eJournals Vox Romanica 74/1

Vox Romanica
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2941-0916
Francke Verlag Tübingen
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2015
741 Kristol De Stefani

Les Enfances Louis, le Charlemagne furieux ou la Chanson de la reine Sebile: notes sur la biographie poétique de Charlemagne à partir d’un fragment épique conservé à Bruxelles

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2015
Mattia  Cavagna
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Vox Romanica 74 (2015): 99-123 Les Enfances Louis, le Charlemagne furieux ou la Chanson de la reine Sebile: notes sur la biographie poétique de Charlemagne à partir d’un fragment épique conservé à Bruxelles 1 Résumé: The chanson de geste known as Chanson de la reine Sebile or Chanson de Macaire seems to have been widely known during the Middle Ages, as far as it can be judged from its indirect tradition and its translations. Nevertheless, except for some fragments dispersed in Switzerland, England and Belgium, the French version has been lost. The fragment kept in Brussels, at the Bibliothèque Royale de Belgique, presents a very interesting episode, which gives, to some extent, the key to understanding of the whole geste. Starting with a very close analysis of the Belgian fragment, this article suggests a new reading of this little known geste and some new hypotheses about its origin, its inspiration and the way it reflects the 12th-century political context, in the reign of Philip II of France. Key words: Medieval French literature, Medieval epic, Romance Philology, Chanson de geste, Reine Sebile, Macaire, manuscript fragment, codicology 1. Entre roman et épopée Durant la deuxième moitié du XII e siècle, la tradition épique française connaît une série de changements radicaux qui affectent à la fois les modalités de composition et transmission des chansons - certaines d’entre elles sont enfin mises par écrit et confiées à une tradition livresque - et leur contenu. Les chansons de geste composées à cette époque s’enrichissent de motifs et de thèmes qu’elles partagent avec des textes appartenant à d’autres genres littéraires, notamment les romans. Pendant longtemps, la critique a institué un rapport univoque d’influence du roman sur la chanson de geste en parlant d’emprunts. Une telle vision a été définitivement mise de côté grâce surtout aux travaux de Sarah Kay 1995 et de Bernard Guidot 2008: 29-46: aujourd’hui, on a tendance à considérer que les deux genres ont connu une évolution parallèle en intégrant des motifs et des thèmes qui ont été différemment déclinés et exploités par les auteurs. Cet article se propose d’attirer l’attention sur une chanson relativement peu connue: la Chanson de la reine Sebile, ou de Macaire, dont la version française en alexandrins, que l’on peut dater de la fin du XII e siècle, nous est parvenue dans un état fragmentaire. L’analyse de deux laisses conservées dans un fragment de la Bibliothèque Royale de Belgique me permettra de souligner, d’un côté, l’intérêt et 1 Je remercie chaleureusement Yan Greub et Andrea Martignoni pour leurs suggestions précieuses qui m’ont permis d’améliorer cet article. Je remercie aussi Jean-Claude Mühlethaler qui m’a donné des indications éclairantes à un moment tout à fait crucial de sa préparation. Mattia Cavagna 100 2 Foehr-Janssens 2000: 171-220; cf. aussi Colliot 1970 et 1984. 3 Adenet le Roi, Berte aus grans piés, ed. Henry 1963 et 1982; Mainet, ed. Paris 1875. 4 Les trois chansons sont intitulées Berta da li pe grandi, Karleto et Macaire. Cf. La Geste Francor, ed. Zarker Morgan 2009. 5 David Aubert, Croniques et conquestes de Charlemaine, ed. Guiette 1940: 16-17. la valeur de ce texte, tant au niveau formel que thématique, et me donnera l’occasion, d’autre part, de formuler quelques hypothèses sur son origine ainsi que sur sa place dans le panorama épique français du Moyen Âge central. 1.1 La biographie poétique de Charlemagne À l’intérieur du cycle du roi, la Reine Sebile doit être rangée dans un groupe de textes qui se rapportent, selon le label retenu par F. Suard, à la «biographie poétique de Charlemagne» (Suard 2011: 199-205). Les autres chansons faisant partie de ce groupe entretiennent des liens assez complexes avec notre chanson. Mainet raconte l’enfance de Charlemagne alors que la célèbre Berte aux grans piés parle de sa mère, la fille du roi de Hongrie, épouse de Pépin. Bien avant la naissance de son fils, Berte subit une terrible mésaventure, car elle se fait remplacer par une sosie, si bien que sa place à côté du roi est usurpée. Elle ne parviendra à la récupérer qu’après de nombreuses péripéties. La chanson a été magistralement étudiée par Yasmina Foehr-Janssens qui a approfondi le thème de la femme injustement persécutée 2 . Ce thème structure également la chanson qui m’intéresse et qui parle de la femme de Charlemagne, appelée Sebile (Sybille): à cause d’un complot ourdi par Macaire, qui est amoureux d’elle, la reine a été injustement accusée d’adultère, répudiée et envoyée en exil. C’est en Hongrie qu’elle donnera naissance à l’héritier de Charlemagne, Louis, avant de rejoindre son propre père, l’empereur Richer de Constantinople. 1.2 Tradition manuscrite et tradition textuelle Un destin étrange réunit les trois chansons qui tracent la biographie de Charlemagne: nous ne les connaissons aujourd’hui que dans des attestations fragmentaires, tardives et/ ou indirectes. La chanson Berte aux grans piés est connue dans la réécriture en alexandrins d’Adenet le Roi, du dernier quart du XIII e siècle, alors que Mainet nous est parvenue dans une version de la deuxième moitié du XII e siècle, mais à l’état fragmentaire 3 . Les deux se trouvent réunies à l’intérieur de la Geste Francor, la célèbre compilation franco-italienne, conservée dans le manuscrit de Venise, qui comprend aussi notre chanson 4 , ainsi que, en version très abrégée, dans les Croniques et Conquestes de Charlemaine de David Aubert 5 . En Les Enfances Louis, le Charlemagne furieux ou la Chanson de la reine Sebile 101 6 Pour la mise en prose anonyme de Berte aus grans piés, ed. Tylus 2001. Pour les versions germaniques, franco-italiennes et espagnoles cf. Colliot, 1970: 11-13. Pour Mainet, cf. Horrent 1979: 1-38. 7 Les fragments ont été édités respectivement par Scheler 1875; Aebischer 1950; Roques 1915-17. plus, on en connaît maintes réécritures et traductions en langues étrangères 6 . Très récemment, Jean-Charles Herbin 2012 a découvert et identifié un fragment, aux Archives Nationales du Luxembourg, contenant un texte français en décasyllabes qui constitue probablement un témoin de la version la plus ancienne de la même chanson évoquant l’enfance de Charlemagne. La Reine Sebile présente une tradition encore plus complexe et d’autant plus intéressante. La chanson française nous est parvenue dans trois séries de fragments conservés en Belgique, en Suisse et en Angleterre. Les deux fragments de Bruxelles conservent 202 vers; le fragment des archives cantonales de Sion conserve 168 vers; les fragments de la bibliothèque Loveday de Sheffield, 137 7 . Il est important de souligner que les fragments proviennent de trois manuscrits différents - on le voit bien à leurs formats, à leurs graphies et à leurs couches linguistiques - mais qu’ils conservent la même version française en alexandrins. À ces fragments viennent s’ajouter deux mises en prose françaises du XV e siècle: la première fait partie de la compilation intitulée Garin de Monglane (Labie-Leurquin 1992), la deuxième est comprise dans la chronique de Jean d’Outremeuse, Ly Mireur des Histors (Goosse 1965: 70-72; 78-84; 116-34), ainsi que plusieurs remaniements et traductions en langue étrangère. À côté de la version franco-italienne, il en existe notamment plusieurs versions en prose en espagnol, en néerlandais, en allemand et en norrois 8 . D’après leurs éditeurs, la version espagnole et la version néerlandaise présentent un texte très proche et reflètent de façon assez fidèle la version française (Aebischer 1950: 25). Parmi les nombreuses allusions et attestations indirectes de la Reine Sebile, le témoignage du chroniqueur cistercien Aubry de Trois-Fontaines, remontant au deuxième quart du XIII e siècle, est particulièrement