eJournals Vox Romanica 73/1

Vox Romanica
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Francke Verlag Tübingen
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2014
731 Kristol De Stefani

Olivier Delsaux, Manuscrits et pratiques autographes chez les écrivains français de la fin du Moyen Âge. L’exemple de Christine de Pizan, Genève (Droz) 2013, 615 p. (Publications romanes et françaises cclviii)

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2014
Maria  Colombo Timelli
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Besprechungen - Comptes rendus 345 1 Voir les travaux de S. Di Stefano, T. van Helmeryck. Sur les manuscrits autographes en particulier, Olivier Delsaux semble devoir beaucoup à Gilbert Ouy dont il a su reprendre et pousser les analyses et préciser la terminologie. 2 Le manuscrit de manufacture autographe «désigne le manuscrit qui n’est pas transcrit de la main de l’auteur (manuscrit autographe), mais pour lequel l’auteur est intervenu dans la production matérielle», p. 57. 3 B. Cerquiglini, Éloge de la variante. Histoire critique de la philologie, Paris 1989. 4 Fl. Bouchet, Le Discours sur la lecture en France aux XIV e et XV e siècles. Pratiques, poétique, imaginaire, Paris 2008. 5 H. Haug, Fonctions et pratiques de la lecture à la fin du Moyen Âge. Approche sociolittéraire du discours sur la lecture en milieu curial d’après les sources narratives françaises et bourguignonnes (1360-1480). Thèse de doctorat, Université catholique de Louvain 2013. Olivier Delsaux, Manuscrits et pratiques autographes chez les écrivains français de la fin du Moyen Âge. L’exemple de Christine de Pizan, Genève (Droz) 2013, 615 p. (Publications romanes et françaises cclviii) «La philologie du XXI e siècle sera une philologie de l’escripvain ou ne sera pas». C’est par la reprise détournée de cette péroraison que l’on retrouve dans le récit surréaliste Nadja - «La beauté sera convulsive ou ne sera pas» - ou encore attribuée à André Malraux - «Le XXI e siècle sera religieux ou ne sera pas» - qu’Olivier Delsaux clôture sa propre étude, Manuscrits et pratiques autographes chez les écrivains français de la fin du Moyen Âge, fruit de sa thèse de doctorat. Au lecteur herméneutique de se poser la question à rebours s’il ne s’agit là que d’un simple pastiche ou si l’ambition d’O. Delsaux n’est pas humblement comparable à celle du dogmatique André Breton ou de l’humaniste politologue André Malraux. Car la portée prophétique de cette sentence signale dans tous les cas un changement, une petite révolution à venir, que ce soit dans le champ littéraire, éthique ou comme ici dans celui de la philologie. Olivier Delsaux n’entend-il pas à son tour marquer un tournant dans son domaine épistémologique ainsi que dans le champ de la recherche sur la littérature du moyen français? L’introduction (11-31) et le chapitre préliminaire (33-61) ont le mérite de situer cet apport grâce à une mise au point, portant sur la recherche philologique médiévale et en moyen français, et aussi grâce à des précisions terminologiques particulièrement utiles pour suivre l’analyse du philologue. Cet état de la question est étayé par un appareil de notes très dense dans ces deux premières parties et qui ne permet pas toujours à O. Delsaux de développer au mieux les enjeux du rapprochement établi avec les références signalées et qui lui fait frôler le péché d’érudition. De par une méthode interdisciplinaire des plus récentes 1 , dans laquelle les recherches sur le contexte historique et sociologique de production (histoire du livre), l’imaginaire du texte (littérature), la matérialité du manuscrit (codicologie, paléographie, archéologie) s’entrecroisent et finissent par former une idée précise du travail de l’auteur d’un manuscrit autographe ou de manufacture autographe 2 , la contribution d’O. Delsaux permet d’enrichir le modèle philologique de Bernard Cerquiglini, qui interroge avant tout les variantes du manuscrit ou réécritures pour notre auteur (66-67) 3 . Cette étude lui permet de distinguer plusieurs rôles endossés par l’auteur-scribeur de la fin du Moyen Âge, celui de rédacteur (chapitre 1), de réécriveur (chapitres 1 et 3), d’éditeur (chapitre 2), de transcripteur (chapitre 3), de publicateur, manufacteur et validateur (chapitre 3). Il s’agit donc bien d’une philologie de l’escripvain que pratique O. Delsaux dans cet ouvrage et son étude complète bien du point