Vox Romanica
vox
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Francke Verlag Tübingen
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2012
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Kristol De StefaniMarie-Thérèse Lorcin, Les recueils de proverbes français (1160-1490). Sagesse des nations et langue de bois. Paris (Champion) 2011, 156 p. (Essais sur le Moyen Âge 50)
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2012
Gilles Petrequin
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Marie-Thérèse Lorcin, Les recueils de proverbes français (1160-1490). Sagesse des nations et langue de bois. Paris (Champion) 2011, 156 p. (Essais sur le Moyen Âge 50) Marie-Thérèse Lorcin (ci-après M-T L) donne modestement ce mince volume pour un essai, nécessairement partiel dans son enquête et provisoire dans ses conclusions. Le postulat de M-T L est que l’on peut regarder «chaque recueil [de proverbes] comme une œuvre en soi, et non comme la copie de précédentes versions» (8) et, par conséquent, qu’il est possible de considérer chacun de ces recueils «comme une œuvre à part entière et de trouver les particularités qui le distingue des autres recueils» (21). Cette enquête a également pour but de dresser un aperçu des mentalités véhiculées par les proverbes, en partant de l’idée que le genre parémiologique, regardé comme un genre littéraire à part entière, rend fidèlement compte du monde médiéval à l’époque de sa composition (XII e -XV e siècles pour le corpus étudié). La première réserve qu’il est permis de faire est que l’on aurait attendu que l’auteure nous dise précisément ce qui, à ses yeux, caractérise ce genre littéraire, donné comme allant de soi («Comme tous les genres littéraires, les proverbes . . .», 29), mais décrit par ailleurs comme «si hétéroclite» (148). L’ouvrage est divisé en deux parties. La première, «Les mots et les choses», la plus courte (29-60), entreprend de dresser un inventaire des thèmes abordés dans les proverbes du corpus (voir infra) afin de dessiner le cadre de vie qu’ils évoquent. La méthodologie employée dans les trois chapitres qui forment cette première partie est celle d’un comptage, à l’aide d’un programme informatique, des occurrences d’un certain nombre de substantifs, peu nombreux mais souvent répétés, censés dépeindre la toile de fond de la vie matérielle et culturelle des proverbes. La méthode est peu explicitée et, du reste, les tableaux qui sont censés résumer les résultats de l’enquête ne fournissent pas les substantifs eux-mêmes utilisés dans les textes mais des concepts onomasiologiques qui les subsument. Ainsi, il est par exemple bien difficile de savoir comment interpréter le fait que «Environnement naturel» présente «217 occurrences» et un pourcentage de 14,8%, dans le corpus ou encore que «Outillage» présente «252 occurrences» et 17,2% etc. On eût légitimement attendu un détail des objets matériels dénommés dans les textes et rassemblés par l’auteure sous l’étiquette Outillage, ensemble si hétéroclite qu’il recouvre à son tour les sous-thèmes suivants: «Travail, Maison, Costume, Divers» (34). La même réserve se doit renouveler pour tous les chiffres fournis, qui ne renvoient (sauf dans quelques cas, celui des animaux, 33) qu’à des concepts très généraux. Quoi qu’il en soit, en appliquant cette méthode du comptage des aspects matériels évoqués par les proverbes, le premier chapitre doit servir à planter le décor et le cadre de vie. Or on se trouve de suite en face d’un paradoxe: M-T L remarque d’emblée que les traits dénotant l’environnement naturel (29) ou la vie rurale (34) tiennent peu de place, alors que 90% de la population de l’époque devait être rurale. Les explications avancées, selon lesquelles «l’ostracisme à l’égard de certaines formules touchant de près la vie rurale [pourrait être dû] à un accès de purisme des auteurs» ou bien que «le thème des travaux agricoles leur a semblé [sc. aux auteurs] sans intérêt» (34), laissent rêveur. En réalité, on touche du doigt la faiblesse intrinsèque de la postulation de cet essai, selon quoi les proverbes permettraient de dessiner directement le monde de leur époque. Il eût été intéressant de se demander si les «auteurs» - que faut-il vraiment entendre par ce mot? - de «ce