important. Gaston Paris et Paul Aebischer l’ont également publié, mais je le reprends ici en raison de son intérêt: Super repudiatione dicte regine, que dicta est Sibilia, a cantoribus Gallicis pulcherrima contexta est fabula: de quodam nano turpissimo, cuius occasione dicta regina fuit expulsa; de Albrico milite Montis Desiderii, qui eam debuit conducere a Machario proditore occiso; de cane venatico eiusdem Albrici, qui dictum Macharium in presentia Karoli Parisius duello mirabili devicit; de Gallerano de Bacaire et eodem Machario, tractis turpiter et patibulo affixis; de rustico asinario Warothero nomine, qui dictam reginam mirabiliter reduxit in terram suam; de latrone famoso Grimoaldo in itinere invento; de heremita et fratre eius Richero Constantinopolitano imperatore dicte regine patre; de expeditione in Franciam eiudem imperatoris cum Grecis; et de filio eiusdem Sibilie Ludovico nomine, cui dux Naaman filiam suam Blachafloram in uxorem dedit, et de Karolo Magno in Monte Widomari a dicto Ludovico et Grecis obsesso; de reconsiliatione eiusdem regine cum Karolo, quod omnino falsum est; de sex proditoribus de genere Ganalonis occisis, quorum duo supradicti Macharius et Galerannus perierunt Parisius, duo ante portam Montis Wimari, quorum unus fuit Almagius, et duo in ipso castro, et cetera isti fabule Mattia Cavagna 102 8 Pour la version espagnole, cf. A. Bonilla y San Martín 1907; pour les versions néerlandaises, F.Wolf 1857; pour les versions allemandes, H.Tiemann 1977; pour la version norroise, A. H. Krappe 1930. 9 Le nom de Macaire est associé à la figure du félon aussi dans Tristan de Nanteuil et dans Aiol, où l’on trouve un Macaire de Lausanne (cf. Corbellari 2003: 123). 10 Cet épisode, appréciable à plusieurs niveaux de lecture - célébration du chien en tant que symbole de fidélité, mais aussi critique de la noblesse (Krauss 1980: 184) - a eu une immense fortune tout au long du Moyen Âge. Il est repris et cité à maintes reprises, notamment par Gace de annexe ex magna parte falsissima. Que omnia quamvis delectent et ad risum moveant audientes vel etiam ad lacrimas, tamen a veritate hystorie nimis conprobantur recedere, lucri gratia ita conposita. (Scheffer-Boichorst 1874: 712-13). Ce témoignage est intéressant à plusieurs égards, notamment par rapport au jugement que le chroniqueur exprime en marge du résumé, dans les parties que je souligne en italique. Aubry considère cette chanson comme une fabula - le terme revient deux fois - et insiste sur l’absence de tout fondement historique (cf. le climax engendré par l’adjectif falsum et son superlatif falsissima, ainsi que l’expression a veritate historie nimis conprobantur recedere). Le chroniqueur attribue la composition de la chanson aux jongleurs français tout en précisant qu’il s’agit d’une sorte d’opération commerciale: a cantoribus Gallicis ... lucri gratia ita conposita. 1.3 Résumé de la geste Quoique très succinct, le résumé d’Aubry des Trois Fontaines évoque un très grand nombre d’éléments et de personnages qui trouvent des correspondances précises à la fois dans les fragments de la version française et dans les traductions étrangères. Sur base des versions franco-italienne, espagnole et néerlandaise, il est possible de résumer la geste en indiquant six principales séquences narratives. a) Macaire, un parent du traître Ganelon 9 , tente de séduire la femme de Charlemagne, la reine Sybille. Elle le repousse et Macaire décide de se venger: un matin à l’aube, au moment où Charlemagne est à la messe, il pousse un nain à se glisser dans le lit de la reine. Lorsqu’il revient dans sa chambre, Charlemagne est pris d’une fureur incontrôlée et jure que sa femme sera brûlée pour adultère. Le jour prévu pour l’exécution, le confesseur de Sybille intercède auprès du roi. La peine est alors commuée en exil, d’autant plus que la reine est enceinte. b) Décidé à accomplir sa vengeance, Macaire poursuit Sybille et tue son escorte, Aubry de Montdidier. La reine s’enfuit dans la forêt, si bien que son persécuteur revient à Paris. Le lévrier d’Aubry, après avoir pleuré sur le corps de son maître, revient à la cour et se jette sur Macaire. Ce geste éveille les soupçons du roi mais Macaire nie toute responsabilité et s’offre de prouver son innocence par un duel judiciaire. Le lévrier est désigné lui-même comme champion de son maître. Macaire est vaincu, il avoue son crime et est condamné à mort 10 . Les Enfances Louis, le Charlemagne furieux ou la Chanson de la reine Sebile 103 la Buigne, Déduits de la Chasse, Gaston Phébus, Livre de Chasse, Mesnagier de Paris, Olivier de la Marche, Livre des Duels (cf. Subrenat 1993). 11 Voici un clin d’œil à ce qui sera le couple royal de la geste de Garin de Monglane. 12 Cet épisode est conservé, dans la version française, dans le fragment de Sion (Aebischer 1950: 391-395). 13 Scheler 1875: 407. c) En errant dans la forêt, décidée à rejoindre son père, l’empereur de Constantinople, Sybille est secourue par Varocher, un charbonnier menant un âne. Le couple parvient jusqu’en Hongrie, car la grossesse de la reine ne leur permet pas d’aller plus loin. Ils sont accueillis par un bourgeois, nommé Jocerant, et c’est chez lui que Sybille accouche de son fils. Ce dernier a une étoile rouge sur l’épaule droite. Le roi de Hongrie, Louis, qui les rencontre par hasard dans une église, reconnaît en cette étoile une marque révélant la noble naissance de l’enfant. Il décide alors d’être son parrain et lui confère son propre nom. d) La quatrième séquence, dont le manuscrit de Bruxelles conserve un extrait, évoque l’enfance de Louis en Hongrie: le roi le confie d’abord au bourgeois Jocerant, qui sera pour lui un père adoptif, puis à Hélinand, l’un de ses officiers, qui l’initiera à la courtoisie et à la chevalerie. e) La reine, Varocher et Louis reprennent enfin le chemin vers Constantinople. Ils sont surpris par une troupe de brigands aux ordres de Grimoart, un voleur gentilhomme, qui les accompagnera jusqu’à la fin de la geste. L’empereur, Richer, indigné par le traitement subi par sa fille, rassemble une immense armée et part vers la France pour mettre le siège à Paris. f) Louis prend la tête de l’armée des Grecs et Varocher révèle une vocation guerrière insoupçonnée. Le siège de Paris comprend plusieurs épisodes annexes. Aimeri de Narbonne, apprenant l’identité de Louis, lui offre en mariage sa propre fille Blanchefleur 11 . Déguisé en pèlerin, Varocher pénètre dans le camp de Charlemagne et, à l’aide de Grimoart, parvient à lui voler son cheval, ce qui provoque un nouvel accès de colère du roi 12 . Finalement, grâce à l’intercession du pape, les deux parties parviennent à un armistice. Les traîtres de la famille de Macaire sont punis et on célèbre enfin le mariage de Louis et de Blanchefleur. 2. Le fragment de Bruxelles Les fragments conservés à la KBR se composent de deux lambeaux de parchemin qui avaient été utilisés pour renforcer la reliure d’un ancien imprimé de la bibliothèque de Mons, une édition de la Bible glosée par Nicolas de Lyre 13 . Les deux fragments sont pliés et chacun d’entre eux présente quatre pages in-octavo à 27 ou 28 vers. Les pages 3 et 4 de chaque fragment ont été découpées aux ciseaux probablement par le relieur, si bien que les vers sont mutilés dans le premier ou le deuxième hémistiche. Mattia Cavagna 104 14 Les fragments ont été publiés pour la première fois par Reiffenberg 1836: 610-14, ensuite par Guessard 1865: 307-12 et par Scheler 1975. 15 Ms: desci fet. 16 Le début de la laisse n’est pas conservé par le fragment. Le texte que je publie ici est précédé du vers suivant: Si come je cuit et croi et me fet antandant, vers qui de toute évidence constitue la fin d’un discours direct. Le format et la mise en page sont assez caractéristiques des manuscrits épiques des XII e et XIII e siècles: les feuillets mesurent 210 u 125 mm, le texte occupe une seule colonne avec vingt-sept à vingt-huit vers par feuillet sans solution de continuité. Le début des laisses est tout de même marqué par une lettrine filigranée occupant trois unités de réglure, décorée en alternance à l’encre rouge et bleue. Les points de la réglure, notés à l’encre brune, sont bien visibles du côté interne, celui de l’ancienne reliure. Les fragments ont été édités plusieurs fois au XIX e siècle alors que, sauf erreur de ma part, ils n’ont jamais retenu l’attention des chercheurs par la suite 14 . Les deux premières laisses conservées dans ces fragments portent sur la quatrième séquence, consacrée aux enfances de Louis en Hongrie. 