eJournals Vox Romanica 74/1

Vox Romanica
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2941-0916
Francke Verlag Tübingen
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2015
741 Kristol De Stefani

Philippe de Mézières, Songe du Viel Pelerin, édition critique par Joël Blanchard, Genève (Droz) 2015, 1756 p. (Textes littéraires Français 633)

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2015
Claire-Marie  Schertz
vox7410319
Besprechungen - Comptes rendus 319 1 Philippe de Mézières, Le Songe du Vieil Pelerin, édité par G.W. Coopland, Cambridge 1969. 2 Id., Songe du Vieux Pèlerin, traduit par Joël Blanchard, Paris 2008. 3 O. Caudron, «La spiritualité d’un chrétien du XIV e siècle: Philippe de Mézières (1327? -1405)», Positions des thèses soutenues par les élèves de la promotion de 1983 pour obtenir le diplôme d’archiviste paléographe, Paris 1983. 4 Id., «Philippe de Mézières», in: M.Viller/ A. Rayer (ed.), Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique: doctrine et histoire, vol. XII-1, Paris 1984. Philippe de Mézières, Songe du Viel Pelerin, édition critique par Joël Blanchard, Genève (Droz) 2015, 1756 p. (Textes littéraires Français 633) Depuis 1969, les chercheurs ont à leur disposition une édition du Songe du Viel Pelerin de Philippe de Mézières, dont le mérite revient à G.W. Coopland 1 . Comme toutes les personnes concernées - parmi lesquelles son éditeur - le savent cependant, celle-ci contient de nombreux défauts, à commencer par le choix du manuscrit de référence (B.N.f.fr. 22542). Aux erreurs du copiste médiéval s’ajoutent celles de la retranscription du XX e siècle, ce qui en fait, hélas, un outil peu fiable. Il fallait que quelqu’un s’attèle à un nouveau travail éditorial. Joël Blanchard s’est donc mis à la tâche. Après avoir publié plusieurs articles sur Philippe de Mézières et traduit son œuvre majeure 2 , il présente en 2015 une nouvelle édition, complètement revue, d’après le manuscrit le plus ancien, probablement autographe: Arsenal, ms. 2682 et 2683. Fin connaisseur de cet auteur, il offre ainsi aux médiévistes une solide base de travail. L’aspect pratique n’étant de loin pas négligeable, on appréciera premièrement que la pagination, différenciée de celle de l’introduction, ne commence qu’au début du texte édité. Elle n’est désormais plus entrecoupée d’aucune présentation des différentes parties du Songe, ce qui la rend plus compréhensible. De plus, elle est continue d’un volume à l’autre, et la division de ceux-ci respecte celle du manuscrit de référence (volume 1: livres I et II du Songe; volume 2: livre III). La cohérence prime. Le contenu l’emporte de loin sur la forme. La très complète introduction a pour intérêt non seulement les descriptions essentielles des neuf manuscrits (la première qui soit complète en ce qui concerne le Songe du Viel Pelerin) et de la langue, ou encore un commentaire des principes d’édition, mais surtout un tableau de la vie de Philippe de Mézières ainsi que des sources littéraires du Songe. En 1983, Olivier Caudron avait consacré à la biographie de l’auteur une majeure partie de sa thèse 3 , mais seul un article avait alors été publié 4 . Aborder les différentes étapes des nombreux voyages de Philippe à travers la Méditerranée se révèle nécessaire pour se faire une idée des nombreuses influences subies par le grand voyageur. D’Amiens, où il acquiert les fondamentaux de la grammaire, à Nicosie, en passant par l’Italie, où il est adoubé chevalier, et Jérusalem, où une expérience mystique l’engage à fonder un ordre de chevalerie, Philippe de Mézières devient chancelier des rois de Chypre. Cette situation le place ainsi au carrefour de l’Orient et de l’Occident. Il passe encore par Venise et Avignon avant d’arriver finalement à Paris, où il est conseiller de Charles V et précepteur de Charles VI, à la formation politique duquel il destine le Songe du Viel Pelerin. Dans ce songe allégorique, il se réfère régulièrement, toujours à la troisième personne du singulier, à son propre vécu, comme gage d’authenticité de ses dires. L’éditeur souligne aussi l’importance de trois hommes: Pierre Thomas, Bureau de La Rivière et Nicole Oresme. Le premier, grand défenseur de la croisade, rencontré à Chypre, a fait figure de père spirituel pour Philippe de