eJournals Vox Romanica 74/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2015
741 Kristol De Stefani

Quelques considérations sur le (sou)rire dans l’épopée romane1

121
2015
Pablo  Justel
vox7410157
Vox Romanica 74 (2015): 157-181 Quelques considérations sur le (sou)rire dans l’épopée romane 1 Resumen: Este artículo analiza algunos ejemplos de la risa y la sonrisa en la épica románica. Se centra, en particular, en los casos del Couronnement de Louis y Le Charroi de Nîmes, en el ámbito francés, y en el poema castellano del Cantar de mio Cid. La finalidad de este trabajo es triple. En primer lugar, da cuenta del carácter estereotipado de estos gestos en su materialización lingüística, mediante fórmulas y expresiones formulares. En segundo lugar, se subraya el hecho de que la risa y la sonrisa poseen una función demarcativa, en la medida en que, con frecuencia, introducen el discurso directo del personaje que realiza estos gestos. En fin, se analiza cómo la sonrisa caracteriza a Rodrigo, protagonista del Cantar de mio Cid, mientras que el héroe de las chansons de geste francesas, Guillaume d’Orange, se define por la risa. Keywords: Medieval epics, Comparative literature, William of Orange, el Cid, laugh, smile, formulaic system Un préjugé tenace, hérité du Romantisme (et même sans doute de la Renaissance), corollaire de la vision du Moyen Âge conçu comme un temps obscur, considère celui-ci comme une époque où les distractions étaient rares et ponctuelles, marquée par le contrôle de l’Église sur une société théocentrique. Évidemment, il s’agit là d’une vision peu nuancée du Moyen Âge, qui ignore la notion d’évolution chronologique, qui ne prend pas en compte les particularités régionales du monde médiéval et qui renonce à l’analyse de tout élément de la vie ou de la culture de cette époque. En d’autres termes, comme dans n’importe quelle tentative de réduire un processus complexe à quelques caractéristiques qui le définissent, le résultat obtenu n’est pas seulement partiel, mais déformé, voire purement et simplement faux. L’un des aspects que l’on a traditionnellement jugé propre au Moyen Âge est l’absence d’éléments comiques ou joviaux dans toutes leurs manifestations. Or, cette caractérisation a été démentie par de nombreux travaux consacrés, ces dernières décennies, aux formes de l’humour qui se sont développées pendant ces prétendus temps obscurs: en réalité, les différentes manifestations de l’humour semblent connaître une véritable floraison à partir du XII e siècle 2 . Dans le prolongement de ces travaux, nous nous intéresserons dans cette étude à certains exemples du rire et du sourire tirés des chansons de geste et de l’épique médiévale castillane. En fait, comme nous le verrons, seuls quelques-uns de ces cas possèdent 1 Ce travail s’inscrit dans les activités du Proyecto del Plan Nacional de I+D+i du Ministerio de Ciencia e Innovación FFI2012-32331: Formas de la Épica Hispánica: Tradiciones y Contextos Históricos II. Je tiens à remercier Carlos Heusch et Mélanie Juste pour leur généreux secours linguistique. 2 Il suffit de penser à ce sujet à Ménard 1990, Braet/ Latré/ Verbeke 2003 et Classen 2010. On peut aussi observer l’essor du terme «hilari» dans les diplômes du XII e siècle, avec l’expression «hilari dator» (Vercauteren 1969). Pablo Justel 158 3 Cf. Horowitz/ Menache 1994 et Moretti 2001. une charge comique effective, de sorte que l’on ne peut pas toujours assimiler l’expression faciale du rire ou du sourire à une réelle manifestation de l’humour ou de la joie. Le Goff 1989: §18-19 établit pour la chronologie du rire une division tripartite: un premier moment, du IV e au X e siècle, où prédomine «le modèle monastique», de sorte que le rire est «réprimé et étouffé», bien que Le Goff rappelle le contrepoint des joca monachorum; une deuxième étape, qui englobe les XII e et XIII e siècles (avec certains aspects qui permettent de la faire remonter au XI e siècle), qu’il définit comme «temps de la libération et du contrôle du rire», où «le rire devient véritablement une forme de spiritualité et de comportement», notamment grâce à une certaine ouverture de l’Église, à l’ascension des laïcs et à l’épanouissement des littératures en langue vulgaire. Enfin, avec le XIV e siècle commence la troisième période, avec un rire «débridé», carnavalesque. Les textes de notre étude s’insèrent dans la deuxième période, où le rire n’est plus directement condamné par l’Église. Bien au contraire, il est même employé par les religieux dans leurs homélies; dès le XIII e siècle, ces derniers commencent à se servir de recueils d’exempla 3 , ce qui signifie que, désormais, le rire, lorsqu’il a des causes et des visées positives - bien entendu, dans une perspective de l’orthodoxie chrétienne -, est soutenu par l’institution de Pierre. Rire n’est pas sourire. Le latin déjà distingue r ī d ē re ‘rire’ et s ŭ br ī d ē re ‘sourire’: «subrideo est leviter aut latenter rideo» (Forcellini 1965 s. s ŭ br ī d ĕ o). Cette distinction se maintient dans les langues romanes qui nous intéressent. Le Petit Robert 2010 définit rire par ‘exprimer la gaieté par l’expression du visage, par certains mouvements de la bouche et des muscles faciaux, accompagnés d’expirations saccadées plus ou moins bruyantes’. Selon le TLFi, sourire signifie ‘prendre une expression légèrement rieuse, en esquissant un mouvement particulier des lèvres et des yeux’. Les rapports entre les deux verbes restent cependant étroits, comme le montre la présence de l’élément «rire» dans «sourire» ainsi que par l’emploi d’un dérivé de rire («rieuse») dans la définition du TLFi. La situation est similaire en espagnol: dans le DRAE, la première acception de sonreír est ‘reírse un poco o levemente, y sin ruido’; Moliner 2008 le définit comme ‘hacer con los músculos de la cara un gesto como el que se hace para reír, pero sin emitir ningún sonido’ et Seco/ Andrés/ Ramos 2011 le définissent par ‘reír levemente y sin ruido’. Reír est donc régulièrement présent dans les définitions de sonreír, même si celles-ci soulignent toujours que sonreír est plus discret que reír, qui se caractérise par des émissions sonores. En ancien français, les deux verbes sont présents depuis les plus anciens textes littéraires, entre la fin du XI e siècle et le milieu du XII e . La première attestation du verbe rire se trouve dans la Chanson de Roland (v. 302), le substantif ris dans la Vie de Saint Nicolas de Wace (v. 1293), suzrire également chez Wace (FEW s. s ŭ br ī d ē re) et surrire dans le Pèlerinage de Charlemagne (v. 373). En castillan médiéval, les Quelques considérations sur le (sou)rire dans l’épopée romane 159 4 Même si Garnier 1982: 49 ne fait pas référence à l’épopée mais au geste en soi, il convient de le rappeler sur ce point: «Les larmes ou le rire peuvent avoir des origines très différentes, s’intégrer dans une conduite d’adaptation ou ne pas être en relation avec la résolution d’un problème. Dans ce cas précis, l’expression exprime un état, une disposition, une réaction personnelle. Qu’elle se traduise par des gestes efficaces ou non, elle donne une des significations essentielles de l’image, colorant les faits présentés, qui ajoute à leur matérialité la valeur humaine du fait de conscience.» attestations sont un peu plus tardives; elles n’apparaissent qu’à partir de la première moitié du XIII e siècle. La première occurrence de reír se trouve chez Berceo. Sonrisar, variante de sonreír, n’est documenté qu’à partir du Cantar de mio Cid ainsi que dans une autre composition épique (Corominas/ Pascual 1980-91 s. reír). Toujours est-il que dans les deux langues, les premières attestations de rire, sourire et sonrisar appartiennent à des textes épiques, ce qui ne manque pas d’intérêt. Nous ne mentionnerons pas ici la totalité des allusions au rire et au sourire qui se trouvent dans l’épopée française. L’étude déjà classique de Ménard 1969: 28-38, sans présenter une liste exhaustive des occurrences, signale le déséquilibre entre les références au rire et au sourire: si le premier est exprimé à de nombreuses reprises, le deuxième n’apparaît que dix-huit fois dans la quarantaine de chansons de geste que comporte son corpus. Cela contraste avec un emploi plus fréquent du terme «sourire» dans le roman courtois par rapport aux textes épiques (Ménard 1969: 426), même si le «rire» est aussi plus abondant dans le roman que la simple manifestation faciale qui exprime (normalement) la joie. C’est notamment dans le deuxième quart du XIII e siècle que sourire devient plus fréquent et commence à concurrencer rire. Enfin, il convient de souligner que le rire, dans les chansons de geste et dans les romans courtois, possède des significations fort différentes, qui vont de la joie jusqu’à la méchanceté en passant, par exemple, par l’inquiétude, la folie