2.1 Le vilain, le bourgeois et le serjant devant le roi La première laisse s’ouvre sur une scène qui voit réunis Varochier, Jocerant et le roi, à savoir le père présumé, le père adoptif et le parrain du jeune Louis: Varochier regarda li rois an sozriant, Por ce qu’il le vit nice et de si fet senblant 15 . Bien sot que li vallez ne li estoit noiant. «Joscerant - dist li rois - C merciz vus an rant Qui mon filluel m’avez gardé si longuemant! » I serjant apela qui ot non Elinant Et cil s’agenoilla devant lui meintenant «Sez tu - ce dit li rois - que te vois commandant? Que d’eschés et de table apren bien cest enfant Et de toz les mesters qu’a chevalier apant». Et cil li respondi: «Tout a vostre commant» 16 . (v. 1-11) Le sourire du roi est provoqué par l’aspect physique du charbonnier qui est le premier des substituts paternels du jeune Louis (li vallez). L’adjectif nice doit être mis en rapport ici avec l’aspect physique (le senblant) de ce personnage, mais il renvoie aussi à son état social, à sa condition non-chevaleresque. Les fragments de la version française ne conservent pas la description du charbonnier, mais on peut en trouver des mentions dans la traduction franco-italienne qui évoque - et peut-être amplifie - son aspect grotesque. Les Enfances Louis, le Charlemagne furieux ou la Chanson de la reine Sebile 105 17 Ce motif a été étudié par de Combarieu 1978. Cf. aussi Krauss 1980: 84, 105 s. et 193s. 18 La critique italienne tend à ramener cette «ouverture» dans le contexte de la réécriture franco-italienne de la Geste Francor. Cf. Infurna 1991; Capusso 2001: 163: «il Karleto cuciniere, En soa man oit un grand baston prendu Grant fu e groso e quaré e menbru La teste oit grose, le çavì borfolu Si strançes hon no fu unches veü. (v. 1273-76) On reconnaît ici sans peine le type littéraire de l’homme sauvage, une figure de l’altérité qui apparaît dans tous les genres littéraires, voire même dans toutes les cultures, et qui se charge volontiers d’un aspect monstrueux. Je renvoie au gardien des taureaux du Chevalier au lion (v. 286-328), qui indique à Yvain la voie vers l’aventure, mais aussi au charbonnier menant un âne que Perceval rencontre juste avant de parvenir au château du roi Artur dans le Conte du Graal (v. 834- 58). Comme dans notre chanson, ces personnages incarnent la première des figures auxiliaires du héros. À la différence de ces deux comparses, pourtant, Varocher est présent sur scène jusqu’à la fin de la geste, lorsqu’il sera intégré dans l’armée de l’empereur de Constantinople. Son aspect monstrueux ne cessera pas pour autant de susciter l’étonnement: Qi le veist son baston palmojer, Ben cuitaroit qe fust un averser. Non va in rote cun altri çivaler; Ançi vait darer cun li scuer. (v. 15785-88) Dans les chansons de geste, on retrouve aussi des personnages exclus ou marginaux qui se voient également attribuer un rôle important dans l’intrigue 17 . Il s’agit essentiellement de variantes de l’homme à la massue comme Gautier (Gaydon), Robastre (Gaufrey), Rigaudin (Garin le Lorrain) et surtout Rainouart (cycle de Guillaume). Or, si Varocher peut être apparenté à ces personnages - d’autant plus que, comme eux, il finira pour prendre les armes et combattre aux côtés du héros de la geste - il faut bien souligner que sa condition est tout à fait unique. Comme le souligne Erich Köhler 1966 dans une étude consacrée à la version espagnole de notre chanson, les autres «vilains» que je viens de mentionner appartiennent en réalité à l’aristocratie. Il faut bien rappeler que Rainouart, Gautier, Robastre et Rigaudin ont des origines nobles et se retrouvent dans une condition rabaissée par des circonstances défavorables et pour une période limitée. À la différence de ces héros, Varochier appartient effectivement à la classe subalterne. Ceci explique, d’un côté, l’attitude du roi de Hongrie qui, dans sa vision «conservatrice», porte sur Varocher un regard amusé et distancié, et nous fait apprécier, de l’autre, le caractère original de notre geste. Le renouvellement de la matière épique, dont fait état notre chanson, comprend effectivement une ouverture aux autres couches sociales 18 . Mattia Cavagna 106 ma per breve tempo e su costrizione dei fratellastri; il boscaiolo-cavaliere Varocher il cui percorso inverso rispetto a quello compiuto da Milone attesta l’incredibile apertura del Marc. XIII verso il ricambio sociale». 19 Le début du Charroi de Nîmes, avec le déguisement de Guillaume en marchand pourrait être considéré comme une exception. Il s’agit tout de même d’un épisode isolé où l’image du marchand ne sert que de déguisement. Cf. à ce propos Tanase 2010: 25-62; Corbellari 2011: 144-52. 20 Rouquier 1997: 30-5. La confrontation, au sein de la même «famille», entre deux visions du monde complètement inconciliables engendre des scènes très amusantes, précisément fondées sur un comique d’ordre social. En revanche, si la figure du «vilain authentique» est tout à fait exceptionnelle, celle du bourgeois, qui entre en scène au quatrième vers, trouve plusieurs correspondants dans la tradition épique contemporaine. Les romans courtois et les chansons de geste de la première génération ne font pas d’allusion au monde bourgeois 19 . Celui-ci fait précisément son apparition dans les chansons du XIII e siècle. Je renvoie aux Enfances Vivien, du cycle de Guillaume, où le héros est adopté par un marchand espagnol qui tente sans succès de lui inculquer les principes du commerce et du profit 20 . Je renvoie aussi à Hervis de Metz où le héros est même le fruit d’un mariage «mixte» entre une aristocrate, fille du duc de Lorraine qui est ruiné, et un riche bourgeois. Finalement, après avoir remercié le bourgeois pour son service, le roi confie Louis à l’un de ses officiers pour qu’il l’initie aux activités courtoises et chevaleresques. Les instructions du roi sont précises: l’initiation comprendra, d’un côté, les loisirs courtois, à savoir les échecs et le trictrac et, de l’autre, l’initiation aux armes. Au vers 10, Et de toz les mesters qu’a chevalier apant, le verbe, issu du latin ad+pendere (FEW 25: 33a), exprime avec force l’idée d’un attachement, d’une appartenance et donc d’une responsabilité individuelle (Gdf 1: 330b). La même idée se retrouve en filigrane dans le substantif mester, qui désigne «l’activité» mais qui comporte également, de par son étymologie ( , ministerium, FEW 6-2: 118b), des implications morales. Il est donc question d’une initiation à la fois physique et morale, qui par ailleurs prélude, dans le cas du jeune Louis, à l’exercice du pouvoir royal. Le motif de l’initiation aux armes revient, bien entendu, dans les romans courtois et, une fois encore, je renvoie au Conte du Graal et à la célèbre scène de l’initiation du jeune Perceval par le prudhomme Gornemant de Goort (le Rider 1978). Observons maintenant la structure de cette séquence. Le roi semble interagir avec les trois personnages en fonction de leur appartenance sociale, notamment à travers un sourire, un remerciement, un ordre. Malgré le rôle de guide et de protecteur qu’il a rempli à l’égard de la reine Sybille, le charbonnier ne mérite qu’un regard amusé. On notera que la graphie du manuscrit, souzrire, traduit bien l’étymologie du mot, subridere (FEW 12: 350a), littéralement «rire en dessous», rire en se cachant. Effectivement, le roi sourit en cachette, discrètement, sans doute afin de ne pas blesser le jeune homme, pour lequel Varochier représente tout de même une figure paternelle. Et pourtant le roi a bien compris qu’il n’y a aucun lien du Les Enfances Louis, le Charlemagne furieux ou la Chanson de la reine Sebile 107 21 L’image des «antipodes sociaux» représente un véritable topos de la littérature médiévale. Il se retrouve par exemple dans le Roman de la Rose: D’autre part il est plus grans hontes / D’un fîlz de roi, s’il estoit nices, / Et plains d’outrages et de vices, / Que s’il iert filz d’ung charretier, / D’ung porchier, ou d’ung chavetier. Strubel 1992, v. 