eJournals Vox Romanica 71/1

Vox Romanica
vox
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2941-0916
Francke Verlag Tübingen
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2012
711 Kristol De Stefani

Karin Ueltschi, Le pied qui cloche ou le lignage des boiteux, Paris (Champion) 2011, 326 p. (Essais sur le Moyen Âge 53)

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2012
Marie-Madeleine  Huchet
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cher et récupérer, selon le contexte! Ils concèdent avoir maintenu certaines obscurités qui donnent lieu à des interprétations multiples et avouent s’être heurtés «à des mots inconnus, incompréhensibles» (101), mais ils n’ont pas reculé devant les grossièretés, voire les obscénités. On regrette l’absence d’un glossaire qui aurait été d’une grande utilité non seulement pour les linguistes et les dialectologues mais également pour tout lecteur des chansons de la poésie courtoise, qui est confronté ici à la rareté de la terminologie et à un lexique très peu coutumier. Le lecteur appréciera en revanche les tableaux et correspondances (102-18), particulièrement, les schémas métriques et rimiques ainsi que les listes des rimes fort commodes. Un index thématique eût permis des rapprochements non dénués d’intérêt: topos de la vieille femme édentée, de la matrone laide et repoussante, de la lépreuse, du laideron crasseux, ainsi que les métaphores érotiques ou à référent animal et les comparaisons dépréciatives. Le lexique de la nourriture renvoie au monde du quotidien, des paysans. Les allusions à une nourriture fortement connotée: ail, oignon, fromage, matons, harengs évoquent davantage les maigres repas des vilains que ceux de nobles dames dans la cour d’un château. Les épisodes de dispute, de coups, de bagarres et de grossièretés langagières relèvent de scènes de farces. En contrepartie, les trouvères des sottes chansons vouent un soin particulier à l’aspect formel de leur composition, à la syntaxe, à la métrique, ils «entretiennent ce jeu d’échos et de broderies» (57). Contre-texte de la canso courtoise, la sotte chanson privilégie la strophe isométrique et le vers décasyllabique. On détecte une similitude lexicale et thématique avec certaines pastourelles d’oïl et avec quelques pastorella occitanes, en particulier avec la pièce anonyme L’altrier cuidai aber druda (M.-C. Gérard-Zai (ed.), «Édition d’une romance parodique occitane», in: Studia occitanica in memoriam Paul Remy, vol. 2, Kalamazoo 1986: 53-63 [avec transcription musicale]), reprise dans l’anthologie de C. Franchi (Pastorelle occitane, Alessandria 2006: 312-17) ou avec la porchère, anonyme également, Mentre per una ribiera (Franchi 2006: 338-49). Une référence à la belle étude récente de C. Schuster Cordone, Le crépuscule du corps. Images de la vieillesse féminine, Gollion 2009, serait particulièrement judicieuse. Une bibliographie utile qui déborde le cadre étroit de la sotte chanson (221-31) et un index des noms propres (233-35), noms géographiques et sobriquets, essentiellement, complètent cette édition très attendue par les médiévistes et par les personnes curieuses de découvrir des textes médiévaux peu conventionnels et pratiquement inconnus. Marie-Claire Gérard-Zai ★ Karin Ueltschi, Le pied qui cloche ou le lignage des boiteux, Paris (Champion) 2011, 326 p. (Essais sur le Moyen Âge 53) Le projet que suit Karin Ueltschi (KU) dans cet ouvrage est de «remonter le chemin partant en l’occurrence du pied pour atteindre des complexes littéraires et imaginaires formant un réseau - une galaxie - de signifiances» (13). Dans un premier chapitre consacré aux mots, thèmes et motifs, l’auteure explore en premier lieu les champs lexicologiques et sémantiques. Elle met en évidence quelques éléments descriptifs concernant le pied et, à l’aide notamment de locutions, elle s’intéresse aux fonctions du pied. Les pages suivantes sont consacrées aux différentes sortes de chaussures. Le vocabulaire de la claudication est étudié avec le mot clochier, et ses variantes morphologiques: clop, clopin, clopier, clopiner, puis ses variantes sémantiques: tort, potencier, escacier, 336 Besprechungen - Comptes rendus contrais, afolez, boiteux. Le prénom Claude fait également l’objet d’une étude: KU rappelle le sens du jeu de mot fait sur claudicare et Claudius par Cicéron dans le De oratore, puis analyse le personnage de Claudas dans Merlin et le Lancelot en prose en faisant ressortir sa claudication métaphorique. La deuxième partie de ce chapitre s’attache au motif du boiteux dans le Conte du Graal. La lecture laisse apparaître plusieurs éléments importants: les liens entre Œdipe et Perceval, entre le roi Pêcheur et le forgeron Trébuchet, l’existence de lignées de boiteux, la présence de l’autre monde. Ces éléments ne sont pas fortuits puisque les continuateurs du Conte du Graal les ont repris et adaptés: on trouve dans Joseph d’Arimathie une lignée de boiteux ainsi qu’un roi mehaigné (Mondrain) capable de ressouder une épée brisée. Le deuxième chapitre s’attache à mettre en évidence des lignées de boiteux. Les deux personnages les plus marquants de cette lignée sont Œdipe et Judas. KU retrace les éléments du mythe relatés dans le Roman de Thèbes, puis leur reprise et adaptation dans le Perceval de Chrétien de Troyes et la Suite du roman de Merlin, et surtout dans les vies de Judas, qui inventent au traître une blessure aux pieds ou aux jambes et un destin de parricide et de fils incestueux. Le deuxième lignage étudié est celui du forgeron. Là aussi le point de départ de l’étude est la mythologie avec Vulcain, qui partage les mêmes traits qu’Héphaïstos: il travaille le fer et est affligé d’une claudication due à sa chute sur l’île de Lemnos. Il apparaît peu dans la littérature médiévale, contrairement à son pendant nordique appelé Wieland ou Völund, qui a appris son art chez les nains et qui servira de modèle à de nombreux forgerons dans les textes islandais mais aussi français, sous le nom de Galant. KU se tourne ensuite vers les personnages bibliques. Du meurtrier d’Abel, condamné à l’errance, émerge une lignée de forgerons (Tubalcaïn) et de boiteux: Noé d’après des légendes rabbiniques, Jacob, Mefibosheth, qui viendront enrichir la figure du juif errant dans les traditions orales. La troisième lignée étudiée dans ce chapitre est celle des éclopés. Elle est constituée d’une foule de personnages anonymes, traités parfois sur le mode comique, d’où émergent le couple composé de l’aveugle et du boiteux ainsi que les êtres aux pieds monstrueux. Le quatrième lignage rassemble des êtres marqués: le roux, le lépreux, le gaucher; autant de marques qui viennent redoubler celle de la boiterie. Dans le troisième chapitre intitulé «realia, mirabilia», KU s’intéresse au mélange du réel et de l’imaginaire à travers les métiers et les objets liés aux boiteux. Est d’abord évoqué le métier de forgeron, dont le patron, saint Éloi, a pour attribut le marteau. Le lien entre magie et fer est attesté par les objets que les forgerons fabriquent, souvent dotés de pouvoirs magiques. En témoignent non seulement les nombreuses épées magiques croisées au détour des textes littéraires, mais aussi les couteaux ou les poêles de fer des contes populaires. Le métier de cordonnier apparenté à celui de forgeron constitue une corporation importante au Moyen Âge, dont KU rappelle l’organisation et les règles pour ensuite décrire les étapes de la fabrication d’une chaussure. Les cordonniers sont peu nombreux dans la littérature sauf dans le domaine des fabliaux et des farces. Les chaussures qu’ils fabriquent sont souvent une métonymie du pied ou de toute la personne et sont parfois faees: elles servent dans des pratiques divinatoires concernant la fécondité ou bien symbolisent le pouvoir. Le monosandalisme se voit également investi de différentes valeurs: la transgression de celui qui garde un pied dans la vie et l’autre dans la mort, ou encore la mise en contact du pied (souvent le gauche) avec les forces infernales. Le monosandalisme est peu illustré dans la littérature médiévale contrairement aux