Vox Romanica
vox
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Francke Verlag Tübingen
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2015
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Kristol De StefaniKarin Ueltschi (ed.), L’Univers du livre médiéval. Substance, lettre, signe, Paris (Honoré Champion) 2014, 377 p. (Colloques, congrès et conférences sur le Moyen Âge 17)
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Maxime Cario
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Besprechungen - Comptes rendus Philologie et linguistique romane générales - Allgemeine Philologie und romanische Sprachwissenschaft Karin Ueltschi (ed.), L’Univers du livre médiéval. Substance, lettre, signe, Paris (Honoré Champion) 2014, 377 p. (Colloques, congrès et conférences sur le Moyen Âge 17) L’entreprise dirigée par Karin Ueltschi est née d’un constat: «L’univers médiéval du livre a fait l’objet de tant d’investigations et de spécialisations qu’il est devenu un continent d’une complexité aux abords si impénétrables que plus d’une bonne volonté hésite à s’y aventurer» (7). L’ouvrage, à l’image de la bibliographie relativement restreinte qu’il propose - un peu plus de six pages -, «se veut être une tentative d’‹arrêt sur image› en vue de dégager les différents sentiers déblayés aujourd’hui qui conduisent vers le précieux objet» (7). L’ouvrage se décline ainsi en cinq sections: «Le livre dans la société», «Translations», «Questions d’édition et de diffusion», «Texte et image», «De la lettre à l’esprit». Bien que les chercheurs non spécialisés en histoire du livre puissent trouver dans cet ouvrage des études fort stimulantes, il ne tient pas toutes ses promesses. À la lecture du titre, on s’attend à ce que soit représenté l’ensemble des temps et des lieux communément rassemblés sous l’étiquette Moyen Âge. En réalité, l’ouvrage est centré sur le domaine français, même s’il ne refuse pas quelques élargissements chronologiques et géographiques: le lecteur trouvera ainsi des ouvertures sur le Haut Moyen Âge (avec la contribution de Dominique Alibert) et sur les premiers temps de l’imprimerie (Denis Hüe), ainsi que deux excursus dans le monde germanique (Florence Bayard et la même contribution de D. Hüe). Ce recentrement sur la production de langue française n’est pas forcément gênant et, somme toute, indiqué dans un ouvrage en français destiné à des non-spécialistes. Ce qui l’est moins, c’est qu’avec cinq des seize contributions que compte le recueil, l’étude de la matière bretonne et des manuscrits qui la transmettent est surreprésentée; dans deux sections, c’est encore plus net: les deux seules études de la deuxième section (Myriam White-Le Goff et Anne Berthelot) traitent de cette matière, et deux des trois études de la quatrième section (Christine Ferlampin-Acher et Catalina Gîrbea) traitent de l’iconographie de ses manuscrits. De plus, trois contributions ont des objets connexes: le corpus d’A. Berthelot se compose du Merlin tiré du Petit Cycle du Graal, des suites Vulgate et Post-Vulgate du Merlin et des Prophesies de Merlin; celui de Jan Herman en est proche (les Lais de Marie de France, le Conte du Graal et ses continuations, les romans de Robert de Boron et le Petit Cycle) et la dernière partie de son étude fait redondance avec celle que propose A. Berthelot du problématique statut auctorial de Merlin; quant au manuscrit qu’étudie C. Gîrbea, il transmet les premiers romans du Cycle-Vulgate (Estoire del Saint Graal et Estoire de Merlin). Un autre ensemble, mois nettement caractérisé, est trop présent quand bien même les visées critiques des contributions y consacrées sont différentes; il s’agit des textes se rattachant intégralement ou partiellement à l’occultisme: les grimoires et autres livres de magie (étude d’une imbrication particulière de la matière et de l’esprit par K. Ueltschi et étude typologique de Claude Lecouteux), le texte pseudo-aristotélicien dénommé Secret des Secrets (étude ecdotique de Denis Lorée), et les Prophesies de Merlin (étude littéraire d’A. Berthelot). Ajoutons que deux des trois contributions de la quatrième section traitent de la présence et des usages de l’héraldique dans les livres (C. Gîrbea et Laurent Hablot): L. Hablot évoque même très brièvement ce qui fait l’objet de la contribution de C. Gîrbea, et ce en faisant référence à ses