ou l’ironie. Le tableau ci-dessous rassemble plus d’une centaine de cas tirés d’une vingtaine de chansons de geste où les personnages rient (ou, dans une moindre mesure, sourient), chiffre qui, à notre avis, est suffisant pour donner une vision globale et fondée des usages de rédaction des auteurs. Nous avons tenu compte de deux paramètres pour classer les exemples: le rire d’un personnage suit-il le discours d’un autre personnage? Après le rire, ce même personnage commence-t-il une allocution? La colonne étiquetée «précède de près un discours direct» comprend les occurrences où, après le rire, qui occupe le deuxième hémistiche, le poète insère dans le vers suivant (normalement, dans la première moitié) un verbum dicendi pour marquer le début du discours, ainsi que celles où le rire fonctionne comme un complément de manière du verbe de la parole, comme dans «dist en riant». Précisons aussi que dans la colonne «rire comme réaction», nous incluons uniquement les cas où le rire répond immédiatement à un discours, puisque le rire peut constituer également une réaction à ce que le personnage concerné vient de voir 4 . Or, dans de tels exemples, la fonction démarcative du rire est inexistante, à la différence du dialogue, où le commencement du rire d’un personnage peut clore l’intervention d’un autre participant. Pablo Justel 160 Vers X X Guillaume, v. 2194; Couronnement, v. 1177, 1700; Charroi, v. 44, 456, 478, 489, 995, 1230; Fierabras, v. 409, 465, 2642; Aliscans, v. 3702; Prise d’Orange, v. 629; Moniage Guillaume, v. 3418, 6103, 6230, 6246; Antioche, v. 6647, 7360, 8142; Ch Ogier, v. 1369; Ch Vivien, v. 1179; Girart de R, v. 4397; Raoul, v. 5155, 5653, 6371; Aiol, v. 155, 161; Floovant, v. 582; Prise de Cordres, v. 1103, 1571, 2442; Enf Guillaume, v. 2046; Enf Vivien, v. 2635, 2685; Huon, 6382; Berte, v. 1404; Buevon, v. 3503, 3766 X X Couronnement, v. 1478; Charroi, v. 604; Fierabras, v. 625; Aliscans, v. 4652; Prise d’Orange, v. 1296; Moniage Guillaume, v. 1178, 1434; Antioche, v. 719, 4101; Renaut, v. 4858; Pèlerinage, v. 700; Garin, v. 8915, 9390; Ch Ogier, v. 6715; Raoul, v. 7073; Aiol, v. 8905; Prise de Cordres, v. 1019; Saisnes, v. 5002; Enf Guillaume, v. 2461; Siège de Barbastre, v. 870; Huon, v. 3580 X X Roland, v. 302-303; Charroi, v. 1001, 1152; Fierabras, v. 1364; Aliscans, v. 4569, 7869; Moniage Guillaume, v. 1033, 3272, 5990; Antioche, v. 556; Garin, v. 11954, 15864; Raoul, v. 6084; Ami et Amile, v. 1955, 1962; Aiol, v. 621, 3475, 8277, 8896; Enf Vivien, v. 681, 1257; Siège de Barbastre, v. 2090, 7468; Huon, v. 7825; Berte, v. 1797; Buevon, v. 3652 X X Antioche, v. 6791; Aspremont, v. 9267, 11152; Girart de R, v. 7788, 8377 X X Roland, v. 619, 628, 862; Fierabras, v. 565; Prise d’Orange, v. 1730; Antioche, v. 8031; Aspremont, v. 1980, 7036, 8154; Pèlerinage, v. 278; Garin, v. 4261; Enf Vivien, v. 2546; Buevon, v. 2413 X X Couronnement, v. 2604; Fierabras, v. 6193; Aliscans, v. 4407; Moniage Guillaume, v. 6628; Renaut, v. 6233; Ch Ogier, v. 10039; Garin, v. 2997, 16558; Enf Guillaume, v. 1773, 2620 Rire comme réaction N’introduit pas de discours direct Pas de réaction Introduit un discours direct Précède de près un disocours direct Quelques considérations sur le (sou)rire dans l’épopée romane 161 5 Fierabras, v. 409 et 465; Chanson d’Antioche, v. 556; Aiol, v. 155, 3475 et 8905; Floovant, v. 582; et Siège de Barbastre, v. 870 et 2090. 6 Moniage Guillaume, v. 1033; Chanson d’Antioche, v. 719, 6647 et 7360; Aiol, v. 161; et Renaut de Montauban, v. 4858. 7 Le Charroi de Nîmes, v. 1152; Moniage Guillaume, v. 3272 et 3418; Chevalerie Ogier, v. 1369 et 6715; Raoul de Cambrai, v. 5653; Ami et Amile, v. 1955 et 1962; Enfances Vivien, v. 2685; et Buevon de Conmarchis, v. 3652. 8 Le Charroi de Nîmes, v. 489; Prise d’Orange, v. 1296; Enfances Vivien, v. 681; Prise de Cordres et de Sebille, v. 2442; et les nombreux cas où le sujet est Guillaume: Couronnement de Louis, v. 1478; Le Charroi de Nîmes, v. 44, 459, 478, 995, 1001 et 1230; Aliscans, v. 4652; Prise d’Orange, v. 629; Moniage Guillaume, v. 1178, 5990, 6230 et 6246; et Enfances Vivien, v. 2635. 9 Aliscans, v. 4569; Moniage Guillaume, v. 6103; Raoul de Cambrai, v. 5155 et 7073; Enfances Vivien, v. 681; Enfances Guillaume, v. 2046; Prise de Cordres et de Sebille, v. 1019; Huon de Bor- Plusieurs données se dégagent de ce tableau, au-delà de son simple intérêt quantitatif, puisqu’elles reflètent les tendances des auteurs. En premier lieu, on remarque que, dans plus de deux tiers des exemples, le rire répond à un discours direct antérieur et qu’un nombre semblable introduit une intervention orale (ou est accompagnée du verbum dicendi). Cela veut dire que, dans les différentes significations que possède le rire dans l’épopée française, sa présence sert - nous le verrons - à identifier les personnages et informer de leurs relations, ainsi qu’à laisser entrevoir (et non à révéler, en raison de la diversité des significations du rire) la réaction de celui qui rit avant qu’il ne prononce ses mots. Au niveau de la composition, les auteurs ont manifestement l’habitude de se servir du rire pour délimiter le dialogue, que ce soit le discours du protagoniste pour le commencer, ou alors celui de l’autre intervenant pour le clore. Par ailleurs, les auteurs combinent souvent plus de deux facteurs ou montrent d’autres préférences personnelles: dans le Charroi, sur les neuf exemples du rire, six constituent une réaction à quelque chose que l’on vient d’entendre et introduisent un discours direct; dans Aiol, quatre des sept occurrences s’inscrivent dans une seule parmi les six possibilités évoquées dans le tableau ci-dessus, à savoir le rire comme réaction qui ne donne pas lieu à un dialogue. Cependant, le nombre de cas qu’offre chaque chanson varie, et même dans la chanson où le rire apparaît avec une plus grande fréquence, les occurrences ne sont pas assez abondantes pour en tirer des conclusions définitives. Sur le plan de l’expression, les poètes matérialisent le plus souvent l’action de rire par des constructions plutôt figées: le premier hémistiche est dédié à l’instant où un personnage écoute l’autre; le deuxième est consacré au rire du second. Même le moyen par lequel les auteurs actualisent les deux moments possède un contenu formulaire dans la majorité des cas, de sorte que le schéma est doublement stéréotypé. Évidemment, le premier hémistiche peut aussi être dévolu à d’autres contextes, mais, si nous nous bornons au nôtre, les principales formules et expressions formulaires - les séquences qui admettent des variantes lexicales - sont «quant l’entent [sujet]» 5 , «quant [sujet] l’entent» 6 , «[sujet] l’entent» 7 , «ot le [sujet]» 8 et «[sujet] l’ot» 9 , répartis dans l’ensemble du corpus français. Pablo Justel 162 deaux, v. 3580; et de nombreux exemples dont le protagoniste est Guillaume: Couronnement de Louis, v. 1177 et 1700; Aliscans, v. 3702 et 7869; et Chevalerie Vivien, v. 1179. 10 Pèlerinage de Charlemagne, v. 700; Chanson d’Antioche, v. 8142; Roaul de Cambrai, v. 6084; et Enfances Vivien, v. 2546. 11 Chanson de Roland, v. 302; Prise d’Orange, v. 629, 1296 et 1730; Moniage Guillaume, v. 6628; Chevalerie Ogier, v. 1369; Enfances Guillaume, v. 1773 et 2046; Raoul de Cambrai, v. 7073; Prise de Cordres et de Sebille, v. 1019; Renaut de Montauban, v. 6233; et la variante «commencë a rire» (Enfances Vivien, v. 1257). 12 Aliscans, v. 4569; Moniage Guillaume, v. 1033; Chevalerie Vivien, v. 1179; Renaut de Montauban, v. 4858; Huon de Bordeaux, v. 7825; et la variante «en avoit ris assez» (Fierabras, v. 2642). 13 «Soz son helme s’en rit» et «soz son escu s’en rit! » (v. 2997 et 9390, respectivement). 14 Parmi les chercheurs dont l’intérêt a été suscité par ces tournures, on citera Press 1976 et 1978, centré sur Le Charroi, qui ne perçoit pas la fonction démarcative du rire, et Weill 1990 qui se limite à Auberi de Bourguignon. 15 Enfances Guillaume, v. 2461 et 2620; et Aiol, v. 8905. 16 Buevon de Conmarchis, v. 3503 et 3652. 17 Couronnement de Louis, v. 1478 et 1700; Moniage Guillaume, v. 5990 et 6103; Raoul de Cambrai, v. 5155; Chanson d’Antioche, v. 556; Ami et Amile, v. 1955 et 1962; Enfances Vivien, v. 2635 et 2685; et les variantes «si en geta .I. ris» (Siège de Barbastre, v. 7468) et «s’a gité un sozris» (Garin le Loherain, v. 4261). 