18890-4. sang entre les deux. Le substantif noient, «rien» renvoie précisément aux liens de parenté. Son emploi à la rime est significatif: d’après le roi de Hongrie, tout lien entre ce «vilain» et le fils de Charlemagne se doit d’être anéanti. De son côté, le bourgeois Jocerant a droit à un remerciement. Dans la séquence mon filleul m’avez gardé, il faut souligner le double emploi de l’adjectif possessif devant le substantif et du pronom personnel devant le verbe. Il s’agissait bien d’une situation temporaire et le roi revendique son autorité sur le jeune homme. Finalement, le roi s’adresse à un membre de la noblesse, à savoir l’officier Elinant qui, d’après ce que nous savons de la chanson, fait ici sa première apparition, pour lui confier l’importante tâche d’initier Louis aux armes. Quoique très succincte, la réplique d’Elinant est significative, car elle contribue à distinguer son statut de celui des deux autres personnages réunis au chevet du roi, le charbonnier et le bourgeois qui, eux, n’ont pas pris la parole. Du point de vue formel, il est intéressant de souligner que les vers 1, 4 et 8, ouvrant les trois séquences avec le vilain, le bourgeois et le serjant, ont une structure similaire, en ce sens où le groupe nominal au cas sujet, li rois, est toujours placé au centre de l’alexandrin, à gauche ou à droite de la césure. Le roi est le véritable sujet de la laisse, le pivot autour duquel s’organise l’action. Une telle disposition est tout à fait significative et nous fournit, sur un plan symbolique, la clé de lecture de cette séquence fondamentale. La naissance en exil et la jeunesse «bourgeoise» du roi Louis ont été la conséquence d’un véritable bouleversement de l’ordre social. La reine, injustement chassée par Charlemagne se retrouve dans un couple avec celui qui se situe, sur le plan social, à ses antipodes 21 . Dans le passage que je viens d’analyser, le roi intervient pour remettre de l’ordre et pour réorganiser, sur le plan métaphorique, l’ordre qui a été bouleversé. Le roi «sait» que le charbonnier n’est rien pour Louis. Le roi remercie le bourgeois qui a désormais accompli sa tache. Le roi confie le jeune Louis à un noble officier. Le charbonnier et le bourgeois représentent deux figures de substituts paternels qui ont comblé le vide provoqué par la fureur de Charlemagne. Ils ont véritablement remplacé le roi. Le roi de Hongrie vient remettre de l’ordre et remet, pour ainsi dire, chacun à sa juste place. Dans cette séquence, le roi incarne une vision parfaitement structurée de la société. Une société qui - il ne faut pas l’oublier - a évolué par rapport à la première génération des chansons de geste et qui s’est enrichie grâce à l’essor de la bourgeoisie. Bien avant la tradition romanesque, la chanson de geste se confronte avec cette nouvelle organisation sociale, l’intégrant dans son tissu narratif et idéologique. Mattia Cavagna 108 22 À ce propos, cf. Rychner 1955. Pour les chansons tardives, cf. par exemple Suard 1994. 2.2 La geste et la discontinuité Les vers 12 et 13 méritent d’être isolés par rapport à ce qui précède et ce qui suit. Sa mere aloit vooir et menu et sovant, Et le borjois son oste qui ot bon escïant. (v. 12-13) Ces deux vers de transition marquent une discontinuité entre deux scènes successives. La focalisation change, on passe de la narration ponctuelle à une temporalité éclatée, à une dimension durative exprimée par le groupe verbal aloit vooir. Alors que l’intervention du roi va dans le sens d’une rupture - il prend symboliquement congé du charbonnier et du bourgeois - ces deux vers fonctionnent comme une sorte d’effet d’annonce et permettent, surtout, d’introduire la scène suivante qui se situe dans la maison du bourgeois. Pendant le temps de son initiation aux armes, le jeune Louis ne semble guère vouloir couper les liens avec son passé. Bien au contraire, il rend souvent visite à sa mère, qui reste avec le charbonnier, et à son hôte, le bourgeois. La locution adverbiale menu et sovant, bien attestée en ancien français à partir de la Chanson de Roland, signifie «fréquemment» (cf. Gdf 5: 246a). La discontinuité insérée par ces deux vers est un élément typique de la chanson de geste tardive. Dans les chansons de première génération, ce type de rupture n’est pas concevable étant donné que la laisse est une unité de forme et de contenu 22 . 2.3 La déclaration d’amour et le parcours du héros La deuxième et dernière partie de la laisse revient à la narration ponctuelle avec une nouvelle séquence narrative qui introduit la thématique amoureuse. L’auteur nous présente un nouveau personnage, à savoir la fille ainée du bourgeois qui déclare son amour à celui qui a été son frère d’adoption: Li borjois ot II filles moult beles et plesanz; L’ainznee vint a lui, si le vet acolant: «Sire, frans damoiseax, entendez mon semblant. Alevé vous avons et norri bel anfant Quant venistes ceanz, vos n’avïez noiant. Varochier vostre peres qui a le poil ferrant Amena vostre dame, sachois, moult povremant. Nous vous avons servi moult enorablemant. S’or voliez estre sages, mar iroiz en avant, Mes prenez moi a feme je vus voil et demant». Les Enfances Louis, le Charlemagne furieux ou la Chanson de la reine Sebile 109 23 Dans l’évolution du genre, l’enchaînement des laisses constitue l’un des traits les plus durables, c’est quasiment le seul trait qui se retrouve également dans les chansons tardives. 24 Le Person 2003: 327: Sire, dist Floripés, or voil quel me donnez / Par mom cief, dist Rollant, a vostre volentez / Venez avant, dant Gui, la moullier rechevez. «Loöy, biax douz frere, entendez ma proiere, Aiez merci de moi, ne sui pas losengiere Certes, je vus aim plus, foi que je doi saint Pierre, Paris n’ama Eleine que il avoit tant chiere». (v. 14-27) La déclaration d’amour se situe à cheval entre deux laisses, selon le principe de la laisse enchaînée 23 . Loin de constituer un épisode exceptionnel, la déclaration d’amour féminine est très présente dans l’épopée médiévale. Hatem Akkari 1997 a consacré un bel article à ce motif narratif en analysant les déclarations des héroïnes dans Ami et Amile, la Chanson d’Aspremont et la Prise d’Orange. Dans une perspective plus large, Sarah Kay a analysé le motif topique de la belle sarrasine qui tombe amoureuse d’un guerrier chrétien en insistant sur ses deux variantes: soit la sarrasine se convertit par amour - le cas le plus célèbre et spectaculaire est celui d’Orable qui se fait baptiser et change son nom en Guiborc - soit il n’y a pas de conversion et la dame parvient à s’accaparer l’un des chevaliers chrétiens. Ce dernier cas de figure se retrouve notamment dans la chanson de Fierabras, également analysée par Sarah Kay, où la reine «païenne» Floripas réclame la main de Gui de Bourgogne (Kay 1995: 44). Devant l’hésitation du chevalier chrétien, la reine menace de tuer tous les prisonniers si bien que, par l’intercession de Roland, Gui accepte de l’épouser (elle finira tout de même par se faire baptiser) 24 . Cette chanson met en scène une véritable transaction politique où le chevalier chrétien fonctionne comme l’objet d’un échange. Dans notre extrait, la belle sarrasine cède la place à la belle bourgeoise. La notion d’altérité par rapport au héros est conservée, mais elle est déplacée sur le plan social. Comme la sarrasine, la fille du bourgeois exprime son désir, sa volonté, son projet, avec assurance. Sa parole est parfaitement structurée et se fait porteuse d’une vision du monde précise, la vision bourgeoise. Son discours, situé à cheval entre les deux laisses, se compose de trois moments. Tout d’abord, elle fait appel au sentiment de reconnaissance en suggérant que le jeune homme a contracté une dette morale à l’égard de son père. Celui-ci avait accueilli sa mère, plongée dans une condition misérable, au moment où elle devait accoucher. Le fait de la prendre en mariage permettrait à Louis de montrer sa reconnaissance envers son hôte. Le discours glisse ensuite dans un registre plus intime et pathétique, évoquant le désir et mettant à contribution les termes propres à la requête amoureuse - la prière, la merci, la losengerie (à savoir la flatterie ou tromperie). Finalement, la jeune fille fait étalage de sa propre culture en évoquant l’amour entre