travaux! Besprechungen - Comptes rendus 257 Ces déséquilibres sont d’autant plus frappants que trop de traditions françaises sont passées sous silence: on ne trouve aucunes études spécifiquement consacrées aux romans non bretons, à l’épopée et à l’historiographie; l’hagiographie n’est représentée que par la très bretonne légende du Purgatoire de saint Patrick et par les germaniques livres de sœurs; et l’oubli des manuscrits lyriques est très étonnant dans un ouvrage à vocation codicologique et initiatique. On remarquera aussi que, si les cinq sections du volume offrent un large spectre des questions qui concernent les livres et leurs contenus, aucune place n’est accordée aux questions paléographiques, si ce n’est brièvement dans l’article de D.Alibert. L’ouvrage s’ouvre par une prise de contact avec le livre: dans ses «Considérations liminaires: realia, mirabilia», Karin Ueltschi mène le lecteur de la matérialité du livre médiéval à l’esprit des lettres, en un parcours qui résume celui de l’ouvrage. Elle décrit d’abord les realia avec un rappel de l’histoire de l’objet, le détail de la fabrication du codex, la description du travail de copie et un échantillon des malheurs subis par le livre, et des aléas de sa conservation. Elle entre ensuite dans les mirabilia par la porte des personnifications et figures que permet la double nature, matérielle et immatérielle, du livre, avant de s’intéresser à la transmission des textes et à leurs réécritures pour conclure son propos tout entier consacré à l’imbrication de la matière et de l’esprit par ce cas particulier de performativité qu’est la magie. Les contributions de la première section («Le livre dans la société») restent encore en dehors du livre. Dominique Alibert («Le livre dans le monde carolingien») présente le livre carolingien consécutivement sous trois aspects: «Contenant», «Contenu» et «Usage». La description du codex carolingien, de son écriture, de son enluminure et de sa reliure répète partiellement certaines des informations déjà données par K. Ueltschi; d’autres sont propres aux livres de cette période. L’étude du contenu met en évidence la prédominance du livre sacré, sans oublier pour autant la part profane - littérature curiale et transmission des classiques. L’étude de l’usage enfin traite des bibliothèques, de l’emploi pédagogique des classiques et des enjeux politiques de la possession et du don de livres. La contribution de D.Alibert s’appuie sur des témoignages d’époques (l’Admonitio generalis et l’Epistola generalis de 789, ainsi que sur la correspondance de Loup de Ferrières). Catherine Daniel («Le livre et l’exercice du pouvoir: culture livresque du monarque et symbole politique de la bibliothèque royale») s’intéresse à la période qui voit sortir le livre des monastères et des églises: après une introduction consacrée à l’idéal du roi savant, sa contribution consiste essentiellement en une confrontation du rapport au livre des rois de France et d’Angleterre, par l’exposé et l’explication de l’apparition de la bibliothèque royale en France sous Charles V et du retard des rois d’Angleterre en cette matière. Florence Bayard («Les Livres de sœurs, entre quête d’un héroïsme au féminin et conquête de la normalité») s’intéresse à une production hagiographique très particulière qui a fleuri entre le treizième et le quinzième siècle dans les couvents de femmes du Sud de l’Allemagne, lesquels furent traversés par un fort souffle mystique. Avec cette étude, on entre dans le texte du livre, mais l’approche de F. Bayard est d’un grand intérêt sociologique: il s’agit de la conquête de l’écriture par des femmes pour des femmes à travers des textes dont les héroïnes sont le plus souvent des femmes. Les contributions de la deuxième section («Translations») abordent la «mouvance» caractéristique du livre médiéval, sous l’angle de ces processus particuliers de transmission que sont la translatio, laquelle ne correspond que très partiellement à notre traduction, et la réécriture. Myriam White-Le Goff («Approche de la translatio du latin en vers français. La légende du Purgatoire de saint Patrick») part d’un cas concret: celui du Tractatus de Purgatorio sancti Patricii du moine H. de Saltrey et de ses cinq translations françaises en vers. Elle traite du détail du travail d’adaptation, entre oralité, syntaxe et amplificatio, ainsi que des