18 Le Charroi de Nîmes, v. 44, 459, 478, 489, 995, 1001 et 1230; Fierabras, v. 409, 465 et 625; Aliscans, v. 3702 et 7869; Moniage Guillaume, v. 1178, 6230 et 6246; Chanson d’Antioche, v. 719 et 7360; Raoul de Cambrai, v. 5653; Aiol, v. 8277; Prise de Cordres et de Sebille, v. 2442; Huon de Bordeaux, v. 6382; et les variantes «en a .I. ris jeté» (Fierabras, v. 6193), «s’i a .I. ris jeté» (Chanson d’Antioche, v. 6647), «s’en a .II. ris getez» (Siège de Barbastre, v. 870) et «un ris en a geté» (Huon de Bordeaux, v. 3580). Quant au deuxième moment, à savoir l’instant concret du rire qui est celui qui nous intéresse ici, les séquences cristallisées jouissent encore d’une plus grande variété; toutes (sauf «[sujet] s’en rist» 10 ) se situent dans le deuxième hémistiche. D’un point de vue aussi bien morphologique que (en partie) sémantique, on distingue deux types de formules: celles formées avec le verbe «rire», et celles composées d’un autre verbe et du substantif «ris». Parmi les premières, nous trouvons des séquences qui sont plus étendues et employées par plusieurs poètes, telles que «si cumençat a rire» 11 et «si en a ris assez» 12 . Mais on rencontre aussi des syntagmes figés exclusifs d’une composition - du moins en ce qui concerne notre corpus - dans le cas de «s’en rist li ber» d’Aiol (v. 155 et 161), et «soz son [arme] s’en rit» de Garin le Loherain 13 . Dans les séquences constituées par «ris» et un verbe 14 , celui-ci est «faire» dans quatre attestations: «si en a fait un ris» (Chanson d’Antioche, v. 6791; Chevalerie Ogier, v. 6715) et ses variantes «s’a fait .i. ris» (Aiol, v. 3475) et «si li a fait un ris» (Buevon de Conmarchis, v. 3766). Dans tous les autres cas, c’est «jeter»: «un ris en ait geteit» 15 , «de joie un ris geté» 16 , et, avec une plus grande fréquence encore, «s’en a jeté un ris» (douze occurrences dans huit chansons 17 ), et «s’en a un ris gité» (vingt-cinq occurrences dans dix poèmes 18 ). Parmi les exemples que nous venons de citer (et d’autres qui sont restés en dehors de notre corpus), ressortent les cas où le rire est accompagné d’une certaine violence en principe non-verbale - en fonction du discours introduit -, mais ges- Quelques considérations sur le (sou)rire dans l’épopée romane 163 19 Sur ce personnage, voir les travaux de Le Person 2001, Lachet 2003 et Vallecalle 2003. 20 Cf. l’analyse d’Adler 1958 de cet épisode. tuelle et sonore, ce qui s’accentue quand le verbe employé est «jeter». En d’autres termes, dans les chansons de geste, le rire en réponse à une intervention, loin d’apaiser les personnages ou de réduire la tension qui existe entre eux, prolonge souvent le conflit. En effet, ce mode de réplique peut frôler le défi, comme le confirme par la suite le discours du personnage qui vient de rire. Dans sa belle étude, Ménard 1969: 31-34 a parfaitement saisi le sens du rire dans les chansons de geste: «C’est sans doute la marque des héros épiques, pleins de vie et d’allant, que de jeter des éclats de rire. Ils ne maîtrisent pas leur riche nature. Ils ont le verbe haut et le rire sonore» (32) et peu après Ménard affirme: «Ces rires montrent la robuste assurance des héros» (34). En ce qui concerne les différents personnages des chansons auxquels se rapportent les nombreux exemples du rire, il convient de souligner deux points. En premier lieu, on observe que ceux qui rient sont presque toujours chrétiens (et en général, hommes); rares sont les cas où les protagonistes sont musulmans, comme par exemple dans le Moniage Guillaume, v. 3272 et 3418. Dans ce sens, on pourrait affirmer en suivant Ménard que, dans la diversité des signifiés que possède le rire en fonction de chaque situation, c’est un trait caractéristique, sinon exclusif, des personnages chrétiens. Cependant, parmi les rares exceptions contraires à cette tendance, on évoquera le cas de Fierabras 19 . Dans la chanson homonyme, cinq des sept exemples du rire ont comme protagoniste le géant sarrasin qui, suite à son échec contre Olivier, se convertira au christianisme. En outre, les cinq occasions où Fierabras rit appartiennent au combat contre le héros chrétien, épisode qui s’étend du début du poème jusqu’au vers 1592 20 . Il y a deux aspects qui se dégagent de cette disposition: - D’une part, le rire est nettement plus fréquent, et de loin, dans le premier épisode - la première occurrence se trouve au vers 409, la dernière au vers 1364. Dans le reste du poème, qui va jusqu’au vers 6408, nous n’en rencontrons que deux autres exemples (v. 2642 et 6193). - D’autre part, le seul personnage qui rit pendant le combat est Fierabras; dans quatre des cinq exemples (v. 409, 465, 565 et 625), le destinataire du rire est Olivier. Dans tous ces cas, on apprécie l’orgueil du géant qui, après avoir ri trois fois, demande au pair de Charlemagne - qui s’est fait passer pour Garin - de lui décrire Roland et Olivier, et l’enjoint de demander à Charlemagne d’envoyer Roland, Olivier ou Ogier pour lutter contre lui. Ces deux aspects sont sans aucun doute liés: dans ce long combat singulier, les guerriers ne se contentent pas d’échanger des coups mais les ponctuent de dialogues, questions, insultes et propositions. En ce sens, le rire de Fierabras témoigne d’un clair mépris envers Olivier, qui le vaincra après, miraculeusement. Pablo Justel 164 21 La bibliographie sur ce personnage est considérable. Nous renvoyons le lecteur à l’exhaustif travail de critique bibliographique de Bennett 2004 et à la plus récente monographie de Corbellari 2011. Le deuxième point à signaler est en partie lié au précédent mais le dépasse car si, dans certaines chansons, un personnage rit plus que les autres, cela devient pour lui un trait caractéristique particulier. Dans le corpus français, seul Guillaume, comte d’Orange, possède ce privilège 21 . Au-delà du fait que dans tous les poèmes considérés où Guillaume apparaît, nous rencontrons au moins un exemple de son rire, dans deux chansons celui-ci révèle un trait fondamental de son caractère. C’est le cas du Couronnement de Louis et du Charroi de Nîmes qui, après la Chanson de Guillaume, sont les compositions les plus anciennes du cycle, de sorte que le rire définit son protagoniste presque dès ses origines. Cela explique que l’auteur de la Prise d’Orange, postérieure, ait été conscient que le rire du héros constituait un de ses signes distinctifs. Ainsi, quand Guillaume projette une expédition à Orange pour contempler les merveilles de la ville et de la belle Orable, Bertrand le prévient que son déguisement sera peu efficace puisque: «conoistront vos a la boce et au rire» (v. 337). Passons brièvement en revue les exemples dans lesquels Guillaume rit dans le Couronnement et Le Charroi, leurs différents contextes et significations. Malgré la diversité des sens qu’ont les rires du héros «al corb nés», les différentes attitudes qui se dévoilent sont complémentaires et forment le caractère complexe du personnage. Dans le Couronnement, Guillaume est le protagoniste des quatre occurrences du rire. La première (v. 1177) se situe au moment où, après qu’il a battu non sans difficultés le géant Corsolt, Bertrand lui conseille de se reposer. Loin d’accepter cette proposition, Guillaume rit et lui répond qu’il continuera à lutter dans l’avantgarde, le rire dénotant alors sa fermeté et son énergie. Le deuxième (v. 1478) se produit au moment où un pèlerin informe Guillaume de l’état du royaume de France et lui demande où se trouve le lignage d’Aymeri, qui était le soutien du monarque. Dans ce cas, le rire montre que Guillaume est fier de ses ancêtres, qui servirent avec fidélité le roi, tout en laissant entrevoir un changement d’attitude du souverain envers la maison d’Aymeri, maintenant dirigée par celui qui rit. Le troisième exemple (v. 1700) survient lorsque Guillaume est en train de prier à Saint-Martin: Gautier l’alerte qu’il y a quatre-vingt clercs, chanoines, évêques et abbés qui ont organisé des assemblées criminelles et que Louis sera déshérité ce même jour. Face à cela, Guillaume rit et demande à Gautier où il peut trouver Louis. Ce rire reflète la confiance du héros en lui-même, en ses capacités guerrières pour contrecarrer le plan des religieux, mais révèle en même temps que le monarque est conscient qu’il a besoin de Guillaume pour continuer à gouverner, tout comme dans l’exemple précédent. Enfin, la dernière occurrence (v. 2604) se situe au moment du combat qui oppose le héros à Gui d’Allemagne, après le coup manqué de ce dernier. Dans ce contexte, Guillaume découvre sa facette comique quand il se moque de son Quelques considérations sur le (sou)rire dans l’épopée romane 165 adversaire, mais le sens du rire n’est pas seulement la raillerie. Il en émane également la certitude qu’il sortira victorieux de l’affrontement. Le rire dans Le Charroi de Nîmes est encore plus fréquent. En effet, de toute l’épique française, c’est la chanson qui présente la plus grande densité de rires. Nous y rencontrons neuf exemples, parmi lesquels six dont Guillaume est le protagoniste. De nouveau la diversité connotative des différentes occasions où le héros rit est grande; elle nous permet de le caractériser sous plusieurs angles. Afin de comprendre les attitudes dont Guillaume témoigne à travers son rire, nous tiendrons compte non seulement du contexte dans