genre littéraire» étaient nécessairement en contact étroit avec le monde rural et si celui-ci constituait véritablement leur environnement, ou si nous n’avons pas plutôt affaire, dans la majorité des cas, à des clercs, citadins, pour qui les réalités rurales ne constituaient pas un quotidien de référence immédiat. L’autre limite de la méthode nous semble provenir du fait, du reste parfaitement noté par M-T L, que les substantifs qui font l’objet du comptage (et que l’on peut plus ou moins 340 Besprechungen - Comptes rendus empiriquement retrouver à travers les citations) «ont fréquemment une valeur métaphorique» (29). De ce fait, il apparaît que les proverbes rendent moins compte du monde matériel du Moyen Âge, dont on prétend tracer le tableau, que d’un univers mental, d’un imaginaire largement hérité, proche souvent de celui de la fable ésopique, où les animaux (le loup ou le corbeau), où les éléments naturels (la pluie qui n’épargne personne, l’eau qui dort, etc.) renvoient non pas à des référents extralinguistiques datés et localisés, mais aux éléments d’un enseignement codé, qui échappe à la contingence temporelle par l’appel à une sagesse intemporelle (nous y reviendrons). Le chapitre 2 (41-47) tend à résumer «la vision du monde» qui se fait jour dans les recueils du corpus. Cette vision, qui est de nature assertorique - il n’y a pas de place pour le doute, et c’est là précisément un trait de ce «genre littéraire» que l’auteure aurait pu souligner - cette vision peut se résumer dans l’impératif de la prudence, de la mesure en toute chose (l’antique nil nimis), qui permet d’éviter le malheur et de s’accommoder des revers d’une fortune capricieuse. C’est méconnaître la nature et la fonction propre des proverbes que de proposer comme un résumé du genre l’idée qu’ils «[semblent] fabriqué[s] à dessein pour un peuple impulsif et irréfléchi dont on redoute les initiatives» (47). Là encore, l’auteure ne semble pas voir que l’intemporalité du proverbe fait qu’il ne s’adresse pas spécifiquement aux hommes de son temps (est-on tellement moins irréfléchi au XXI e s. qu’au XIII e s.? ) mais à l’Homme même, considéré sub specie aeternitatis, à qui s’adresse la Sagesse des nations, celle des instructions sumériennes de Suruppak 1 , celle de Salomon, comme celle du vilain. Le chapitre 3 2 (49-60) «De si haut si bas», étudie dans un même moment le thème de la religion et celui du «bas du corps». Quant au thème de la religion (49-55), l’auteure note la place toute modeste des saints du calendrier et celle très conventionnelle de Dieu (dispensateur des grâces comme de la pluie). L’auteure commet un anachronisme surprenant en remarquant que les proverbes ne retiennent de la religion que «des rites secondaires comme la vénération des reliques et les pèlerinages»: c’est oublier que ces deux aspects de la religiosité populaire tenaient une place bien plus importante dans la vie quotidienne des hommes des XII e -XIII e s., que la confession ou la communion, qui ne venaient que d’être affirmées comme rites obligatoires, une fois dans l’année, lors du Concile de Latran IV (en 1215). L’essentiel de cette partie est consacré au rapport de dépendance entre les recueils de proverbes et la Bible 3 , qui fournit un modèle bien connu et largement imité. Le deuxième temps (55-60) est consacré à la trivialité qui se rencontre dans les proverbes, mais le propos est assez hétéroclite. L’auteure constate que les recueils de proverbes sont bien moins obscènes ou scatologiques que les recueils de fabliaux, pourtant contemporains et dont un exemple est donné. Ici se pose un problème de définition (que doit-on exactement entendre par obscène ou scatologique dans la mentalité des hommes des XIII e -XV e s.? ) et d’ac- 341 Besprechungen - Comptes rendus 1 Voir B. Alster, The Instructions of Suruppak.A sumerian proverb collection, Copenhagen 1974. 2 Notons que dans ce chapitre la méthodologie semble changer, puisque n’est plus évoqué le nombre des occurrences. Il est donc impossible de connaître la part relative de ces thèmes dans l’ensemble du corpus. 