projets didactiques, esthétiques et poétiques des auteurs, tels que présentés dans les prologues et épilogues. Anne Berthelot («La bibliothèque de Merlin») étudie, comme dit plus haut, le problématique statut auctorial de Merlin: elle montre la complexité, les incohérences Besprechungen - Comptes rendus 258 et les évolutions des systèmes énonciatifs mis en œuvre par les textes qui prennent la parole de Merlin pour source (Merlin tiré du Petit Cycle du Graal, suites Vulgate et Post-Vulgate du Merlin et Prophesies). Les contributions de la troisième section («Questions d’édition et de diffusion») traitent de la transmission des textes médiévaux, diffusion médiévale et édition moderne. Denis Lorée («Éditer un texte médiéval: une quête de l’impossible. Le cas du Secret des Secrets») offre un cas concret particulièrement complexe. Après la présentation du texte et de ses adaptations françaises, sa réflexion s’articule en deux phases: quelle version éditer? et comment éditer? D. Lorée montre d’abord que les différentes versions, deux adaptations partielles et six adaptations intégrales, n’ont pas le même intérêt scientifique: le choix de l’éditeur doit donc répondre au besoin le plus urgent. Il aborde ensuite pour un public de néophytes la constitution du stemma et le choix du manuscrit de base, ainsi que, brièvement, le travail de correction et de constitution de l’apparat critique. Francis Gingras («Le livre et le recueil») étudie le phénomène du recueil à travers les noms qui lui ont été donnés et ses principes d’organisation, après avoir fait une brève histoire de cette forme depuis Cassiodore: il met en évidence les méthodes exégétiques que suppose l’existence du recueil et montre que, s’il existe d’indéniables facteurs d’unité des recueils de textes français, tels que fonctions, genres, formes, auteurs, ceux-ci ne sont souvent pas compréhensibles en dehors d’une poétique du contraste. Denis Hüe («Le livre xylographié, diffusion du texte et de l’image») prend pour objet un type de livres peu connu: le livre xylographié, qui recourt à une technique d’impression bien plus rudimentaire que la presse (une planche de bois gravée), et exactement contemporaine des débuts de l’imprimerie, est en effet une spécialité essentiellement germanique, localisée le long du canal du Rhin, de l’Allemagne aux Pays- Bas, et a surtout servi à la diffusion des ouvrages de dévotion. D. Hüe pose la question de la nature du lectorat de ces ouvrages: l’omniprésence de l’image permet de conclure à un public peu instruit, tandis que la profondeur théologique, l’érudition et l’emploi du latin oblige à supposer le truchement d’un pédagogue. La contribution de D. Hüe conduit naturellement à celles de la quatrième section («Texte et image»). Christine Ferlampin-Acher («Donner à voir le merveilleux: miniatures et merveilleux dans quelques romans arthuriens en prose (XIII e -XV e siècles)») étudie les moyens mis en œuvre pour rendre en image le merveilleux, par définition difficilement représentable: cette difficulté est mise en évidence par la tendance à neutraliser la merveille soit en privilégiant la mise en images d’épisodes non merveilleux, soit en représentant une scène qui précède la merveille ou qui la suit immédiatement, soit en la banalisant, soit en en réduisant l’ambiguïté propre en ne retenant qu’un seul point de vue. Chr. Ferlampin-Acher montre cependant que le peintre parvient à réintroduire le merveilleux et à en faire sentir l’ambiguïté, en représentant chromatiquement par la grisaille le trouble de la perception, en mettant en scène la polyphonie des discours sur la merveille et en entrant lui-même dans un jeu polyphonique qui met en contraste le texte, la miniature et les rubriques. Catalina Gîrbea («L’iconographie du manuscrit français 105 de la BnF, entre littérature et propagande») étudie l’iconographie d’un manuscrit contenant l’Estoire del Saint Graal et l’Estoire de Merlin, en portant un accent particulier sur les usages politiques de l’héraldique: elle montre que, dans ce codex, probablement réalisé par un franciscain à la commande de Charles de Valois, frère de Philippe IV le Bel, l’attribution d’armoiries aux démons et aux saxons, figures plus irréductiblement païennes que les sarrasins du même codex, sert à diffamer (254) les armoiries germaniques et à démoniser (255) leurs détenteurs