentaires réservés à un lectorat spécialisé, l’influence du De generatione et corruptione au XVI e siècle doit également être évaluée dans les traités de physique destinés à un public plus large, comme ceux de Velcurio, Fox-Morzillo, ou Contarini, explique V. Giacomotto-Charra dans son article, «Un aspect de la réception du De generatione: la définition des éléments dans la physique vulgarisée du XVI e siècle» (269- 88). En se concentrant sur le traitement que ces texte réservent «à la question fondatrice de la définition des éléments, clef de l’ensemble du système physique du Stagirite» (272), il est possible d’affirmer que le traité aristotélicien y conserve une forte prégnance, mais que son interprétation, et plus particulièrement celle de son second livre, «est souvent orientée dans une perspective matérielle et biologique» (268) répondant au besoin de donner des éléments la représentation la plus tangible possible. I. Pantin, «Le De generatione et corruptione dans l’enseignement philosophique de Melanchthon» (289-302), s’intéresse quant à elle aux résurgences du traité dans la philosophie naturelle du Réformateur, résumée par ce dernier dans ses Initia doctrinæ physicæ de 1549. «[L]imitée mais irremplaçable» (289), l’influence du De generatione et corruptione, auquel Melanchthon ne se réfère explicitement que de manière parcimonieuse, tient davantage «dans l’esprit que dans la lettre» (299). Mais Aristote, soulignant le rapport qui existe «entre la perpétuation des espèces et les régularités cosmiques» (292), permet en tous cas à Melanchthon de bénéficier d’un socle sur lequel asseoir sa volonté d’une «justification rationnelle de l’astrologie» (id.). D. Couzinet place son article, «Un cas de réception du De generatione et corruptione dans la pensée politique du XVI e siècle: le concept d’alloiôsis dans le De Republica de Jean Bodin» (303-20), sous l’angle de la reprise de certaines notions du De generatione et corruptione que Bodin juge aptes à nourrir son discours sur la mutabilité des Républiques. Et plus particulièrement celle d’alloiôsis, qu’il propose comme équivalent grec à mutatio (altération partielle), elle-même opposée à conversio (changement). Au-delà de cet emprunt, il s’agit pour D. Couzinet de montrer que la conception bodinienne du corps politique comme corps mixte pensable par une philosophie naturelle est à la base même de sa réflexion. Pour clore le recueil, A.-P. Pouey-Mounou se pose dans son étude, «L’influence du De generatione et corruptione sur la poésie de Pierre de Ronsard» (321-35) la question de la persistance du modèle aristotélicien de l’altération chez le poète, en se concentrant sur deux de ses œuvres: l’Hymne de la mort de 1555 et le Discours de l’Alteration et Change des choses humaines (1584). A.-P. Pouey-Mounou remarque que si la terminologie aristotélicienne a tendance à se brouiller quelque peu chez Ronsard, ce brouillage confirme de manière paradoxale l’influence même du traité: «le poète trahit moins Aristote qu’il ne le retrouve, puisant dans les incertitudes de l’expérience et du langage les raisons de s’y référer» (334), remodelant ainsi un propos démonstratif en questionnement ontologique. En proposant des analyses profondes touchant à des domaines et des lectures extrêmement variés - et en s’ancrant à parts égales dans le Moyen Âge et la Renaissance -, ce recueil témoigne à n’en pas douter de l’extrême vivacité dont peut faire preuve la recherche sur la réception du De generatione et corruptione en particulier, et d’Aristote en général. Philippe Simon ★ 243 Besprechungen - Comptes rendus