Pâris et Hélène, un mythe fort célèbre dans le Moyen Âge occidental au moins depuis le Roman de Troie. Mattia Cavagna 110 Malgré son poids rhétorique, cette déclaration engendre une réaction de refus: «Bele - dist Loöys - je n’en vois mie arriere. Bele estes de façon et de cors et de chiere, Et je sui povres enfes, si n’ai bois ne riviere N’ai terre ne avoir qui vaille une estriviere Et ma dame est malade ausi con fust an biere Et Varochiers, mes peres, qui a la brace fiere Ma dame sert moult bien et de bone meniere. Voz peres m’a norri et mostré bele chiere Et si n’ot onc du mien vaillant I lansniere. Mes se Diex m’amendoit, qui fist ciel et lumiere, Je li randrai a double, trop me fet bele chiere. Ralez vos an, pucele, ne soiez pas laniere Gardez vo pucelage, trop me semblez legiere Que ne vos ameroie por tot l’or de Baiviere». Quant l’antant la pucele si fist si mate chiere Qu’ele n’i volsist estre por tot l’or de Baiviere. (v. 28-44) Louis refuse la proposition, il refuse de «revenir en arrière» pour aller à l’encontre de sa destinée. Une fois encore, cette attitude du héros permet de faire un lien avec le jeune Perceval qui refuse de revenir en arrière même devant l’image dramatique de sa mère qui s’évanouit - en réalité elle meurt de chagrin - sur la porte de sa maison. Le début de la réplique de Louis semble répondre précisément à un vers du discours de la jeune femme: S’or voliez estre sages, mar iroiz en avant (v. 22). Ce vers mérite d’être analysé plus en détail. L’expression aller en avant renvoie au processus d’ascension sociale que le jeune Louis est en train d’accomplir. C’est précisément le contenu de la première moitié de la première laisse. Au premier hémistiche, la femme utilise un verbe au présent du conditionnel, marqué par l’adverbe actualisateur or en ouverture du vers: maintenant - affirme-t-elle - il est temps de revenir à la sagesse. La sagesse, dans la perspective bourgeoise qui est la sienne, consiste à éviter l’hybris, l’ambition immodérée du héros. Le second hémistiche insère un verbe au futur et évoque une prévision funeste: «si vous allez en avant, dans ce chemin, ce sera pour votre malheur». C’est encore un adverbe qui ouvre le second hémistiche, cette fois-ci il s’agit de l’adverbe mar contenant, on le sait, le sème du malheur ( , mala + hora; FEW 4: 476a). Comme la déclaration de la jeune fille, la réplique de Louis est remarquablement structurée. Si le premier vers exprime, de façon quelque peu tranchante, le refus, Louis infléchit ensuite son discours vers l’éloge de la jeune fille. Cet éloge, portant essentiellement sur son aspect extérieur - Bele estes de façon et de cors et de chiere - lui permet d’introduire une protestation d’humilité suggérant qu’il n’est pas digne d’elle. Il enchaîne ensuite sur l’énumération de ses malheurs - il est pauvre, sa mère est à l’article de la mort - et exprime finalement le vœu de pouvoir récompenser Jocherant comme il mérite, en ayant recours à la formule de serment traditionnelle (se Diex m’amendoit). En exprimant ce vœu, Louis semble conscient de se trouver dans une condition qui ne lui est pas destinée: contrairement à ce que pense la Les Enfances Louis, le Charlemagne furieux ou la Chanson de la reine Sebile 111 25 En comparant le fragment de Sion avec la partie correspondante dans la version espagnole, Aebischer 1950: 400 estimait que la version française devrait comporter autour de 3500 vers. Il va de soi qu’une telle estimation est tout à fait indicative - Aebischer le souligne avec force et lucidité - mais elle ne me paraît pas invraisemblable. On pourrait affirmer, sous toute réserve, que les fragments conservent environ 1/ 7 de la chanson tout entière. Si je n’adopte pas la même démarche comparative que P. Aebischer c’est parce que la scène conservée dans le fragment de Bruxelles n’a pas de correspondance directe dans la version espagnole. Celle-ci se contente d’évoquer que le roi de Hongrie se préoccupe d’assurer l’éducation de Louis: Despues que el niño fue batizado, el rrey le mando dar çient libras, e dixo al huesped que quando el niño fuese tamaño que podierse andar, que lo levase a la corte, et que lo faria tener onrradamente, e darle ya quanto oviese menester, paños e dineros e palafrenes (Bonilla y San Martín, 1907: 517b). jeune fille, son désir d’aller en avant exprime tout simplement l’urgence de récupérer sa propre place dans la société, à savoir la place du souverain. Le discours se clôt sur une exhortation, voire un reproche, d’ordre moral: Louis suggère à la fille de conserver sa virginité et l’accuse même d’avoir un comportement léger. Cette exhortation, qui introduit un contraste très efficace avec l’éloge de son aspect physique, semble également cohérente avec l’enjeu du dialogue. Les deux jeunes s’accordent sur le fait que Louis a une dette à l’égard de Jocerant. Mais leurs idées divergent sur la façon dont il pourra s’en acquitter. La jeune fille qui, comme je l’ai dit, fait appel à une «sagesse» de type bourgeois, propose le mariage comme «moyen de payement», alors que Louis adopte un point de vue résolument aristocratique, en faisant appel à la vertu souveraine par excellence, à savoir la «largesse» puisqu’il espère lui «rendre le double». En revenant sur la question des genres littéraires, on peut reconnaître dans cette séquence deux autres motifs qui se retrouvent dans les chansons de geste et les romans. Le motif de l’hôtesse amoureuse qui essaie de retenir le jeune héros (Chevalier à la charrette, Conte du Graal, Lancelot en prose) se greffe ici sur celui de l’amoureuse repoussée (Ménard 1969: 282-94). La production épique, comme la littérature narrative, semble prendre le contrepied par rapport au «grand chant courtois»: le héros masculin, objet du désir de la femme, se refuse et se fait inaccessible. 3. Interprétations Une lecture intégrale de cette chanson ne peut que se fonder sur une démarche comparative et prendre en compte ses différentes versions et réécritures. La stabilité relative des versions en langue étrangère permet tout de même de formuler quelques observations qui peuvent s’appliquer, avec une marge d’erreur relativement limitée, à la version française en alexandrins dont nous avons conservé 521 vers 25 . Mattia Cavagna 112 26 En soa man oit un grand baston prendu / Grant fu e groso e quaré e menbru / La teste oit grose, le çavì borfolu / Si strançes hon no fu unches veü, ed. cit., v. 1273-76. 3.1 Le rire et les larmes, le chaos et le parcours du héros Les considérations formulées par Aubry de Trois-Fontaines, en conclusion de son résumé, fournissent des indices importants sur la réception de la chanson. Dans le passage que j’ai cité ci-dessus, le cistercien affirme que les aventures fabuleuses narrées dans la chanson provoquent le rire et les larmes du public (quamvis delectent et ad risum moveant audientes vel etiam ad lacrimas ...). Ce couplet d’antonymes, formé par le rire et les larmes, n’est pas banal et la piste du rire mérite certainement d’être explorée. Dans la première laisse du fragment de Bruxelles, nous avons rencontré le sourire du roi devant le charbonnier. En relisant la version franco-italienne, on a l’impression que le rire et la moquerie accompagnent la reine Sybille tout au long de son exil, notamment à partir du moment où elle se place sous la protection du charbonnier. En effet, notre chanson pousse très loin le motif du couple mal assorti. Le charbonnier, qui dans la version franco-italienne se voit attribuer toutes les caractéristiques de l’homme sauvage à la massue, prend la place que le roi a laissée vide, à côté de la reine 26 . Sur le plan symbolique, cette substitution représente une véritable subversion de l’ordre social et se charge d’une dimension carnavalesque suscitant inévitablement le rire des passants: Çascun qe Varocher avoient veu Çascun li guarde, si s’en rise rer lu. (v. 1285-86) La reprise anaphorique, en ouverture de vers, du pronom indéfini chacun exprime l’universalité de la réaction que suscite Varocher à côté de la reine. Les chevaliers du roi de Hongrie, lors de la séquence qui précède le baptême du jeune Louis, ne manquent pas non plus de se moquer de lui: Li çivaler li guarde, si s’en rise belemant, Q’elo li par un homo de niant. Dist l’un a