réels. Laurent Hablot («L’emblème et le livre entre appropriation et représentation») étudie la présence des emblèmes (armoiries, devises, mots et lettres) dans le livre. Après une chronologie de l’envahissement progressif de la page et de l’objet livre par les armoiries depuis leur apparition dans la seconde moitié du XII e siècle, il détaille les trois fonctions de l’héraldique dans Besprechungen - Comptes rendus 259 le livre: dans l’illustration - miniatures de scènes de cour, de tournoi et de guerre, marginalia, armoriaux -, l’héraldique sert à la reconnaissance des personnages réels et fictifs et est parfois véhicule d’un message politique; comme marque d’appropriation, l’héraldique décline des significations différentes en fonction des types d’emblèmes utilisés et de leur organisation; enfin, les emblèmes, particulièrement dans les livres de dévotion, servent à exprimer la mainmise du propriétaire du livre sur le texte et sa présence au sacré. Cette étude a le grand intérêt de faire une place à des manuscrits français très différents de ceux étudiés par les autres contributeurs en ce que leurs textes sont de nature religieuse et de langue latine. La dernière section («De la lettre à l’esprit») ferme l’ouvrage par les mirabilia du livre: les trois contributions qui la composent abordent des questions plus nettement spirituelles, entre cognition, occultisme et philosophie. Florence Bouchet («Les cinq sens du lecteur médiéval») approche autant que possible l’«appropriation cognitive» (289) du livre par les lecteurs médiévaux. Son exposé, qui s’appuie sur des témoignages textuels, part de la perception réelle et métaphorique du livre et des textes par les sens, pour s’élever au niveau de l’entendement par l’intermédiaire des sens du cœur analogiques des sens du corps; ce faisant, elle esquisse une histoire de la lecture en montrant que les lettres françaises ont progressivement revendiqué pour elles une forme de lecture et de méditation du sens développée pour la lectio religieuse. Claude Lecouteux («Les grimoires et leurs ancêtres») présente un ensemble de livres fort particuliers : les livres de magie pour lesquels le nom de gramaire est attesté vers 1165 et sa déformation grymoire depuis le XIV e siècle: «Après avoir retracé leur émergence, leur aspect matériel, leur diffusion, et avoir présenté quelques ouvrages vedettes, Claude Lecouteux dresse une typologie des grimoires médiévaux et propose une bibliographie» (14). Jan Herman («Livre de la Destinée et Livre de la Renommée. Autour de Perceval») étudie le «problème de la liberté de l’écrivain» (326) dans les «romans autour de Perceval» (329): après une double mise en perspective convoquant Jacques le Fataliste et Don Quichotte, il déploie les articulations du Livre de la Destinée, écrit là-haut, et du Livre de la Renommée, écrit ici-bas, dans la poétique romanesque médiévale en se fondant sur la double série Fatum-Livre de la Destinée/ Fata-Aventure/ Fama-Livre de la Renommée, et en se concentrant sur la destinée de Perceval et la valeur symbolique du Graal comme image de la vérité du récit et lieu de la réunion de la destinée et de la renommée. Maxime Cario H Eric Méchoulan (ed.), Érudition et fiction. Troisième rencontre Paul-Zumthor, Montréal 13-15 octobre 2011, Paris (Classiques Garnier) 2014, 327 p. (Fonds Paul-Zumthor 1) «Il semble ... que le statut de la fiction change au Moyen-Âge, en particulier à partir du XII e siècle avec l’émergence en Europe d’une littérature en roman, qui enlève de sa pertinence à l’opposition traditionnelle entre fabula (entendue comme fiction) et historia (entendue comme manifestation de l’érudition» (7), écrivent en guise d’«Avant-propos» (7-8) l’éditeur de ce recueil, E. Méchoulan et ses collaborateurs (F. Gingras, E. Nardout-Lafarge et M.-L. Ollier). C’est la renégociation de cette opposition que les dix-sept études ici présentes se donnent pour tâche, sous le patronage de la pensée en mouvance de Paul Zumthor, de décrire au fil de contributions très diverses, tant au niveau de l’ancrage temporel de leur objet (du Moyen Âge à la période la plus immédiatement contemporaine) qu’à celui de la manière de l’envisager. Un trio de contributions introductives ouvre le recueil. La première d’entre elles, «La fiction à l’ombre du savoir» (11-15), permet à J. Cerquiglini-Toulet de rappeler le triple champ