3 On se demande ce que l’auteure veut dire quand elle prétend (52) que l’ensemble que constitue la Bible a évolué au contact du «monde arabe» (sic). Faut-il comprendre la «Mésopotamie»? Dans ce cas il eût en effet été pertinent d’évoquer la filiation qui existe entre les plus anciens recueils de proverbes sumériens (par exemple les Instructions de Suruppak à son fils Ziusudra), qui servent de modèle à certains textes akkadiens, qui ont à leur tour inspiré la littérature hébraïque au moment de l’exil à Babylone. Au reste, il eût été important de distinguer les textes issus de la tradition juive (le Livre des Proverbes, ou des Paraboles, transmis en hébreu) de ceux transmis en grec, dans la seule version des Septante (La Sagesse de Salomon). ceptabilité des termes dénotant le bas ou le scabreux 4 . Déjà, plus haut (37) l’auteure avait qualifié de «grosses gaillardises» deux proverbes qui emploient les mots merde («petite merde concie grans braies»), et cul («entre dous seles chiet cul a tere»); dans les exemples cités dans ce chapitre (55-60), apparaissent les mots merde, cul et chier; cela suffit-il à faire de ces proverbes des exemples de grossièreté? C’est sans doute oublier un peu vite que ces termes crus n’avaient pas aux siècles passés (et encore au XVII e s.) une connotation aussi marquée que de nos jours. Le reste du propos de ce chapitre porte en outre sur l’image du vilain dans les proverbes et sur les propos misogynes, dont on ne voit pas bien le rapport avec la scatologie: ce que l’auteure qualifie de «propos d’une vulgarité stupéfiante» (59) nous semble, quant à nous, bien anodins («dessous blanche chemise il y a mainte brune hanche»). Il eût été plus judicieux de faire du thème de la misogynie, si important mais aussi si conventionnel, un chapitre particulier plutôt qu’un appendice à celui du «bas du corps». La seconde partie de l’ouvrage se présente comme une «Typologie des recueils de proverbes» (61-145). L’auteure récuse d’emblée la tentation d’un classement purement chronologique des recueils de proverbes qui constituent son corpus, classement qui aurait fait cohabiter des textes de natures par trop différentes. La typologie retenue est construite à la fois «à partir de la forme et du fond» (64), sans que soient clairement précisés à cet endroit les critères formels et de contenu retenus pour obtenir le classement. On comprend par la suite du propos que chaque ensemble est caractérisé par les thèmes qui se retrouvent majoritairement dans chaque ensemble dégagé. Quoi qu’il en soit, la vingtaine de recueils étudiés est classée en trois catégories, à quoi s’adjoint un appendice (les outsiders [sic]). La première catégorie «Les cahiers d’exercice pour écolier» (65-73) regroupe les Proverbia magistri Serlonis (vers 1150-70), les Proverbia rusticorum mirabiliter versificata, les proverbes de l’abbaye de Mores, le Manuscrit Rawlinson I et le Cahier d’un écolier d’Arbois. Cet ensemble est donc constitué de recueils qui avaient visiblement un usage didactique, chaque proverbe étant suivi de sa traduction en latin, ce qui tend à prouver que ces spicilèges étaient utilisés par les maîtres pour enseigner le latin à leurs élèves. La deuxième catégorie, la plus longuement étudiée (75-116), regroupe des recueils entièrement écrits en français «en vers pour [un] public dit courtois»; elle comprend quatre recueils: les Proverbes au vilain, les Proverbes au comte de Bretagne, le Respit del curteis et del vilain, les Proverbes en rimes. Le recueil des Proverbes au vilain (composé vers 1174-81), qui se présente comme une composition savamment articulée en un poème complet, est analysé en détail (77-90) quant aux thèmes véhiculés. La troisième catégorie, dénommée «Collections pour amateurs éclairés» (117-32), regroupe trois ensembles (Rawlinson II, Proverbes ruraux et vulgaux, et les Proverbes de Jean Miélot) qui se présentent comme de longues listes de plusieurs centaines de proverbes sans commentaires ni groupement en strophes. L’auteure fait une étude comparative des thèmes récurrents dans ces trois recueils, ce qui permet d’isoler celui de J. Miélot, qui «ouvre sur un monde différent» (121), notamment par la faune ou l’environnement social plus urbain et plus aristocratique qu’il documente (127). L’ouvrage se termine sur «quelques outsiders» (133-45), en un chapitre qui rassemble trois textes dont l’auteure avoue ingénument que le «seul point commun est que de nos jours, on hésiterait à les considérer comme des ‹recueils de proverbes›» 5 : les Proverbes d’Alain (traduction au XIV e s. 342 Besprechungen - Comptes rendus 4 Que l’on songe à une certaine branche du Roman de Renard ou aux fabliaux (que M-T L connaît bien): l’acceptabilité de nos ancêtres en ce qui concerne les «mos bas» et certaines descriptions était tout autre que la nôtre: c’est à cette aune qu’il faut juger les proverbes, et non subjectivement. 