vêtements bi-chromes et aux rayures dont M. Pastoureau a bien montré l’ambivalence et qui constituent pour KU une variante du monosandalisme. La dernière partie de ce chapitre est consacrée aux passages: la chaussure permet de passer d’un monde à l’autre avec des souliers magiques comme le fait Cahus dans le Perlesvaus. A contrario, l’absence de chaussures peut permettre la métamorphose comme dans le lai de Mélion. La chaussure est également associée à deux moments clefs de la vie: les noces et les 337 Besprechungen - Comptes rendus funérailles. L’évocation de l’autre monde amène KU à rappeler des éléments descriptifs de l’enfer, parmi lesquels on trouve la forge et la montagne d’aimant. Un dernier élément lié au passage est le cheval qui emporte son cavalier dans l’autre monde. Le quatrième et dernier chapitre intitulé «Seuils» revient sur la notion de claudication et son rapport avec le monde des morts pour s’attarder plus longtemps sur des variantes du boiteux. La boiterie vue comme une transgression permet d’évoquer certaines créatures comme les satyres et les equipedes dont le christianisme va s’emparer pour forger l’image du diable boiteux. Autres créatures particulières: les Pédauques, femmes aux pieds d’oie, que KU rapproche des femmes-cygnes, et le potencier, personnage du Conte du Graal, considéré par certains critiques comme le gardien du monde des morts. Dans un deuxième moment de ce chapitre, KU examine les variantes de la boiterie: le saut et la danse, celle-ci étant souvent liée au diable. Deux personnages retiennent l’attention de la médiéviste dans un troisième temps: il s’agit de Cendrillon et de la reine Berthe, la première pour son petit pied, la seconde pour l’inverse. La dernière partie du chapitre examine la royauté mehaignée avec les figures du roi Uterpandragon malade de la goutte aux pieds et du lion aux pattes sectionnées dans le Perceval. Ces deux infirmités font partie d’un cycle de la royauté qui passe par la mort puis la renaissance. Reste à savoir quel sens donner à l’infirmité. Si elle peut paraître un signe d’élection, elle est également la marque d’un manque de droiture morale et d’une transgression, comme l’atteste la lignée d’Œdipe. À la lumière de ces dernières remarques, KU étudie deux autres figures royales: la Manekine et le roi Pêcheur. La première se coupe la main pour éviter l’inceste, ce qui va restaurer la royauté. Le second, malade, règne sur un pays ruiné. Le chapitre s’achève sur la figure de saint Denis, lointain ancêtre de Dionysos. Les différentes caractéristiques du dieu grec recoupent ce que la médiéviste a mis en évidence sur les boiteux. Certains de ces traits se retrouvent chez saint Denis. Le lecteur, dans cette étude touffue qui repose sur un vaste corpus comprenant aussi bien des textes narratifs en ancien français que des sagas islandaises ou des contes, voit s’établir des liens intéressants entre des catégories de personnages, à première vue bien distincts. Mais il est parfois un peu perdu. Sans doute le recours à l’analogie, qui est au cœur de la démarche de KU (144), notamment dans le chapitre III, en est-il la cause. On perd de vue le sujet à force d’éloignement dans les ramifications. Il est dommage par ailleurs que les œuvres didactiques et religieuses aient été si peu utilisées dans la perspective d’une interprétation symbolique du pied. Elles auraient permis de mieux comprendre certains textes ou de renforcer les analogies repérées par KU. Par exemple, la lecture de l’homme comme microcosme propose des correspondances bien connues entre les quatre éléments, les humeurs, les qualités, correspondances enrichies plus tard par des liens avec les parties du corps 1 . Ainsi le pied était lié à la terre, qui elle-même était associée à la bile noire et à la qualité sèche et froide, ce qui éclaire les rapprochements relevés dans Placide et Timeo (26 et 232). D’autres systèmes proposent des associations entre le corps et les parties de l’âme, ce que fait Richard de Saint-Victor dans De statu interioris hominis en commentant Is. 1, 4-5. Les pieds correspondent dans son système au désir charnel 2 . On comprend mieux alors pourquoi certains auteurs du Moyen Âge préconisent de refroidir les pieds pour lutter cont- 338 Besprechungen - Comptes rendus 1 Cf. M.