Vox Romanica
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Francke Verlag Tübingen
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Kristol De StefaniLe Jeu de la Passion de Francfort de 1493, présentation, traduction et notes par Guy Borgnet, Paris (Honoré Champion) 2012, 376 p. (Traductions des Classiques du Moyen Âge 90)
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Marie-Claire Gérard-Zai
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Le Jeu de la Passion de Francfort de 1493, présentation, traduction et notes par Guy Borgnet, Paris (Honoré Champion) 2012, 376 p. (Traductions des Classiques du Moyen Âge 90) L’auteur de cette présentation et de cette traduction est un spécialiste du théâtre religieux médiéval allemand, éditeur de deux Passions publiées dans cette même collection (n o 73) en 2006: Les Jeux de la Passion dans l’Allemagne du XIV e siècle: le Rouleau de conduite de Francfort et la Passion de Saint-Gall. G. Borgnet a eu l’heureuse initiative de permettre au lecteur francophone de connaître la Passion de Francfort de 1493, traduite pour la première fois en français. Le manuscrit unique, conservé aux Archives municipales de la ville de Francfort (Inventarbuch des Bartholomaeusstifts, Barth. Bücher VI 63), fut considéré comme perdu, victime de la Seconde Guerre mondiale, mais, en fait, il avait été mal catalogué et il fut retrouvé en 1975 par Bernd Neumann. Le manuscrit a le format habituel pour le théâtre religieux: 29,5 10,5 cm, écrit sur une seule colonne. Ce serait une copie du greffier du tribunal de Francfort, Johannes Kremer, qui indique la date de la copie: 1493 et donne pour titre à celle-ci: incipit laudus (sic) de passione domini nostri Jhesu Christi. La nécessité de cette copie s’explique par l’usure, les annotations et modifications apportées à l’exemplaire du manuscrit de 1467, lors de la représentation de la Passion en 1492. Le texte, divisé en deux journées, comprend 4408 vers et se termine par la Mise au tombeau. La langue de la copie appartient au francique rhénan. L’éditeur donne le plan détaillé de la Passion (11-14) et étudie les principales sources: le Nouveau Testament, avec une restriction cependant (c’est exclusivement l’évangile de Jean qui a été utilisé); de plus, un texte apocryphe, l’évangile de Nicodème a fourni de longs passages et a été «traduit de façon littérale» (15). Comme il est d’usage dans le théâtre religieux, notre Passion emprunte à ses devanciers: le Jeu des Prophètes vient de la Frankfurter Dirigierrolle (Rouleau de conduite de Francfort); la même fonction que dans le Rouleau de conduite est attribuée à saint Augustin qui, pour vaincre l’entêtement des juifs, veut faire jouer devant eux la Passion du Christ. On retrouve «la même fiction dramatique, le théâtre dans le théâtre, qui donne sa structure aux deux pièces» (15). Le rôle de commentateur des scènes capitales tenu par saint Augustin provient sans doute du Sankt Galler Passionsspiel, das mittelrheinische Passionsspiel der Sankt Galler Handschrift 919 (Passion de Saint-Gall, appelée également Passion du Rhin moyen). Le traducteur signale scrupuleusement dans les notes (305-65) les emprunts de notre Passion aux deux textes cités; il conserve le latin des didascalies et des textes liturgiques, en respectant les graphies de l’époque, et donne en notes la traduction en français. La bibliographie (64-70), fort utile pour un lecteur francophone, pourrait inclure l’ouvrage, très riche sur Marie-Madeleine, de Simone de Reyff 1 . Dans le chapitre intitulé «Structure et sens de la Passion de Francfort de 1493» (16-61), G. Borgnet analyse certaines particularités de notre texte. La pièce n’est-elle qu’un long sermon? Les interventions de Jésus dévoilent une «véritable stratégie de la parole» (17); elles sont consacrées à trois thèmes principaux: Jésus promet aux futurs apôtres qu’Il les fera pêcheurs d’hommes, Il ajoute que «celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres» et termine en disant «vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande». On constate une exacerbation du conflit entre Jésus et ses adversaires, unanimement qualifiés de juifs, dont la contestation est permanente et les injures