5 On notera que pour M-T L l’un des critères retenus est que les auteurs de ces recueils ont qualifié leur texte de proverbes (133), alors qu’il est dit (142) que le titre de Ballade des proverbes ne fut donné au texte de Villon qu’en 1845 par P. L. Jacob. d’un recueil latin du XII e s.), les Prouverbes mouraulx (vers 1400/ 1401) de Christine de Pizan, et la «Ballade des proverbes» de François Villon. L’étude proposée des textes d’Alain et de Christine de Pisan montre surtout que le monde de référence a changé, et que l’environnement de la cour tient une place plus importante que dans les recueils précédents. Le texte de Villon est courtement paraphrasé. Marie-Thérèse Lorcin rappelle en conclusion les limites de son entreprise, qui ouvre «quelques pistes de recherche», que de plus jeunes auront à cœur de mener plus loin en élargissant l’étude au-delà de la vingtaine de recueils en langue d’oïl qui constitue le corpus retenu (147). Elle appelle aussi à une «méthode de comptage plus rigoureuse», et on ne peut lui donner tort sur ce point. L’originalité de la composition des Proverbes au vilain est justement soulignée, mais il est sans doute abusif de tirer de ce cas la conclusion que tous les recueils de proverbes sont des «œuvres originales», non plus que du fait que les listes ne se recopient pas servilement les unes les autres. L’auteure rappelle que les proverbes se donnent pour but d’enseigner «la mesure, le bon sens» (148) et qu’ils privilégient la stabilité sociale sur la nouveauté, dangereuse par essence: c’est sans doute là leur finalité première, bien plus que de peindre leur époque. Le conservatisme social et intellectuel des recueils du Moyen Âge central (XII e -XIII e s.) évolue quelque peu au XV e s. (Miélot) traduisant l’évolution d’une société bouleversée par les épreuves, les mutations politiques et les progrès techniques. L’ouvrage se termine sur un «Glossaire» de treize notions (151), dont on ne voit pas trop l’utilité compte tenu du lectorat universitaire supposé de l’ouvrage: à quoi bon définir des termes aussi communs que allégorie, distique ou vernaculaire? Cette liste est suivie d’un «Index des noms propres», qui présente l’étonnante particularité de préciser au lecteur (le même que celui du Glossaire sans doute) que La Fontaine, Montaigne, Rabelais, Rousseau, Rutebeuf ou Villon sont des écrivains, que Charles VIII ou Louis IX ont été rois de France ou que la Raison est une allégorie. Achevons en relevant que la bibliographie laisse beaucoup à désirer tant sur que le fond que sur la forme. Des ouvrages cités dans le cours de l’ouvrage n’y figurent pas (manquent par ex. celui de Bakhtine 1970, cité p. 55; «La Sainte Bible, p. 597» [sic] citée p. 53); certaines références sont incomplètes (cf. la première référence: Le Roux de Lincy, Le Livre des Proverbes français, op. cit. [? ]). Les erreurs ne manquent pas: le tome «Le Moyen Âge» du Dictionnaire des Lettres françaises, revu par M. Zink et G. Hasenor, date de 1994 (et non de 1964). Signalons encore que l’ouvrage de Madeleine Jeay est daté de 2004 à la page 131 mais (correctement) référencé en 2006 dans la bibliographie; etc. On ne peut clore cette recension sans regretter le nombre inhabituellement élevé de coquilles et de négligences typographiques qui déparent l’ouvrage: manque d’espace après un point ou espace excédentaire; guillemets fermants à la place d’ouvrants, irrégularité dans la graphie de certains noms propres (54 Marcoul et Marcolf à deux lignes de distance); incohérences dans la façon de référencer les ouvrages de la bibliographie, etc. Quoi qu’il en soit, cet ouvrage apporte des vues intéressantes et propose un classement des recueils de proverbes qui mérite d’être repris et approfondi. Gilles Petrequin ★ 343 Besprechungen - Comptes rendus