lequel il rit, mais aussi du destinataire de son geste. Cela nous permet de distinguer trois types de conduites, que nous examinerons sommairement dans l’ordre où nous les trouvons dans le texte. Les trois premiers exemples (v. 44, 459 et 478) ont pour destinataire Louis, car même si les deux premiers ont lieu dans des conversations entre Guillaume et son neveu Bertrand en l’absence du monarque, l’objet de la discussion n’est autre que le roi et les décisions qu’il a prises dans la répartition des fiefs. Dans le premier cas, Bertrand rapporte à son oncle que Louis l’a oublié dans la distribution des terres; or la première réaction du comte d’Orange est de rire. Comme Frappier 1967: 199 l’a signalé, dans cette réaction «doivent se mêler le sarcasme et le mépris». Le contexte de la deuxième occurrence est un peu différent, même s’il est en rapport avec le premier, dont il constitue à la rigueur la réponse. Le monarque a proposé à Guillaume le quart de son royaume et de ses biens (v. 380-96), mais celui-ci a refusé. Dans cette situation, Bertrand cherche à lui faire comprendre qu’il a mal agi et lui conseille de demander au roi plusieurs territoires, qu’il énumère (v. 450-53), et Guillaume rit à nouveau. Ce «rire libérateur» (Frappier 1967: 194) semble constituer la solution au problème de la répartition des fiefs: ceux-ci ne seront plus attribués au fidèle vassal pour qu’il les occupe car ils n’appartiennent pas au roi Louis, contrairement à ce que les autres vassaux ont reçu, mais devront être conquis par le héros. Cela donnera lieu à une autre manifestation du service qu’il rend au monarque et engendrera une nouvelle occasion pour conter et chanter les prouesses de Guillaume. Enfin, la troisième fois où le protagoniste rit, il le fait en présence du roi, après que celui-ci lui a offert la moitié de son royaume: Guillaume rit, suit le conseil de son neveu et lui demande les terres mentionnées. Ainsi, les trois occurrences du rire rythment d’une certaine façon le conflit de la répartition des fiefs: avec la première surgit le conflit, lors de la deuxième on propose une solution, alors que la troisième n’est qu’une confirmation de la précédente. Cependant, l’insistance de Guillaume à suivre la proposition de Bertrand se heurte aux offres du monarque, ce qui provoque le dernier rire et ouvre la possibilité de nouvelles conquêtes. Nous trouvons ensuite deux occurrences où Guillaume rit après des interventions de Bertrand. Celles-ci se situent dans les moments précédant leur arrivée à Nîmes, lorsqu’ils doivent se déguiser en marchands pour pouvoir entrer dans la ville. Dans les deux cas, Bertrand est l’objet du geste, puisqu’il se plaint de ses chaussures inconfortables et peu après du fait qu’il ne sait ni piquer ni frapper de l’aiguillon pour faire bouger les bœufs. La proximité des deux moments (v. 995 et Pablo Justel 166 22 La découverte en 1903 de la Chanson de Guillaume contenant l’épithète «al curb nes» (v. 825, 2311, 2493, 2983 et 3382) et le syntagme «la bosce sur le nes» (v. 2310) confirma l’hypothèse de Gaston Paris, selon laquelle il se produisit une confusion entre «curb» (qui perdit le -e final) et «curt», de sorte que le poète du Couronnement de Louis explique l’origine de cette mutilation par un coup dans le combat contre le géant Corsolt (v. 1036-41). 23 On peut voir à ce propos les considérations de Tanase 2010: 39-40. 24 Dyer (1995: 59, 98 et 115), qui correspondent aux v. 873, 946 et 2443 du Cantar. 25 V. 154, 298, 923, 946, 1266, 1918, 2331, 2443, 2889 et 3184. 1001) accentue encore le comique de cet épisode, dans lequel la fonction du rire est tout simplement humoristique. En fait, l’auteur y parodie également les scènes où ses confrères s’attardent sur la beauté des armes au moment où les guerriers s’habillent, juste avant les combats. Le dernier exemple du rire de Guillaume se trouve à l’occasion de son entrée à Nîmes. Avant qu’il puisse accéder à la ville, le roi sarrasin Otran observe sa «boce sor le nes» (v. 1209) et croit le reconnaître. Il l’interroge alors sur Guillaume, du lignage d’Aymeri, famille qui a fini avec les membres de la sienne. Face à cela, le héros chrétien rit et lui répond par une histoire inventée où il explique comment il a perdu une partie de son nez 22 . Dans ce cas, le rire de Guillaume va au-delà des exemples précédents avec Bertrand, même s’il partage une ambiance comique similaire, puisque le poète élabore ici toute une stratégie de la dissimulation, du masque et de la ruse 23 . De cette façon, en tenant compte des six cas de rire du héros, ce dernier est défini en tant que vassal (dans sa relation avec Louis), seigneur (par rapport à Bertrand) et envahisseur (par ses capacités guerrières, grâce à sa ruse). Sans empêcher des différences notables entre les contextes, les significations et les attitudes, la spécificité première du rire chez Guillaume dans les chansons de geste est comparable à celle du sourire de Rodrigo Díaz dans le Cantar de mio Cid. Mais l’expression du sourire est aussi attribuée au héros castillan dans d’autres compositions qui lui sont consacrées. Dans l’Historia Roderici, trois des quatre exemples du sourire renvoient au Cid; dans les Mocedades de Rodrigo, poème de la moitié du XIV e siècle dont nous ne conservons qu’un peu plus de mille vers et qui raconte la jeunesse de Rodrigo, nous rencontrons une seule occurrence du sourire, qui fait référence au Campeador (v. 528). Les chroniques qui prosifient le Cantar de mio Cid, comme l’Estoria de España et la Crónica de veinte reyes, maintiennent quatre exemples parmi les sourires présents dans le poème épique, ce qui indique que, loin d’être un détail insignifiant, ce geste caractérise bien l’attitude des personnages face aux mots d’autrui ou la façon dont ils reçoivent une nouvelle. Sur les quatre cas que les chroniqueurs ont conservés, les deux premiers se réfèrent cependant au roi Alfonso et les deux autres au Campeador 24 . Parmi les quinze occurrences du Cantar, deux font référence au roi (v. 873 et 1368), une à Avengalvón (v. 1518), à Álvar Fáñez (v. 1527) et aux vassaux du Campeador (v. 2532). Sinon, c’est Rodrigo qui en a le monopole, puisqu’il sourit à dix reprises 25 . Mais avant de nous concentrer sur les passages dans lesquels Quelques considérations sur le (sou)rire dans l’épopée romane 167 s’insèrent ces sourires et sur leurs significations, à la lumière aussi de ce que nous avons observé chez Guillaume et pour suivre le même ordre que dans l’analyse de l’épique française - afin de faciliter aussi la comparaison - regardons dans quelle proportion les occurrences du sourire dans le Cantar suivent les paroles d’un personnage et dans quelle mesure ils introduisent un discours direct: Vers X X 1527, 2331 X X X X 2531 X X 873, 923, 946, 1266, 1918, 2443, 2889 X X 154, 298, 1368, 1518, 3184 X X Rire comme réaction N’introduit pas de discours direct Pas de réaction Introduit un discours direct Précède de près un disocours direct Deux idées clé se dégagent de ce tableau. Elles s’éloignent dans une certaine mesure du rire dans les chansons françaises. Par rapport au premier facteur, le poète du Cantar concentre presque toutes les occurrences sur les cas où il n’y a pas de discours préalable. Lorsque c’est une action ou une situation qui constitue l’origine du sourire, ce n’est pas, en principe, un discours. Pour le deuxième paramètre, la tendance est encore plus nette: nous n’avons qu’un seul cas (v. 2531) où le sourire ne donne pas lieu à une allocution chez le personnage qui a fait le geste. Et même cette exception introduit un discours, bien qu’indirect. Il s’agit de la médisance qui court parmi les hommes du Campeador à propos de la participation fort discrète des infants de Carrión dans la bataille contre Bucar: Vassallos de mio Cid seyénse sonrisando quién lidiara mejor o quién fuera en alcanço mas non fallavan ý a Diego ni a Ferrando (v. 2531-33) Même s’il n’existe aucune contrainte narrative qui exige qu’un personnage, après avoir souri, doive prendre la parole, le fait est que, dans tous les exemples, l’auteur Pablo Justel 168 26 Sur la gestualité dans le Cantar, voir les travaux de West-Burdette 1987-88 et Disalvo 2007, même si aucun des deux ne mentionne le sourire. 27 Les vers qui n’introduisent pas un discours direct sont indiqués en italiques: «en pie se levantó»: v. 2219, 2296, 3145, 3270, 3291, 361, 3382, 3429 et 3457; «levantós‘ en pie»: v. 2027, 3108, 3215, 3402 et 3422; «luego se levantó»: v. 2091 et 3199; «levantós’ [sujet]»: v. 2933, 3409 et 3414; «alçó su/ la mano diestra»: v. 216 et 1340; «alçó la mano»: v. 1616, 2477, 2829, 3185, 3508; «la cara se santigua»: v. 216, 410, 1340 et 3508; «a la barba se tomó»: v. 2476, 2829 et 3185; et «prísos’ a la barba»: v. 1663, 3280 et 3713. À propos de la barbe du Cid, voir Conde 2002. 