-T. D’Alverny, «L’homme comme symbole. Le microcosme» in: Simboli e simbologia nell’alto medioevo, vol. 1, Spolète 1976: 123-83. 2 «Scimus autem quia in humano corpore caput tenet summum locum, pes ipsum, cor medium et intimum. Caput liberum arbitrium, cor consilium, pes carnale desiderium. Caput toti corpori supereminet, et liberum arbitrium omni actioni presidet. Cor medium et intimum locum tenet, et salubre consilium vix de occulto erui et in secreto inveniri valet. Pes in imo jacet, et carnale desiderium per appetitum infimis inheret». Cité d’après l’édition de J. Ribaillier dans les Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge 34 (1967): 7-128 (65). re la luxure (233) ou qu’Aucassin considère que les pieds chez la femme sont le siège de l’amour (12). Précisons à propos de la citation de F. Delpech (192) que les pieds peuvent parfois désigner par euphémisme les organes génitaux de l’homme dans la Bible (Is. 6, 2; 7, 20). On lit par ailleurs dans le Miroir du monde un lien étroit entre pied, luxure et danse 3 , ce qui pourrait enrichir les pages consacrées à la danse (259-67). Quelques notes de lecture: p. 37: l’analyse du substantif estival, qui désigne une bottine, contient plusieurs erreurs qui viennent d’une confusion avec l’adjectif estival. Le premier vient du latin stipes et n’a donc pas de rapport avec l’été (cf. FEW 12, 271a). On lit une description précise de ce type de chaussures dans le Glossaire Archéologique du Moyen Âge et de la Renaissance de V. Gay (Paris 1887); p. 48 N176: Le Tresor de Brunetto Latini est cité d’après l’édition de P. Chabaille (Paris 1863) et non d’après celle de P. G. Beltrami, P. Squillacioti, P. Torri et S. Vatteroni (Turin 2007); p. 59-60: KU oublie de mentionner dans «la sphère des Claude» Jean Le Fèvre qui se présente comme claud dans une des versions du prologue précédant sa traduction du De vetula attribué à Richard de Fournival 4 ; p. 89: le mot chanc est dû à une erreur de lecture de l’éditeur P. F. Baum: il faut lire ch ũ ne, abréviation de cha(s)cune (Ms. B. N. f. fr. 181, f° 179c); p. 109: la source de la citation du Tresor est l’Historia Scholastica de Pierre Comestor, d’après l’édition citée plus haut; p. 113: la citation sur Jacob attribuée à C. Gaignebet est en fait tirée de la Bible (Gen. 25, 26); p. 118: corriger factos par facite dans la citation Hebr. 12, 13. p. 140: le lien entre luxure et lèpre aurait pu être étoffé grâce à l’ouvrage de C. Casagrande/ S. Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, trad. P.-E. Dauzat, Paris 2002: 235-36; p. 167-69: il est dommage de ne pas renvoyer à l’illustration (Tafel 99), tirée d’un manuscrit et donnant à voir un cordonnier au travail, utilisée par R. Forrer, cité par erreur sous le nom de Farrer (161 N75 et 309); p. 204-05: la citation de Ruth 4, 7-10 est présentée comme un rituel de demande en mariage. Or le geste d’enlever sa chaussure et de la donner indique le renoncement au droit de propriété (cf. Deut. 25, 5-10); p. 261 N139: les exempla d’Etienne de Bourbon sont cités d’après l’édition d’A. Lecoy de la Marche (Paris 1877). On les trouve dans celle de J. Berlioz, Tractatus de diversis materiis predicabilibus. Tertia pars, Turnhout 2006, III, VI, 60/ 99. Marie-Madeleine Huchet ★ 339 Besprechungen - Comptes rendus 3 Ms. B. N. f. fr. 1109, f° 224b: «La luxure des piés veons nous toute jour: il salent et trepent et dansent dusques a mienuit. Et moult leur plaist; ja n’en seront lassé». 4 La traduction de Jean Le Fèvre a été éditée par H. Cocheris, La Vieille ou les dernières amours d’Ovide, Paris 1861. Nous en proposons une nouvelle édition dans notre thèse, soutenue à l’École pratique des hautes études en 2010: De la Vieille de Jean Le Fèvre, traduction versifiée du «De vetula» attribué à Richard de Fournival. Étude et édition.