eJournals Vox Romanica 81/1

Vox Romanica
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0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
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2022
811 Kristol De Stefani

Prix de la relève 2021 du Collegium Romanicum

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313 Prix de la relève 2021 du Collegium Romanicum Prix de la relève 2021 du Collegium Romanicum Laudatio prononcée par le prof. Michel Viegnes pour l’attribution du prix à Numa Vittoz pour son ouvrage Yves Bonnefoy: la poétique de l’inachevable. Cette thèse, réalisée en cotutelle entre l’Université de Zurich et l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, Paris, sous la direction de Patrick Labarthe et de Dominique Combe, a été soutenue le 25 novembre 2021. Le rapport général, extrêmement élogieux dans l’ensemble, fait apparaître les grandes forces de cette étude substantielle de plus de cinq cents pages. On ne peut qu’abonder, à la lecture de la thèse, dans le sens du premier directeur qui y voit «la monographie sur Bonnefoy la plus complète à ce jour», depuis la disparition du poète en 2016, et dans la perspective d’une publication. Le tour de force de Numa Vittoz (NV) est double: d’une part il parvient paradoxalement à produire une véritable somme sur une œuvre considérable et diverse, dont le concept d’inachevable est la clé de voûte; d’autre part il adopte d’emblée une position critique lucide et courageuse, évitant la superposition ou la corrélation forcée entre les deux grands discours de l’auteur de Dans le leurre du seuil et de L’Inachevable , la création poétique proprement dite et la réflexion méta-poétique. Comme dans l’œuvre de Mallarmé, qui est avec l’œuvre de Rilke celle avec laquelle il entretient un dialogue très serré, Bonnefoy parle des deux côtés, mais alors que chez l’auteur de La Musique et les Lettres la même voix, ou du moins des échos multiples de celle-ci, peuvent s’entendre quel que soit le mode du discours, il y a chez Bonnefoy deux voix distinctes, même si elles s’entrecroisent en permanence. Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, Bonnefoy poète et Bonnefoy poéticien (auquel il faut ajouter le Bonnefoy traducteur et traductologue, qui est aux deux premiers le «troisième homme» de cette équation elle-même inachevable) sont remarquablement mis en dialogue par NV tout au long de sa thèse. Un autre point fort, qu’ont souligné plusieurs rapporteurs, est l’équilibre qu’il a trouvé entre une vision d’ensemble de cette œuvre, avec les grandes ligne de force, ou de fuite, qui la traversent, et une vision de détail qui permet de faire apparaître le travail si particulier que fait Bonnefoy sur la langue poétique, et sur la langue en général. Particulièrement frappantes, à cet égard, sont les analyses de cette métrique «semi-libre», qui instaure un véritable dépassement entre tradition et innovation métrico-prosodique, tout en explorant le potentiel de renouvellement interne quasi illimité de l’alexandrin. On peut notamment citer comme exemple de ce niveau exceptionnel d’analyse métrique le passage sur l’alexandrin dans Hier régnant désert (p. 301-312). Ces mi- 314 Prix de la relève 2021 du Collegium Romanicum crolectures s’insèrent parfaitement dans une interprétation d’ensemble où chaque détail formel reflète une architecture à la fois musicale et conceptuelle, dépassant d’ailleurs le cadre déjà immense de la poétique pour entrer dans une poéthique, comme dirait Jean-Claude Pinson. C’est une ambition qui rejoint la jonction de la poésie et de la philosophie, comme le révèle bien ce passage qui donne le ton du discours critique de NV: «L’inachevable est un principe qui, paradoxalement, suppose que, s’il est correctement intériorisé par la société qui l’entoure, il n’empêche pas d’envisager que le projet d’une parole s’achève, équilibrant harmonieusement les principes à l’œuvre de l’emploi du langage, les transformant et marquant rien moins qu’un changement d’époque, détournant l’humanité de la mort définitive qui la guette» (p. 62). Bonnefoy envisage donc le rôle du poète comme un «veilleur essentiel du monde», pour reprendre ici une formule de René Char, dont la poétique est pourtant très éloignée de la sienne. Outre la qualité de l’analyse, le soin apporté à la présentation formelle et à l’expression qui apparaît à chaque page, ainsi que la bibliographie particulièrement riche, attestent d’une grande maturité chez ce jeune chercheur qui parvient à trouver sa voix propre à partir d’une assimilation de nombreux discours critiques. L’avis est donc très favorable pour que le Prix de la Relève de cette année soit décerné à NV pour cette étude qui fera date, non seulement dans les études sur Bonnefoy, mais également dans celles sur la poésie contemporaine.