28 Traducción de las Vidas paralelas de Plutarco, I: fol. 49v, 57r; et II, fol. 56r, 67v, 99v, 135r. 29 Il s’agit d’un exemple de phrases à contenu physique, telles que «llorar de los ojos» ou «dezir de la boca», qui apparaissent avec une certaine fréquence dans le Cantar et qui étaient déjà connues dans la littérature latine. Voir à ce propos Morris/ Smith 1967. du poème castillan adopte cet ordre. Il est vrai que dans la séquence «geste + discours direct», ce n’est pas toujours un sourire qui correspond au geste, mais c’est clairement le scénario préféré de l’auteur du Cantar; aucun des autres gestes n’est suivi d’une allocution aussi régulière. C’est ce que montrent plusieurs actions qui peuvent s’actualiser par un contenu formulaire 26 . Dans les exemples suivants, le premier chiffre de la parenthèse indique le nombre d’occurrences qui introduisent un discours direct; le deuxième indique leur nombre total. Pour l’action de se lever: «en pie se levantó» (8/ 9), «levantós’ en pie» (2/ 5), «luego se levantó» (1/ 2) et «levantós’ [sujet]» (2/ 3); de lever la main: «alçó su/ la mano diestra» (2/ 2) et «alçó la mano» (4/ 5); de se signer: «la cara se santigua» (3/ 4); de toucher la barbe, geste exclusif du Cid: «a la barba se tomó» (3/ 3) et «prísos’ a la barba» (3/ 3) 27 . La fonction démarcative du sourire n’est pas exclusive du Cantar dans la littérature médiévale espagnole, même si dans les cas que nous avons relevés il s’agit d’exemples qui «précèdent de près un discours direct», c’est-à-dire que le sourire est suivi d’un verbum dicendi. Nous trouvons plusieurs cas similaires dans d’autres œuvres, en particulier chez Fernández de Heredia qui pratique le plus régulièrement ce procédé dans sa Traducción de las Vidas paralelas de Plutarco 28 . Mais le sourire n’est pas seulement un geste stéréotypé parce que suivi du discours direct, c’est-à-dire au niveau démarcatif; la fixation se reflète également dans son actualisation linguistique. Ainsi, parmi les quinze mentions du sourire, seules trois (v. 2331, 2532 et 3184) manquent de contenu formulaire, et il convient de noter la variété des formules et expressions formulaires (dans certaines limites, puisque la présence du verbe sonreír est obligatoire) qui s’insèrent dans le premier ou le deuxième hémistiche. Dans la première moitié du vers, nous trouvons «sonrisós’ [sujet]» (v. 946, 1368), le sujet étant «mio Cid» (v. 154, 1918), et «sonrisós’ de la boca» (v. 1518, 1527) 29 ; dans la deuxième, «fermoso sonrisava» (v. 873, 923, 2442), «(e) tornós’ a sonrisar» (v. 298, 1266, et la variante avec «de» au lieu de «a»: v. 2889). On apprécie à quel point le poète castillan offre, tout en maintenant le caractère stéréotypé de l’expression, une remarquable diversité d’énoncés fixes ou à peine variés. Quelques considérations sur le (sou)rire dans l’épopée romane 169 30 Sur les trois ambassades, nous renvoyons à l’analyse et aux références bibliographiques que fournit Montaner dans son édition du Cantar (2011: 766-69, 834-36 et 894-96, respectivement). Comme pour notre analyse du Couronnement de Louis et du Charroi de Nîmes, examinons à présent le contexte particulier des scènes où le sourire apparaît: sa signification, compte tenu des personnages qui sourient, les raisons qui les conduisent à le faire et les possibles destinataires du geste. Dans l’ensemble du texte, le roi Alfonso sourit deux fois (v. 873 et 1368), lors de la première et de la deuxième des trois ambassades d’Álvar Fáñez 30 , dans deux circonstances différentes. Dans le premier cas, le monarque sourit quand il voit les présents que Minaya lui apporte de la part du Campeador. Dans le deuxième, après avoir donné suite à la demande de Rodrigo exprimée par le deutéragoniste, autorisant la rencontre avec sa femme et ses filles, il ajoute que les hommes qui veulent rejoindre les mesnadas du Cid peuvent le faire. À la fin de ce discours, Álvar Fáñez lui baise les mains et le monarque lui sourit. Si, lors des deux ambassades, le poète illustre par le geste du monarque la joie qu’il éprouve, la cause en est différente: dans la deuxième scène on découvre un roi plus proche d’Álvar Fáñez et, par extension, de Rodrigo. Dans son voyage de San Pedro de Cardeña à Valence, le cortège de la famille du Cid, conduit par Minaya, passe par Molina, où Avengalvón, ami du Campeador, les reçoit. Quand le caïd voit Álvar Fáñez, «sonrisándose de la boca ívalo a abraçar» (v. 1518); deux vers plus tard il commence son allocution en lui souhaitant la bienvenue et en se mettant à la disposition de son entourage et de Rodrigo. Suite à ces mots généreux, Minaya effectue un geste identique (v. 1528), lui rend grâce de l’accueil et lui promet une récompense. La rencontre des deux cortèges constitue un motif de joie, comme le reflètent le sourire et le discours d’Avengalvón, qui trouve une réponse analogue chez le deutéragoniste. La communication entre les deux personnages ne s’établit pas seulement par des mots. Le poète castillan inclut les mêmes gestes de joie qui contribuent à renforcer les liens d’amitié entre eux, sans oublier que, tout comme au moment des ambassades, Minaya représente le Cid. Le dernier cas où ce n’est pas Rodrigo qui sourit se situe après la bataille contre le roi maure Bucar, lorsque les vassaux du héros castillan se moquent de la modeste participation des infants pendant l’affrontement (v. 2532). C’est la seule occasion où le motif du sourire n’est pas la joie, mais plutôt la moquerie. Or une telle attitude, loin d’être censurée, est non seulement justifiée, puisque les gendres du Cid ont évité de combattre dans les positions les plus dangereuses, et si l’on se souvient de la hautaine intervention préalable de Fernando, mais elle permet aussi de caractériser les infants et de préparer, avec l’épisode du lion, les raisons qui vont les conduire à tramer l’affront méprisable contre les filles du Cid. Quant aux dix exemples du sourire de Rodrigo, afin d’offrir une analyse organisée, nous avons opté pour une disposition selon les personnages auxquels le sourire est destiné ou qui le provoquent. Il existe des divergences de signification entre les Pablo Justel 170 31 Entre autres, cet épisode a été étudié par Cirot 1946, García Gómez 1951, Diz 1988, Graib 1999 et, récemment, Boix 2014. cas où le Cid sourit et ceux où le geste est réalisé par d’autres personnages, ce qui est visible à travers une multitude de sens et de fonctions du sourire. Le geste de Rodrigo est destiné à ses vassaux, aux infants de Carrión et à ses filles, c’est-à-dire qu’il le caractérise dans sa dimension de seigneur, beau-père et père. Un seul exemple s’écarte de cette distribution: c’est la première fois où le Cid sourit en voyant Rachel et Vidas 31 , après que Martín Antolínez et les deux juifs sont parvenus à un accord de six cents marcs pour les coffres. Par le sourire, le Campeador montre sa joie (v. 155), ce qui est ratifié par son message optimiste et la confirmation du pacte. Toutes proportions gardées, nous nous trouvons, comme dans Le Charroi de Nîmes, face à une ruse du personnage principal pour atteindre ses fins, même si celles-ci ne sont pas exactement les mêmes. Dans le poème castillan le but est d’obtenir l’argent nécessaire à la survie; dans la chanson française c’est la ruse elle-même qui constitue le noyau de l’intrigue puisque c’est grâce à elle que Guillaume et ses hommes réussissent à entrer dans la ville de Nîmes. Le sourire du Cid ne peut donc pas être assimilé au rire du héros français, puisque là où le premier exprime la joie ressentie à l’approche du pacte conclu, le rire de Guillaume, lui, fait partie de la ruse, car cette dernière continue le jeu de masques en servant à cacher son identité et à commencer un discours où il ment délibérément. Les plus nombreux sourires cidiens (cinq sur dix, pour être exact) s’adressent à ses vassaux; ils se concentrent dans le premier cantar et au début du deuxième. À la première occurrence (v. 298), Rodrigo montre sa joie lorsqu’il voit arriver les hommes qui ont décidé de quitter leur terre pour le suivre en exil, après quoi il s’adresse à eux en leur promettant une récompense, avec un clair message optimiste. À un autre moment, après la conquête d’Alcañiz, le Campeador sourit (v. 946), introduisant ainsi une allocution dans laquelle il indique à ses vassaux que le lendemain ils continueront leur chemin et les encourage à poursuivre leurs conquêtes. Environ trois cents vers plus loin, le Cid sourit à nouveau (v. 1266) quand il apprend que, suite à la conquête de Valence, 3600 hommes l’accompagnent. Le bonheur de Rodrigo s’accentue puisque, si le sourire occupe le deuxième hémistiche, dans le premier nous lisons «alégras’le el coraçón» et son message, dans lequel il rend grâce à Dieu «e a Santa María madre» pour ses succès (v. 1267), est