l’altro: «El me par un troant; Homo salvaço, el n’oit li senblant». (1379-1382) À la différence du roi qui, dans la version française, se contente de sourire discrètement, le chevalier rit ici ouvertement (belemant). L’expression lexicalisée homo de niant ne manque pas non plus de nous rappeler la pensée du roi de Hongrie, qui anéantit, sur le plan symbolique, les liens de parenté entre Louis et Varochier; mais dans ce contexte, l’expression exprime beaucoup plus explicitement le mépris du chevalier à l’égard de l’homme sauvage. Les Enfances Louis, le Charlemagne furieux ou la Chanson de la reine Sebile 113 Comme c’est souvent le cas, dans la version espagnole la marge de l’ironie est considérablement réduite au profit d’un renforcement de la dimension morale. Le portrait du villano, nommé ici Barroquer, est tout de même fort amplifié et riche en éléments grotesques et le caractère étrange du couple en résulte également renforcé. Au moment où le charbonnier et la reine entrent dans une ville, les bourgeois manifestent une stupeur qui frôle l’agressivité: «Villano, non lo niegues, ¿donde fallaste tan fermosa dueña o do la tomaste? » E la dueña les dezia: «Señores, por Dios, non digades villania, ca el es mi marido e vome con el». «Por buena fe, dezian ellos, asi fezo grant diablura quien a tel villano dio tan fermosa muger». Mas Barroquer non dezia nada, synon baxava la cabeça et dexava a cada uno dezir su villania. (Bonilla y San Martín, 1907: 509b). Ce couple, formé par «un tel vilain» et une «dame tant belle» (le subst. dueña , domina forme avec villano un couplet parfaitement antinomique) semble révéler, aux yeux des bourgeois, l’intervention du diable. On notera que devant les accusations et les injures, Barroquer se contente de baisser la tête en supportant en silence. La jalousie folle et injustifiée du roi a provoqué un véritable bouleversement car sa place a été occupée par le charbonnier qui se situe, sur le plan social, à ses antipodes. La fureur du roi a plongé sa femme et, symboliquement, la société tout entière, dans le chaos. L’élément comique et/ ou dérisoire naît de cette interversion des rôles sociaux, interversion qui aboutit traditionnellement à une dimension carnavalesque, où le charbonnier prend la place du roi à côté de la reine. François Guessard, l’ancien éditeur de la version franco-italienne, a insisté sur l’inspiration burlesque de la chanson en rapprochant Charlemagne du personnage de Sgaranelle (Guessard 1865: iii). L’association la plus immédiate, me semble-t-il, porte sur la célèbre chanson héroï-comique intitulée Voyage ou Pèlerinage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople. Il faut surtout souligner que, dans l’un et dans l’autre récit, le moteur de l’action est constitué par une attitude du roi qui est tout à fait décalée par rapport à l’image du souverain incarnant la sagesse. Dans le Pèlerinage, il s’agit de la vanité - Charlemagne demande à la reine si elle connaît quelqu’un qui porte la couronne mieux que lui - alors que dans la Reine Sebile c’est sa jalousie. En somme, le roi subit un traitement proche de celui que subira Roland, quelques siècles plus tard, sous la plume d’un écrivain de génie comme l’Arioste. D’où l’intitulé que je propose, Charlemagne Furieux. Je reviendrai sur le Pèlerinage dans la conclusion de cette étude; pour l’instant je me contente de rappeler que le seul manuscrit conservant cette chanson a disparu en 1879 (Aebischer 1965: 16) - ce qui vient compliquer le panorama, déjà assez morcelé, de la tradition manuscrite concernant mon corpus de recherche (cf. ci-dessus, par. 1.2.). Si la première partie du récit est donc placée sous le signe du chaos et du bouleversement, la naissance du véritable héros de la chanson, Louis, marque un tournant. Le moment crucial coïncide avec le moment de son baptême. La croix sur Mattia Cavagna 114 27 Paris 1865: 432. Herbin 2012: 476 rappelle que le motif de l’épouse injustement calomniée se retrouve dans plusieurs autres chansons de gestes, notamment Beuve de Hantone, Doon de la Roche, Orson de Beauvais et la Karlamagnus Saga (Branche II). À cette liste il faut ajouter au moins Florent et Octavien où la femme de l’empereur, Florimonde, est injustement accusée d’adultère par sa propre belle-mère. l’épaule du nouveau-né est le signe qui dévoile sa noble naissance et qui favorise l’apparition du deuxième substitut paternel: le roi de Hongrie. Ce deuxième substitut a une fonction en quelque sorte opposée à celle du charbonnier: la fonction de redresser, pour ainsi dire, le progrès diégétique de la geste, la fonction de remettre de l’ordre et de réorienter le chemin du héros. Le roi de Hongrie se fait désormais garant de son encadrement et de sa formation à travers les étapes que j’ai analysées ci-dessous. L’enfant prend ses distances du chaos, représenté par le couple de la reine et du charbonnier, pour rentrer dans l’ordre. Pour contribuer à renforcer cet ordre. Et enfin pour recouvrer, par la violence, si c’est nécessaire, sa propre place. Voici un schéma résumant, de mon point de vue, la structure circulaire de cette chanson. Par un heureux hasard, les deux laisses conservées dans les fragments de Bruxelles coïncident précisément avec le tournant de l’action. L’intervention du roi de Hongrie, dont la première laisse analysée nous donne un aperçu substantiel, fait basculer les équilibres et constitue le tournant symbolique entre le règne du chaos, à droite dans mon schéma, et celui de l’ordre. 3.2 Substrats et resurgissements mythiques Derrière le motif de la femme injustement répudiée, qui structure les intrigues de la Reine Sebile ainsi que de Berte aus grans piés, Gaston Paris a reconnu un schéma mythique très ancien: celui de l’épouse du soleil, exilée pendant la durée de l’hiver et réintégrée pendant la belle saison 27 . Les études sur les substrats mythiques de Les Enfances Louis, le Charlemagne furieux ou la Chanson de la reine Sebile 115 l’épopée médiévale ont connu leur essor surtout grâce aux travaux de Joël Grisward qui a reconnu dans plusieurs chansons la présence de l’idéologie trifonctionnelle théorisée par Georges Dumézil (Grisward 1981; Dumézil 195). Dans la même perspective, Dominique Boutet (Boutet 1993: 59) a reconnu, dans le récit de l’enfance de Charlemagne (Mainet), le reflet d’un parcours à travers les trois fonctions duméziliennes dans l’ordre ascendant: le travail en cuisine (III), l’initiation aux armes (II) jusqu’à la réintégration dans la fonction souveraine qui est la sienne (I). Ma lecture de la Reine Sebile se propose de reconnaître en filigrane un mythe focalisé sur le rapport entre le père et le fils. Louis incarne ici la figure du fils exilé, sauvé de la mort et condamné à l’exil, qui revient vers son père pour se venger. Il me semble qu’on peut reconnaître ici une actualisation du mythe de Saturne, dont Jean-Marie Fritz a montré l’énorme succès au Moyen Âge, en constatant qu’il se charge volontiers d’une connotation politique, liée précisément à la figure royale (Fritz 1988: 46, 49). Le mythe est fondé, je le rappelle, sur la figure du père qui commande à sa femme de tuer ses enfants. Cybèle sauve l’un de ses fils, Jupiter, de la mort et l’envoie en exil. Jupiter revient et se venge de son père. La castration du père coïncide avec le rétablissement de l’ordre. Jupiter prend ainsi la place de Saturne et devient le roi des dieux. L’intrigue de notre chanson présente de nombreux décalages par rapport à ce mythe. Tout d’abord, dans notre récit manque l’élément fondamental de la castration: en effet, la vengeance est esquivée et cède la place à la réconciliation. La place de la figure maternelle est également différente, car elle partage le sort de son fils, mais en revanche, dans la perspective «politique» de la succession royale, son rôle est tout à fait proche. Comme la reine Cybèle, la reine Sybille empêche le roi de tuer son propre fils. Comme la reine Cybèle, la reine Sybille assure l’enfance du héros, en exil. Comme Jupiter, Louis s’apprête à attaquer son père pour se venger. Finalement, même si la vengeance dans notre texte est évitée, Louis revient de son exil pour succéder à son père sur le trône. Comme il a été souligné, certains éléments du mythe de Saturne - précisément