de vue de l’auteur, les récentes recherches menées par Florence Bouchet sur le lecteur de la fin du Moyen Âge dans cette même perspective interdisciplinaire 4 , ainsi que la thèse récemment soutenue par Hélène Haug 5 . Dans le premier chapitre, Le manuscrit de composition (69-199), le chercheur montre que le changement axiologique de la lecture - qui passe d’annotative, scolastique (induisant Besprechungen - Comptes rendus 346 6 Sur la notion de «posture», voir J. Meizoz, La Fabrique des singularités. Postures littéraires II, Genève 2011 et sur celle d’ethos, voir D. Maingueneau, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris 2004: 203-21. dès lors une composition fragmentée, inachevée) à une forme linéaire et globale entraînant alors une réaction de composition linéaire -, la rapidité de l’écriture cursive, le refus des contraintes de la dictée (coûts, inflexibilité du moment de la composition, lenteur de la copie, etc.) apparaissent comme des arguments historiques en faveur du développement de la composition autographe. Devant l’absence matérielle effective des manuscrits de composition, qui incluent les manuscrits de premier ou second jet, il choisit d’emprunter à la notion d’imaginaires, en interrogeant les textes pour tenter de découvrir les raisons qui ont pu pousser un auteur à écrire de sa propre main. C’est donc plutôt l’aveu de l’acte de composition ou son absence qui sont observés dans ce chapitre. Cette faiblesse avouée du support de l’étude se répète dans le chapitre II, Le manuscrit d’édition (201-22), si bien que l’on peut se demander si O. Delsaux n’aurait pas mieux fait de choisir un plan axé autour des rôles de l’auteur-scribeur plutôt que des types de manuscrits un peu artificiels puisque manquants ... Les belles pages consacrées à cet imaginaire de l’escripvant, au sens humble de celui qui écrit (97-158), nous font découvrir un panel de mises en scène allant du secrétaire ou du scribe, voire de l’évangéliste - qui permettent aux auteurs de se couvrir de la reconnaissance officielle de leur métier respectif (97-100) -, à celles de l’écrivain solitaire (100-29) et de l’homme de plume (129-44) qui apparaît avec Pétrarque et qui met en avant la faculté intellectuelle des auteurs. Devant la finesse de l’analyse littéraire d’O. Delsaux, nous ne pouvons qu’émettre une petite réserve, lorsque ses exemples fictionnels ou lyriques viennent étayer sans nuance des conclusions à caractère empirique, faisant d’une mise en scène discursive ou lyrique, comme celle de l’amant, une attitude, une «posture» réelle d’auteur ou de poète. Anticipant pourtant cette critique à la page 86, le chercheur aurait peut-être gagné à distinguer entre posture d’auteur et ethos 6 de personnages. Il nous est impossible de relever chaque point soulevé par O. Delsaux. Nous noterons donc seulement quelques conclusions de ce chapitre: si intérêt il y a pour le caractère autographe d’un texte de composition en cette fin de Moyen Âge tant pour les auteurs que pour les lecteurs, il s’agit d’un intérêt philologique et non d’une «sublimation», à l’image de la relique, du document autographe. La copie autographe apparaît simplement comme la plus fidèle à ce qu’a voulu dire l’auteur et à la manière dont il a voulu le dire. Le manuscrit d’édition (chapitre II, 201-22) apparaît comme une copie soignée censée servir de miroir au futur manuscrit de publication. Il peut donc tout à fait s’agir d’un manuscrit de composition à fonction d’édition. La brièveté du chapitre témoigne du peu de sources dont on dispose à notre époque et le danger est alors grand de tomber dans la spéculation ou le «possible» (560). Mais les quelques exemples proposés par O. Delsaux (celui de l’Epistre Othea, 209-11, dont la mouvance formelle des différents manuscrits de publication peut offrir un miroir en négatif de la mouvance du manuscrit d’édition) permettent de montrer que l’action de transcription autographe d’un manuscrit d’édition, bien que laborieuse et lente, s’explique assez bien par un souci d’exactitude, une volonté de limiter le nombre de fautes qui pourraient survenir lors de la transcription par un collaborateur, compte tenu de caractère cursif et peu soigné de l’écriture de composition. O. Delsaux conclut à un geste autographe dépourvu de valeur auctoriale. Cependant, est-il exclu de penser que cet acte de transcription autographe à ce stade charnière de la