rempli d’optimisme, car il promet à ses hommes de nouvelles victoires: «Agora avemos riqueza, más avremos adelant» (v. 1269). Les deux autres cas où le Campeador sourit à ses vassaux se situent après la première et la troisième ambassade, au moment où les envoyés rencontrent le Cid. Dans la première (v. 923), l’émissaire est Álvar Fáñez et le message qui est transmis à son vassal, comme dans les cas précédents, est optimiste: «mientra vós visquiéredes, bien me irá a mí, Minaya! -» (v. 925). Dans la dernière ambassade, les émissaires sont le deutéragoniste et Pero Vermúez; le Quelques considérations sur le (sou)rire dans l’épopée romane 171 32 Cf. la note complémentaire 2337 de l’édition de Montaner 2011: 935-37. sourire du Campeador (v. 1918), accompagné d’accolades, introduit un discours où il s’enquiert d’Alfonso. De cette façon, alors que dans aucun des dix exemples où le Cid sourit, le geste ne s’adresse directement au monarque, dans ces deux derniers cas il semble s’établir une union à distance entre le roi et le Campeador, grâce au fait que les ambassadeurs représentent Rodrigo et qu’à leur retour ils apportent les nouvelles d’Alfonso. Il se produit donc dans la première ambassade un lien entre le sourire du monarque (v. 873) et celui du Cid quand il voit Minaya (v. 923): la même réaction crée une harmonie entre le suzerain et son vassal. Dans deux autres cas, Rodrigo sourit avant de s’adresser à ses gendres. Le premier (v. 2331) se produit juste après que Muño Gustioz informe Rodrigo qu’il a entendu les infants de Carrión avouer qu’ils ont peur de l’intention de Bucar de conquérir Valence. Le Campeador, loin de réprimander leur attitude craintive ou de persifler leur couardise, les rassure, et même si le folio suivant, qui continuait peut-être le dialogue entre le Cid et les infants, ne nous est pas parvenu 32 , nous avons conservé les mots de Rodrigo, où il les exempte de lutter contre les Maures, en leur assurant qu’il s’en occupera (v. 2332-37), même si, finalement, ils participent à la bataille. La deuxième fois, le Campeador sourit aux infants (v. 2442) après la victoire contre Bucar. Après avoir souri, il les félicite de leur intervention et leur promet qu’«a Carrión de vós irán buenos mandados» (v. 2445). Mais si Minaya fait ensuite l’éloge de l’action des infants dans la bataille (v. 2460-61) - ce qui corrobore les mots de Rodrigo -, les médisances déjà citées des vassaux peu après (v. 2532) contredisent la vision du héros et du deutéragoniste. Enfin, dans les deux exemples restants, le sourire est destiné à ses filles. Le premier (v. 2889) se situe au moment de la rencontre après l’outrage de Corpes: il est précédé d’accolades et de baisers entre le père et ses filles et suivi par le regret du mariage, l’espoir de les voir un jour mariées à nouveau et une future vengeance contre l’infâme conduite des infants. La scène est chargée d’émotion et parmi tous ces gestes d’amour se trouve le sourire du Cid. Rodrigo sourit une dernière fois dans le Cantar à la cour, quand il reçoit Colada et Tizona, les deux épées qu’il avait offertes à ses gendres: alegrós’le todo el cuerpo, sonrisós de coraçón; alçava la mano, a la barba se tomó: - Par aquesta barba que nadi non messó, assí s’irán vengando don Elvira e doña Sol. - (v. 3182-87) Dans ce cas, le sourire du Campeador ne s’adresse à personne en particulier, puisqu’il se trouve devant tous et le dialogue ne s’établit avec aucun personnage concret. Cependant, le fait de nommer ses filles dans l’intervention orale qui suit le Pablo Justel 172 sourire et la façon par laquelle on réparera l’offense subie relient ce moment précis avec le sourire préalable de la rencontre familiale après l’outrage de la chênaie. Il s’agit donc d’un des nombreux exemples d’échos ou d’appels intratextuels dont le poète castillan se sert, grâce à des scènes, actions ou formules, afin d’unir les différents points de la narration et créer de la sorte une œuvre compacte et cohérente. En définitive, autant la fréquence du sourire du Cid dans l’ensemble des exemples du Cantar que l’importance particulière que possèdent les cas rapportés à Rodrigo nous permettent d’affirmer que le sourire est une action qui définit le Campeador. Comme nous l’avons avancé, le poème castillan n’est pas à l’origine de cette particularité, puisque nous trouvons déjà une situation semblable dans l’Historia Roderici, chronique particulière de la fin des années 80 du XII e siècle dédiée à la figure de Rodrigo Díaz. S’il n’y a que quatre occurrences du sourire dans le texte hispanolatin (contre quinze dans le Cantar), trois d’entre elles se réfèrent au protagoniste (§37, 48, 50) et la dernière au roi Alfonso (§25). Mais au-delà de cet aspect quantitatif, il convient d’observer si les moments où le Campeador sourit contiennent, comme dans le poème épique, une fonction démarcative introduisant un discours, et si le geste est associé à une attitude distinctive qui permet de définir le personnage. Par rapport au premier point, le sourire du roi n’a pas cette fonction mais constitue l’exception à une tendance majoritaire (même si, en tenant compte du faible nombre d’exemples, nous resterons prudents sur les conclusions à en tirer). Les trois autres cas, attribués à Rodrigo, possèdent une relation avec un discours. Celui-ci peut être direct et être précédé d’un verbum dicendi: «ylari uultu huiusmodi dedit responsum» (§37), ou indirect: «et hylari uultu recepit et recepit et cum rege Sanctio et cum filio eius pacem et amorem omnino se uelle habere eisdem respondit» (§48), et «Quibus et comitem et omnes parentes suos VII diebus <ibi>dem expectare et cum eisdem libernter pugnare uultu ylari respondit» (§50; nous soulignons). Le syntagme «hilari uultu» est connu dans la littérature antique, comme l’attestent les témoignages de Pétrone, (Satyrica, XLIX), Cicéron (Pro A. Clventio Oratio, XXVI, 72), Celse (De medicina, III, 6) ou Sénèque (De ira, Liber II, 23, 1), pour ne citer que quelques cas. Les exemples prolifèrent tout au long de la période médiévale. Ainsi, nous trouvons ce syntagme dans des œuvres et chez des auteurs aussi éloignés que Martin de Braga (De ira, V), Bède le Vénérable (In prouerbia Salomonis, III, 26), Bernard de Clairvaux (Parabolae, Parabola II, 4; Sermones in adnuntiatione dominica, Sermo I, 14), le De Amore (I, 414) ou Albert d’Aix (Historia Hierosolymitanae Expeditionis, VIII, 19). On peut le lire également chez des auteurs postérieurs, concrètement Sannazaro (De Partu Virginis, Liber Tertius, v. 284), Érasme (Libri Antibarbarorum, LXVI, 281), Leon Battista Alberti (Momus, III) et Juan Ginés de Sepúlveda (De rebus Hispanorum, IV, 8, 2; VII, 40, 4), entre autres. À tout cela s’ajoutent les variantes de cette expression, comme l’altération dans l’ordre des termes, ainsi que (dans une moindre mesure) les modifications Quelques considérations sur le (sou)rire dans l’épopée romane 173 33 Ecclesiasticus 7, 26; Epistularium Guiberti. Epistulam 55; Aegidii Aureaevallensis Gesta Episcoporum Leodiensum, 102; Philippe d’Harvengt, Commentaria in Cantica canticorum, VI, 469; Albertano da Brescia, Liber consolationis et consilii, XLIX; Actus beati Francisci et sociorum eius, I, 1. 34 Albert d’Aix, Historia Hierosolymitanae Expeditionis, XII, 33. 35 Doc. 4288 d’A. López Ferreiro 1899-1904, daté vers 970. 36 Grégoire de Tours, Libri Historiarum, VIII, 2. 37 Iliade: V, 426-27; XV, 47-48; XXI, 434-35; et XXIII, 555-57; et Odyssée, IV, 609-10; V, 180-81; XIII, 287-90; XVIII, 111, 350; XXII, 371; et XXIII, 111-12. 38 Énéide: I, 254; IX, 740; X, 742; et XII, 829. 