incessantes. La Passion réserve une place importante à Marie-Madeleine: sa «Mondanité», - d’abord plongée dans le péché, elle est condamnée parce qu’elle s’adonne aux joies de la musique et de la danse, s’occupant trop de son corps - elle est devenue la proie du diable, ensuite sa 342 Besprechungen - Comptes rendus 1 S. de Reyff 1989: Sainte Amante de Dieu, Fribourg. conversion et sa repentance. Après la mort du Christ, Marie-Madeleine s’adresse au public pour lui demander de prier avec elle un Paternoster et un Ave Maria. La parole de Jésus dispose de relais sur la terre: ce sont des personnages qui incarnent la parole ici bas. «Ils sont à la fois dans le Jeu et hors du Jeu» (27). Le plus important de ces relais est saint Augustin; il prononce le Prologue et dirige le Jeu des Prophètes qui suit. Il intervient vingt-deux fois au cours de la pièce. Pratiquement toutes ses interventions se situent dans la Première Journée, une seule a lieu dans la Seconde Journée. Un groupe, tout au long de la pièce, combat la parole divine, ce sont les juifs, dont le chef est Gottschalg Synagogus. Les juifs qui se rassemblent autour de lui ne portent pas seulement des noms à consonance hébraïque, mais, comme le souligne G. Borgnet (37), également des noms qui rappellent ceux de la communauté juive de Francfort à l’époque de la pièce (Kalman, Lieberman Rabi, Malchus, Michelman, Sistelin, Vivelin, pour ne citer que quelques exemples). Les tourments infligés à Jésus par Schintekrae, Rackenbein ou Ruckenbein, Ribenbart et Springendantz sont longuement décrits. Le raffinement dans l’utilisation des détails finit par s’apparenter au sadisme et l’on peut constater une complaisance évidente à s’abandonner à cette cruauté et à cette brutalité. G. Borgnet s’interroge sur ces longues séances de torture et ces jeux sadiques, Jésus supplicié devenant l’objet d’un jeu infernal et malsain: doit-on exclure qu’il y ait une sorte de jouissance du metteur en scène à présenter la torture, jouissance complétée et redoublée par celle du spectateur? (51) La mort du Christ est une «mort-spectacle» (59): cette mort n’est pas seulement représentée, elle est commentée. Elle est à la fois «mise en images et mise en mots» (59). Le théâtre devient un théâtre de la cruauté, mais surtout un sacrifice propitiatoire. Dans cette Passion, les juifs ne peuvent être que l’objet d’une haine féroce, ils sont irrécupérables et devront supporter une malédiction éternelle; ils sont détenteurs d’une parole maudite, qui, si elle satisfait les bas instincts du public, finira par se condamner elle-même. Le procès de Jésus se transforme ainsi en procès des juifs, qui deviennent un peuple déicide. L’Empereur, encore appelé César, apparaît comme un protecteur et ami des juifs, il prête une oreille complaisante à leurs revendications et leur accorde son assistance. L’éditeur rappelle que cette protection spéciale est une allusion historique au statut des juifs en Allemagne au Moyen Âge: ils dépendaient directement de l’Empereur. G. Borgnet tente d’expliquer l’intérêt des autorités des villes (en Allemagne, Conseil de ville, Rat) pour ce genre de spectacles. On montre aux chrétiens sur la place publique une exécution, dont on leur dit que la responsabilité incombe à d’autres, on leur désigne les coupables. La parole maudite vient se greffer sur la parole divine et en altère le sens; elle prend une certaine autonomie et dégénère en parole sadique. Celle-ci, remarque l’éditeur de notre texte, risque de constituer alors le principal objet d’attraction pour le public. «Ce processus libère chez les spectateurs un antijudaïsme latent qui devient antijudaïsme virulent et même judéophobie» (61). On comprendra l’attitude prudente et réservée de l’Église face à ces dérives et ces excès. La traduction est complétée par des notes très pertinentes (305-65) et un index des personnages (367-72), mais les numéros des vers ne renvoient pas à notre texte, mais, malencontreusement, à l’édition de Richard Froning 2 . Marie-Claire Gérard-Zai ★ 343 Besprechungen - Comptes rendus 2 R. Froning (ed.), Das Drama des Mittelalters. Deutsche Nationalliteratur, Stuttgart 1891-92 (Reprint Darmstadt 1964): «Frankfurter Passionsspiel», 375-534.