les éléments qui manquent dans notre récit, à savoir la castration - sont présents en filigrane dans le Conte du Graal (Fritz 1988: 54-55). Si l’on accepte un tel rapprochement, on pourrait attribuer à l’auteur une subtile intention parodique qui comporterait le renversement des deux figures royales qui se partagent, pour ainsi dire, le panorama épique de la France médiévale. En effet, à l’image du roi Charlemagne représenté ici comme injuste (il condamne sa femme) et faible, voire ridicule (à la fin de la geste il se fait même voler son cheval), qui incarnerait Saturne, s’oppose la figure de son fils Louis, qui incarnerait Jupiter, présenté ici comme un personnage absolument héroïque, courageux et irréprochable. Il s’agit d’une inversion tout à fait flagrante des rôles que le cycle du roi et le cycle de Garin de Monglane attribuent à Charlemagne et à son fils Louis. Je renvoie surtout au Couronnement de Louis, où ce dernier se révèle faible, injuste et craintif. Un dernier argument qui viendrait aiguiser encore plus - si besoin est - cette interprétation, concerne le nom de la reine. Le rapprochement entre les noms de Mattia Cavagna 116 28 Ovide moralisé, Berne, Burgerbibliothek, Cod. 10, fol. 11v: Sebille la roine ot nom; Paris, B.N. f. fr. 870, fol. 12v, dans une rubrique: Comment Saturnus commanda a Sebille sa femme qu’elle oucist tous ses enfans masles. Cf. aussi l’édition Vérard de Valère Maxime, Faits et paroles memorables, traduction par Simon de Hesdin, charte A iiiib.: elle est dicte Sibille. 29 Rajna 1884: 179-98. La Chronique se lit dans Krusch 1888: 145-46. Cybèle et de Sybille/ Sebile trouve des correspondances précises dans des textes médiévaux où la femme de Saturne se voit précisément attribuer le nom de Sebile. Les exemples que je peux fournir, en réalité, sont tirés d’ouvrages plus tardifs, notamment certains manuscrits de l’Ovide moralisé ainsi que la traduction de Valère Maxime par Simon de Hesdin 28 . Même si elle ne constitue pas un argument définitif, cette coïncidence dans le nom de la reine mérite cependant d’être signalée. 3.3 Ancrage historique Dans son ouvrage de référence sur les origines de l’épopée française Pio Rajna proposait de reconnaître dans la Reine Sebile l’actualisation d’un récit plus ancien, d’origine germanique, dont on conserve des traces grâce à la Chronique de Frédégaire 29 . Le récit porte sur le roi des Lombards, Adaloald, qui meurt empoisonné à cause de la ruse d’un messager de Constantinople. Sa sœur Gondeberge épouse alors Charoald, duc de Turin, et lui confère la souveraineté. Un noble nommé Adalulf essaye de la séduire, mais se fait refuser avec force. Pour se venger, il calomnie la reine en lui attribuant un complot contre son mari et persuade Charoald de l’enfermer dans une tour. Le mensonge est découvert grâce à l’intervention de Clotaire II, le roi mérovingien, qui propose de vérifier les accusations à travers un duel judiciaire. Le champion de la reine emporte le duel si bien que, après trois ans, Gondeberge est finalement rétablie sur le trône. Pio Rajna insiste sur les analogies de ces deux récits avec la Reine Sebile et notamment sur la cohabitation entre les motifs de la femme injustement exilée et le duel judiciaire qui permet de démasquer le coupable. Il note aussi que dans la même chronique, quelques chapitres plus loin, Clotaire lui-même répudie sa femme, Sichilde qui est accusée d’adultère (Krusch 1888: 148). D’après Rajna, ces deux épisodes, qui ont bien pu être superposés, pourraient être à l’origine de la geste. Il suggère alors que le nom Sebile s’expliquerait précisément comme une évolution du nom de la reine mérovingienne Sichilde. Dans cette perspective, le schéma mi-historique mi-légendaire aurait été tout simplement réactualisé et adapté à l’époque carolingienne et ceci d’autant plus facilement que Charlemagne, en 771, a également répudié sa première femme, la fille de Didier, roi des Lombards. Cent ans environ après les travaux de Pio Rajna, Ignacio Chicoy-Daban, spécialiste des versions ibériques de la Reine Sebile, a repris l’enquête sur les sources qui relatent la répudiation de la femme de Charlemagne (Chicoy-Daban 1978 et 1980). Les Enfances Louis, le Charlemagne furieux ou la Chanson de la reine Sebile 117 30 À propos de ces deux personnages, cf. aussi Baldwin 1969: 596-97. Il insiste sur le fait que les chroniques de l’époque remplacent souvent le nom de la première épouse, Desiderata (Désirée) avec celui de Gerberga, l’épouse de son frère Carloman et montre que certains documents parlent d’une réconciliation entre les deux époux (Chicoy-Daban 1980: 63-64). Quant au nom de la reine, en revanche, le chercheur propose de reconnaître une influence de l’histoire «récente», à savoir l’époque des premières croisades. Il note que le prénom Sybille est très répandu à l’époque de l’Empire Latin d’Orient et signale notamment Sybille de Jérusalem qui en 1186, à la mort de son fils Baudouin V, hérita du trône de Jérusalem et épousa Gui de Lusignan, ainsi que Sybille de Hainaut, sœur de Baudouin I er de Constantinople (Chicoy-Daban 1980: 67-68) 30 . Il note que plusieurs détails de la chanson peuvent être interprétés comme des allusions à la croisade. Parmi ceux-ci je retiendrai surtout le trajet, suivi par la reine, à travers la Hongrie jusqu’à Constantinople ainsi que la relation triangulaire entre le pape, l’empereur de Constantinople et le roi de France. J’ajouterai que la croix sur l’épaule de Louis, découverte par le roi de Hongrie, pourrait également faire allusion au signe distinctif des croisés, voire des ordres monastiques-chevaleresques. La suggestion d’Ignacio Chicoy-Daban mérite d’être approfondie. En élargissant la recherche à la généalogie des comtes de Hainaut, on s’aperçoit que la sœur de Sybille, Isabelle de Hainaut, a été la première femme du roi de France, Philippe II Auguste, et qu’elle a été victime d’une tentative de répudiation qui a suscité, semble-t-il, beaucoup de bruit à son époque. L’épisode est raconté dans la Chronique de Hainaut, rédigée par Gilbert de Mons à la toute fin du XII e siècle (Vanderkindere 1904: 153). En mars 1184 - dit la chronique - Philippe Auguste réunit une assemblée de barons à Senlis et leur annonce son intention de se séparer de sa femme, Isabelle de Hainaut. Ce geste est vraisemblablement dû au fait qu’après quatre ans de mariage elle ne lui a pas encore donné d’héritiers. En plus, le roi s’apprête à reconfigurer ses alliances et entre en conflit avec Baudouin V de Hainaut, père de la reine. Ayant été alertée, la jeune reine prend une initiative qui lui a attiré un grand consensus populaire. La chronique raconte que, habillée en pauvresse, la reine demande publiquement miséricorde dans les rues de Senlis: Ipsa regina, vestibus preciosis depositis, assuptisque vestibus humillimis, per ecclesias civitatis illius nudipes circuibat, Deum exorans altissimum, ut eam a malignantium consiliis, que contra ipsam arcius tractabantur, eriperet; pro qua leprosi universique pauperes, tractatum malignum percipientes, ante palatium regine confluebant et clamosis vocibus, ipso rege audiente cum suis, Deum orabant ut adversarios regine confunderet, eamque ab eorum mala potentia eriperet (Ibidem). La chronique donne des détails précis: s’étant débarrassée de ses riches habits de reine, Isabelle s’est habillée en pauvresse. Elle s’est promenée nu-pieds en priant Dieu qu’il la préserve des mauvais conseillers qui veulent son malheur. Ce geste Mattia Cavagna 118 31 L’époque de Philippe Auguste, profondément marquée par les conflits entre le roi et les grands vassaux, coïncide avec un important essor des chansons de geste, en particulier celles des vassaux rebelles. Cf. par exemple Boutet 1993: 235-237 et Kay 1984. spectaculaire lui a attiré la faveur du peuple, notamment des couches plus basses de la société: un groupe de pauvres et de lépreux (leprosi universique pauperes) s’est rassemblé devant le palais du roi pour protester. Cette émeute populaire, ainsi que l’intercession du comte de Braine et de l’évêque de Beauvais, poussa, semble-t-il, Philippe Auguste à renoncer au divorce (Baldwin 1991: 41). Isabelle eut alors une fille et ensuite, en 1187, elle donna naissance à l’héritier du roi, le futur Louis