39 Bernardus Claraeuallensis, Vita sancti Malachiae, vol. 3, §58, p. 361; Historia Compostellana, 2, cap. 50; et suivi du verbe dicendi: Bonauentura, Sermones de diuersis: reportationes, vol. 2, sermo 57, §15, p. 762. lexicales: «hilari facie» 33 , «hilari corde» 34 , «hilari aspectu» 35 , «laeto vulto» 36 , etc. La séquence «hilari uultu», avec ses variations, possède une tradition préalable, mais si la liaison entre sa présence et l’immédiate participation verbale du personnage n’est pas étrangère aux textes de l’Antiquité, cette fonction élocutive se multiplie dans les œuvres médiévales. Signalons aussi que dans l’épopée homérique déjà nous lisons des exemples du rire qui précèdent le verbum dicendi et qui conduisent au discours direct 37 . De la même façon, le verbe «subrideo» introduit l’allocution d’un personnage, même sans la médiation du verbe de diction, comme c’est le cas également dans l’Énéide 38 et dans des textes médiévaux 39 . En ce qui concerne le deuxième aspect, c’est-à-dire la caractérisation de Rodrigo à travers son sourire, qui est défini par le contexte - le destinataire et le discours postérieur -, nous trouvons une situation bien différente de celle du Rodrigo du Cantar. Dans la chronique latine, le Cid sourit quand il sait que le comte Berenguer de Barcelone veut lutter contre lui (§37) et envoie une lettre via un messager. L’attitude du Campeador frôle la prétention, il se montre provocant et dit à Musta’in et à son armée: «uilipendo et sperno». Dans le deuxième passage, le sourire de Rodrigo (§48) s’explique pour une autre raison, que nous lisons dans l’épisode des légats de paix envoyés par le roi Sancho et son fils Pedro. Enfin, la cause du dernier sourire du Cid (§50) se rapproche du premier exemple, car il se produit après que les émissaires du comte García Ordóñez informent Rodrigo que, si passés sept jours il est encore à Alfaro (village qui appartient au roi Alfonso), le comte lui déclarera la guerre et, face à cela, le Campeador, en souriant, manifeste aux messagers sa volonté de lutter contre García Ordóñez. La preuve de la confiance du Cid en ses qualités guerrières rapproche ce geste du premier sourire. La seule fois où le jeune Rodrigo sourit dans les Mocedades (v. 528) se trouve à cheval entre les exemples du Cantar et ceux de l’Historia Roderici. Le geste survient lorsque le roi Fernando apprend que le comte Martín González, ambassadeur du roi d’Aragon, veut conquérir Calahorra. En effet, dans le sourire du Cid se combinent le service au monarque de Castille (ce qui se rapproche des cas du poème épique) et sa conviction qu’il réussira à défendre les intérêts du roi (ce qui est proche de l’attitude de la chronique latine). Tout cela nous conduit à affirmer que si Pablo Justel 174 40 Voir récemment Luongo 2013. 41 Voir Riquer 1953, Pollmann 1973: 72-73 et 83, Rodríguez Puértolas 1977: 157, Jackson 1982: 128, Vàrvaro 1983: 240, Meneghetti 1985: 210, DeStephano 1995: 237-42, Gerli 1999: 258 et 266 et Rico 2011: 224-25. 42 Voir aussi Frappier 1955: 97, Ménard 1969: 31-32, Mancini 1972: 130-31, Press 1976, 1978 et Suard 2000: 32-33. l’auteur du Cantar était conscient du sourire de Rodrigo comme trait distinctif du héros - grâce à sa connaissance de l’Historia Roderici, dont il s’inspira pour élaborer plusieurs passages 40 -, il confère à ce geste une signification autre, grâce à son inclusion dans des contextes différents et au message qu’il transmet après le sourire, c’est-à-dire à l’attitude montrée après le changement de son expression faciale. De même, la volonté indiscutable du poète du Cantar rend ce geste encore plus caractéristique pour le protagoniste, puisqu’il le lui attribue avec une plus grande insistance que la chronique. L’auteur des Mocedades n’a pas considéré cela nécessaire non plus, comme le montre la seule occurrence dans les plus de mille vers conservés. Cependant le sourire de Rodrigo dans le Cantar n’est pas seulement original à l’égard de la tradition cidienne antérieure. L’auteur du poème épique se montre aussi singulier par rapport aux chansons de geste françaises. En effet, les parallélismes et contrastes entre Guillaume et le Cid ont été mis en évidence à plusieurs reprises 41 , mais il manque encore un travail exhaustif qui analyse la problématique de ces ressemblances (et dans la plupart des cas, fruit des divergences), étude que nous espérons aborder prochainement. Le rire de Guillaume, tel qu’on l’a vu dans les exemples du Couronnement et du Charroi, possède un large éventail de significations. Celles-ci peuvent être comiques tout simplement - quand Bertrand se déguise - ou servir pour masquer la vraie identité du héros, à l’occasion de la question d’Otran aux portes de Nîmes, mais en général le rire guillelmien renferme l’ambiguïté et l’imprévisibilité du personnage. Pensons aux exemples du Charroi dans lesquels Guillaume reçoit la nouvelle selon laquelle le roi Louis n’a pas pensé à lui dans la répartition de ses fiefs, ainsi qu’aux discussions postérieures avec Bertrand puis de nouveau avec le monarque. Quand le héros rit dans ce contexte, cela n’a rien à voir avec l’humour mais dévoile la rupture et l’éclat de la tension. Dans ces cas, Guillaume se sent presque immunisé; dans son rire se mélangent sa hardiesse et son ressort. Le sens et la fonction du rire du comte au court nez ont été décrits à juste titre par Corbellari 2011: 122-27: Par la force vitale qu’il emblématise, son rire apparaît tout à la fois comme une réaction salubre face aux difficultés qui s’accumulent sur son chemin, comme une menace pour ceux qui en sont les témoins et comme l’expression d’une sorte de grâce d’état qui le rend, quoi qu’il arrive, invulnérable aux coups du sort ... En fait, le rire de Guillaume est tout sauf comique: manifestation de puissance, décharge libidinale, voire annonce d’une colère imminente, il met le héros au court nez en porte-à-faux avec les autres personnages; ceux-ci rient volontiers et de bon cœur, mais ils n’ont aucune idée de la puissance qui s’attache au rire guillelmien. (Corbellari 2011: 125 et 126) 42 Quelques considérations sur le (sou)rire dans l’épopée romane 175 43 Cf. la discussion de Montaner 2011: 648-49, avec une abondante bibliographie. Les exemples du sourire cidien que nous avons examinés sont loin d’avoir la même signification. Pour commencer, il ne s’agit pas du même geste et, bien que Ménard 1969: 31 et 430-31 ait considéré qu’en ancien français «l’aire sémantique du mot rire englobe le sourire», il ne fait aucun doute que les citations de Guillaume que nous sommes en train d’examiner, avec le verbe «jeter», sont à proprement parler des rires. Le sourire au contraire est un geste beaucoup plus modéré, qui ne véhicule pas l’élan de l’éclat de rire. À notre avis, on peut distinguer ainsi deux notions interconnectées qui différencient les deux héros. En premier lieu, la mesure, mise en rapport avec la modestia, la moderatio et la mediocritas. Comme Schmitt 1990: 38-39, 65-66 et passim l’a montré, la modestia s’oppose à la gesticulatio. La première manifeste un équilibre, situé au juste milieu, tandis que la deuxième entraîne une altération de l’ordre. Si l’on ne peut pas affirmer que les rires de Guillaume constituent un exemple de démesure, ils ne peuvent pas non plus être considérés comme un cas du contraire. La mesure, qui rassemble les quatre vertus cardinales chrétiennes mais se fonde principalement sur la prudentia, est propre au protagoniste du Cantar 43 , comme le montre l’auteur castillan au vers 7 du manuscrit conservé: «fabló mio Cid bien e tan mesurado», ainsi que tout au long du récit. Chez Rodrigo, cette vertu s’apprécie avec une netteté cristalline dans les moments les plus défavorables du poème, à savoir le début des deux déshonneurs, l’un politique et l’autre familial, car il ne se rebelle pas contre le monarque et ne cherche pas une vengeance personnelle contre ses gendres. Bien que dans un ordre différent, la modération des élans se distingue aussi dans le geste retenu du sourire, car la discrétion du Cid est constatée également dans les moments de joie. En deuxième lieu, il faut tenir compte du concept de courtoisie. Comme l’a affirmé Zotz 2006: 180, la figure courtisane se caractérisait, entre autres, par «una elegante disciplina (elegans disciplina) y por la jovialidad (jocositas)», ainsi que par d’autres «virtudes sociales por excelencia [que] eran la generosidad (largitas, milte), la jovialidad (hilaritas), la amabilidad (iucunditas), la afabilidad (affabilitas), la elegancia (elegantia), la moderación (moderatio, mâze), la constancia (constantia, staete) y la mansedumbre (mansuetudo)» (Zotz 2006: 185). Toutes ces qualités sont attribuables au Campeador pour son comportement envers sa famille, ses amis, ses vassaux et son seigneur, ce qui rapproche le Cantar des codes courtois, dans lesquels s’harmonisent les succès guerriers avec les traitements personnels attentifs que Rodrigo réserve à ses interlocuteurs. Peut-être l’image reflétant le mieux la combinaison des deux plans chevaleresques est le moment où le Cid, désormais seigneur de Valence, monte avec ses filles à l’alcazar de la capitale levantine et leur montre ses terres (v. 1644-50). Cependant, dans les épisodes où la sphère familiale et la charge sentimentale - tous deux éléments propres aux romans - acquièrent plus de poids, d’autres personnages y participent, comme lors de la réunion du Pablo Justel 176 44 Sur les codes courtois du Cantar, voir les travaux de Michael 1986: 506-07 et, en particulier, Gerli 1999, Lawrance 2002 et Janin 2005. Thomas 2005 explore les éléments du mélodrame sentimental, mais il va trop loin lorsqu’il parle d’éléments carnavalesques de quelques épisodes. 