production, même non revendiqué et non systématique, pourrait être le reflet d’une volonté, certes philologique, mais tirant malgré tout vers l’idée de supervision intellectuelle, dans laquelle l’auteur souhaite garder le contrôle sur la langue, la mise en forme et le contenu de son texte? Besprechungen - Comptes rendus 347 Le troisième chapitre, le plus fourni, concerne Le manuscrit de publication (223-543). C’est ici que la spécificité de la fin du Moyen Âge quant à la manufacture autographe se fait plus palpable. Le nombre de copies que les philologues ont reconnues comme autographes ou de supervision manuelle auctoriale (acquérant dès lors une valeur autographe dans l’esprit de la production livresque médiévale) atteste d’un développement d’une pratique que l’étude des contextes historique, culturel et sociologique français permet en partie d’expliquer. En effet, l’apparition d’une institution telle que les scriptores regis sous le règne de Charles V, et dont les scriptoria privés sous le Paris de Charles VI sont la continuation à l’échelle princière, ressert le lien entre le pouvoir et la littérature et confère reconnaissance et fonction officielles aux divers acteurs de la chaîne livresque. Ainsi le scribe, dont l’activité de transcription était jusque-là considérée comme servile, devient un maillon essentiel dans la transmission du savoir et de la culture. L’art d’écrire obtient ses lettres de noblesse, ce qui aboutira à la naissance de scribes-auteurs comme David Aubert et inversement d’auteurstranscripteurs comme Christine de Pizan (234-63). De même, les troubles politiques rendent instables l’approvisionnement en matières premières et incitent les auteurs «indépendants» (liés à un prince par le système de don et non à une institution, comme Christine de Pizan) à ne dépendre que d’eux-mêmes et à diminuer les coûts de la production du manuscrit en se dispensant entre autres des services d’un scribe (318-28). Et enfin, le mouvement humaniste a pu rendre les auteurs attentifs aux fautes de copie commises par les «mauvais scribes», à l’instar des propos de Pétrarque, ce qui a permis de développer chez eux un certain souci «préphilologique» (360). On regrette ici légèrement qu’O. Delsaux ne convoque principalement que des auteurs fortement liés aux milieux curial ou humaniste et, dans cette contextualisation générale, on note l’absence de noms comme ceux de Thomas de Saluces ou Jean de Courcy, qui auraient pu alimenter l’argument en faveur du rôle de la dévotion moderne et de la privatisation de la foi dans le développement de l’autographie. Si l’évolution de la société permet d’expliquer la multiplication des copies autographes, O. Delsaux pose ensuite la question de la valeur et des enjeux qu’accordait un auteur à sa transcription autographe. L’examen philologique des copies autographes de Christine de Pizan, qui apparaît comme le cœur même de cet ouvrage, témoigne généralement d’un nombre de fautes de copie passives moins important que dans celles déléguées à ses collaborateurs. Même si l’analyse que fait O. Delsaux des réécritures directes ou indirectes opérées par Christine de Pizan sur ses manuscrits de publication ou d’édition autographes semble parfois laisser de côté un peu trop rapidement d’autres possibilités d’interprétations, l’exemple de cette auteure montre que l’activité de transcription ou de vérification autographe avait essentiellement pour but d’éviter la corruption du texte. Elle n’est pas encore le lieu d’une expression créatrice auctoriale mais un acte mécanique, puisque les traces de son passage (corrections, nota bene, etc.) sont effacées et que la transcription de certains éléments stratégiques du texte comme le péritexte (titre, rubriques, table des matières, etc.) ou les seuils (colophon, signature, etc.) peut être déléguée. Là où le bât blesse, c’est quand l’urgence induite par la situation de don détermine bien souvent le choix de déléguer ou non une tâche. En s’efforçant de combiner réflexions générales et cas particulier d’auteure autographe (Christine de Pizan), O. Delsaux offre une belle étude complète aux perspectives à la fois diachronique et synchronique, et où les regards affinés du moderniste et du médiéviste sur la notion d’autographie s’alimentent réciproquement. On remarque simplement l’absence d’annexes qui illustreraient parfois plus agréablement les analyses philologiques. Delphine Burghgraeve H