Mézières; le deuxième, chambellan de Charles V et membre des «Marmousets», est le dédicataire d’une œuvre antérieure au Songe, le Pelerinage du Povre Pelerin; quant au troisième, est-il seulement besoin de présenter le célèbre traducteur d’Aristote, dont Philippe s’est particulièrement inspiré dans ses développements sur Besprechungen - Comptes rendus 320 l’astrologie. Lors des vingt-cinq dernières années de sa vie, passées au Couvent des Célestins, Philippe garde encore de nombreux contacts avec l’extérieur, notamment avec le roi de France et son frère Louis d’Anjou, ou encore l’épouse de celui-ci, Isabeau de Bavière. C’est durant cette période qu’il écrit le Songe du Viel Pelerin, mais aussi l’Epistre au Roi Richart ou encore l’Epistre lamentable et consolatoire. Dans ces trois textes politiquement engagés, Philippe de Mézières utilise le procédé allégorique, très à la mode, et qui a notamment l’avantage de permettre une critique voilée de la société sans compromettre leur auteur. C’est dans le Songe qu’il est le plus développé, la parabole des talents (selon Saint Mathieu, 25: 14-30) servant de fil conducteur de l’œuvre. Les sources littéraires employées par Philippe de Mézières ne se limitent de loin pas à l’Écriture sainte et à Aristote. On compte aussi parmi elles le songe allégorique par excellence, Le Roman de la Rose, mais aussi Guillaume de Digulleville et ses pèlerinages (dont la rédaction est de peu antérieure à celle du Songe du Viel Pelerin), Gilles de Rome et Jean de Salisbury (auteurs eux aussi de miroirs des princes) ou encore Jacques de Cessoles, qui a écrit une allégorie basée sur un échiquier (traduite en français en 1372 par Jean de Vignay). Philippe avait accès à ces ouvrages dans la magnifique bibliothèque royale du Louvre, ainsi que dans la bibliothèque du Couvent des Célestins. Cependant, Philippe de Mézières se différencie de ses prédécesseurs en ce que son propre songe est plus «engagé», à la fois dans les domaines politique et religieux. L’ambitieux but poursuivi dans son œuvre va en effet au-delà du bon gouvernement du royaume. Il s’adresse ainsi aux plus grands personnages de son époque et les exhorte à agir en faveur de la paix générale de la chrétienté, à travers une réforme de l’Église et des États, sans oublier la reconquête de Jérusalem. L’espérance d’un retour à l’Âge d’or le fait vivre, faisant de lui un grand utopiste. À la fin du second volume, le lecteur trouvera un solide apparat critique. Il pourra tout d’abord consulter les variantes des manuscrits. Elles sont suivies d’un très grand nombre de notes qui éclairent la lecture de l’œuvre, au moyen de commentaires historiques et littéraires, ainsi que de références bibliographiques aussi précises que précieuses, complétant la riche bibliographie présentée au début de l’édition. Cette dernière ne contient cependant aucune mention des deux thèses soutenues en 2014 sur Philippe de Mézières, par Alessia Marchiori et Kristina Bourassa, ni des publications de la première (2010 et 2011). C’est une chose que nous regrettons, car ce sont des apports récents et fondamentaux à la recherche sur Philippe de Mézières, écrivain interdisciplinaire par excellence, sans compter qu’ils proviennent de la relève académique. La première adopte en effet une approche littéraire, la seconde un point de vue historique. Un index très utile conclut le volume. Malheureusement, nous avons relevé des erreurs dans les numéros de pages, obligeant occasionnellement à relire plusieurs passages afin de trouver l’occurrence recherchée (le même problème apparaît dans l’introduction). On ne peut enfin manquer de signaler une découverte aussi extraordinaire qu’inattendue. À la fin de l’introduction, Joël Blanchard montre que le début du Songe du Viel Pelerin serait en fait la réécriture en prose du Pelerinage du Povre Pelerin écrit en vers. Les nombreux exemples sur lesquels il s’appuie en font une théorie tout à fait plausible. Ces éléments ainsi que la parution de cette édition vont sans aucun doute donner un nouveau dynamisme à la recherche sur cet auteur qui n’a pas fini de nous étonner. Un colloque aura d’ailleurs lieu au Mans sur «Philippe de Mézières et le concept de l’Europe: Enjeux politique, poétique et spirituel», au printemps 2016. Claire-Marie Schertz H