45 Les études à ce propos sont fort nombreuses. Entre autres, cf. Köhler 1963, Jauss 1963, Paquette 1971, Calin 1984, Maddox 1984, Boutet 1993: 195-227 et les travaux réunis en 2002 et Kay 1995. cortège de la famille du Cid avec ses hommes, ou l’affront de Corpes 44 . Tout cela s’accorde avec les changements qui eurent lieu dans la production épique à la fin du XII e et au début du XIII e siècle, où l’on distinguait l’influence du roman et des éléments folkloriques. Dans ce sens, Boix 2012: 159 conclut: el héroe que representa el Campeador del CMC [Cantar de mio Cid] no corresponde exactamente al típico de la épica, puesto que este, en el resto de Europa, y especialmente en Francia, también había cambiado para convertirse en uno que estaba a mitad de camino entre el guerrero épico y el caballero artúrico, sin ser un personaje de transición - esto sucedería si fuese una evolución desde el héroe épico al caballeresco, lo cual no se da en este caso -, sino un nuevo tipo de héroe. En effet, les chansons de geste françaises avaient aussi évolué depuis le Roland et la transition du XII e au XIII e siècle marque un changement, dans lequel les trames romanesques acquièrent de plus en plus d’importance dans les actions épiques 45 . Or le Couronnement de Louis n’appartient pas à cette période, mais fut composé entre 1131 et 1150 (Frappier 1967: 57-59) et Le Charroi de Nîmes quelques années après, vers la moitié du XII e siècle. Ainsi, si des éléments courtois fleurissent dans quelques poèmes tardifs du cycle de Guillaume, qui contiennent alors des traits qui les rapprochent du roman, ce n’est pas le cas des deux chansons que nous avons analysées, où déjà, dès l’étape embryonnaire des chansons dédiées à ce personnage, le rire du protagoniste jouit d’une présence et d’une signification qui le caractérisent. Outre cela, le contraste qui se produit entre le rire de Guillaume et le sourire de Rodrigo s’explique par la combinaison de trois facteurs. En premier lieu, la différence, déjà signalée, entre le rire du Français (plus concrètement, la combinaison de «ris» et «jeter»), où on extériorise sans complexes le changement, et le sourire du Castillan, qui dénote une transformation retenue. En deuxième lieu, il convient de considérer les personnages à qui est dirigé le geste ainsi que le contexte précis. Enfin, il faut tenir compte de l’intention qui se cache derrière l’altération de l’expression faciale. À notre avis, celle-ci est un élément fondamental que l’on peut déduire grâce à l’analyse des deux facteurs précédents ainsi qu’à la connaissance du comportement des personnages concernés par le reste du poème (ou d’autres poèmes, dans le cas de Guillaume, bien que même ici nos considérations doivent être prudentes, car l’attitude du personnage peut changer d’une chanson à l’autre). En vertu de ces trois facteurs et à la lumière des exemples que nous avons examinés pour les deux personnages, le contraste entre la signification du rire de l’un et du sourire de l’autre est plus qu’évident. Quelques considérations sur le (sou)rire dans l’épopée romane 177 Ainsi, dans Le Charroi, Guillaume se moque sans égards (en riant) de l’aspect ridicule de Bertrand déguisé, bien loin des sourires que Rodrigo destine à ses vassaux pour l’accompagner et le servir en exil. Même si que le contexte n’est pas le même, ce qui nous intéresse ici est la réaction du héros face à une situation déterminée. Or, dans le Cantar nous lisons bien une scène qui pourrait être assimilée à celle du Charroi, dans la mesure où des personnages sont la cible de moqueries: ce sont les plaisanteries des vassaux du Cid lorsque les infants de Carrión fuient après avoir vu le lion, dérisions qui sont arrêtées par le Campeador (v. 2306-08). Et quelques vers plus loin, comme nous l’avons vu, lorsque Muño Gustioz prévient Rodrigo de la peur de ses gendres face à l’intention de Bucar d’assiéger Valence, la réaction du Cid est même de leur adresser des paroles rassurantes, avec un sourire. Ces gestes nous permettent aussi d’analyser la relation différente qu’entretiennent le roi Louis et Guillaume, d’un côté, et Alfonso et le Campeador, de l’autre. Le Charroi et le Cantar s’ouvrent sur un conflit entre monarque et vassal, mais la controverse est différente et les moyens qui conduisent à leur résolution également. De cette manière, le sourire de Rodrigo à l’arrivée d’Álvar Fáñez, de celui-ci et de Pero Vermúez dans la première et troisième ambassades, respectivement, reflètent la joie car ils ont livré les présents que le Campeador avait envoyés à Alfonso, lui ont transmis de ses nouvelles et l’espérance que le roi finisse par lui pardonner. Face à cela, le rire de Guillaume après avoir appris que Louis n’a pas pensé à lui dans la répartition des fiefs fait éclater le conflit, réaction similaire à celle qu’il aura après (v. 478) devant le monarque, quand celui-ci lui propose de lui conférer la moitié de son royaume et que le vassal décline l’offre en lui demandant les territoires conseillés préalablement par Bertrand. Ainsi, si le rire de Guillaume est loin de conduire le conflit vers sa résolution par la voie la plus directe (accepter la proposition de Louis), le sourire du Cid s’adapte aux tentatives d’obtenir le pardon royal. D’une certaine manière, en prenant en compte tous les exemples signalés, on peut affirmer que le comportement des deux héros à l’égard des autres personnages, après avoir ri ou souri, est fort différent: si le geste de Guillaume est centripète, celui du Cid est à rapprocher d’un mouvement centrifuge. En d’autres termes, si par son rire Guillaume prétend se réaffirmer en tant que vassal fier et guerrier invulnérable, le sourire du Cid reflète, quant à lui, une ouverture vers l’autre. En définitive, l’intérêt du rire et du sourire dans l’épopée romane est triple. Premièrement, ces gestes s’expriment au moyen d’une série de formules et d’expressions formulaires, signe qu’il s’agit d’actions qui se produisent avec une certaine fréquence; elles ont acquis un stade stéréotypé dans leur actualisation linguistique. En deuxième lieu, il convient de souligner la valeur démarcative des deux gestes: le rire et le sourire fonctionnent comme une espèce de charnière entre deux discours ou, du moins, dans l’introduction du deuxième. Ce procédé permet aux auditeurs de distinguer le discours du narrateur de celui des personnages en révélant la perception que le deuxième personnage a du premier, ainsi que l’image qu’il désire transmettre par son discours, même si celle-ci - en particulier dans les exemples de Guillaume - est très variée, à cause de l’imprévisibilité du personnage. Le poète Pablo Justel 178 peut ainsi créer une tension entre le geste et les mots du héros. En dernier lieu, le point peut-être le plus intéressant réside dans le fait que l’altération de l’expression faciale sert aussi à caractériser son protagoniste, ce qui se produit incontestablement pour Guillaume et le Cid. Par conséquent, le rire du premier et le sourire du deuxième n’est pas aléatoire mais insère Rodrigo dans le milieu courtois, tout en le différenciant du héros français. Comme Montaner 2011: 326 l’a souligné, si le Castillan est un «homo hilaris» (ou ‘homme souriant’), Guillaume appartient à la catégorie du «homo risibilis» (‘homme riant’), ce qui se voit dans la formule «s’en a un ris gité» que nous trouvons dans la Chanson de Guillaume et, en particulier, dans le Couronnement de Louis et Le Charroi de Nîmes, et qui correspondrait à un «hilari ridens» latin. De cette façon, le sourire de Rodrigo reflète toujours sa joie (reconnaissance, promesse de récompense, espoir) et le révèle comme un héros transparent dans ses intentions et optimiste dans ses discours, tout en établissant avec ce geste un rapprochement entre le héros et les personnages à qui il s’adresse. Cela contraste avec le rire de Guillaume, parfois opaque, notamment dans Le Charroi de Nîmes et son conflit avec le monarque, en particulier le premier rire (v. 44), qui est la marque du début de la trame et fait éclater la tension entre vassal et suzerain. De cette façon, si le sourire de Rodrigo dans le Cantar contribue à sa caractérisation en tant que vassal, père et seigneur, l’analyse de son geste à la lumière de celui du Cid de l’Historia Roderici et du rire de Guillaume nous aide à mieux comprendre le comportement courtois du Campeador. Lyon/ Saragosse Pablo Justel Bibliographie Textes Adenet le Roi, Buevon de Conmarchis, ed. A. Henry, Genève, 1996 [1953] Adenet le Roi, Berte aus grans piés, ed. A. Henry, Genève, 1996 [1953] Aiol, ed. J. Normand et G. Raynaud, Paris, 1966 [1875] Aliscans, ed. C. Régnier, présentation et notes de J. Subrenat, traduction revue par A. et J. Subrenat, Paris, 2007 Ami et Amile, ed. P. F. Dembowski, Paris, 1969 Aspremont, ed. F. Suard, Paris, 2008 Bodel, J., La Chanson des Saisnes, ed. A. Brasseur, 2 vol., Genève, 1989 Cantar de mio Cid, ed. A. Montaner, con un estudio preliminar de F. Rico, Madrid/ Barcelona, 2011 [ 1 1993] Chanson d’Antioche, ed. B. Guidot, Paris, 2011 Chanson de Guillaume, ed. F. 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