VIII. Elle mourut en 1190. Sauf erreur de ma part, cet épisode n’a jamais retenu l’attention des spécialistes de la chanson de geste. Il me semble pourtant très vraisemblable qu’il ait un lien avec notre chanson et, probablement, aussi avec la chanson de Berte aus grans piés qui insiste encore plus sur les mésaventures de la reine injustement répudiée et réduite à l’état de pauvreté. Si l’on regarde du côté de la famille d’Isabelle de Hainaut, notre chanson trouve un ancrage très précis, même si les données historiques sont soumises à quelques transformations. Le nom de la reine Isabelle a très bien pu être superposé à celui de sa sœur Sybille. De même, les liens de parenté que la reine entretient avec l’empereur de Constantinople peuvent bien avoir subi un glissement vers l’amont de la généalogie, si bien que la figure de son frère, Baudouin VI de Hainaut, le premier empereur latin de Constantinople, vient se confondre avec celle de son père, Baudouin V, d’autant plus que les deux sont rentrés en conflit avec le roi Philippe Auguste. La Chanson de la Reine Sebile offre en somme un cas tout à fait spectaculaire de réactualisation d’une légende à travers l’histoire. Le motif de la reine injustement répudiée, qui puise sans doute ses origines à l’époque mérovingienne trouve, au début du règne de Philippe Auguste, un terrain tout à fait propice pour une nouvelle actualisation 31 . 3.4 Interprétation politique La question du rapport entre l’histoire et la légende vient se greffer sur la question, encore plus complexe, du rapport entre la légende et l’historiographie. En d’autres termes, quel degré de confiance doit-on accorder à la Chronique de Hainaut? On sait depuis longtemps que l’accusation d’adultère adressée à la reine renvoie, sur le plan symbolique, à l’instabilité du pouvoir royal (McCracken 1998). L’épisode de Senlis pourrait alors cacher un message politique et s’offrirait à une lecture au second degré. C’est la perspective subtilement indiquée par John Carmi Parsons 1999, selon lequel cet épisode attribuerait aux mauvais conseillers de Philippe Les Enfances Louis, le Charlemagne furieux ou la Chanson de la reine Sebile 119 32 Parsons 1999: 85 note que d’autres chroniques plus tardives, comme la Chronique des comtes de Flandre et la chronique de Baudouin d’Avesnes, reprennent et amplifient le récit de Gilbert de Mons en ajoutant des détails concernant la procession de la reine et la réconciliation avec Philippe Auguste. 33 En 1169, la sœur de Philippe de Flandres, Marguerite, épouse en secondes noces Baudouin V de Hainaut. Les deux eurent huit enfants, dont Isabelle, Sybille et Baudouin, le premier empereur de Constantinople (Baldwin 1991: 115). Auguste - à savoir ses grands vassaux - la responsabilité de mettre en danger la stabilité du royaume en renforçant, par ricochet, l’image d’un roi progressiste qui écoute la voix du peuple et qui reprend la reine à son côté. On ne peut pas exclure qu’une version plus ancienne de la Reine Sebile, voire de Berte aus grans piés, ait pu jouer une influence sur la Chronique de Gilbert de Mons et sur la tradition historiographique qu’en découle 32 . L’interprétation de la chronique proposée par John Carmi Parsons peut être tout aussi bien appliquée à notre chanson, où le corps de la reine a failli être mis sur le bûcher: le corps qui dans une perspective symbolique représente l’unité du royaume et qui, dans notre chanson, en assure aussi l’avenir, car il renferme l’héritier du roi. Mais la responsabilité de cette déstabilisation, qui met en danger la reine et jette le royaume dans le chaos, est déplacée de façon significative. Si la chronique insiste sur les conseils des barons malveillants (malignantium consiliis), la geste met en scène une situation grotesque et visiblement fictionnelle, où Macaire et le nain fonctionnent comme des leurres permettant de bâtir l’image d’un roi instable, coléreux et injuste. D’après mon hypothèse, en somme, la version française en alexandrins de la Reine Sebille a été composée autour de l’année 1187 (date de la naissance du futur Louis VIII) dans l’entourage de la famille des comtes de Hainaut. En élargissant la recherche dans leur arbre généalogique, on note finalement que les trois personnages mentionnés jusqu’ici - la reine répudiée Isabelle, sa sœur Sybille et son frère Baudouin, I er empereur de Constantinople - ont des liens de parenté assez étroits avec Philippe de Flandre, comte d’Alsace, qui est précisément leur oncle maternel 33 et qui, on le sait, est le dédicataire du Conte du Graal. Les points de continuité que j’ai relevés entre les deux textes - l’enfance du héros en «exil», la présence du charbonnier à l’âne, l’initiation aux armes, le parcours du héros, l’hôtesse amoureuse - prennent alors une signification beaucoup plus importante et méritent sans doute d’être approfondis. Mais ceci fera l’objet d’une nouvelle entreprise. Conclusion L’extrait de la Reine Sebile conservé dans le fragment de Bruxelles présente, d’après ma lecture, une scène tout à fait centrale de la geste. La scène du jeune Louis et de ses substituts paternels qui sont rassemblés devant le roi représente Mattia Cavagna 120 34 Il ne faut pas oublier que Philippe Auguste répudia aussi sa deuxième femme, Ingeburge, la fille du roi de Danemark (Baldwin 1991: 117-23). Par ailleurs, le débat historiographique autour de cet épisode est toujours d’actualité, comme en témoigne Rousseau 2014. 35 Le péché d’inceste avec sa sœur, lié à la naissance de Roland, fait également partie des données «biographiques» relatives à Charlemagne sur lesquelles la tradition présente des trous et des discordances. À ce propos, Rita Lejeune 1961 parlait d’une véritable «politique du silence». Cf. aussi Roncaglia 2012. le véritable tournant de l’intrigue et, en même temps, en fournit une clé de lecture globale. La première moitié du récit, concernant la fureur du roi et surtout l’exil de la reine, est placée sous le signe du bouleversement social. Ce bouleversement n’est pas dépourvu d’éléments carnavalesques - le couple mal assorti de la reine et du charbonnier - qui engendrent le rire. Le roi lui-même subit un traitement peu orthodoxe, voire burlesque, qui ne manque pas de nous rappeler le Pèlerinage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople et qui assume, dans le contexte social et politique de la fin du XII e siècle, une signification précise. Derrière cette image de Charlemagne furieux, qui faillit tuer sa femme et son enfant, se cache en effet l’image d’un roi, Philippe Auguste, qui n’a pas beaucoup de popularité, en particulier aux yeux des grands vassaux qui sont aussi les grands mécènes des écrivains. La tentative de répudiation d’Isabelle de Hainaut, qui semble avoir eu un grand retentissement à son époque, a sans aucun doute fourni une source d’inspiration à l’auteur qui a composé la geste en alexandrins dont nous ne conservons que quelques fragments 34 . Dans une perspective plus large, l’analyse de la tradition textuelle et manuscrite de la Reine Sebile ne fait que confirmer le décalage qui existe entre notre perception du canon épique médiéval et la circulation effective des textes et des récits. Si les chansons qui touchent à la biographie de Charlemagne, y compris le Pèlerinage, semblent former aujourd’hui un ensemble hétérogène et dispersé 35 , il me paraît évident qu’elles ont bénéficié, entre le XII e et le XIII e siècle, d’un très grand succès, en France et à l’étranger, et on ne peut pas non plus exclure qu’elles aient connu une phase de mise en cycle. Université catholique de Louvain Mattia Cavagna Bibliographie Manuscrits, éditions anciennes Chanson de la reine Sebile (fragment), Bruxelles, K.B.R., ms. B II e série 139 Ovide moralisé, Berne, Burgerbibliothek, Cod. 10 Ovide moralisé, Paris, B.N. f. fr. 870 Valère Maxime, Faits et paroles memorables, traduction par Simon de Hesdin, Paris 1500 Les Enfances Louis, le Charlemagne furieux ou la Chanson de la reine Sebile 121 Sources éditées Adenet le Roi, Les œuvres d’Adenet le Roi, vol. 4, Berte aus grans piés, ed. A. Henry, Bruxelles 1963 Adenet le Roi, Berte aus grans piés, ed. A. Henry, Genève 1982 Aubry de Trois-Fontaines, Chronicon, ed. P. 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